Clara Gehrunger
Bien reconnue au niveau international, la Chancelière allemande Angela Merkel a tranquillement quitté son poste l’année dernière après seize ans au pouvoir. Cependant, la physicienne de formation n’était pas la première dirigeante à rester aussi longtemps au pouvoir en Allemagne.
Son collègue de parti, Helmut Kohl a dirigé le pays de 1982 à 1998. Le premier Chancelier après la deuxième guerre mondiale et fondateur du Parti Chrétien-Démocrate (CDU), Konrad Adenauer avait quant à lui conservé son poste pendant quatorze ans.
Pourtant, il n’existe pas de réel débat sur une limitation du nombre de mandats pour le poste de Chancelier en Allemagne. La raison de cette absence d’une réflexion critique se trouve dans les particularités du système politique allemand et l’histoire du pays.
Le rôle du président de la République en Allemagne
Contrairement à d’autres systèmes politiques comme le régime présidentiel qu’on retrouve notamment en France ou au Sénégal, en Allemagne, la fonction du président de la République est limitée à des tâches représentatives et diplomatiques.
Élu par une Assemblée fédérale (composée des députés du Parlement et du même nombre de politiciens ou citoyens élus par les gouvernements régionaux), le président de la République signe et publie les lois adoptées par le Parlement. En théorie, il peut refuser de signer la loi et ainsi empêcher son adoption. Dans l’histoire de la République fédérale, cela s’est produit huit fois jusqu’à présent, la dernière fois étant en 2005.
Dans le cadre de ses prérogatives, il nomme et révoque les ministres, fonctionnaires et juges fédéraux ainsi que les officiers et sous-officiers de l’armée fédérale. Cependant, cela ne signifie pas qu’il procède aux choix de ces personnalités. Par exemple pour ce qui concerne les ministres du gouvernement, normalement les partis qui forment le gouvernement (traditionnellement un minimum de deux partis) négocient le partage des postes avant la formation de la future coalition gouvernante. Ensuite, c’est le Chancelier qui propose les nominations des ministres au président. Contrairement au Chancelier, le président de la République ne peut être réélu qu’une fois pour un mandat de cinq ans.
Par conséquent, la population allemande et les médias ne parlent pas souvent du président. L’actuel président Frank-Walter Steinmeier apparaît surtout dans les journaux et à la télévision à l’occasion de visites diplomatiques ou quand il accueille des représentants de la société civile à la résidence présidentielle à Berlin. Pendant la durée de son mandat, l’affiliation du président à son parti est formellement suspendue, afin qu’il puisse agir en sa propre conscience.
Durant les fêtes, il s’adresse aux Allemands dans son discours annuel de Noël pour faire une rétrospective de l’année qui s’achève et pour leur parler de l’importance de la solidarité, par exemple. Il n’est donc pas surprenant que le président jouisse habituellement d’une grande popularité dans les sondages. Pourtant, il dispose du droit de grâce, et fait inquiétant, il n’est pas obligé d’informer les médias et le public de la fréquence avec laquelle il fait usage de ce droit.
Grâce au contrôle parlementaire et au travail des médias, les activités du Chancelier sont plus relatées et transparentes. Chef du gouvernement, son influence sur les décisions politiques est évidente. Faible sous la République de Weimar, le régime politique en place entre les deux guerres mondiales, la fonction de Chancelier est aujourd’hui considérée comme le poste le plus important dans la politique allemande.
Contrairement au Chancelier, le président de la République ne peut être réélu qu’une fois pour un mandat de cinq ans
Même au niveau international : selon le magazine américain Forbes, la Chancelière Angela Merkel était “la leader de facto de l’Europe”, la femme la plus puissante du monde en 2019 et la quatrième personne la plus puissante du monde en 2018. C’est pourquoi on parle parfois de « démocratie de chancelière ». Il faut d’ailleurs mentionner que ce terme qui ne semblait concevable qu’au masculin à l’origine (“Kanzler”) est maintenant plutôt féminin (“Kanzlerin”) après seize ans de pouvoir d’Angela Merkel. En effet, une question souvent posée dans les médias pendant les dernières élections était la suivante : “Olaf Scholz “Kann er Kanzlerin?” en écho à la marque imprimée par Madame Merkel.
Le Parlement, élément central de la démocratie allemande
Bien que les ministres du gouvernement disposent de la liberté de décisions et d’actions dans leurs domaines respectifs, le ou la Chancelière fixe les lignes directrices et est directement responsable devant le Parlement. C’est-à-dire, qu’il doit justifier des actions de son gouvernement devant les députés, qui disposent de plusieurs mécanismes et instruments pour exercer leur fonction de contrôle. Il s’agit notamment de l’option de former des commissions d’enquête, de tenir des séances de questions-réponses en direct au Parlement et des demandes écrites auxquelles le gouvernement est obligé de répondre dans un délai encadré.
En particulier, l’opposition fait généralement un usage très actif de ces moyens et accueille volontiers les demandes de membres de la société civile. Après tout, le Parlement est l’unique organe au niveau national directement élu par la population. Il est aussi parmi les institutions du système politique les plus importantes à l’échelle nationale. Le parlement ne dispose pas seulement d’un fort rôle de contrôle des autres organes politiques, mais aussi d’impulsion des décisions politiques.
C’est le Parlement qui adopte le budget fédéral et les lois et qui décide notamment des interventions militaires à l’étranger. Le Chancelier dispose du pouvoir du commandement militaire seulement en cas de besoin de défense nationale et peut être destitué par un vote de défiance. La seule condition requise est que le Parlement présente un candidat alternatif.
Les 736 députés actuels du corps législatif sont élus pour une période de quatre ans. Pour cela, chaque Allemand de plus de 18 ans dispose de deux voix. Le système est souvent considéré comme complexe. Avec la première voix, l’électeur élit un candidat direct de sa région, avec la deuxième voix, ce dernier désigne le nombre de sièges d’un parti au Parlement.
Si un parti reçoit moins de cinq pour cent des voix, il n’entre pas au Parlement. Par contre, si un parti a plus de candidats directs élus que de sièges, il reçoit des sièges additionnels. En raison de ce principe, le Parlement s’agrandit à chaque nouvelle législature, causant des problèmes administratifs. Les promesses de plusieurs partis d’une réforme du système n’ont pas encore abouti, essentiellement parce que ce sont surtout les grands partis avec le plus de voix qui profitent de cette particularité.
Après les élections législatives, les partis politiques représentés au Parlement essayent de se réunir dans une coalition de plus de la moitié de sièges pour former un gouvernement fonctionnel avec cette majorité simple. Les autres partis forment l’opposition. Actuellement, six partis sont représentés au Parlement. Ensuite, la coalition présente un candidat commun pour le poste de Chancelier. Proposé officiellement au Parlement par le Président de la République, le candidat se présente à l’élection du Parlement.
C’est le Parlement qui adopte le budget fédéral et les lois et qui décide notamment des interventions militaires à l’étranger
Finalement, la population ne vote pas directement pour un candidat pour le poste de Chancelier. Au lieu de cela, les Allemands votent pour les partis politiques. Ainsi, ils peuvent influencer la composition de la future coalition, traditionnellement composée de deux partis ou plus, et renforcer intentionnellement l’opposition. C’est donc principalement à cause de cette particularité qu’il n’y a pas de limitation du nombre de mandats pour le Chancelier.
Héritage historique et atout démocratique : la décentralisation du pays
Alors qu’en France, toutes les grandes entreprises, organisations et structures étatiques sont essentiellement concentrées à Paris depuis des siècles, l’Allemagne est un pays relativement décentralisé. De fait, la capitale politique est située à Berlin au nord-est du pays depuis seulement 1999. Elle se trouve assez loin de Francfort, souvent considérée comme la capitale économique du pays et considérablement mieux connectée au niveau du réseau de trains et d’autoroutes.
L’élément central de la décentralisation de l’Allemagne est son caractère fédéral. La République est composée de 16 régions. Le terme allemand, “Länder”, signifie “pays”, ce qui donne une idée de leur signification. Les gouvernements de ceux-ci sont plutôt autonomes dans leurs décisions politiques en matière de sécurité intérieure, d’administration locale, d’éducation, de construction et de culture. Chaque région dispose même de son propre service de renseignement. À moins qu’elles ne soient définies explicitement dans la Constitution, les décisions politiques sont entièrement entre les mains des régions.
L’État national se définit donc comme une République fédérale. Les élections parlementaires des États régionaux ont un fort caractère indicatif pour la politique nationale et sont aussi importantes que les élections législatives nationales.
Finalement, la population ne vote donc pas directement pour un candidat pour le poste de Chancelier. Au lieu de cela, les Allemands votent pour les partis politiques. Ainsi, ils peuvent influencer la composition de la future coalition, traditionnellement composée de deux partis ou plus
Cette structure est, d’une part, due aux circonstances précédant la formation de l’État allemand en 1871 à Versailles. Jusque là, l’actuel territoire allemand était divisé en petits et moyens États souverains avec des cultures, traditions et langues parfois bien différentes. Au cours de l’Histoire, certains de ces États se sont regroupés pendant quelques temps en confédérations légères et décentralisées, notamment sous la direction de la Prusse ou de l’Autriche.
Ce n’est qu’avec la victoire dans la guerre contre la France en 1870-71 que l’Allemagne est devenue un Empire. Auparavant, la France avait toujours montré une réticence à la création d’un État allemand par crainte d’un manque d’équilibre entre les puissances européennes. Mais après la défaite de la guerre, la France ne pouvait plus refuser aux Allemands la création d’un État. Elle fut finalement inscrite dans le traité de fin de guerre à Versailles. Fruit de l’histoire de ces États souverains avec leurs langues et cultures, les noms utilisés pour se référer à l’Allemagne dans d’autres langues sont d’origine diverse, variant entre “Deutschland/Tyskland”, “Germania/Gérmanija”, “Niemcy/Nêmecko”, “Vokietija” et “Alemania/Allemagne”.
Malgré les défis, le bilan du fédéralisme reste positif
D’autre part, la division en régions est censée empêcher la concentration de pouvoir entre les mains d’une personne, d’un organe ou d’une ville. L’Allemagne a tiré les leçons de la Deuxième Guerre mondiale et les facteurs qui avaient permis à Adolf Hitler, obsédé par le pouvoir, de prendre le contrôle en abolissant le système fédéral. Précédent l’ascension de Hitler au pouvoir, le Chancelier de la République avait une fonction faible et était facilement influençable, puisqu’il dépendait notamment du Parlement et du Président.
Il faut noter cependant que de temps en temps, le système de la décentralisation est confronté à des difficultés au niveau administratif. Par exemple, pendant la première année de pandémie du Covid-19, la décentralisation a provoqué une mosaïque de mesures de santé dont le désordre a causé un fort mécontentement. En effet, le gouvernement fédéral adressait des préconisations aux gouvernements des régions (chacun ayant une coalition gouvernante différente). Ces derniers décidaient des mesures à appliquer selon les niveaux de contamination au niveau local.
La responsabilité de la mise en œuvre était aux mains des administrations locales alors qu’elles n’avaient souvent pas les capacités nécessaires. En même temps, la population avait du mal à intégrer les règles qui changeaient toutes les semaines et qui pouvaient être très différentes entre deux villages voisins.
Les gouvernements de ceux-ci sont plutôt autonomes dans leurs décisions politiques en matière de sécurité intérieure, d’administration locale, d’éducation, de construction et de culture. Chaque région dispose même de son propre service de renseignement. À moins qu’elles ne soient définies explicitement dans la Constitution, les décisions politiques sont entièrement entre les mains des régions
Par rapport à l’éducation, la décentralisation a comme conséquence des niveaux de difficultés fortement disparates pour les étudiants dans les régions différentes. L’équivalent allemand du baccalauréat, porte d’entrée à l’université, peut être composé de trois à quatre examens écrits et un à deux examens oraux selon la région. En Bavière et Hesse, au Sud du pays, les examens en mathématiques et en allemand sont obligatoires mais dans plusieurs régions du Nord, les étudiants peuvent décider de ne pas passer l’examen en mathématique. Parallèlement, le temps alloué à l’épreuve et le nombre des thèmes abordés peuvent varier considérablement. Toutes les tentatives d’harmonisation du bac allemand ont échoué jusqu’à présent, malgré des critiques sévères et persistantes.
Au niveau national, les régions sont représentées au sein du Conseil de la République qui a une fonction surtout législative : il peut être à l’origine d’initiatives de loi et participe à l’adoption de certaines lois. Pour que celles-ci soient réalisables dans les régions respectives, le Conseil peut aussi proposer des adaptations à ces lois. Dépendant de la taille de la population des régions, chacune a entre trois et six représentants au Conseil de la République qui sont nommés par les gouvernements respectifs.
C’est à travers ce Conseil que le système fédéral est lié aux institutions opérant à l’échelle nationale, notamment le Parlement et le gouvernement du Chancelier. En dehors de ces petites et moyennes difficultés, le système fédéral permet de prendre en compte les particularités et nécessités des régions parfois bien éloignées. De plus, les gouvernements peuvent être plus proches des populations et mieux les soutenir que le gouvernement fédéral à Berlin.
Enfin, des États-nations disposant de vastes territoires peuvent ainsi mener une politique plus réaliste et plus proche des préoccupations de leurs populations. En effet, ce système fédéral allemand pourrait être un modèle à envisager dans certains États africains en particulier en raison de la diversité ethnique sur des territoires, provoquant une forme de marginalisation dans la politique nationale.
Photo: ipj.news
Clara Gehrunger est diplômée en journalisme. Intéressée par les questions de géopolitique, les crises et conflits, elle effectue actuellement un Master en paix, conflits et développement en Espagne. Elle est en stage à WATHI.