Auteur : Youssouf Mahamat Youssouf
Site de publication : Thinking Africa
Date de publication : 2020
Type de publication : Rapport
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L’Afrique : un terreau fertile pour l’IA convoite par les GAFAM
Selon la loi Metcalfe, « l’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs » ; autrement dit, plus il y a d’utilisateurs dans un réseau, plus ce réseau prend de la valeur. Cette théorie trouve facilement justification dans le modèle développé par Facebook. Et pour cause, celle-ci réunit à elle seule environs 2,70 milliards d’utilisateurs actifs mensuels au monde, en juin 2020. L’Europe à elle seule totalise 410 millions d’utilisateurs et l’Afrique 212 millions.
Le nombre de plus en plus croissant d’utilisateurs de ce réseau social justifie son succès et son poids dans le monde numérique. Pour maintenir le cap et assurer son expansion, Facebook, à l’instar des autres « empires digitaux » (tels que Google, Microsoft, etc.) convoite le continent Africain en multipliant sa présence. Toutes ces « empires » (GAFAM) ciblent une richesse importante à exploiter, il s’agit notamment du fort dividende démographique de ce continent dont l’exploitation non encadrée n’est pas sans conséquences.
Une démographie galopante et génératrice des données
Jacques Chevallier et Lucie Cluzel-Métayer font remarquer que « l’exploitation des données numériques constitue dans les sociétés contemporaines l’un des facteurs-clés du développement économique et social : bien immatériel, la donnée est devenue une ‘’infrastructure essentielle’’ permettant une meilleure utilisation des ressources disponibles » . D’ailleurs l’action publique s’est toujours appuyée sur un ensemble d’informations concernant l’état de la société.
Les États africains ne semblent pas avoir encore pris véritablement conscience de l’enjeu de la donnée, mais les GAFAM qui détiennent déjà les plus grands stocks des données mondiales (80%) en sont plus que conscientes
Si à l’époque les outils classiques utilisés étaient limités dans leur capacité à traiter une quantité massive de données, aujourd’hui avec les algorithmes de l’intelligence artificielle le traitement d’une telle quantité est désormais simplifié. Les États africains ne semblent pas avoir encore pris véritablement conscience de l’enjeu de la donnée, mais les GAFAM qui détiennent déjà les plus grands stocks des données mondiales (80%) en sont plus que conscientes. Elles ont déployé toutes les stratégies nécessaires pour conquérir cette nouvelle richesse dans les quatre coins du monde. Et l’Afrique n’est désormais pas en reste. Le continent représente une part importante de marché pour les géants du numérique, tant il affiche des conditions sociodémographiques favorables.
En effet, la majorité de la population africaine est jeune et a moins de 18 ans. En 2050, on estime même que « 50% de la population active aura moins de 25 ans et sera donc née au cours de l’ère numérique. L’Afrique sera ainsi « le poumon de la croissance mondiale d’ici 2050 » et représentera 50% de la croissance démographique à l’échelle planétaire, selon le cabinet PwC ». Ces chiffres sont assez éloquents pour faire de l’Afrique une manne pour les mastodontes du numérique, un gigantesque territoire à conquérir, un vaste champ à cultiver numériquement.
C’est pourquoi, Facebook s’est récemment lancée dans de grands projets en Afrique pour augmenter sa communauté. Dès 2013, pour développer l’accès d’internet à tous, le réseau social a lancé l’initiative « internet.org » qui est une collaboration avec les entreprises des téléphones mobiles locales en vue de mettre à la disposition des utilisateurs des Smartphones à moindre coût – une manière justement de s’adapter au pouvoir d’achat des Africains. Ensuite, en août 2016, le fondateur du célèbre réseau social s’est personnellement rendu au Nigeria pour « trouver la meilleure façon pour Facebook de favoriser le développement de la technologie et l’esprit d’entreprise à travers l’Afrique ».
Force est de constater que cette initiative, humanitaire du Web, est loin d’être désintéressée, moins encore à but humanitaire
Aussi, la plateforme poursuit-elle un ambitieux projet, celui de connecter tout le continent, s’érigeant ainsi presque en « humanitaire du Web ». Cette action a enthousiasmé les jeunes africains et enchanté plusieurs acteurs du numérique. Mais force est de constater que cette initiative est loin d’être désintéressée, moins encore à but « humanitaire ». Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner sous un autre prisme le choix porté sur le Nigeria par l’entreprise. Ce choix ne relève pas du hasard, il est plutôt le fruit d’une mure réflexion. C’est un choix stratégique, d’autant plus que le Nigéria est le pays le plus peuplé de l’Afrique avec plus de 190 millions d’habitants. Il est donc vraisemblable que ce sont les données potentielles qui se cachent derrière cette importante démographie qui titille l’appétit insatiable de la plateforme.
Dans l’absolu, la présence de ces entreprises en Afrique n’est pas que négative, elle permet bien au contraire de booster le développement de plusieurs secteurs et pourrait même améliorer les conditions de vie des citoyens africains en leur offrant des services modernes, adaptés et à moindre coût. Toutefois, il ne serait pas fortuit d’évaluer les menaces potentielles des actions des GAFAM dans les domaines régaliens des États où elles seront amenées à se déployer.
Une menace pour les services publics des États Africains ?
Dans un monde globalisé marqué par l’émergence des grandes entreprises numériques aux moyens financiers et technologiques colossaux, offrant des services très à point, à moindre coût et adaptés aux besoins des utilisateurs, les usagers des services publics sont devenus de plus en plus exigeants. Pour les satisfaire, les États sont eux-aussi obligés d’être agiles et performants à l’instar de ces entreprises numériques et surtout d’avoir une bonne capacité d’adaptation, lorsqu’on sait que la mutabilité ou l’adaptabilité est l’un des trois principes cardinaux issus de l’École du service public et qui conditionnent le bon fonctionnement même de ce dernier.
Cependant, dans un contexte de raréfaction de ressources et d’insuffisance des services publics africains qui souffrent de plusieurs maux (lourdeur, corruption, etc.), les États africains peinent à satisfaire les usagers en leur fournissant des services performants, efficaces et adaptés ; et cela malgré les différentes réformes administratives entreprises depuis les indépendances. Cette situation alarmante laisse une grande marge de manœuvre aux plateformes dont la révolution numérique a favorisé l’émergence.
Les services privés sont en train de prendre le relai des services publics
Jouant souvent le rôle d’intermédiation entre les utilisateurs et les fournisseurs, brandissant une hypothétique “gratuité’’ en guise d’argument marketing, ces plateformes développées par les GAFAM – pour la plupart – ne sont pas sans incidence sur le périmètre du service public. En plus de modifier ce périmètre, elles vont jusque concurrencer voire prendre en charge certaines activités assurées traditionnellement par les services publics, surtout lorsque ceux-ci se révèlent défaillants comme c’est le cas dans la plupart de pays africains. Ainsi, assiste-t-on à une situation où les services privés sont en train de prendre le relai des services publics.
En tout état de cause, si les États africains ne prennent pas garde et n’améliorent pas la qualité des services qu’ils offrent en les modernisant, et par voie de conséquence celle de leur image auprès des usagers, rien n’empêchera les GAFAM de venir s’installer pour concevoir et de prester plusieurs services à leur place. Les usagers pourront dans ce cas bénéficier de services conçus et adaptés selon leur besoin. Soulignons toutefois le risque de « captation des valeurs » évoqué par Cédric Villani qui présente des similarités avec une démarche de type « colonial » : « vous exploitez une ressource locale en mettant en place un système qui attire la valeur ajoutée vers votre économie. Cela s’appelle une cyber colonisation »
De l’IA pour lutter contre la ‘’vassalité’’ des GAFAM
La performance de la technologie de l’IA est telle qu’il serait vain de tenter de lui faire face avec des outils classiques. Nous estimons donc que pour faire face à une domination fondée sur une IA, il faut avoir recours à l’IA. Autrement dit, l’Afrique doit utiliser l’IA pour lutter contre l’asservissement que les GAFAM veulent lui imposer par l’usage massif de cet outil « intelligent ». Cette technologie, utilisée de façon adéquate, pourrait sauver les services publics africains de maux dont ils souffrent, pour peu que le Continent veille à surmonter les défis liés à son déploiement et à son utilisation.
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