Accès des femmes aux ressources économiques « Il y a un problème d’accès clairement, mais là n’est pas l’enjeu essentiel. On voit que beaucoup de femmes ont des besoins en matière de financement, mais aussi en matière d’appui technique et de coaching personnel pour avoir confiance en elles, pour leur permettre de se lancer dans l’entreprenariat ou de lancer d’autres affaires et initiatives. On voit que les femmes ont beaucoup d’idées, beaucoup de passion, beaucoup de volonté, mais le temps est un facteur très important. Elles passent malheureusement ou heureusement, je ne sais pas, beaucoup de temps à gérer, par exemple, le côté social, particulièrement au Sénégal, qui peut parfois être très lourd. Les femmes le disent très souvent que c’est un frein à leurs initiatives. Comment gérer cela et comment parfois se battre contre certaines des attentes de la société ? Pour le financement, nous sommes en train de voir un changement. Il y a des initiatives comme le Women’s Investment Club (WIC), où on s’est rendu compte parfois, qu’il faut développer les outils et les mécanismes qui sont plus appropriés pour les femmes. Aller en banque, où on vous demande certaines garanties, ce n’est pas toujours évident. Parfois, les montants sont trop élevés alors que les femmes ont des besoins au démarrage de leurs activités. Pour le moment, il n’y a pas nécessairement tous les mécanismes qu’il faut qui s’adaptent à leurs besoins spécifiquement. Donc, il s’agit de construire ces mécanismes tout simplement pour donner accès et ne pas se dire que ce qui a marché ailleurs, dans d’autres secteurs ou ce qui a toujours existé est ce qu’il faut pour les femmes. L’argent est présent, il y a une volonté, en tout cas de financer les femmes. Maintenant est ce qu’on est prêt à adapter ce financement pour les femmes ? Il y a encore du chemin à faire. » Adapter les mécanismes de financement aux besoins des femmes « Il faut beaucoup de flexibilité. Il ne suffit pas simplement de dire qu’on va faire de la microfinance et caler les femmes à des montants assez bas. Même si la microfinance a permis à beaucoup de femmes de se lancer et de subvenir à certains besoins au niveau de leurs affaires. Il faut des montants plus élevés. Quand on commence à parler de 50 millions, 100 millions et plus, on accepte donc que les femmes doivent aussi cheminer avec leur entreprise, il ne faut pas mettre les femmes dans une boîte où elles ont besoin juste de montants pour le commerce, pour acheter et revendre. Il faut bien comprendre aussi comment une femme prend ses décisions d’investissement, son cycle de vie, quand est ce qu’elle est le plus préparée à se lancer et à se dédier à son business ? On sait que beaucoup de femmes, c’est après que les enfants soient allés à l’école, qu’elles se lancent vraiment dans leurs affaires, même si elles ont commencé plus tôt. Il faut beaucoup de flexibilité. Il ne suffit pas simplement de dire qu’on va faire de la microfinance et caler les femmes à des montants assez bas. Même si la microfinance a permis à beaucoup de femmes de se lancer et de subvenir à certains besoins au niveau de leurs affaires Par exemple, quand on met plein d’argent dans les jeunes, c’est très bien, on ne peut pas faire sans cela, ne pas oublier que pour une femme, c’est peut-être un peu plus tard qu’elle peut vraiment s’y mettre et d’avoir cette flexibilité par rapport à son style de vie, ses priorités à différents moments de sa vie. Selon moi, le challenge c’est de s’adapter aux besoins des femmes. Quand je dis femme, c’est spécifique. Peut-être que la femme de Dakar a des besoins très différents de celle qui est à Kaolack, etc. Les besoins et les contextes sont différents. Il est important de vraiment prendre en compte les besoins réels, apporter cette flexibilité et être ouvert à des innovations. » Obstacles les plus marquants dans la quête de l’autonomisation des femmes « Les femmes on fait beaucoup de choses avec beaucoup de passion et le cœur afin d’être beaucoup plus orientées dans le business et de ne pas hésiter à y aller. Mais, elles ont aussi besoin de comprendre qu’est-ce que le marché veut réellement ? Est-ce que mon produit peut être attractif ? Donc, elles doivent bien voir est ce que ce qu’elles proposent sur le marché est réaliste et différencié. Elles doivent aussi pouvoir voir la différence entre ce qu’on fait pour se faire plaisir et ce qu’on peut faire pour faire un business réel. Je dis aussi qu’il faudrait qu’on montre plus de femmes qui sont dans des secteurs où on a l’habitude de voir les hommes. Les femmes restent très souvent dans les professions libérales, par exemple dans des secteurs ou on a besoin que d’un ordinateur et une connexion Internet. Mais quand je regarde certaines qui sont dans les industries lourdes, où on parle de logistique vraiment très sophistiquée, elles n’ont pas peur d’aller dans la grande industrie et d’être capables de gérer plus de choses. Voir plus de femmes se projeter dans ces secteurs où on a un peu peur, peut nous élargir les opportunités et nous faire avoir de l’ambition, je pense. Et c’est surtout parfois, la peur de cette ambition quand on voit ces grands espaces avec beaucoup de choses à gérer, à vendre, etc. Cela peut être effrayant. On a tendance à vouloir rester avec son ordinateur et sa connexion. Il faut voir comment aider les femmes à mieux se projeter dans ces éléments. Il ne faut pas oublier la manière dont une femme gère sa vie. On le sait, on en parle beaucoup. On parle de mettre des crèches dans les bureaux, leur donner la flexibilité pour pouvoir descendre à une certaine heure, etc. C’est bien, mais je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin et voir ce qu’il est possible de faire, et encourager les femmes à trouver des moyens de gérer tout cela. Il faut vraiment travailler avec les femmes individuellement pour qu’elles puissent avoir cette ambition, se projeter et les aider à définir comment mieux le faire. » Women’s Investment Club : une nouvelle approche « Il y a le premier investissement dans E-cover du WIC, avec deux jeunes femmes qui sont magnifiques tout simplement, et qui font dans le recyclage des pneus pour en faire d’autres produits. C’est un bon modèle pour dire que c’est possible. Il n’y a pas d’âge, pas de limite à ses ambitions. Pour le WIC, investir dans ce genre de projet est important. Aussi dans le cadre de la WIC Académie, au lieu de faire un programme où on forme tout le monde toujours en même temps, sur les mêmes outils, les mêmes approches, on se concentre un peu plus sur ces femmes dans leur business, donc cela devient un peu plus individuel, un peu plus structuré et cela s’allie très fortement à leur activité. Et bien sûr, elle est au cœur de cette activité plutôt que toujours des formations un peu générales qui sont nécessaires, mais qui ne sont pas suffisantes. Je pense à quelque chose qu’on remarque beaucoup aussi au sein du WIC, c’est la gestion même des acteurs. On essaie vraiment de diversifier, que ce soit dans le comité d’investissement, que ce soit dans les conseils d’administration, que ce soit dans la gestion à travers tous les éléments qui constituent le WIC et l’appui à ses entrepreneurs, on essaie également d’avoir des femmes. C’est aussi important d’avoir des hommes. Il faut la diversité des points de vue, la diversité des approches, mais ne rien faire sans qu’il y ait une femme qui comprenne et qui puisse servir, cela a été important. » Entrepreneuriat ou activités commerciales ? « Qui est entrepreneur ? On a tendance à utiliser la terminologie pour tout le monde. Il y a des activités où vous voyez une personne qui monte un certain talent, mais qui n’est pas nécessairement entrepreneur. Donc il faut bien définir ce qu’on veut dire par « entrepreneur ». Il faut mettre en place les mécanismes qu’il faut pour appuyer les femmes qui veulent être entrepreneurs. Il faut appuyer toutes les femmes et développer des produits financiers qui sont adaptés à ce que chacun cherche. L’entrepreneuriat, c’est le risque, c’est beaucoup de risques et c’est une chaîne de valeur. On passe d’un type de financement à un autre. Comment est-ce qu’on accompagne tout cela pour une femme réellement entrepreneure ? Et justement, si on appelle tout le monde entrepreneur, on n’est pas en train nécessairement de dire voilà ce qu’il faut célébrer sous chaque modèle. Encore une fois, chaque actrice, acteur est important, mais il faut bien les définir et bien voir quels sont les outils qu’on met en place et comment valoriser ou prendre ce qui est positif dans chacun de ces de ces modèles. » Recommandations « On commence à le voir, même dans mon métier de conseil où on nous dit dans l’équipe, il faut au moins autant de femmes. Ou même dans les contrats où il est clair que l’aspect diversité est bien pris en compte. Il est important aussi de continuer à innover sur comment est-ce qu’on intègre les femmes dans certaines thématiques, certaines activités. A travers cette flexibilité dont je parlais, il est nécessaire d’inclure les femmes dans ces réflexions Il est donc très clair que ce n’est pas une option de continuer à faire de l’inclusion des femmes, cela est devenu une chose non négociable. On est obligé de le faire et dans toutes les sphères. Il est important aussi de continuer à innover sur comment est-ce qu’on intègre les femmes dans certaines thématiques, certaines activités. A travers cette flexibilité dont je parlais, il est nécessaire d’inclure les femmes dans ces réflexions. Je pense aussi il faut entendre les femmes dans toutes les sphères, exiger qu’elles donnent leur point de vue. Les femmes ont tendance à être un peu plus timides et c’est important que leurs voix soient entendues. »
Madji Sock est partenaire à Dalberg Advisors.
Elle a plus de 20 ans d’expérience dans la mise en œuvre et la gestion de projets de développement.
Elle est engagée dans plusieurs projets visant à évaluer l’impact de la crise du COVID-19 sur les femmes. Madji a récemment soutenu la Banque africaine de développement dans le cadre de sa stratégie en matière de genre.
Elle est reconnue championne de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes dans divers engagements liés à la facilitation des d’investissement, l’élaboration de politiques, la mise en œuvre de programmes et le soutien à l’entrepreneuriat féminin.
Cofondatrice du Women’s Investment Club au Sénégal, qui a pour objectif de s’attaquer aux contraintes auxquelles les femmes sénégalaises sont confrontées en matière d’accès au financement, et de promouvoir l’investissement des femmes dans les entreprises.
Madji est titulaire d’un MBA en gestion internationale de la Thunderbird School of Global Management.
Madji est également lauréate de la bourse de leadership de l’archevêque Desmond Tutu, décernée chaque année à 20 leaders africains émergents.