Les programmes d’accompagnement aux femmes entrepreneures « J’ai le sentiment qu’il y a deux choses : il y a un écosystème qui est extrêmement dynamique, notamment du côté des partenaires et des structures d’accompagnement, il y a énormément de programmes que nous voyons. Il y a vraiment un bouillonnement par rapport à tout ce qui est proposition d’accompagnement, d’offre et de soutien pour les femmes entrepreneures. D’un autre côté, nous avons les femmes entrepreneures et j’ai l’impression qu’il y a un manque de synchronisation entre elles et ces programmes. Nous constatons toujours des femmes qui disent qu’elles n’ont pas vu telle ou telle opportunité. Mais moi, justement, pour reprendre l’adage « qui aime bien châtie bien », je me positionne toujours du côté des femmes entrepreneures en leur disant que c’est à vous d’aller vers les marchés et d’aller vers ces opportunités. C’est l’essence même d’un entrepreneur d’être opportuniste et aussi d’être proactif dans sa manière de chercher des solutions par rapport aux problèmes qu’il rencontre en matière de financement et d’accompagnement. Je pense qu’il y a quand même aujourd’hui une grosse évolution que nous pouvons noter comparativement à cinq années en arrière. Aujourd’hui, nous avons des fonds d’investissement qui sont installés, en Afrique et au Sénégal, et sont dédiés aux femmes. Par exemple, nous avons la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (DER), une institution gouvernementale qui fait beaucoup de choses pour les entrepreneurs. Nous avons le Women Investment Club, des concours, des initiatives de financement de la Banque mondiale, de l’Agence française de développement, etc. Je pense toutefois qu’il revient aux femmes de s’organiser et à la femme entrepreneure d’avoir cette attitude proactive, celle d’aller chercher les opportunités qui s’ouvrent à elle. » Le manque de synchronisation entre ces programmes et les besoins « Je pense qu’il y a clairement un dialogue qu’il faut instaurer. Il y a un effort de proximité qu’il faut faire et je pense que les bons programmes tendent de plus en plus vers cela, à être beaucoup plus proches des communautés, à les écouter et à savoir de quoi elles ont besoin de manière assez précise. Ce dialogue aussi est instauré par les réseaux. Il y a de plus en plus de réseaux de femmes. Je ne cesse de le dire aux femmes entrepreneures : « mettez-vous en réseau, mettez-vous avec d’autres entrepreneurs, mettez-vous en réseau avec des institutions pour vraiment comprendre comment elles fonctionnent ». Je pense qu’il y a quand même aujourd’hui une grosse évolution que nous pouvons noter comparativement à cinq années en arrière. Aujourd’hui, nous avons des fonds d’investissement qui sont installés, en Afrique et au Sénégal, et sont dédiés aux femmes Parce que l’entrepreneur a beau avoir des challenges, ces institutions ont aussi les leurs et ont aussi leur façon de fonctionner, même si elles font des fois des efforts pour s’accommoder. Mais, elles restent quand même des institutions qui ont quelquefois des rigidités ; les entrepreneurs doivent aussi comprendre et savoir qu’à un moment donné, quand je vois une opportunité qui est intéressante et qui peut vraiment transformer mon entreprise, il faut que je fasse un minimum d’efforts pour en bénéficier. Maintenant, il n’est plus question d’avoir des programmes qui sont parachutés. Nous essayons de travailler avec des personnes de l’écosystème qui connaissent bien les entrepreneurs pour avoir cette pertinence en termes d’impact. » Les obstacles les plus marquants « Le premier obstacle des femmes, ce sont d’abord les femmes elles-mêmes. Il y a vraiment un gros travail en termes de renforcement des soft skills, c’est-à-dire les compétences humaines. Il faut aussi de la proactivité, la confiance en soi, la capacité à saisir les opportunités. Je pense que ce manque de compétence est le premier défi auquel les femmes sont confrontées. C’est vraiment à l’échelle africaine. Les femmes ne vont pas, par exemple, voir une opportunité et la saisir tout de suite. Elles vont se poser un tas de questions par rapport à leurs chances d’être retenues. Vous ne serez certainement pas retenues si vous ne tentez pas votre chance. Je pense toutefois qu’il revient aux femmes de s’organiser et à la femme entrepreneure d’avoir cette attitude proactive, celle d’aller chercher les opportunités qui s’ouvrent à elle C’est pareil pour une approche strictement commerciale. Pour un appel d’offres, elles sont toujours hésitantes et doutent de leurs capacités à bien mener le projet. Ne serait-ce que l’effort de s’exercer à se challenger, à être sur les marchés, c’est important. Je pense que les femmes ont véritablement intérêt à développer ces compétences de pouvoir oser, d’avoir cette confiance en soi, de savoir naviguer dans un monde d’opportunités et aussi de concurrence. C’est parce qu’il y a des concurrents qu’il y a un marché. Quand nous refusons de nous mettre en concurrence, au fond, nous n’évoluons pas. » Ensuite, je pense qu’il y a encore un gros effort à faire pour justement avoir des idées, des solutions, aussi bien de financement et d’accompagnement qui soient de plus en plus proches des besoins des entrepreneurs. La DER propose un début de solution par rapport à cela. En évoquant les fonds d’investissements et d’investisseurs, souvent, les critères sont assez élevés par rapport à la nature du tissu entrepreneurial que nous avons. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de femmes qui bénéficient de ces fonds. Nous avons des championnes en terme d’entrepreneuriat dans nos pays. Des femmes qui sont vraiment à la tête de très belles entreprises et qui saisissent quand même ces opportunités. Mais, pour la masse, il y a encore un travail à faire pour accompagner et trouver des véhicules d’accompagnement qui soient de plus en plus adaptés au macro entrepreneuriat si je peux l’appeler ainsi. Un autre point très important est la formation. Il y a beaucoup de programmes aujourd’hui qui proposent des formations. Apprendre ne serait-ce qu’à bien présenter son projet. Je rencontre souvent des femmes qui m’abordent en me disant : « j’aimerais tellement me lancer dans l’entrepreneuriat, j’aimerais tellement faire ceci ou cela » et la première question que je pose, c’est en fait « qu’est-ce que vous avez à proposer? » Dans la présentation de cette proposition, il y a beaucoup de travail à faire. Il faut se former. En plus du réseau, je pense qu’il est très intéressant aussi que les femmes explorent tout ce volet inspiration, leur capacité à aller se nourrir des belles histoires, des success stories. Il y a des success stories qui sont à notre portée et qui sont, en termes de retours d’expérience, disponibles et sur lesquelles nous pouvons nous inspirer. Enfin, une chose qui manque au développement des compétences, c’est le fait de trouver des mentors, de trouver une personne disponible pour nous montrer et nous guider sur le chemin à prendre. Le travail de l’entrepreneur est très difficile, nous sommes très focalisés sur nos objectifs, nous avons, comme on le dit, la tête dans le guidon. Nous avons besoin de temps en temps d’avoir quelqu’un qui nous sort la tête de l’eau qui nous dise non vous partez dans la mauvaise direction. Le mentorat est très important. » Cette rigueur, cet amour du travail bien fait, c’est quelque chose que les femmes doivent développer, peu importe les raisons pour lesquelles elles sont entrepreneures Mimétisme ou entrepreneuriat de subsistance ? « C’est vrai qu’au départ, nous avions beaucoup d’entrepreneuriat de subsistance, mais historiquement, quand nous remontons très longtemps dans le passé, nos arrière-grands-mères étaient aussi des femmes entrepreneures. Elles l’étaient de fait parce qu’elles devaient tenir leurs familles à bout de bras. Cet entrepreneuriat est viscéralement en nous, dans nos cultures depuis très longtemps. Ce sont les contours qui changent, la façon dont les femmes entreprennent. Effectivement, il y a beaucoup de mimétisme aujourd’hui et parce qu’être entrepreneur est à la mode. Mais à un moment donné, quand on est honnête avec soi-même, on se rend compte que très vite, on atteint des limites. J’ai pour philosophie de dire que peu importe ce que nous faisons et les raisons pour lesquelles nous le faisons, dès lors que nous nous engageons à le faire, il faut bien le faire. Il est important d’asseoir son expertise et de valoriser ce qu’on fait. Même pour notre propre estime de se dire, peu importe les raisons pour lesquelles je le fais, je le fais bien. Dès lors qu’on se met dans cet état d’esprit, on souhaite se challenger en permanence. À tous les niveaux, on peut se challenger et se dire que je vais vraiment faire cela de la meilleure des manières. Cette rigueur, cet amour du travail bien fait, c’est quelque chose que les femmes doivent développer, peu importe les raisons pour lesquelles elles sont entrepreneures. Indépendamment des raisons pour lesquelles elles se lancent dans l’entreprenariat, moi je regarde souvent aussi l’impact. Même si c’est un boulot à côté, même si on le fait par défaut, quel est l’impact au final? Souvent, c’est pour payer les études des enfants, mettre un peu de beurre dans les épinards, assurer la santé des enfants, etc. Les femmes peuvent investir jusqu’à 90% de leurs revenus dans leur famille et dans leur communauté. Elles réinvestissent ce qu’elles gagnent dans leur communauté. Pour moi, cela a un impact économique incroyable ; la raison de départ a donc moins d’importance. Le plus important, c’est l’impact et l’impact de cet entrepreneuriat féminin est flagrant en Afrique. » L’accès au foncier « Cette question, elle est aussi culturelle. La terre appartient aux hommes et ce sont les femmes qui la travaillent. Mais aujourd’hui, l’objectif c’est de dire aux femmes qu’en étant indépendantes économiquement, elles ont les ressources pour aller acquérir elles-mêmes les terres dont elles ont besoin. Une amie me parlait de ses collaboratrices qu’elle incitait, quand elles avaient leur tontines, à investir dans l’acquisition de terres, au lieu d’acheter des bijoux ou autres. Parce que, ce n’est pas le premier réflexe des femmes de se dire un jour ou l’autre, ne serait-ce que pour avoir un toit sur la tête, si jamais je suis en situation de précarité, j’ai un toit sur la tête, si jamais je suis en situation de précarité économique, j’ai une terre à exploiter… Elles ont quand même des revenus mais qu’elles n’utilisent pas pour acquérir des terres. Les femmes peuvent investir jusqu’à 90% de leurs revenus dans leur famille et dans leur communauté. Elles réinvestissent ce qu’elles gagnent dans leur communauté Les politiques doivent aussi beaucoup nous aider en termes de discrimination et faciliter aux femmes l’accès à la terre et aussi à mener un dialogue de société par rapport à la question. Vous le voyez dans nos sociétés, un homme a beaucoup de mal à aller vivre dans la maison achetée parfois par sa femme et cela pose encore des problèmes de société. »
Seynabou Thiam est diplômée en Biologie de l’École nationale supérieure universitaire de technologie (ENSUT). Elle a suivi une formation de délégué pharmaceutique. Après quelques années à l’étranger, elle a accentué son intérêt pour les sujets de santé publique. Elle est la cofondatrice de la communauté « Yaay » (maman en wolof), un réseau en ligne qui permet à de nombreuses femmes de se rencontrer et de se conseiller mutuellement sur leur rôle de mère et de femme.
Elle est également la fondatrice de Smart Ecosystem for Women, une agence spécialisée dans l’accompagnement des femmes entrepreneures au Sénégal et en Afrique. Elle accompagne aussi des structures dans l’implémentation et le développement de stratégies pour des programmes dédiés aux financements des femmes.
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Belle analyse qui repond a la realite de la dynamique des femmes entrepreneures qui ne quittent pas leur zone de confort pour aller saisir les opportunites qui sont a leur portee. La plupart du temps, elles ignorent que des produits, des fonds sont uniquement dedies a leurs activites, mais elles se contentent de se plaindre. Il faut aller a la chasse de nos jours !!!
Message édifiant ! Merci beaucoup du partage