Auteurs : Didier Bassolé, Claude Lishou, Sadouanouan Malo, Alain Mille, Abdoulaye Séré, Yaya Traoré
Site de publication : Hadoly
Type de publication : rapport d’étude
Date de publication : Janvier 2021
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L’intelligence artificielle : une chance pour le développement de l’Afrique ?
La capacité des pays africains à être considérés comme des pays pairs aux capacités propres, ancrées dans le contexte culturel, scientifique et technique du continent n’est pas établie. C’est dans ce contexte économique et politique que les conditions d’un impact positif de l’IA pour le développement du continent Africain sont examinés dans cet article. Nous avons tenté de dresser un état de l’art de l’IA en Afrique, tel que nous avons pu l’observer dans les publications scientifiques, journalistiques et sur les réseaux. Cet état de l’art montre un grand potentiel, mais aussi de grandes difficultés à imposer une IA robuste, capable de se développer de manière indépendante des géants du domaine.
Intelligence Artificielle en Afrique : état des lieux
Les potentiels de l’IA sont tout à la fois considérés comme fascinants mais exigeant une posture éthique s’inscrivant dans la culture africaine. L’auteur [Alain Kiyindou] défend le concept d’i-développement, situant l’intelligence au centre du développement. L’IA devrait être l’outil privilégié d’une telle approche.
L’intelligence artificielle s’inscrit dans une économie de services et un environnement technologique frugal
Le secteur bancaire semble investir dans l’IA. Les questions de sécurité sont citées comme cibles applicatives prioritaires. L’agriculture, parfois en couplage avec l’usage de drones, est plusieurs fois citée. Les secteurs des réseaux, de l’information, de l’éducation et de la santé sont également cités comme cibles de l’IA, mais avec un impact économique indirect. Les offres de service exploitant le potentiel de l’IA, permettent à quelques start-up de faire le buzz dans les journaux.
Le commerce en ligne est un secteur en plein développement, il pourrait profiter de l’aide des technologies de l’IA pour faciliter sa mise en œuvre dans un pays qui nécessite une logistique particulièrement agile et très différente de celle des pays riches. Des modèles explicatifs IA permettraient d’augmenter la confiance des consommateurs sur la qualité des produits, la sécurité des paiements et la qualité des processus de livraison
Le développement de l’IA s’inscrit dans une dynamique économique africaine très contrastée et rencontrant actuellement des difficultés après une période de croissance essentiellement liée au commerce des ses matières premières. Les moyens propres du continent pour alimenter son développement restent faibles et la dépendance aux pays riches fragilise la pérennité des investissements dans les technologies innovantes.
Le commerce en ligne est un secteur en plein développement, il pourrait profiter de l’aide des technologies de l’IA pour faciliter sa mise en œuvre dans un pays qui nécessite une logistique particulièrement agile et très différente de celle des pays riches. Des modèles explicatifs IA permettraient d’augmenter la confiance des consommateurs sur la qualité des produits, la sécurité des paiements et la qualité des processus de livraison.
Si les réalisations sont encore peu nombreuses, elles démontrent une capacité remarquable des acteurs africains à s’emparer de l’IA alors que le contexte économique, technologique et scientifique ne le facilite pas
Des équipes de recherche en émergence difficile
La formation à l’IA est une condition nécessaire pour être en mesure de s’approprier et développer cette discipline. La formation à l’IA s’inscrit dans ce contexte économique difficile. Quelques formations d’excellence sont proposées dans les établissements très sélectifs comme l’Université Gaston Berger, ou lancées par Google. Ces formations sont calibrées pour permettre aux diplômés d’intégrer les équipes internationales. Le pari est que quelques un.e.s restent ou reviennent sur le continent pour y développer leurs talents.
Les revues scientifiques du continent constituent également un indice du dynamisme des équipes de recherche, mais ne sont pas visibles facilement. Les chercheurs en IA peuvent valoriser leurs travaux dans la revue ARIMA, mais également dans la revue Scientific African dont un numéro thématique Big Data, Analytics and Artificial Intelligence for Sustainability est en cours de publication. Scientific African est une initiative du Next Einstein Forum (NEF) dont les ambassadeurs sont maintenant présents dans plus 32 pays africains. Ce mouvement d’émancipation pour la publication scientifique est encourageant
L’émergence de très nombreuses structures d’incubations d’entreprises sur des techniques avancées intégrant parfois l’intelligence artificielle, constitue peut-être un indice d’intérêt croissant pour l’IA. Ces incubateurs se multiplient depuis 2015 et deviennent aujourd’hui des acteurs visibles que les organisations et institutions africaines et internationales promeuvent (états, organisations professionnelles, AFD, Digital Africa, AUF, …). Cette dynamique démontre l’importance d’ouvrir les connaissances scientifiques permettant l’appropriation des technologies de l’IA.
La visibilité des travaux africains dans les revues internationales est faible tant les normes y sont adaptées aux standards des équipes de recherche des pays développés. Plusieurs conférences internationales sont accueillies en Afrique, ce qui permet aux équipes locales de publier leurs travaux. Des conférences africaines se mettent en place progressivement soit en relation avec l’international comme la conférence CARI, soit à l’initiative d’acteurs locaux à l’image des JRI au Burkina Faso.
Les revues scientifiques du continent constituent également un indice du dynamisme des équipes de recherche, mais ne sont pas visibles facilement. Les chercheurs en IA peuvent valoriser leurs travaux dans la revue ARIMA, mais également dans la revue Scientific African dont un numéro thématique Big Data, Analytics and Artificial Intelligence for Sustainability est en cours de publication. Scientific African est une initiative du Next Einstein Forum (NEF) dont les ambassadeurs sont maintenant présents dans plus 32 pays africains. Ce mouvement d’émancipation pour la publication scientifique est encourageant.
Forces et faiblesses en Afrique pour une IA comme facteur de développement
Points forts :
- L’accessibilité croissante au numérique via les terminaux téléphoniques dont le taux de pénétration dans la société Africaine est très élevé.
- Des services en ligne qui émergent pour la santé, l’agriculture, l’énergie, l’eau,…permettant de créer des entreprises innovantes.
- Une jeunesse nombreuse, motivée et s’appropriant le numérique pour étudier et imaginer des activités innovantes.
- Un appétit de connaissances scientifiques révélé par le grand succès des MOOCs.
- Un nombre, toujours faible, mais croissant de scientifiques dans le domaine de l’IA.
Les points faibles sont :
- Une organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche qui cherche les moyens de son développement.
- Des enseignants-chercheurs peu nombreux21 et surchargés.
- Un secteur du numérique dont la dynamique dépend des stratégies des géants occidentaux ou chinois du numérique et des télécommunications.
- Une connectivité numérique peu robuste : une couverture très inégale et un accès à l’énergie électrique aléatoire.
- Une croissance économique significative mais dépendante des stratégies internationales.
- Un déficit de confiance de la jeunesse pour développer leurs projets en Afrique.
Le développement de l’IA au service du développement de l’Afrique ?
En Afrique, l’IA ne représente pas un marché très important sous les formes qui font son très grand succès dans les pays riches (exploitation des données massives, robotique, recommandation de consommation, …). Ce sont des formes nouvelles d’usages de l’IA qui devront constituer l’essentiel de sa contribution au développement du continent. Pour réussir, il s’agit d’exploiter les points forts et de limiter les effets des points faibles :
- Partir de forces vives : jeunesse étudiante, entrepreneurs innovants, jeunes chercheurs
- Associer les étudiants Master et doctorants à une activité d’innovation dans l’entreprise ou d’enseignement à l’université, pour répondre à la question du coût des études et associer l’emploi à la diplomation.
- Privilégier les cas d’usage dans la réalité des priorités du développement Africain en associant ses parties prenantes : agriculteurs, gestionnaires de l’énergie, gestionnaires de l’eau, gestionnaires des télécommunications, entreprises de service, personnels de santé, gestionnaire de logistique.
- Organiser l’agilité et la multimodalité dans l’enseignement comme dans la recherche : locaux d’accueil adaptés et ouverts, supports en ligne (Moocs), variété de terminaux et adaptation aux lacunes d’accès internet.
- Expérimenter un modèle économique capable de démarrer avec des ressources limitées mais régulières. Les ressources publiques, privées et individuelles se conjuguent. Les ressources propres proviennent d’activités de bureau d’étude associées aux activités de recherche et formation.
- Assurer d’une forte valorisation des jeunes chercheurs impliqués par la publication multicanale des travaux, des prototypes, des démonstrateurs et une mobilité nationale, continentale et internationale (conférences, séjours, échanges,…)
Présentation d’un modèle expérimental pour développer l’IA en Afrique : le dispositif AFRICAIN
Le développement de l’intelligence artificielle doit considérer l’utilisateur comme utilisateur-technicien, garant d’usages éthiques au service de la société. Si l’IA en constitue le cœur, les autres facettes du numérique doivent intégrer cette démarche de mise en intelligence du numérique avec la société.
Ce projet tente de répondre aux critères que nous avons listés dans l’analyse de l’état de l’art : associer institutions, entreprises, enseignants-chercheurs, étudiants et société autour de la connaissance du numérique, développer une dynamique forte n’exigeant pas de très importants moyens initiaux, adopter un modèle économique ambitieux car frugal et robuste, s’appuyer sur les atouts et originalités du continent africain pour orienter la recherche et développement autour d’innovations liées aux territoires locaux.
Une cellule AFRICAIN est une structure légère associant étudiants-chercheurs, apprentis-innovateurs, enseignants-chercheurs et entrepreneurs. La cellule grossit annuellement avec de nouveaux étudiants-chercheurs/innovateurs dans un parcours en alternance avec les structures partenaires. Tout membre de la cellule intervient pour l’encadrement académique ou professionnel. Une cellule est mature pour sa reproduction lorsque sa croissance est suffisante pour donner lieu à la création d’une nouvelle cellule similaire.
À la suite de la présentation du concept au cinquantenaire du CAMES à Ouagadougou en 2018, un collectif s’est constitué autour d’un groupe de collègues informaticiens du Burkina Faso. Ce collectif fonctionne autour d’une liste de diffusion et d’un espace de collaboration. Le collectif compte une trentaine de personnes qui sont essentiellement mobilisées sur l’émergence d’une conférence ouverte aux entreprises et à la société avec un chapitre IA significatif. Une veille scientifique sur les appels à projets, les conférences ouvertes, les partenariats internationaux est maintenue sur la liste et cet article constitue également une production de cette initiative.
Témoignages d’acteurs africains
Référencer les formations du numérique en francophonie, une exigence pour accompagner le développement de l’IA en Afrique francophone [Claude Lishou]
Pour acquérir n’importe quel métier, il est nécessaire de renforcer les compétences numériques transversales mais aussi le savoir-être (les fameux « soft skills ») des apprenants, comme autant d’atouts en terme d’agilité et d’adaptabilité dans une société en mouvement permanent. Pour favoriser l’appropriation du numérique et singulièrement les techniques d’IA, dans un contexte d’évolution technique constante et préparer aux transformations la formation doit évoluer. Trois groupes de compétences s’imposent comme essentiels : des compétences cognitives (savoir apprendre, se documenter, résoudre des problèmes,…) ; des compétences sociales, transversales, situationnelles (travail en équipe, autonomie, apprendre à apprendre, esprit critique…) ; des compétences numériques et technologiques.
Comment l’Intelligence Artificielle transforme les savoirs locaux pour une agriculture durable au Burkina Faso dans le contexte actuel de changement climatique ? [Yaya Traoré]
Face aux pertes de récoltes, à la dégradation des sols, à la perturbation du calendrier agricole, à la baisse des rendements, à la prolifération des insectes ravageurs, les populations expérimentent les techniques basées sur les savoirs locaux. Ces savoirs locaux varient d’une localité à une autre, sont faiblement documentés et enseignés. Ils ne peuvent que peu influer les stratégies de résilience au changement climatique dans le domaine agricole. Les outils de l’IA constituent une opportunité de collecter, documenter et activer ces connaissances locales sous la forme d’assistance à leur mise en oeuvre. La collecte et l’analyse des pratiques permettrait d’activer une base de connaissances locales capable de faciliter l’adaptation des pratiques basées sur les savoirs locaux.
Contribution de l’intelligence artificielle à l’e-santé au Burkina Faso [Sadouanouan Malo]
Le domaine de la santé est l’un des domaines où les enjeux de l’Intelligence Artificielle sont les plus importants au Burkina Faso comme dans toute l’Afrique. Nous nous intéressons à soulager les personnels de santé spécialistes, dont les effectifs sont très insuffisants, en aidant les soignants à analyser, diagnostiquer les problèmes de santé et à apprendre à les gérer. Pour étudier cette question, nous nous sommes intéressés à l’interopérabilité des systèmes d’informations hospitaliers. Ces systèmes indépendants peuvent être articulés via des opérations de composition de services web. Cette composition nécessite la mise en place d’une ontologie commune permettant l’annotation sémantique des service.
La surveillance des épidémies nécessite collecte et intégration rapides de données et d’événements liés aux facteurs de risque de propagation de la maladie. En cas d’épidémie, des mesures adéquates dont l’éducation et la sensibilisation, doivent rapidement être prises pour la contenir. L’Afrique est confrontée à un manque de dispositifs de collecte de données en temps réels. Pour pallier cette difficulté, nous avons proposé d’explorer les réseaux sociaux très utilisés en Afrique comme source indirecte d’information sur la méningite.
Nous continuons ces travaux en les appliquant à la Bilharziose et la Covid-19. Pour la Bilharziose, un réseau de capteurs a été déployé pour surveiller la qualité de l’eau de surface en rivière. Un outil d’alerte a été élaboré par fusion des données issues de ces capteurs. Nous poursuivons nos travaux pour le paludisme et la dingue, en incluant des techniques d’apprentissage automatique pour entraîner un modèle de diagnostic automatique qui pourra être intégré à un bot d’aide à la décision.
L’IA au profit du développement économique et urbain des villes africaines : savoir collecter les données d’activité est un préalable [Didier Bassolé]
L’IA constitue sans doute un levier stratégique de transformation digitale de la société au service des citoyens. L’existence et la disponibilité des données d’activités urbaines est une condition forte pour une IA utile. La qualité des résultats des algorithmes d’IA est directement liée à celle des données disponibles. La démarche de collecte des données valides et robustes nécessite une plateforme pour gérer la collecte, l’agrégation, le nettoyage et l’enrichissement des données quelles que soient leurs sources.
Conclusion : AFRICAIN, un dispositif agile et frugal articulant l’offre institutionnelle et entrepreneuriale avec la dynamique de terrain
La situation économique des pays africains suit une courbe prometteuse mais ne profiterait sans doute pas d’une IA telle qu’elle se dessine dans les programmes stratégiques des pays développés. Les faiblesses actuelles peuvent se révéler des forces en choisissant de mettre en place une IA africaine, adaptée à l’avenir de l’Afrique comme modèle pour un développement durable dans le monde. Nous proposons un dispositif agile et frugale, pour diffuser rapidement tout à la fois les formations, les études et recherches et les réalisations pratiques dans une dynamique de cellules dynamiques et se diffusant en association étroite avec le tissu social et économique. Les témoignages proposés par les acteurs africains de cette initiative montrent que ce potentiel se transforme rapidement en actions concrètes contribuant au développement de l’Afrique par un usage situé des technologies de l’IA.
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