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Adama Guene
Quand Donald Trump lança, au lendemain de son investiture, le projet Stargate, dont l’objectif consiste à investir 500 milliards de dollars, sur les quatre prochaines années, dans des infrastructures permettant d’exécuter et d’entraîner des modèles complexes d’Intelligence artificielle, le Président américain, ne se doutait de la surprise DeepSeek, venue de la redoutable Chine.
DeepSeek est une société d’Intelligence artificielle chinoise et un agent conversationnel, qui vient bouleverser la concurrence, dominée, jusqu’ici, par les firmes américaines et occidentales, comme ChatGpt de OpenAI, Mistral (France) ou encore Gemini de Google.
L’entreprise américaine Nvidia, qui fabrique des semi-conducteurs nécessaires au développement de l’IA générative, a perdu 589 milliards de dollars, dès sa mise sur le marché des actions, l’un des pires revers du genre et de la capitalisation boursière, selon la presse spécialisée. Ainsi, apparaît un nouveau front de la guerre économique et stratégique que mènent les deux premières puissances mondiales, pour la domination de la planète.
L’apparition de DeepSeek sonne, selon le Président Trump, « comme un avertissement pour les entreprises américaines », au moment où son administration, à peine installée, entend hisser Stargate, pour « devenir leader mondial en IA » et « barrer la route à la concurrence, notamment de la Chine ».
DeepSeek est une société d’Intelligence artificielle chinoise et un agent conversationnel, qui vient bouleverser la concurrence, dominée, jusqu’ici, par les firmes américaines et occidentales, comme ChatGpt de OpenAI, Mistral (France) ou encore Gemini de Google
Dans ce dissentiment scientifique et mercantile auquel se livrent la Chine et les Etats-Unis, des enjeux connexes viennent compliquer et exacerber la rivalité.
Des terres « si rares » qu’elles attirent les convoitises
Les terres rares regroupent un ensemble de dix-sept éléments matériels. Elles ont pris une importance considérable, depuis l’émergence de nouvelles technologies, dans des secteurs aussi innovants que les aimants, les moteurs hybrides, les technologies de la communication, les écrans, mais également, les satellites, les systèmes de guidage et de télécommunication, les dispositifs de défense antimissile, l’aérospatiale et plus généralement l’ensemble des technologies duales qui agitent le cours de la révolution dans les affaires militaires et les capacités C4I des armées modernes.
Un seul pays, la Chine, concentre environ les deux tiers des capacités mondiales de traitement/raffinage des minéraux stratégiques de premier ordre. Le géant assure, à l’heure actuelle, plus de la moitié de la transformation mondiale de l’aluminium, du lithium et du cobalt et autour de 90% des terres rares. Le quasi-monopole en matière de ressources stratégiques rend les États-Unis et l’Europe, dépendants et vulnérables face à leur concurrent direct, la Chine.
Pour s’affranchir du risque d’une domination imminente, le président américain lorgne le Groenland, espace autonome sous tutelle du Danemark. Donald Trump estime que « le contrôle de ce territoire est une nécessité absolue pour les États-Unis ». En effet, si le Groenland est recouvert à 80% de glaces, son sous-sol n’en est pas moins riche. L’Union européenne y a identifié 25 des 34 minéraux de sa liste officielle des matières premières essentielles, notamment les terres rares.
Pour le moment, les premiers ministres du Groenland et du Danemark opposent une fin de non-recevoir (c’est-à-dire l’irrecevabilité de la demande) aux prétentions du locataire de la Maison Blanche, de s’emparer de ce périmètre d’intérêt majeur qui suscite tant de convoitises.
Les semi-conducteurs : la mère des batailles
Dans le domaine des semi-conducteurs à basse nanomètre (3 ou 5 en moyenne), la firme taïwanaise Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) détient une nette avance. S’agissant d’une technologie aussi vitale pour l’économie-monde, l’on conçoit aisément la rudesse et l’agressivité de la concurrence.
Rivalités diplomatiques à part, la Chine continentale et les USA dépendent de ladite entreprise, depuis longtemps leader de la fabrication des puces de dernière génération. Au demeurant, les États-Unis, dès novembre 2024, ont interdit à la firme, d’exporter certains vecteurs d’Intelligence artificielle et d’autres processeurs graphiques, de sensibilité similaire.
Depuis octobre 2024, Washington avait durci sa posture en bloquant l’exportation, en Chine, de produits porteurs de puces américaines. En réponse, la Chine s’empressa d’imposer un embargo sur des matériaux stratégiques, tels que le gallium, le germanium et le graphite, éléments essentiels à la fabrication de semi-conducteurs et d’équipements électroniques avancés.
Dans le domaine des semi-conducteurs à basse nanomètre (3 ou 5 en moyenne), la firme taïwanaise Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) détient une nette avance. S’agissant d’une technologie aussi vitale pour l’économie-monde, l’on conçoit aisément la rudesse et l’agressivité de la concurrence
La stratégie de “containment” (endiguement) opposée à la Chine ne s’arrête pas là. Le 9 août 2024, les États Unis signaient le Chips and Science Act. Le plan de 52,7 milliards de dollars propose, aux entreprises américaines et étrangères, d’investir dans les semi-conducteurs sur le territoire fédéral. La seule condition pour bénéficier des fonds est de s’abstenir d’une implication comparable en Chine pendant une décennie.
Par ailleurs, les États Unis ont lancé le projet Chip 4. Il vise à créer une alliance entre les États-Unis, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon, dans le domaine des semi-conducteurs. Ainsi, la connivence politique et la convergence défensive face à la Corée du nord et à la Chine, favorisent la collaboration tous azimuts.
Alors, par la voix de Shu Jueting, porte-parole du ministère du Commerce, Pékin a déjà exprimé son désaccord en termes univoques : « La stabilité de l’industrie et des chaînes d’approvisionnements est un problème global qui nous concerne tous. La Chine estime que quelle que soit la nature d’un accord sur la question, il se doit d’être ouvert et inclusif, plutôt que discriminatoire et exclusif. »
Malgré les efforts fournis par le pays de l’oncle Sam en vue d’amoindrir le poids croissant de la Chine, la République Populaire vient de lancer un « sérieux avertissement », après l’émergence soudaine de DeepSeek. Selon Bloomberg, Washington mène une enquête par le biais de son ministère du Commerce, en vue de déterminer si DeepSeek a utilisé des puces de Nvidia, non autorisées à l’exportation vers la Chine.
Les drones : ces objets volants qui changent la nature de la guerre
L’importance des semi-conducteurs apparaît dans un autre secteur de l’armement, en l’occurrence l’industrie des drones, laquelle démontre, sur les théâtres d’opérations, l’efficience à compenser l’engagement conventionnel des troupes.
Le drone fait aujourd’hui ses preuves sur le champ de bataille et devient, de facto, un instrument de dissuasion là où l’équilibre de la terreur atomique révèle ses failles, paradoxalement à cause de la prolifération. Dans la guerre d’attrition Russie-Ukraine, le drone a une utilité multiforme parce qu’il couvre, à la fois, l’observation du front et la destruction des moyens humains (soldats) et du matériel (chars de combat, système antimissile, artillerie, capacités industrielles, infrastructures énergétiques). Sa compétitivité, par comparaison aux armes antiaériennes, lance-roquettes multiples, tanks et à la plupart des vecteurs balistiques, n’est plus à démontrer.
Par ailleurs, les États Unis ont lancé le projet Chip 4. Il vise à créer une alliance entre les États-Unis, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon, dans le domaine des semi-conducteurs
Ici, la concurrence est rude. Le Bayraktar Tb2 turque, le MQ reaper et le MQ predator américains, le Lancet et le Cube russes, le Saheed iranien et le Baba Yaga ukrainien sont des modèles qui confirment le savoir-faire de ces pays en la matière.
Au niveau des drones civils, l’on peut citer Dji et Ehang (Chine), Parrot (France), 3D Robotics (Usa), Insitu (Usa), Aeryon (Canada), Sensfly (Suisse)…
En 2023, le chiffre d’affaires du marché mondial des drones s’élevait à 4,3 milliards de dollars. A cette date, plus de 7,5 millions de ces objets volants étaient en circulation. L’offre a augmenté de près de 10 % en 2023 par référence à l’année précédente. Il est estimé que la courbe continuera de croître fortement au cours des prochaines années.
Quid de l’Afrique ?
Dans cet affrontement pour la maîtrise des hautes technologies, l’Afrique demeure dépendante de l’extérieur et se cantonne au rôle d’acheteur. Pourtant, le cobalt et le coltan de la République Démocratique du Congo et les terres rares d’autres contrées du Continent contribuent à la fabrication des batteries de téléphone, des ordinateurs et de véhicules électriques.
Il convient néanmoins de noter les décisions prises par des États africains au sud du Sahara – le Sénégal, la Côte d’Ivoire étoffées par le Kenya et l’Afrique du Sud – de se doter de leur propre satellite même si, dans certains cas, la mise en œuvre de l’ambition recourt à la collaboration avec des puissances étrangères.
Dans la guerre d’attrition Russie-Ukraine, le drone a une utilité multiforme parce qu’il couvre, à la fois, l’observation du front et la destruction des moyens humains (soldats) et du matériel (chars de combat, système antimissile, artillerie, capacités industrielles, infrastructures énergétiques)
À ce jour, 17 pays africains ont mis en orbite plus de 60 satellites. Outre le Sénégal, Djibouti et le Zimbabwe ont également vu leurs premiers satellites devenir opérationnels au cours des 12 derniers mois. Des dizaines d’autres devraient suivre l’exemple durant les années à venir.
Les priorités et urgences étant profuses et en hausse exponentielle dans la plupart des États de l’Afrique, il s’avère délicat qu’ils puissent mettre leurs ressources au service de la souveraineté technologique. L’investissement massif dans la course aux technologies de pointe, dans les ressources humaines hautement qualifiées, les capitaux, l’innovation, la recherche et le développement, reste en situation de déficit. Faire cavalier seul laisserait chacun en rade. L’adversité féroce où les plus forts usent, réciproquement, de stratégies et d’espionnage, aux fins de réduire les capacités de l’autre, rend, l’Afrique, de facto hors-jeu.
Ainsi, il faut, au Continent, des projets communs dans les domaines de l’espace, de l’armement et surtout de la recherche scientifique. Les efforts de mutualisation des moyens (financiers d’abord) ont permis, à l’Europe, de mettre sur pied l’Agence spatiale éponyme. La coopération induite a permis des progrès remarquables, comme l’Eurocopter Tigre (France-Allemagne), l’Eurofighter Typhoon (Royaume-Uni, Italie, Allemagne, Espagne), les missiles Storm Shadow / Scalp (Royaume-Uni-France), le système sol-air de moyenne portée Mamba (France-Italie), Airbus (France, Allemagne, Espagne, Grande Bretagne), etc.
Rêves et belles résolutions mis à part, il s’agit, aujourd’hui, pour l’Afrique, de commencer à créer des pôles d’innovation qui viseraient, d’abord, les outils du développement, de la santé et de la prospérité des peuples, avant de conquérir l’espace ou de promouvoir la fabrication de l’équipement militaire…
Crédit photo: areion24.news
Adama Guene est diplômé en Sciences politiques et études et pratiques des relations internationales.