Auteurs: Bolognesi T., Bréthaut C.
Organisation affiliée: Geneva Water Hub
Site de publication: genevawaterhub.org
Type de publication: Politique
Date de publication: Janvier 2016
Introduction
L’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) et l’Autorité du Bassin du Niger (ABN) se caractérisent par l’instauration d’un cadre de coopération robuste portant à la fois sur l’échange d’informations, les dimensions politiques et financières et sur les mécanismes de coordination, de planification ou de participation du public. Figurant parmi les exemples de bonnes pratiques en matière de coopération transfrontalière, leur action porte sur plus d’une dizaine de secteurs clés du développement économique.
Leurs mécanismes de fonctionnement constituent de véritables exceptions à l’échelle internationale. On peut citer la particularité de certains régimes de co-propriété sur des infrastructures hydrauliques, la tendance à l’intégration des cadres réglementaires nationaux à travers une instance de coopération ou encore l’attribution de compétences particulières pour la mise en œuvre de programmes d’action. Leur réussite permet de réfléchir, d’une part, à la notion de coopération par l’identification de facteurs favorables plutôt que de barrières et, d’autre part, aux conditions de transposition de ces modèles singuliers.
Le cas de l’OMVS
- Phase 1 (1820-1963) : période coloniale et indépendance
Si des projets d’aménagement hydraulique existent dès 1822, ceux-ci ne se concrétisent pas durant cette première période car les potentiels bailleurs doutaient alors de la rentabilité économique des différents projets. Il faut attendre les années 1960 et l’indépendance des Etats riverains pour que la perspective d’une gestion commune du fleuve prenne corps : le Comité Inter-Etats (CIE), créé en 1963 avec le soutien des Nations-Unies.
- Phase 2 (1968-1973) : la grande sécheresse du Sahel
Entre 1968 et 1973, la Grande sécheresse du Sahel frappe l’Afrique de l’Ouest. Cet événement climatique joue un rôle essentiel, il transforme considérablement le régime hydrologique du fleuve intensifiant alors le besoin de coopération à l’échelle du bassin. A ce titre, l’année 1968 date la première décision commune pour la mise en place d’infrastructures de régulation du fleuve ainsi que la création de l’Organisation des Etats Riverains du fleuve Sénégal (OERS) en lieu et place du CIE. Objectif ambitieux, l’OERS ajoute alors à la coopération l’intégration économique et politique des Etats riverains.
- Phase 3 (1972-1988) : la naissance de l’OMVS pour la régularisation des débits
Les nombreuses tensions entre le Sénégal et la Guinée constituent un frein sévère à la coopération au sein du bassin au point où la Mauritanie, le Mali et le Sénégal décident de remplacer l’OERS par l’OMVS dès 1972. La capacité de coopération intergouvernementale s’accroit comme le montre l’adoption du schéma directeur relatif à la définition d’un programme d’infrastructure (1974) et la construction rapide des barrages de Manantali (1986) et Diama (1988).
- Phase 4 (1988-2002) : de la régularisation des débits à l’avènement des normes environnementales
Dès 1988, les débits du fleuve Sénégal sont ainsi en partie maitrisés par les barrages de Manantali et Diama. Ces infrastructures multifonctionnelles permettent alors de satisfaire plusieurs objectifs dont les prioritaires sont l’irrigation (à travers le stockage d’eau et la lutte pour l’intrusion saline), la navigation et la production d’électricité. La gouvernance du fleuve s’inscrit dans une tendance de renforcement des normes environnementales également observée dans d’autres grands fleuves internationaux et dans le secteur de l’eau en général. Enfin, l’adoption de la Charte des Eaux du fleuve Sénégal (2002) formalise les principes structurant de la gouvernance : coopération, propriété indivisible des ouvrages, égalité d’accès à la ressource et équité dans l’imputation des coûts et des charges. La déclaration de Nouakchott (2003) définit la feuille de route, pour une période de 20 ans et prévoit la réintégration de la Guinée dans l’OMVS (2006).
Le cas de l’ABN
- Phase 1 (1950-1964) : période coloniale et postcoloniale
La volonté d’un développement coordonné qui considère le bassin versant du Niger comme échelle de référence apparaît déjà au début des années 1950 avec la création d’un organisme public chargé de mettre en valeur le fleuve : la Mission d’Etude et d’Aménagement du Niger (MEAN). Cet effort est poursuivi après l’indépendance des pays riverains puisqu’en novembre 1964 c’est la Commission du Fleuve Niger (CFN) qui est instaurée avec le but « (…) d’encourager, de promouvoir et de coordonner les études et les programmes relatifs aux travaux de mise en valeur des ressources du bassin ».
- Phase 2 (1979-1980) : l’avènement de l’Autorité du Bassin du Niger (ABN)
Après une quinzaine d’années, constatant les limites de la CFN, les Etats membres décident de substituer l’organisation à une nouvelle autorité de bassin, l’ABN dont la Convention du 21 novembre 1980 est l’acte constituant. Les mandats de cette nouvelle organisation sont plus étendus et s’inscrivent dans un cadre juridique visant la promotion de la coopération entre les neuf Etats membres : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Nigeria et Tchad. Si l’objectif est ambitieux, la mise en œuvre de la coopération reste néanmoins laborieuse avec des difficultés politiques et économiques des pays membres pesant sur la dynamique de coopération régionale.
- Phase 3 (1987-1992) : difficultés et ajustements
En octobre 1987, lors du 5ème sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement, il est décidé de réviser la Convention fondatrice de l’organisation. Ainsi des points focaux nationaux sont crées afin de renforcer le lien entre le Secrétariat exécutif de l’ABN et les Etat membres, et donc la cohérence générale de l’action. Cette nouvelle Convention énonce des objectifs pour la période 1988-1992 relatifs à la planification, la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE), la gestion des ouvrages, de la navigation et la tenue d’études spécifiques. En parallèle, de nombreux accords bilatéraux sont signés entre les différentes parties.
- Phase 4 (2000-2010) : améliorer la performance de l’organisation
Dans cette perspective, le sommet des Chefs d’Etats membres de l’ABN de 2002 s’avère crucial puisqu’il signe la formulation claire et conjointe des attentes des Etats envers l’organisation. Ces attentes débouchent sur le Plan d’Action de Développement Durable (PADD) qui définit une « vision partagée » du bassin versant et recentre l’action de l’ABN sur des priorités stratégiques. Les décisions entreprises doivent permettre de renforcer les capacités financières de l’organisation, sur la base d’une clé de répartition de la contribution au budget de fonctionnement de l’ABN. Concrètes, elles aboutissent à la mise en place d’un comité de pilotage des activités techniques de l’ABN ou encore à l’échange d’informations entre les Etats membres.
Les principaux facteurs de changements
Notre analyse du fleuve Sénégal et du fleuve Niger montre deux cas se caractérisant par une coopération profonde entre les Etats riverains à l’échelle du bassin versant. Ces deux exemples, souvent considérés comme des cas de « bonnes pratiques », diffèrent néanmoins dans les modalités de mise en œuvre de la coopération
Evolution des principaux usages de l’eau
Même si les usages sont restés principalement agricoles, le développement de l’hydroélectricité a induit une intensification de la coopération, notamment financière et technique, en vue d’assurer le caractère fonctionnel des ouvrages. Les retombées positives sur les autres usages, contribuant à la sécurité hydrique des pays, incite également à la coopération. L’OMVS organise un modèle de développement concerté et redistributif (copropriété des ouvrages entre pays riverains et opérateur indépendant) entre différents types d’usages. L’existence d’opérateurs tiers permet de rapidement développer les capacités managériales et techniques, tout en satisfaisant la contrainte d’efficience économique. La situation de l’ABN se caractérise par des politiques surtout dépendantes des échelles nationales et par la mise en œuvre de nombreux accords bilatéraux, rappelant la forte hétérogénéité en ce qui concerne les préférences des pays membres.
Evolution de la structure politico-économique
Le Sénégal, principal moteur économique de la région, semble jouer un rôle d’ « hégémon bienveillant » dans la configuration d’acteurs de l’OMVS. Il semble avoir permis de rassembler les parties autour d’une vision partagée du fleuve. De leur côté les pays membres de l’ABN doivent composer avec une forte hétérogénéité économique, tant dans la dynamique que dans le contenu, rendant la coopération plus complexe. Pour illustration, les membres de l’OMVS ont tous des frontières en commun, parlent la même langue, ont un passé colonial et une « culture administrative » relativement similaire. En revanche, au sein de l’ABN certains pays ne sont pas voisins, plusieurs langues officielles sont parlés et trois différentes puissances coloniales ont occupé la zone.
Une mise en perspective de la coordination
Au regard du niveau d’intégration et de leur résilience, l’OMVS et l’ABN figurent comme deux cas école qui, bien que voisins géographiquement, divergent grandement dans leur caractéristiques internes et contexte de coordination. Chacune des parties s’est trouvée gagnante de la coordination malgré la crainte de comportements opportunistes (passager clandestin). Pour dépasser cette crainte, la transparence et l’échange d’information sur les gains et interactions sont apparus comme le socle essentiel à la coordination.
L’OMVS regroupe uniquement quatre membres dont les intérêts économiques sont proches et très interdépendants
Après avoir évité ce premier écueil (opportunisme) vient le dilemme de la forme/trajectoire de la coordination. La réponse apportée par les organisations diffère en raison même de la configuration d’acteurs. L’OMVS regroupe uniquement quatre membres dont les intérêts économiques sont proches et très interdépendants. De surcroît, les asymétries favorisent l’émergence d’un hégémon orientant une action négociée et évitant une économie-politique du statu quo, rôle que le Sénégal joue. L’ABN compose avec un nombre beaucoup plus grand d’acteurs et d’asymétries complexifiant l’identification de situations gagnant-gagnant et la mise en compatibilité des préférences. Dès lors, le risque d’immobilisme est plus grand.
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