Auteurs : Kanta Kumari Rigaud, Alex de Sherbinin, Bryan Jones, Susana Adamo, David Maleki, Nathalie E. Abu-Ata, Anna Taeko Casals Fernandez, Anmol Arora, Tricia Chai-Onn, et Briar Mills
Organisation affiliée : Groupe de la Banque Mondiale
Type de publication : résumé analytique
Date de publication : 2021
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Message 1 : Région déjà très mobile, l’Afrique de l’Ouest connaitra une augmentation des migrations internes en raison des effets du changement climatique.
Il s’agit de l’une des régions les plus mobiles au monde dont le passé est caractérisé par le commerce, le pastoralisme nomade et la migration dans le but de diversifier les moyens de subsistance. Le schéma migratoire interne de la région est largement dominé par le mouvement des zones rurales vers les zones urbaines. Le pastoralisme nomade et la migration saisonnière des zones intérieures vers la côte jouent un rôle crucial dans la préservation des moyens de subsistance. Dans une grande partie de l’Afrique, les migrations sont des événements en rapport avec le passé colonial du 20ème siècle et les stratégies de l’après-indépendance, et elles sont profondément enracinées dans la géographie et le climat de la région.
Les migrations sont motivées par divers facteurs tels que l’économie, la société, la religion, la politique, l’environnement et, de plus en plus aujourd’hui, par le climat. Le Sénégal, par exemple, est assimilable à la fois à un pays d’origine, de destination et de transit. Au Nigeria, l’enquête sur les migrations internes menée par la Commission Nationale de la Population (NPC) en 2010 a révélé que l’échantillon était composé à 23 % de migrants. Les mouvements de population des zones rurales vers les zones urbaines sont le principal phénomène migratoire observé dans ce pays où environ 60 % des migrants internes vivaient en milieu urbain en 2010.
Les facteurs climatiques jouent depuis longtemps un rôle important et subtil dans la région, comme en témoignent les migrations saisonnières et celles à plus long terme entre la zone semi-aride du Sahel et la côte tropicale au sud. Ces mouvements permettent de faire face à la saison sèche du Sahel et constituent une stratégie de subsistance importante dans la région. Des études montrent que les variations climatiques entraînent des pics dans les déplacements saisonniers et de proximité.
À l’inverse, on observe des flux migratoires importants vers les villes côtières exposées à l’élévation du niveau de la mer et aux ondes de tempête. Seules quelques rares régions, comme Saint-Louis (Sénégal) et Cotonou (Bénin), ont connu une émigration due à des facteurs climatiques. Au Ghana, on a assisté à une migration du nord vers le sud, influencée par le niveau et la variabilité des précipitations et par la dégradation des terres dans le nord. La sécheresse qui a sévi dans les années 1970 et 1980 a entraîné une migration à grande échelle des zones rurales vers les quartiers informels de Nouakchott (Mauritanie).
Aucun pays d’Afrique de l’Ouest n’est à l’abri des migrations climatiques internes, mais l’échelle dans chaque pays dépendra de la façon dont les facteurs climatiques interagissent avec les facteurs démographiques et socio-économiques au niveau local
Pris collectivement, les pays d’Afrique de l’Ouest1 pourraient connaître jusqu’à 32 millions de migrants climatiques internes d’ici 2050 (soit 4,06 % des estimations démographiques) dans le pire des scénarios. De tous les scénarios alternatifs modélisés, le scénario optimiste prédit le nombre de migrants climatiques internes le moins important, pour une moyenne atteignant 7,4 millions d’ici 2050. Les populations migreront des zones où la disponibilité de l’eau est moindre, où la productivité des cultures et des écosystèmes est en baisse, et des zones touchées par l’élévation du niveau de la mer aggravée par les ondes de tempête. Par conséquent, la poursuite d’actions concrètes et de développement pourrait permettre de réduire le nombre moyen de migrants de 11,9 millions (61,7 %) d’ici à 2050.
Aucun pays d’Afrique de l’Ouest n’est à l’abri des migrations climatiques internes, mais l’échelle dans chaque pays dépendra de la façon dont les facteurs climatiques interagissent avec les facteurs démographiques et socio-économiques au niveau local. Le Bénin, par exemple, devrait compter jusqu’à 342 000 migrants climatiques internes d’ici à 2050 dans le pire des scénarios possibles, tandis que le nombre de migrants climatiques internes diminuera jusqu’à 72 %, pour atteindre 97 000 dans le scénario optimiste le plus bas. Le Niger, le Nigéria et le Sénégal devraient compter le plus grand nombre de migrants climatiques internes d’ici 2050 pour atteindre respectivement 19,1, 9,4 et 1 million de personnes dans le scénario pessimiste.
Message 2 : Les migrations climatiques internes vont s’intensifier d’ici à 2050, le nombre de migrants climatiques se multipliant rapidement, si nous n’agissons pas vite afin de mener une action concertée pour le climat et le développement.
La courbe de la migration climatique interne en Afrique de l’Ouest pourrait s’accélérer entre 2025 et 2050, avec toutefois quelques variations de rythme d’accélération entre les scénarios et les pays. On observe une tendance à la hausse de la migration climatique interne, les scénarios à fortes émissions (les modèles de développement pessimiste et plus inclusif) affichant des rythmes plus élevés d’accélération au fil des décennies. Les migrations climatiques internes dans les pays de la région pourraient s’amplifier, se multipliant par 3,3 ou par 5 entre 2025 et 2050.
Les migrations climatiques internes ne sont pas uniformes d’un pays à l’autre et dépendent des schémas démographiques et des tendances économiques, mais le climat est un facteur de plus en plus important. Parmi les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, c’est le Nigeria qui, selon le scénario pessimiste, devrait compter le plus grand nombre moyen de migrants climatiques internes d’ici 2050 (8,3 millions), loin devant le Sénégal (0,6 million) et le Ghana (0,3 million). Toutefois, des pays plus petits, tels que le Bénin, affichent également des chiffres élevés de migration climatique interne par rapport à leur population totale – 1,62 % pour le Bénin contre 1,93 % pour le Nigéria, le Sénégal atteignant la proportion la plus élevée avec 1,98 %.
Message 3 : L’émergence de foyers d’immigration et d’émigration climatiques en Afrique de l’Ouest dès 2030, nécessite des réponses intégrées et lucides destinées à garantir des résultats durables et viables.
Les foyers d’immigration et d’émigration climatique en Afrique de l’Ouest pourraient émerger dès 2030, s’intensifier et se propager d’ici 2050. Ces foyers, agrégés sur la base d’une analyse par pays, sont des zones où les mouvements de population sont considérés avec une certitude élevée dans tous les scénarios modélisés. Par leurs mouvements, les populations sont appelées à se déplacer afin de soutenir leurs moyens de subsistance et apporter ainsi une réponse aux changements que les écosystèmes sont capables de connaitre, notamment en termes de modification de la disponibilité de l’eau, de la production des cultures, de la productivité primaire nette et de l’habitabilité des systèmes côtiers, dans un contexte d’élévation du niveau de la mer aggravée par les ondes de tempête. Les foyers d’émigration climatique sont l’expression d’un ralentissement ou d’une augmentation de la croissance démographique en réponse à des facteurs climatiques et ne sous-entendent pas nécessairement un déclin ou une croissance absolue du nombre d’habitants.
L’augmentation de la fréquence, de l’étendue et de l’intensité des foyers migratoires dans les pays d’Afrique de l’Ouest, nécessite une appréciation contextuelle et une action rapide pour éviter et réduire les conséquences néfastes et tirer pleinement parti des opportunités de la migration climatique interne. Les foyers d’immigration climatique devraient voir le jour au Sahel en raison de l’augmentation des points d’eau et des pâturages disponibles. Le centre-sud de la Mauritanie, le sud-est du Mali et le nord du Nigeria seront les principaux points chauds de la migration climatique dans la région. Il importe d’interpréter ces résultats en tenant compte de la faible disponibilité de l’eau dans la région. L’émigration climatique pourrait devenir prépondérante dans le corridor Dakar-DiourbelTouba d’ici 2050. Les pays à forte croissance démographique, tels que le Nigeria et le Niger, occupent une place de choix dans la cartographie des foyers, mais en appliquant un coefficient de normalisation de la population, des pays à faible croissance démographique, tels que le Bénin, la Sierra Leone, le Sénégal et la Mauritanie, afficheront des foyers importants d’émigration et d’immigration climatiques.
Mal gérés, les schémas de migration climatique ne vont pas seulement compromettre les efforts de lutte contre la pauvreté des pays, mais ils risquent aussi de réduire à néant les progrès réalisés en matière de développement dans les villes et les centres de croissance.
L’émigration climatique pourrait devenir prépondérante dans le corridor Dakar-DiourbelTouba d’ici 2050. Les pays à forte croissance démographique, tels que le Nigeria et le Niger, occupent une place de choix dans la cartographie des foyers, mais en appliquant un coefficient de normalisation de la population, des pays à faible croissance démographique, tels que le Bénin, la Sierra Leone, le Sénégal et la Mauritanie, afficheront des foyers importants d’émigration et d’immigration climatiques
Le stress hydrique, la perte des récoltes et la baisse de la productivité primaire nette ainsi que l’élévation du niveau de la mer deviendront des vecteurs de plus en plus puissants de migration climatique interne dans les pays d’Afrique de l’Ouest au cours des prochaines décennies. Les zones où l’on observe des écarts positifs dans la productivité de l’eau, des cultures et des écosystèmes connaissent généralement une plus grande migration interne, comme en témoignent les changements dans la répartition spatiale de la population.
Message 4 : Une intervention rapide au niveau mondial visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre est essentielle pour atténuer l’ampleur de la migration climatique interne.
Les engagements mondiaux en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ne vont pas dans le sens des objectifs fixés à Paris. Dans son dernier rapport (2021), le GIEC estime que l’augmentation de la température mondiale moyenne dépassera 1,5°C au cours du 21ème siècle, à moins de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre au cours des décennies à venir. Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites immédiatement, rapidement et à grande échelle, il sera impossible de limiter le réchauffement à moins de 2°C.
Au-delà des seuils de températures, les événements extrêmes se multiplieront et les risques liés au climat pour les systèmes naturels et humains seront plus élevés, impactant ainsi de manière disproportionnée la vie des plus pauvres et des plus vulnérables. Certains des impacts apparaissent désormais comme irréversibles. Le réchauffement climatique aura des conséquences sur l’évolution de la viabilité des écosystèmes et sur les villes côtières de basse altitude vulnérables à l’élévation du niveau de la mer, alimentant des niveaux accrus de migration.
Sans une réduction agressive des émissions mondiales permettant d’atteindre les objectifs de Paris, la possibilité de réduire l’ampleur de la migration climatique interne telle que prévue dans les scénarios à faibles émissions sera difficile à concrétiser. En raison des conséquences considérables de la migration climatique interne, la communauté internationale ne saurait relâcher ses efforts. La résolution des problèmes liés aux migrations climatiques internes ne peut être déléguée aux seules communautés concernées, qui pourraient être amenées à se déplacer en raison de l’intensité et de la fréquence croissantes des effets du climat.
Message 5 : Les risques côtiers vont s’accélérer sur la côte ouest-africaine et deviendront un vecteur clef de la migration climatique interne, annonçant un renversement de l’attrait traditionnel en faveur des villes côtières.
La bande côtière de l’Afrique de l’Ouest est particulièrement vulnérable à l’érosion, à l’élévation du niveau de la mer, à l’augmentation des températures et aux inondations. Les capitales ou les grandes villes du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Mauritanie, du Nigeria, du Sénégal, de Sao Tomé-et-Principe et du Togo sont toutes situées sur la côte. Malgré les risques, les villes côtières telles que Dakar, Abidjan, Accra et Lagos continuent de se développer et d’offrir des perspectives économiques aux migrants issus de régions économiquement déprimées. Plus de 6 millions de Nigérians vivent dans la zone côtière de basse altitude, suivis par les Sénégalais (1 million), les Mauritaniens et les Béninois (0,8 million chacun), les Ivoiriens (0,7 million), les Ghanéens (0,6 million) et les Togolais (83 000).
Un examen minutieux de la bande côtière de 5 kilomètres en Afrique de l’Ouest révèle qu’entre 0,3 million et 2,2 millions de personnes pourraient être amenées à se déplacer d’ici à 2050. La Mauritanie devrait faire face à la plus forte élévation relative du niveau de la mer en raison de la subsidence de son littoral. Dans certaines parties de Nouakchott, déjà sujettes à des inondations dues à l’intrusion des eaux de mer et à l’élévation des nappes phréatiques, on assistera probablement à une émigration climatique dès 2030. Les principaux foyers d’émigration climatique devraient se situer dans les zones côtières du Sénégal et le long de toute la bande côtière du golfe de Guinée. Au Nigeria, l’émigration climatique devrait concerner le sud et le sud-est du pays ainsi que les États côtiers, notamment Lagos, Ogun, Rives, Ondo, Delta, Bayelsa, Rivers et Akwa. D’ici 2050, le Sénégal pourrait atteindre jusqu’à 443 000 émigrants climatiques côtiers dans le pire des scénarios pessimistes possibles (5,58 % de la population côtière), tandis que le Bénin pourrait en compter jusqu’à 154 000 (4.97 %). Le Nigeria pourrait atteindre le plus grand nombre de migrants climatiques sur les côtes, avec près d’un million de personnes d’ici 2050 à l’extrémité de la distribution dans les scénarios pessimistes. En revanche, la Côte d’Ivoire devrait totaliser jusqu’à 26 000 émigrants climatiques (1 %).
Les migrations induites par le climat sont une réalité en Afrique de l’Ouest, et l’urgence d’agir se fait ressentir, les enjeux étant chaque jour plus grands. Les pays de la région peuvent s’engager sur la voie d’un développement écologique, résilient et inclusif, en tirant pleinement parti des nouvelles opportunités économiques et en reconnaissant que les transformations structurelles doivent tenir compte du changement climatique et pouvoir y répondre. La prise en compte des migrations et des déplacements induits par le climat doit faire partie des plans et des actions climatiques des pays.
La dimension spatiale et la prise en compte des foyers de migration climatique sont essentielles pour renforcer la résilience. Des mesures anticipatrices et transformatrices prises tout au long du cycle de migration contribueront à réduire la vulnérabilité. Il est urgent pour la communauté mondiale de contribuer à la baisse des émissions de gaz à effet de serre, une condition essentielle à la réduction des migrations induites par le climat. Les migrations climatiques sont une réalité et agir maintenant permettra d’obtenir des résultats durables pour toutes les parties concernées.
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