Professeur Elisée Soumonni
Dans le cadre du débat de WATHI sur la réforme de l’enseignement supérieur, nous sommes allés à la rencontre du Docteur Elisée Soumonni professeur d’histoire à la retraite au Bénin. Dans cet entretien, il fait un diagnostic exhaustif des maux de l’enseignement supérieur dans les universités ouest-africaines francophones. Il est revenu sur les défis à relever dans les approches utilisées pour faire les réformes et il a interpelé sur l’importance du dialogue multipartite dans la gestion et le fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur. Il a aussi fait une analyse comparative intéressante des systèmes anglophones et francophones pour inviter à tirer des leçons des meilleures pratiques.
États des lieux de l’enseignement supérieur
Je voudrais souligner d’abord que l’enseignement supérieur ne peut pas être appréhendé de façon isolée par rapport au système éducatif dans son ensemble et on ne peut pas prétendre améliorer l’enseignement supérieur sans s’intéresser à toutes les strates du système éducatif, du primaire au supérieur. C’est extrêmement important parce que l’étudiant qui débarque à l’université, son niveau n’est pas le même selon la formation qu’il a eu au niveau du secondaire. De là, je pense qu’il faut considérer le système éducatif dans son ensemble et là encore, le système éducatif dans son ensemble lui-même ne peut pas être appréhendé sans le mettre dans le contexte du système politique général, du système du développement économique, du système de leadership politique.
Les réformes tombent souvent du ministère sans qu’on ait testé leur efficacité potentielle sur le terrain ; c’est pourquoi je dis que c’est un problème global. Les défis auxquels sont confrontées les universités en Afrique et pas seulement en Afrique sont liés aux défis auxquels sont confrontés nos systèmes politiques, nos systèmes économiques, nos priorités même en termes de développement
En effet, surtout en Afrique francophone et en Afrique, de façon générale, le problème de l’éducation n’est pas seulement l’affaire de pratiquants de l’enseignement mais surtout du pouvoir politique. On se réfère au ministère de tutelle, Enseignement primaire, Enseignement secondaire, Enseignement supérieur pour des décisions qui devraient au préalable être examinées, approfondies par ceux qui sont sur le terrain de l’éducation. Et les réformes tombent souvent du ministère sans qu’on ait testé leur efficacité potentielle sur le terrain ; c’est pourquoi je dis que c’est un problème global. Les défis auxquels sont confrontées les universités en Afrique et pas seulement en Afrique sont liés aux défis auxquels sont confrontés nos systèmes politiques, nos systèmes économiques, nos priorités même en termes de développement.
Au Bénin comme au Sénégal, en Côte d’Ivoire et dans la plupart des pays francophones, il y a une certaine similitude des situations. Il n’y a que des nuances régionales parce que nous avons hérité d’un système d’éducation tout comme d’un système économique, politique qui fait que notre référence est la puissance colonisatrice. Notre système éducatif est le reflet du système éducatif français et souvent comme c’est le cas, en moins bien. Les copies ne sont pas toujours fidèles à l’original. Pour en revenir au problème de cette copie du système éducatif français, il y a la congestion de nos universités parce que le système français fait du baccalauréat, le premier diplôme universitaire et ce diplôme donne un accès automatique à l’université, au moins dans les facultés classiques.
Je pense qu’il faut considérer le système éducatif dans son ensemble et là encore, le système éducatif dans son ensemble lui-même ne peut pas être appréhendé sans le mettre dans le contexte du système politique général, du système du développement économique, du système de leadership politique
En France, il y a les Grandes Écoles où on forme les ingénieurs et elles ont des quotas qui définissent les effectifs qu’elles peuvent accueillir. En dehors de cela, il y a les facultés, que ce soit les humanités ou les sciences exactes qu’on appelle souvent ici les sciences dures, par opposition aux sciences dites molles. Donc, si vous avez le baccalauréat, vous êtes admis automatiquement dans les facultés des universités en général. Vous n’avez pas besoin de sélection additionnelle, ce qui fait que l’explosion démographique du nombre d’étudiants dans la plupart de nos États francophones affecte forcément le niveau parce que les infrastructures ne suivent pas. Le personnel enseignant de qualité ne peut pas être formé au rythme du développement du nombre d’étudiants et au fur et à mesure que les années passent, cette explosion démographique du nombre d’étudiants qui est le reflet aussi d’une explosion démographique dans son ensemble dans les pays africains, l’encadrement des étudiants pose un problème. Il n’y a pratiquement pas de contrôle continu. Il fut un temps où le campus de l’Université nationale du Bénin qui est maintenant l’Université d’Abomey-Calavi, la faculté de droit était appelée “la Chine populaire”, parce qu’elle regroupait le plus grand nombre d’étudiants.
Donc, si vous avez le baccalauréat, vous êtes admis automatiquement dans les facultés des universités en général. Vous n’avez pas besoin de sélection additionnelle, ce qui fait que l’explosion démographique du nombre d’étudiants dans la plupart de nos États francophones affecte forcément le niveau parce que les infrastructures ne suivent pas
Aujourd’hui, elle n’a plus le monopole, les facultés des lettres et des sciences sont devenues des “mini Chine populaire”. Ce campus, qui ne comptait pas 6000 étudiants au moment où j’y enseignais dans les années 80, en a aujourd’hui plus de 80 000. Plus de 80.000, c’est la population d’une ville moyenne et l’infrastructure n’a pas suivi, ni la formation des enseignants, encore moins le recrutement. Il y a un autre problème qui est général dans les pays francophones, c’est que même les enseignants les plus qualifiés ne sont pas des enseignants permanents. La transhumance, c’est-à-dire du campus aux cabinets ministériels est une catastrophe pour le système éducatif. Les meilleurs vont faire la politique, ils deviennent ministres et passent des années et peu reviennent à l’enseignement. Donc on perd ceux qui ont plus d’expérience. On peut les comprendre car l’enseignement ne nourrit pas toujours son homme donc on va vers les meilleurs pâturages, toujours au détriment de la qualité de l’enseignement.
Et donc, voilà des défis énormes auxquels nos enseignements sont confrontés. Quelle peut être l’approche ? Je ne dis pas de solution, mais au moins on peut parler de pistes d’amélioration immédiate, parce que c’est très difficile de réformer le système tel qu’il est aujourd’hui.
Lorsqu’on ne s’attaque pas à un problème, il devient difficile à résoudre parce qu’il s’aggrave avec le temps. Rien que l’explosion démographique du nombre d’étudiants rend les réformes aléatoires. Sans compter que beaucoup d’étudiants et à juste titre, ne trouve même pas de raison de se tuer parce que les perspectives après les études ne sont pas du tout alléchantes, je veux dire la possibilité de trouver un emploi conforme à ce que vous estimez de par votre niveau et formation. Donc, si celui qui a la licence ou le doctorat se retrouve avec un salaire de quelqu’un qui n’a pas le BEPC, cela affecte la recherche de la performance.
Il y a un autre problème qui est général dans les pays francophones, c’est que même les enseignants les plus qualifiés ne sont pas des enseignants permanents. La transhumance, c’est-à-dire du campus aux cabinets ministériels est une catastrophe pour le système éducatif. Les meilleurs vont faire la politique, ils deviennent ministres et passent des années et peu reviennent à l’enseignement
Pour en venir aux approches, je ne crois pas tellement aux réformes globales, c’est-à-dire aux états généraux de l’éducation. On appréhende les problèmes de façon globale. On a organisé il n’y a pas très longtemps les états généraux de l’éducation, il y a un document qui a été imprimé. J’ai reproché aux organisateurs de n’avoir invité que les spécialistes de l’éducation et les praticiens et ceux qui n’ont rien fait d’autres que l’enseignement n’ont pas été conviés.
Je ne sais pas s’il y en a beaucoup qui se souviennent encore des résolutions de ces états généraux. Donc, il faut commencer par le commencement. Il y a de petites réformes qu’on peut faire dans nos universités par ceux qui travaillent à l’université sans forcément l’intervention du ministère ou du Président de la République.
C’est au niveau des enseignants et au niveau de chaque département. Par exemple, on ne peut pas répéter le même syllabus d’année en année et donner le même type d’enseignement à un professeur qui le répète à tout moment. Il faut se mettre en révisons et à jour de temps en temps.
En fonction du développement de la recherche, il faut tirer profit des nouvelles avancées dans la discipline des enseignants. Autrement dit, il faut encourager les enseignants à être au niveau. Pour cela, il faut lire les revues spécialisées et voir les nouvelles façons d’interpréter les phénomènes, refléter cela sur les enseignements et améliorer le système pédagogique. On ne peut pas continuer à dicter des cours pour ensuite demander aux étudiants de restituer. Par contre, si on les invite à lire un document et de l’analyser, de le commenter, de donner leurs avis, la restitution varie d’un étudiant à un autre et c’est plus intéressant que de les amener à tous réciter une leçon. Voilà tous les problèmes auxquels il faut faire face.
On ne peut pas répéter le même syllabus d’année en année et donner le même type d’enseignement à un professeur qui le répète à tout moment. Il faut se mettre en révisons et à jour de temps en temps
Il faut que les enseignants se réunissent de temps en temps. J’ai enseigné une dizaine d’années au Nigeria, il y a au niveau de chaque département un séminaire chaque mois ou tous les deux mois, où chaque enseignant vient faire un exposé sur les aspects de sa recherche.
Les principales leçons de la crise de la Covid-19
Par rapport à l’enseignement d’une manière générale, l’impact est dramatique, ça a aggravé même la crise et rendu les défis plus difficiles à surmonter. Pendant bientôt deux ans, il n’y a pas de cours normalement, il n’y a pas eu de contact réguliers et directs entre l’enseignant et l’apprenant. Ce contact étant déjà handicapé par le trop grand nombre d’étudiants dans les amphithéâtres. Pour citer l’exemple du Bénin, au moment où la crise était très grave, on a décidé de faire les cours en ligne mais le problème technique n’est pas résolu, beaucoup n’ont pas de connexion internet.
Aujourd’hui, on essaie d’exiger la vaccination aux enseignants et aux apprenants pour avoir accès aux établissements, mais nous n’avons pas encore 6% de la population qui soient vaccinés au Bénin.
En termes de perspectives d’emplois, il y a beaucoup de petites et moyennes entreprises qui ont été obligées de fermer. Et ce sont ces PME qui recrutent le plus.
Donc il sera plus difficile pour ces étudiants de trouver de l’emploi, quel que soit leur niveau. La crise de la covid-19 a aggravé les failles qui existaient déjà.
Défis à relever pour la nouvelle réforme de l’enseignement supérieur au Bénin
Je crois qu’il faut améliorer le système au niveau primaire et au niveau secondaire avant de venir à l’université. Il faut aussi améliorer le système d’orientation qui doit commencer au moins au second cycle de l’enseignement secondaire pour que les élèves aient une idée de ce qu’ils veulent faire et les choix possibles pour eux.
Les parents aussi ne doivent plus se contenter d’exprimer des vœux mais aussi ils doivent expliquer aux jeunes à quoi cela va mener. Il est important de savoir ce que nos choix peuvent nous aider à accomplir.
Ensuite l’enseignement est trop livresque, les étudiants ne sont pas livrés à leur environnement immédiat pour connaître leurs réalités. Parfois les sorties pédagogiques et mises en situation de deux heures peuvent remplacer six heures de cours entre les quatre murs.
Ce constat explique le fait que des étudiants peuvent faire de l’histoire sans jamais visiter les musées et palais des anciens rois qu’ils étudient.
Évaluation des enseignants dans les universités au Bénin
C’est une question essentielle voir même existentielle pour le système éducatif. On parle souvent du niveau des étudiants qui baissent, mais nous devons avoir l’honnêteté de dire que le niveau des enseignants baisse aussi. Certains ne sont pas à jour dans leur propre discipline donc ils ne peuvent pas susciter la curiosité chez les apprenants pour les amener à ne pas consommer le savoir qu’on leur dispense.
Le système d’évaluation est problématique dans les universités francophones. Dans l’enseignement secondaire, il y a au moins un système d’inspection. Il y a un inspecteur qui vient assister au cours. Dans les universités, on n’a pas cette forme de surveillance car on suppose que l’étudiant est assez mature pour être exigeant et il a à sa disposition des références bibliographiques qui peuvent le pousser à approfondir le contenu proposé par l’enseignant. L’évaluation des enseignants est quand même fondamentale.
La promotion des enseignants selon le système CAMES (Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur) est basé sur le nombre de publications. Il faut avoir publié tant pour arriver à tel grade. On ne prend pas assez en compte la qualité des publications, leur pertinence, les revues dans lesquelles elles sont publiées, combien de spécialistes du domaine ont lu, apprécié, commenté, fait mention de cela dans leur référence bibliographique. Il y a aussi beaucoup de publications locales qui ne font pas l’objet d’une évaluation en termes de qualité avant publication.
Il y a des systèmes dans les universités anglo-saxonnes où les étudiants participent à l’évaluation de l’enseignant. J’ai enseigné aux États-Unis, on demande aux étudiants d’apprécier l’enseignement des professeurs et cela compte dans l’évaluation finale car c’est eux qui reçoivent directement.
Aux États-Unis, il y a des options, l’étudiant peut choisir des unités et chaque unité est payée. Lorsqu’un étudiant trouve une unité inintéressante, il peut abandonner le module. S’il y a un taux élevé d’abandon sur une matière, le risque pour le professeur est de perdre son boulot. Il n’y a pas cette contrainte dans notre système d’évaluation. L’étudiant devrait au moins avoir son mot à dire.
Parfois, les professeurs s’absentent sans signaler leur indisponibilité à l’avance. Dans le modèle américain, ce sont les heures qui sont payées. Donc si un enseignant sait qu’il doit s’absenter pour une quelconque raison, il trouve un autre enseignant compétent sur sa discipline pour dispenser le cours. Il y a un nombre d’heures à respecter. Dans nos universités, on fait des cours de rattrapage mais ces cours contribuent à baisser le niveau des étudiants car on fait en une semaine ce qu’on devait faire en un trimestre.
Regard sur l’enseignement en ligne
L’enseignement en ligne est un pis-aller. On le prend faute de mieux, ce n’est pas l’idéal. Même avec les enseignements en ligne, on a besoin à certains moments, de la rencontre physique. Lorsqu’on assiste à une conférence en présentiel, la conférence se poursuit grâce aux échanges durant même les heures de pause et on échange les contacts. On n’ a pas forcément cet avantage quand on est en ligne.
Cela peut paraître évident, mais cela ne marche pas aussi bien dans tous les pays. Avec une électricité aléatoire, une connexion internet qui laisse à désirer, une qualité technique qui diffère d’un pays à un autre, pour le moment, on ne peut pas tout miser sur l’enseignement en ligne, il peut être juste un support partiel.
Miser sur le dialogue multipartites avant de faire des réformes
Je crois que les enseignants du supérieur doivent être les premiers à être conscients de la nécessité de réformer le système et réformer le système commence d’abord par se mettre en cause. Il y a quelque chose qui ne va pas à leur niveau, ils ont besoin de s’améliorer. Ils ont besoin d’exiger un minimum d’autonomie face au diktat des ministres et hommes politiques.
Il y a des réformes qui doivent faire l’objet de débats au niveau des enseignants, au niveau des parents d’étudiants mais elles tombent comme ça par décision ministérielle ou présidentielle et on constate en cours de chemin que cela ne marche pas. On a multiplié les universités un peu partout au Bénin alors que les deux principales universités publiques qui existaient à Cotonou et à Parakou avaient déjà des problèmes de personnel. Il y a des enseignants qui quittent Cotonou pour aller enseigner à Parakou, si vous multipliez les campus sur la même période on n’a pas d’intervenants qualifiés. On ne peut pas produire un spécialiste dans un domaine du jour au lendemain.
Donc il faut que les enseignants assument la partition qui leur revient dans la remise en cause du système. Il faut déjà poser le débat entre les enseignants d’une même discipline, au sein des départements, au sein des facultés, et dans les universités de manière générale.
Je crois que les enseignants du supérieur doivent être les premiers à être conscients de la nécessité de réformer le système et réformer le système commence d’abord par se mettre en cause
Par exemple, parfois les mémoires en cours dans un département ne sont pas connus de tous les collègues et même les sujets de mémoire doivent faire l’objet de discussion, cela évite les répétitions. Il manque cette coordination.
Il y a des enseignants qui ont plein d’autres occupations qui viennent faire leur cours et puis disparaissent. Il n’y a pratiquement pas de réunion du personnel d’un même département sur une base régulière ou quand il y en a, le quorum n’est jamais atteint.
Il y a aussi ceux qui s’en vont car sollicités ailleurs, sans informer. Le système anglophone fonctionne différemment. Là-bas, l’enseignant doit avoir une mise en disponibilité de l’université pour une période durant laquelle il ne peut plus prétendre ni au salaire, ni à une promotion même s’il continue de publier.
La réforme n’est possible qu’avec un minimum d’autonomie des universités. Cela ne signifie pas décider n’importe quoi ou ignorer le pouvoir politique, mais c’est pouvoir coordonner des actions au niveau de chaque discipline, suivre et coordonner les résultats au niveau des étudiants.
Dans cette quête d’autonomie des universités, les syndicats doivent aussi jouer leur rôle.
Credit photo: Planete School Magazine
Elisée Soumonni est professeur d’histoire à la retraite. Il fut enseignant à l’Université nationale du Bénin, à Cotonou actuellement dénommée Université d’Abomey-Calavi. Il a eu aussi à enseigner au Nigéria et il fut Professeur invité dans plusieurs universités du monde notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il est l’auteur de nombreuses publications sur l’histoire de l’Afrique de l’Ouest et sur l’ancien Dahomey. Il s’est beaucoup intéressé à la traite négrière transatlantique et au devenir des populations africaines déportées.