Auteur (s) : Philipp Heinrigs
Organisation affiliée: Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE)
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2010
Lien vers le document original
Introduction
Le changement climatique et ses impacts dominent depuis quelques temps la scène politique internationale et focalisent l’attention de l’opinion publique, depuis la réunion de la Convention climat des Nations Unies à Copenhague, en décembre 2009 (COP15). Le climat a toujours influencé la vie des êtres humains. Ces dix dernières années cependant, une attention nouvelle est portée sur les incidences du changement climatique et sur ses multiples manifestations, notamment sécuritaires.
Le Sahel est considéré comme particulièrement vulnérable. Elle focalise l’attention en raison d’enjeux sécuritaires, énergétiques et géopolitiques.
Ainsi, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son quatrième rapport de synthèse déclare « … [l’Afrique] est l’un des continents les plus vulnérables au changement climatique et à la variabilité du climat, situation qui est aggravée par l’interaction de stress multiples à divers niveaux et par une faible capacité d’adaptation ».
Le climat du Sahel
L’analyse du climat du Sahel, des tendances à long terme, des principales caractéristiques et processus qui déterminent le climat et des projections des modèles donne deux résultats clés4. Premièrement, la principale caractéristique du climat du Sahel est l’extrême variabilité saisonnière et décennale des précipitations et, deuxièmement, il existe des divergences majeures entre les projections des modèles climatiques pour le Sahel (en particulier en ce qui concerne les précipitations). Certaines prédisent un Sahel plus vert, d’autres, plus aride. Trois « hot spots » sont pointés, particulièrement sensibles à la variabilité des précipitations.
Variabilité climatique : la principale caractéristique du climat du Sahel
Peu d’autres régions du monde présentent une variabilité climatique aussi marquée que celle du Sahel, même lorsque l’on considère des échelles de temps très différentes. Au cours du siècle dernier, cette région a connu une légère augmentation des précipitations vers 1950, suivie d’une sécheresse sans précédent de la fin des années 1960 à la fin des années 1980. Ces dernières années, la situation s’est partiellement rétablie. En dépit de vastes efforts visant à identifier la cause des tendances observées, la communauté scientifique n’est pas parvenue à s’accorder pleinement sur l’origine de la période de sécheresse.
La variabilité pluviométrique du Sahel est certainement le résultat d’interactions complexes entre plusieurs processus. Aucun facteur isolé ne semblant pouvoir l’expliquer. Rien ne prouve que les gaz à effet de serre (GES) aient joué un rôle dans l’apparition ou l’aggravation de la sécheresse. Cependant, certaines études soutiennent la thèse selon laquelle la sécheresse récente pourrait être imputée dans une large mesure à la différence de concentration en aérosols entre les hémisphères Nord et Sud.
Les « hot-spots » climatiques
Une analyse de sensibilité reposant sur des observations historiques a été réalisée afin d’identifier les régions où les sécheresses passées ont entraîné le plus grand écart de précipitations entre les années sèches et les années normales. Cette carte permet de comparer les précipitations moyennes pour le mois d’août sur la période 1901-2000 avec celles enregistrées lors des périodes de sécheresse. Les résultats laissent entrevoir au moins trois régions particulièrement sensibles. La première s’étend le long de la partie la plus occidentale de la région (Sénégal et Mauritanie), la deuxième se situe entre le Mali et le Niger, tandis que la troisième borde la frange orientale de l’Éthiopie et s’étire vers le nord, jusqu’au Soudan. Pour certaines de ces zones, telles que l’est du Soudan et l’Érythrée, la diminution moyenne des précipitations durant les 10 sécheresses les plus graves du 20e siècle a presque atteint 100 %. Sur ces 10 sécheresses, cinq ont eu lieu simultanément dans l’est et l’ouest du Sahel.
Comprendre les liens entre sécurité et changement climatique au Sahel
L’étude « Sécurité et variables environnementales : Débat et analyse des liens au Sahel » s’intéresse à l’évolution du concept de sécurité, d’une interprétation purement militaire vers un concept de sécurité humaine intégrant ainsi les variables environnementales influencées par le changement climatique. Elle procède ensuite à une revue de la littérature sur la sécurité environnementale et s’appuie sur l’analyse historique (« Revue des événements sécuritaires au Sahel 1967-2007 ») et les études de cas afin d’appréhender le lien entre sécurité et changement climatique.
Le rapport Solana définit le changement climatique comme un multiplicateur de menaces qui «…renforce les tendances, les tensions et l’instabilité existantes ». Ces menaces et ces « formes de conflit » couvrent l’ensemble des pays, mais l’Afrique est identifiée comme « …l’un des continents les plus vulnérables au changement climatique, en raison de contraintes multiples et d’une faible capacité d’adaptation ».
Les mécanismes proposés pour expliquer les incidences du changement climatique sur la sécurité s’appuient sur trois paramètres : la montée du niveau des océans, l’élévation des températures et la multiplication et l’aggravation des phénomènes extrêmes. Dans de nombreux cas, les variables environnementales dépendantes du changement climatique, comme la désertification et l’amenuisement des réserves d’eau, sont pointées comme facteurs de menaces.
L’impact manquant : théorie et faits
Il est difficile de se retrouver dans les études sur les liens entre changement climatique et sécurité. Leur diversité tant dans l’approche que dans les chaines de causalité illustre à elle seule la difficulté et l’ambigüité de l’exercice. Selon celles-ci, le changement climatique n’accroîtrait le risque de conflit violent que sous certaines conditions et en interaction avec plusieurs facteurs sociopolitiques14. La complexité des éléments entrant en ligne de compte et la nature des relations causales, connexes, générales, dynamiques, etc. entre changement climatique et sécurité rendent difficiles les projections et scénarios. De plus, la menace que le changement climatique fait peser sur la sécurité dépend fortement des particularités de chaque pays et d’autres facteurs contextuels. Les relations entre les deux variables font donc apparaître autant de catalyseurs potentiels de crise qu’il y a de contextes climatiques et sociopolitiques différents.
Pour l’instant, il n’existe aucune preuve empirique permettant de conclure à une relation récurrente entre changement climatique et sécurité. La majorité des études de cas dégagent le rôle prédominant de variables non climatiques telles que le déficit de gouvernance, la fragmentation sociale et l’instabilité économique comme facteurs d’insécurité.
Les variables pour lesquelles il existe un consensus sur une incidence directe sur la sécurité sont : le niveau de développement économique, le contexte du conflit, une domination ou polarisation ethnique, les critères géographiques, les régimes non démocratiques et les déséquilibres du pouvoir.
La nature endémique des tensions au Sahel est souvent soulignée. Bien que l’on observe un déclin des conflits armés, il reste de nombreux foyers de tension récurrents : oppositions ethniques et religieuses, tensions entre agriculteurs et pasteurs, trafic illégal, accès aux ressources (en particulier aux terres) et gouvernance faible. Ces tensions résultent d’une combinaison de facteurs qui peuvent, là où elle persiste, déclencher des conflits.
Bien que nos analyses n’aient pas apporté la preuve que les variables environnementales aient de façon déterministe un impact sur la sécurité, l’hypothèse de liens généraux entre la sécurité et le changement climatique ne peut être écartée compte tenu du nombre insuffisant d’analyses empiriques et de cas d’études. Une étude plus approfondie s’impose, qui se concentrerait sur les espaces régionaux et sur certaines zones. Il faudrait également clarifier les définitions et les concepts du débat. Les termes ‘changement climatique’, ‘variabilité du climat’ et ‘environnement’ renvoient à des caractéristiques distinctes parfois mal utilisées. De même, le terme ‘sécurité’ peut être interprété différemment selon les contextes et les parties concernées (États, chercheurs, opinion publique, etc.). L’emploi indifférencié de concepts et l’ignorance des incertitudes peuvent conduire à des malentendus ou à l’élaboration d’une politique inadaptée.
Moyens de subsistance et sécurité alimentaire : politiques opérationnelles
D’après les analyses et conclusions de l’atelier de Dakar, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire semblent être les principaux mécanismes de transmission entre les variables climatiques et la sécurité humaine. Premièrement, l’impact du climat et de sa variabilité (en particulier celle des précipitations) sur les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire est direct et, deuxièmement, les deux sont sensibles aux événements soudains.
Pour l’instant, il n’existe aucune preuve empirique permettant de conclure à une relation récurrente entre changement climatique et sécurité. La majorité des études de cas dégagent le rôle prédominant de variables non climatiques telles que le déficit de gouvernance, la fragmentation sociale et l’instabilité économique comme facteurs d’insécurité
Au Sahel, les systèmes de production sont fortement tributaires des précipitations : les agricultures vivrières sont pour l’essentiel pluviales et l’élevage transhumant, ce qui explique l’impact direct de la variabilité du climat sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance. Cette dépendance est renforcée par la prédominance des activités agricoles comme moyens de subsistance dans le Sahel.
Le caractère soudain et imprévisible d’un événement et de ses impacts conditionne la capacité de la population à y faire face et à s’adapter. Des événements extrêmes comme une sécheresse et une inondation peuvent provoquer la perte subite des moyens de subsistance et/ou l’insécurité alimentaire. Ceci amoindrit la capacité d’adaptation de la population. Les effets peuvent être particulièrement graves comme dans le cas des famines et durables. Du point de vue de la sécurité humaine, les événements soudains appellent une attention particulière.
Moyens de subsistance
La grande vulnérabilité de la population du Sahel au changement climatique tient à sa grande dépendance à l’égard des activités agricoles et à l’absence d’autres activités rémunérées.
Les moyens de subsistance et leurs évolutions sont influencés par une multitude de processus complexes, progressifs ou soudains, positifs ou négatifs. Les variables climatiques, entre autres, peuvent influencer et/ou accélérer ces changements.
Les gouvernements devraient viser une réduction des vulnérabilités, faciliter les transitions et encourager l’émergence et l’adoption de nouvelles sources de subsistance. Pour être plus efficaces les stratégies devraient s’appuyer sur une approche globale des politiques, du développement agricole à la gouvernance, en passant par la protection sociale, l’aménagement du territoire et la migration. La formulation de la stratégie devrait inclure l’impact des variables climatiques sur ces processus. Par ailleurs, la participation de toutes les parties prenantes aux processus politiques renforcerait la compréhension des problèmes et faciliterait la mise en œuvre des orientations.
Conclusions : réponses politiques
- Gérer l’incertitude
L’objectif des politiques visant à faire face à la variabilité et au changement climatique est donc clairement de maîtriser l’incertitude. En effet, chacun de ces deux aspects est soumis à une très grande incertitude : la variabilité inter-saisonnière de la production agricole et les phénomènes extrêmes (p. ex. sécheresses et inondations), et l’absence d’une tendance définie des précipitations dans le cadre du changement climatique. Les décideurs politiques Sahéliens doivent mettre au point des stratégies permettant de mieux gérer la variabilité climatique et d’en atténuer l’impact sur les moyens de subsistance et sur la production agricole. L’absence de projections fiables sur les incidences du changement climatique et par conséquent d’une définition claire des menaces ou des opportunités souligne l’importance d’élaborer des politiques visant à réduire la vulnérabilité. Les options possibles vont de la réduction de certaines formes d’incertitude (amélioration des prévisions saisonnières ou à long terme) à l’atténuation des impacts.
La grande vulnérabilité de la population du Sahel au changement climatique tient à sa grande dépendance à l’égard des activités agricoles et à l’absence d’autres activités rémunérées
- Promouvoir un dialogue ouvert et constructif
Bien que la prise de conscience de la problématique du changement climatique soit internationale, les mécanismes pour y faire face restent pour l’essentiel nationaux par manque de mécanismes réglementaires multilatéraux et de lois environnementales. L’absence de mécanismes multilatéraux non seulement réduit les possibilités d’action efficace à long terme, mais pousse aussi les Etats à gérer unilatéralement les enjeux environnementaux.
- Intégrer le changement climatique dans les stratégies de développement
Devant l’urgence et la gravité des impacts prévus, l’adaptation au changement climatique est devenue une nouvelle priorité pour la communauté d’aide au développement. Il est incontestable qu’une « bonne » adaptation au changement climatique est synonyme de « bon développement ». C’est notamment le cas pour l’identification des vulnérabilités et la planification à long terme dans l’élaboration des politiques. Mais ce sentiment d’urgence n’est pas sans risque. Il ne faudrait pas que la nécessité de « faire quelque chose » face au changement climatique anthropique l’emporte sur les autres priorités majeures du développement.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.