Débuts en politique « J’ai commencé par accompagner un homme politique et j’ai fini par être moi-même engagée parce qu’au jour le jour j’ai vu des questions auxquelles je devais donner des réponses. Cet homme m’a coachée et bien préparée. Il m’a mis le pied à l’étrier parce qu’il a cru en moi très tôt. En l’accompagnant, je me suis dit qu’il n’était plus question que les femmes se battent pour mettre un homme seulement en position de pouvoir, elles doivent elles aussi accéder au pouvoir. Elles ne doivent pas accéder au pouvoir simplement pour le prestige, mais parce que les enjeux auxquels le pouvoir fait face, ce sont les femmes qui les vivent en premier. J’ai bien aimé mon rôle de chef de l’exécutif local et j’ai bien aimé mon rôle de présidente des jeunesses féminines. Cela a beaucoup forgé ma personnalité politique et a beaucoup assouvi mes désirs et mes engagements pour aller de l’avant. » Divergences entre femmes pour se positionner en politique « Les femmes accèdent en politique de différentes manières. Je vous ai dit que moi-même j’ai commencé en accompagnant un homme politique. C’est pourquoi les femmes, pour la plupart, ont des difficultés pour accéder aux instances de prise de décision. La plupart du temps, elles ont des tontines, des associations de base, des associations communautaires dont elles sont leaders. Et donc, les hommes viennent les rencontrer pour leur demander leur voix, en africaines et en sénégalaises, elles ne peuvent pas disputer cette voix à cet homme qui leur a mis le pied à l’étrier. C’est le premier problème de la femme en politique. Il y en a qui ne sont pas passées par cet accompagnement, comme celles qui ont été en politique avec tous les mouvements qui sont nés à l’université. La plupart du temps, elles ont des tontines, des associations de base, des associations communautaires dont elles sont leaders. Et donc, les hommes viennent les rencontrer pour leur demander leur voix, en africaines et en sénégalaises, elles ne peuvent pas disputer cette voix à cet homme qui leur a mis le pied à l’étrier Ce sont des mouvements où les femmes ont même participé à la confection, à la rédaction de leur manifeste. Donc, ces femmes étaient engagées selon une doctrine, selon un programme. Nous qui étions engagées en accompagnant un homme, à un moment donné aussi, nous n’avons pas cru aux doctrines. On ne voulait pas suivre des gens de l’extérieur. Mais surtout, on se disait que la problématique en Afrique, c’était plus la pauvreté, les difficultés pour les femmes, l’accès aux soins de santé, l’accès à l’économie, l’accès à la terre. Donc, notre problème, ce n’était pas une doctrine, mais celui d’arriver à résorber ces questions. Et c’est cet ensemble de femmes qui devaient apprendre à s’asseoir, à parler ensemble, parler d’une seule voix, harmoniser leurs positions pour accéder aux instances de prise de décision. Ce qui n’était pas facile. Certaines pensaient qu’elles étaient intellectuelles, plus futées donc supérieures aux autres. Celles qui étaient à la base, sur le terrain ne se retrouvaient pas dans ces débats et elles étaient conscientes de détenir la majorité des voix, ce qui était vrai. Il fallait continuer le combat, continuer à informer les femmes, continuer à accompagner les femmes, continuer à y croire, mais continuer à faire une bonne symbiose entre toutes les catégories de femmes Il y avait quand même un fossé entre ces deux groupes de femmes. La société civile a beaucoup œuvré pour les réconcilier. On dit parfois que les hommes ont utilisé les femmes en mettant une ou deux en position de pouvoir. Mais on était quand même assez contentes qu’il y ait au moins une ou deux femmes en position de pouvoir. Parce que, dès lors qu’on avait une femme engagée en position de pouvoir, elle faisait beaucoup de pas dans le combat vers l’accès universel aux instances de décision. Nous avons pu, grâce à la Loi sur la parité, avoir 50 pour cent sur les mandats électifs. Il y a quand même un point qui nous a toujours fatigué, c’est que dans certains départements, c’est toujours un nombre impair sur les listes. Et chaque fois, c’est un homme qui ouvre, c’est un homme qui ferme, c’est pourquoi on a jamais réellement une égalité 50/50 à l’Assemblée nationale. Mais dans les assemblées de base des collectivités locales, il y a tout de même 50/50. Pour nous, c’était une très bonne avancée. Il fallait continuer le combat, continuer à informer les femmes, continuer à accompagner les femmes, continuer à y croire, mais continuer à faire une bonne symbiose entre toutes les catégories de femmes. » Absence des femmes aux plus hautes instances locales « La première raison, c’est que généralement, les femmes ne se présentent même pas. Assez souvent, les femmes ne se présentent pas, il faut le dire, parce qu’elles appartiennent à des groupes qui définissent les places et rôles pour chacun. Dès qu’une femme se retire un peu pour se mettre en avant, elle est stigmatisée. On dit qu’elles ont trahi leur mentor, qu’elles ont déraillé un peu, que ce sont des grosses têtes etc. Ainsi, les autres membres du groupes ne voteront jamais pour elles. Et voilà pourquoi nous perdons des places à ce niveau. C’est pourquoi je ne suis pas contre le système de quotas qui, au moins, nous oblige à mettre des femmes. Je pense que les femmes, et même les acteurs politiques en général, sont déjà très heureux qu’on puisse avoir des assemblées paritaires et c’est important. Assez souvent, les femmes ne se présentent pas, il faut le dire, parce qu’elles appartiennent à des groupes qui définissent les places et rôles pour chacun. Dès qu’une femme se retire un peu pour se mettre en avant, elle est stigmatisée Maintenant, c’est dans le processus que les femmes doivent continuer à se battre parce que le nerf de la guerre, ce n’est pas de figurer, c’est de pouvoir faire quelque chose, c’est de compter et de peser sur la balance. C’est de pouvoir concrètement faire passer ces idées. Et tant qu’on n’est pas au niveau exécutif, surtout au niveau local, on ne peut rien faire. On ne peut faire que subir la pression des autres. On est là seulement pour voter et ce n’est pas très intéressant pour les femmes. Je crois que c’est toujours un combat de pouvoir et le pouvoir ne se donne pas, il s’arrache. Les femmes n’ont qu’à cesser d’être laxistes. Elles n’ont qu’à cesser de laisser la place. Maintenant que les choses se passent au niveau des conseils, qu’ils soient des conseils locaux ou des conseils parlementaires au niveau national, il faut bien que la femme puisse avoir sa voix à ce niveau. » Qualité de la représentation des femmes « Les femmes sont beaucoup plus outillées que certains hommes. J’ai été vice-présidente de l’Association des maires pendant sept ans, j’ai rencontré beaucoup d’hommes et je sais que les femmes sont pour beaucoup de très loin, plus intelligentes et plus stratèges. Mais elles ont un complexe ou une faiblesse qui fait qu’elles ne s’expriment pas dans les assemblées, qu’elles ont un problème de langue. Au Sénégal, le français est la langue officielle. Heureusement, aujourd’hui, à l’Assemblée, cela a changé. Les gens parlent Wolof et on voit que les débats ont beaucoup évolué. Parce qu’on ne dit jamais mieux ce que l’on pense que dans sa langue maternelle. Nous avons une organisation conduite par Mme Fatou Sow Sarr qui s’appelle Women in Political Program qui œuvre pour aider les femmes politiques à s’exprimer dans les médias ou dans les assemblées, croire un peu plus en elles et à faire sortir le potentiel qu’elles ont. Je crois que c’est un travail extrêmement important que les partenaires devraient aider à développer pour les femmes. » Obstacles les plus marquants quand on est une femme à la tête d’une commune : expérience personnelle « L’administration communale est un obstacle parce que la commune a toujours été un grenier politique. Tous les maires qui se sont succédés ont embauché autant qu’ils pouvaient, pour des réponses politiques, parfois des personnes qui ne venaient pas au travail. La conséquence est que le maire n’a pas de techniciens sur qui se reposer pour qu’ils puissent l’aider pour faire le travail qu’il faut dans les statistiques, l’élaboration de programmes de projets, la rédaction de textes, les orientations budgétaires etc. Parfois, quand je relis certains documents, je me demande comment j’ai pu signer cela. Parce qu’on me l’a juste présenté et je l’ai signé. Donc ce sont des choses qui font que déjà, l’administration communale est un frein pour la femme. Le deuxième frein, ce sont les partenaires et les collaborateurs. J’étais très frêle quand j’étais maire, j’avais 35 ans, très jeune, et j’avais des délégués de quartier de 70, 80, 90 ans. Je devais les convoquer et leur donner des instructions. Tout comme des imams. Alors j’ai commencé, avec une tata qui était à mes côtés, à mettre le boubou. Elle me disait « il faut prendre 10 mètres de tissu, tu fais le pagne, le boubou et le foulard pour avoir l’air plus responsable ». C’est pour dire qu’il y a ce problème aussi des rapports, parce qu’une femme ne dirige pas des hommes, des imams, des notables, des autorités. L’autre frein, c’est que sur certaines politiques hardies que nous avons menées pour l’accès à tous à l’éducation, l’accès des femmes au crédit sans taux d’intérêt, la formation des jeunes sur les métiers innovants, nous avions choisi de voter notre budget sous l’arbre à palabres avec les populations. Les gens n’aimaient pas cela. Ils ne voulaient pas cela. Ils voulaient que cela se fasse entre quatre murs, entre quatre personnes, comme cela se faisait avant et que ce soit un moyen, je ne dis pas d’ascension sociale, mais de montrer un pouvoir. Nous avons fait le contraire et c’était vraiment la guerre entre les hommes et nous. Ils ne supportaient pas cette manière de vulgariser la politique et le travail. Ils ne supportaient pas non plus le fait d’inviter les sociétés qui sont sur le territoire communal, leur donner la parole, les écouter lorsque nous avions un conseil municipal. Puisque c’est elles qui nous appuyaient quand nous avions des problèmes de budget, nous estimions que c’était normal qu’elles puissent dire un mot. Cela ne pouvait que participer au développement de la ville. Donc, j’ai vraiment eu des problèmes par rapport à cette orientation nouvelle de gestion participative et sensible au genre. » Avoir une femme comme maire : avantages pour la commune « Je pense que les femmes ont beaucoup de chance d’être cheffes de l’exécutif local. Ce sont elles qui ne prennent pas cette chance. Aujourd’hui, le peuple sénégalais demande à être dirigé par des femmes. En tout cas, au niveau local. Les gens veulent voir autre chose. D’autant que la gestion de la collectivité locale concerne la santé de la mère et des enfants, de la famille donc. C’est la mère enceinte qui va aller à la maternité, est-ce qu’elle ne va pas s’occuper de la route pour y aller ? Est-ce qu’elle n’a pas tendance à s’occuper de la maternité elle-même? Du poste de santé qui doit l’accueillir en tant que femme enceinte et accueillir ses enfants ? L’école où vont ses enfants, l’état de la classe, l’état du mobilier à l’école, ce sont des préoccupations qui incombent à la femme. Les ordures ménagères qui sortent de la maison, c’est la femme qui les fait sortir ou qui dirige celle qui les fait sortir. Au niveau environnemental, c’est la femme en premier qui s’occupe de la salubrité publique. C’est elle qui peut s’occuper du quotidien de la municipalité comme du quotidien de la maison. Elle est plus proche de ces questions. En matière d’impôt local, en matière de taxe, ce sont les femmes qui sont au marché, ce sont elles qui payent. Ce sont elles qui savent quels problèmes elles ont avec ceux qui récoltent ces taxes. Elles peuvent avoir la diplomatie de prendre l’argent sans choquer. La preuve ce sont elles qui font les tontines. Je pense que ce serait rendre le pouvoir aux citoyens que de mettre des collectivités locales viables, mais aussi rendre à César ce qui lui appartient et confier la mairie à une femme. » Recommandations « Je pense qu’il faut redorer le blason de la politique parce que c’est la loi au Sénégal qui dit que pour accéder aux instances de décision, il faut faire de la politique, il faut aller aux élections. Pour cela, il faut renouer le dialogue entre les communautés et ceux qui vont à la quête du pouvoir. C’est important. La deuxième chose, il faut que les femmes puissent montrer que ce n’est pas une ascension sociale qu’elles cherchent, mais être à côté des populations, qu’elles veulent rester juste la maman qu’elles ont toujours été. Que les femmes ne changent pas. Ce n’est pas la peine de changer son foulard, ce n’est pas la peine de changer sa robe. Ce n’est pas la peine de changer son aspect, si ce n’est pour plus d’humilité vis à vis de ceux que vous tendez à gouverner. Il faut que les femmes puissent montrer que ce n’est pas une ascension sociale qu’elles cherchent, mais être à côté des populations, qu’elles veulent rester juste la maman qu’elles ont toujours été Mais dès lors qu’elles se mettent sur un piédestal ou qu’elles commencent à montrer qu’elles sont supérieures, elles vont rater leur chance. Je ne pense pas trop qu’elles aient besoin qu’on les formate. Non, mais elles ont besoin que les langues nationales soient utilisées pour le travail à la base. Que les femmes soient un peu plus solidaires entre elles.
Mais aussi qu’elles osent poser la candidature, ce qu’elles ne font pas assez souvent. »
Madame Ngoné Ndoye a toujours été très engagée politiquement, ce qui lui a valu les fonctions de maire de Rufisque Est de 2002 à 2009, de sénatrice présidente de la commission action sociale, population et santé et de ministre en charge des sénégalais de l’extérieur.
Elle a été la présidente de la Commission des femmes élues locales du Sénégal et d’Afrique de l’Ouest et vice-présidente de l’Association des maires du Sénégal pendant sept ans.
Elle est la présidente du conseil d’administration de AWA, une association qui travaille à aider les femmes travailleuses du sexe. Au début, elle avait été mise en place pour lutter contre le sida, mais aujourd’hui elle aide aussi les enfants de ses femmes, qui sont souvent victimes de stigmatisation, accompagne ces femmes à quitter le métier et avoir une réinsertion sociale et professionnelle à travers un programme d’encadrement et de formation.
Madame Ngoné Ndoye est aussi membre du conseil d’administration de SDNS Sahel, qui travaille avec l’Union Africaine pour la promotion d’un développement durable au Sahel à travers l’appui technique à l’atteinte des ODD, des solutions innovantes et technologiques, et l’éducation.
Elle est la présidente de Femme migration développement communautaire (Femidec), qui lutte pour les droits des femmes et des enfants en migration.
Elle continue son engagement en encadrant les jeunes filles qui doivent constituer la relève dans la vie publique et militante.