Gilda Rodrigues
Il y a plusieurs années, la CEDEAO a mentionné l’objectif d’harmoniser l’éducation dans la région. Un protocole publié à la même époque (2016) suggérait l’harmonisation en termes d’enseignement supérieur et la reconnaissance des diplômes obtenus à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest. Cependant, la dernière évocation de l’harmonisation du système éducatif de la région concerne tous les niveaux d’enseignement.
L’harmonisation aiderait soi-disant la région à se développer dans divers secteurs. Le capital humain basé sur une économie de la connaissance a été reconnu comme un facteur essentiel pour relever les défis du développement qui ont été causés par le manque de compétences requises dans de nombreux secteurs.
Pour approfondir le sujet d’une éventuelle éducation harmonisée en Afrique de l’Ouest, trois pays sont pris comme exemple et feront l’objet d’une comparaison : le Cap-Vert, la Gambie et le Sénégal. Le choix de ces trois pays est motivé par leurs différences d’orientation linguistique, lusophone, anglophone et francophone, qui sont liées au passé colonial de ces pays.
Les acteurs de l’éducation
Avant d’observer les politiques de ces pays en matière d’éducation primaire, une petite recherche documentaire a été menée pour recenser toutes les parties prenantes présentes dans ces pays. La cartographie des acteurs de l’éducation est d’une grande importance lors de la rédaction d’une politique pour harmoniser les systèmes éducatifs de la région, afin de clarifier quelles parties doivent être impliquées dans une telle stratégie.
Les résultats de cette recherche montrent que les parties prenantes sont nombreuses au niveau national pour mettre en œuvre une éventuelle stratégie d’harmonisation de l’éducation. La CEDEAO devrait échanger avec de nombreuses parties, ou s’assurer que ces dernières sont en contact avec le ministère de l’Éducation du pays, également considéré comme une partie prenante au niveau national.
Même si l’objectif de la CEDEAO est de conserver le pouvoir d’exécution en matière d’éducation au niveau national, d’autres parties prenantes au niveau international ont une grande influence sur l’harmonisation des politiques éducatives dans la région. Une organisation comme l’UNESCO conseille la CEDEAO sur son plan d’harmonisation.
Au niveau continental, plusieurs acteurs influencent aussi l’éducation, comme l’Union africaine qui a fixé des objectifs pour la région afin d’atteindre les cibles de l’ODD4, ce qui est renforcé par le RCG4-WCA pour l’Afrique de l’Ouest, la Banque africaine de développement finance certains secteurs de développement.
Une région, trois langues, des politiques éducatives différentes
La CEDEAO reconnaît que l’éducation est le principal facteur pour renforcer son capital humain. Cependant, il n’existe qu’un protocole datant de 2016, et aucune politique publique ne va dans le sens de cette possible harmonisation.
Afin de tracer une ligne de cohésion possible entre les Etats de la région, les politiques de trois pays sont discutées, trois pays qui sont géographiquement proches les uns des autres, mais qui ne partagent pas la même langue (en comptant le français, et l’anglais comme langue officielle, puisque l’éducation est dispensée dans ces langues et non en wolof) en raison de passés coloniaux différents.
La CEDEAO reconnaît que l’éducation est le principal facteur pour renforcer son capital humain. Cependant, il n’existe qu’un protocole datant de 2016, et aucune politique publique ne va dans le sens de cette possible harmonisation
À coté de quelques différences dans les politiques du Cap Vert, La Gambie et Sénégal, on peut surtout trouver des similarités. En outre, trois points principaux se retrouvent dans les politiques des trois pays, à savoir la qualité des enseignants présents, l’utilisation des langues locales et la décentralisation de la gestion de l’éducation.
La qualité des enseignants
Le nombre d’enseignants qualifiés et présents reste un obstacle pour les trois pays et constitue un facteur qui affecte la qualité de l’enseignement dispensé. Concrètement, dans la politique élaborée par la Gambie, il est fait mention du ratio enseignant/élèves, et de l’objectif de diminuer ce ratio. La politique du Cap-Vert spécifie la nécessité d’améliorer la qualité des enseignants au niveau primaire, où l’accent est mis et où le financement est le plus important, environ 50% du budget étant investi dans l’enseignement primaire.
En outre, le Cap-Vert met également l’accent sur la décentralisation du nombre d’enseignants qualifiés, qui sont principalement basés dans les zones urbanisées. Dans le Programme sénégalais d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET), il est mentionné que le renforcement de la productivité du personnel scolaire, enseignants et non-enseignants est une priorité.
Cependant, si la question de la qualité des enseignants est commune aux pays, ce n’est pas sans raison, puisqu’elle l’a aussi été au sein de l’Afrique subsaharienne, comme le définit l’UNESCO : ” La question de la qualité de l’éducation de base en Afrique subsaharienne est indissociable de la qualité des enseignants concernés “.
L’aménagement linguistique
Les influences coloniales et l’éducation sont indissociables, étant donné que la plupart des premières écoles construites dans la région l’ont été par les colons, si ce n’est par des établissements religieux. Cela impliquait également que l’ancienne langue coloniale devienne la langue standard de l’éducation dans ces pays.
Cependant, dans les trois pays étudiés, il est accordé une certaine attention aux langues locales. Dans le cas du Sénégal et de la Gambie, il est souhaité que les langues locales fassent partie des programmes scolaires, tandis que la Gambie mentionne ses cinq langues principales, mais ne décrit pas dans quelle mesure elles seront enseignées. Le Sénégal mentionne dans le PAQUET la nécessité de “Développer progressivement l’utilisation des langues nationales dans le système éducatif, au-delà de l’alphabétisation fonctionnelle”.
Ainsi, les langues locales doivent être insérées dans les systèmes et elles peuvent aider à l’alphabétisation. Dans la politique du Cap-Vert, la langue portugaise est abordée comme un problème, l’utilisation du portugais à la base peut être une cause d’échec scolaire. Bien sûr, il est nécessaire de remarquer que les situations linguistiques de ces pays sont différentes : en Gambie comme au Sénégal, de nombreuses langues locales sont présentes, mais le wolof est plus dominant dans les deux cas, au Cap-Vert la seule langue commune est le créole capverdien, cependant, des différences significatives entre les îles causent des difficultés pour la standardisation.
La décentralisation de la gestion de l’éducation
De plus, comme évoqué ci-dessus, les trois pays mentionnent la décentralisation de la gestion de l’éducation comme un moyen d’améliorer la gouvernance de l’éducation et de s’assurer qu’elle soit plus inclusive. La politique de éducation de la Gambie diffère de celle du Cap-Vert et du Sénégal notamment la participation des citoyennes, comme les enfants même ; la participation de toutes les parties prenantes de l’éducation était centrale dans le processus de dialogue politique. Le processus s’est efforcé, de diverses manières, d’inclure les enfants comme les adultes, les membres “analphabètes” comme les membres alphabétisés de la société, les membres de l’Assemblée nationale, les services gouvernementaux, la société civile et les représentants du secteur privé
La participation des habitants et des enfants à l’élaboration des politiques est déjà un moyen de décentraliser la gouvernance de l’éducation et de garantir que les politiques répondent aux besoins de la réalité. L’inscription des filles est un aspect important pour tous les pays, cependant, le Cap-Vert mentionne que le fossé entre les sexes est déjà presque égal, les filles 49%, les garçons 51%.
La participation des habitants et des enfants à l’élaboration des politiques est déjà un moyen de décentraliser la gouvernance de l’éducation et de garantir que les politiques répondent aux besoins de la réalité
L’adaptation de l’éducation au contexte de l’étudiant est un point d’attention. Dans la politique du Sénégal, il est mentionné que le système doit s’adapter aux besoins et aux contextes des étudiants. Le Cap-Vert mentionne le manque de prise en compte de la réalité sociale, ce manque de prise en compte peut provoquer un écart entre l’intervention ou les politiques et la réalité.
La Gambie ne mentionne pas spécifiquement la prise en compte du contexte social des étudiants dans l’éducation. Cependant, elle décrit le renforcement des programmes d’agriculture qui pourrait déjà être un moyen de s’adapter à la réalité de la plupart des étudiants, étant donné que l’agriculture emploie 75 % de la main-d’œuvre du pays, et pourrait donc être la profession de leurs parents, et être liée à leurs réalités sociales.
Le programme agricole est conçu pour nourrir les enfants avec des produits locaux. L’objectif de fournir aux enfants de la nourriture pourrait aussi bien être une incitation positive pour leur réalité sociale, étant donné que la pauvreté et les problèmes de nutrition sont susceptibles de constituer un obstacle pour que les enfants bénéficient d’une éducation appropriée.
Conclusion
L’harmonisation de l’éducation dans les 15 pays de la région est l’une des aspirations de la CEDEAO. L’examen des politiques des trois pays, rédigées dans trois langues différentes, permet de voir où se situent les principaux points d’entrée au niveau régional. Dans ces trois pays, plusieurs correspondances et similarités encouragent la mise en place d’un cadre régional pour guider la qualité des enseignants et stimuler l’investissement dans certains domaines à l’échelle régionale.
Cependant, il est très important de prendre en compte chaque partie prenante, régionale et locale, comme le mentionne la CEDEAO. Il faut aussi, encourager les États membres à formuler et à mettre en œuvre des politiques, des stratégies et des systèmes d’éducation et de formation comparables et adaptés à leurs besoins est une priorité.
La CEDEAO joue déjà un rôle significatif dans ces espaces nationales. Néanmoins, une stratégie régionale pour lever les obstacles de ces pays, et élever le niveau d’éducation partout dans l’espace CEDEAO sera une recommandation à la CEDEAO. La CEDEAO avec une stratégie spécifique peut jouer un rôle dans l’accélération du processus de renforcement du capital humain de la région, et de sa qualité.
Crédit photo : entreprenanteafrique.com
Gilda Christina Rodrigues est une Capverdienne née aux Pays-Bas. Elle s’intéresse aux questions d’éducation dans les pays de l’Afrique de l’Ouest. Elle effectue actuellement un Master en Etudes africaines à l’Université de Leiden.