Auteur: François LAFARGUE
Organisation affiliée: Centre d’étude français sur la Chine Contemporaine
Type de Publication: Étude
Date de publication: 1 août 2005
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Très tôt, lors de la conférence de Bandung en 1955 et dans l’euphorie révolutionnaire, la République populaire de Chine a manifesté un intérêt pour l’Afrique. Le continent noir est devenu le terrain de confrontation avec l’Occident et l’Union soviétique. La construction de la ligne de chemin de fer Tazara en Afrique de l’est, comme le soutien aux mouvements indépendantistes tel l’Unita en Angola, en sont les illustrations.
La Chine a également été le premier pays non arabe à reconnaître le gouvernement provisoire d’Algérie, créé en septembre 1958. Toutefois après la mort de Mao Zedong, la présence chinoise en Afrique est devenue plus discrète, se limitant à certains États comme le Bénin.
Si les flux commerciaux entre la Chine et le continent noir restent encore limités, leur croissance est significative. Les échanges entre la Chine et l’Afrique ont représenté 18,4 milliards de dollars en 2003 contre 12,39 milliards de dollars l’année précédente. Aujourd’hui, la Chine figure parmi les premiers partenaires commerciaux de nombreux pays africains (deuxième client du Gabon après les États-Unis, deuxième fournisseur du Bénin, cinquième fournisseur de l’Afrique du Sud, sixième fournisseur de l’Algérie…). Les entreprises chinoises dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (BTP) sont devenues des rivales des groupes français comme Dumez ou Bouygues.
Toutefois, le continent africain ne représente à ce jour que 2,3 % des exportations de la Chine et 2 % de ses importations. Le commerce sino-africain reste dominé par les échanges avec l’Afrique du Sud, 20 % de la valeur du commerce entre la Chine et l’Afrique. Une situation logique puisque l’économie sud-africaine (avec un PNB équivalent à ceux de tous les autres États de l’Afrique sub-saharienne réunis) reste la plus dynamique de la région. Les principaux clients de la Chine sont ensuite le Nigeria, l’Égypte, le Maroc, l’Algérie, puis le Soudan et le Bénin.
La présence financière de la Chine populaire est un autre fait marquant. Nul n’ignore aujourd’hui que la Chine est le premier récipiendaire des investissements directs étrangers (53 milliards pour l’année 2003), mais la Chine est également devenue l’un des principaux investisseurs directs à l’étranger. Pour l’année 2003, elle se situait au cinquième rang mondial après les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, avec un volume d’investissements à l’étranger de 2,087 milliards de dollars en 2003, soit une hausse de 112 % par rapport à 2002, et une présence dans 160 pays.
L’intrusion de la Chine en Afrique offre aux pays africains un nouvel horizon. La Chine ne présente pas d’exigences politiques particulières, à la différence de la France et des États- Unis, et permet aux pays africains de conserver pleinement leur souveraineté. Pour entretenir des relations commerciales, la Chine demande uniquement la rupture de tout lien avec Taiwan.
Toutefois, le continent africain ne représente à ce jour que 2,3 % des exportations de la Chine et 2 % de ses importations. Le commerce sino-africain reste dominé par les échanges avec l’Afrique du Sud, 20 % de la valeur du commerce entre la Chine et l’Afrique
La dépendance énergétique est devenue une préoccupation majeure pour Pékin. La Chine, huitième importateur de pétrole en 2000, passée au quatrième rang en 2003 après les États-Unis, le Japon et l’Allemagne, occupera probablement le troisième rang mondial cette année. En 2000, les importations qui représentaient 27 % du total de la consommation de pétrole en 1999, puis 37 % en 2002, devraient atteindre 45 % en 2005. Une situation de dépendance énergétique difficilement concevable au regard du rôle mondial qu’entend tenir la Chine. Jusqu’en 1990, ses trois fournisseurs principaux étaient l’Indonésie, le sultanat d’Oman et l’Iran.
La diversification des fournisseurs est devenue une obligation à cause de l’augmentation de la consommation de la Chine et de la raréfaction des réserves de l’Indonésie. Tout naturellement, l’Afrique est devenue un terrain convoité, car depuis leur intervention en Irak, les États-Unis ont parachevé leur contrôle sur l’ensemble des pays du Proche-Orient à l’exception de l’Iran. Et les gisements de la mer Caspienne s’avèrent décevant, ne représentant selon les estimations contradictoires qu’entre 2 % à 4 % des réserves mondiales.
Surtout, la Chine craint les projets américains dans cette région du Caucase dont une illustration est le GUUAM. Fondée en 1996 avec le soutien de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et du Conseil de l’Europe, cette organisation a pour objectif de favoriser la coopération économique et militaire entre ses membres en concertation étroite avec les États-Unis (lutte contre le terrorisme, résolution des conflits locaux…).
Les cinq membres fondateurs ont en commun le refus de voir stationner sur leur sol des forces russes. Mais l’un des principaux buts du GUUAM est la construction d’un réseau d’approvisionnement énergétique indépendant de la Russie, avec l’appui de l’Alliance atlantique. Vu de Moscou comme de Pékin, le GUUAM est perçu comme un outil permettant à Washington de poursuivre non seulement l’encerclement de la Russie, mais de l’élargir désormais à la Chine.
Plus de 60 % de la production forestière du Gabon est exportée en Asie, principalement vers la Chine. La Chine a également accordé à Libreville un don de 2 millions de dollars et un prêt sans intérêt de 6 millions de dollars.
La Chine est de plus en plus présente dans l’exploitation pétrolière au Congo-Brazzaville. En 2003, la Chine a importé du Congo un million de tonnes de pétrole brut (1,5 % de ses importations pétrolières). Le pétrole est le premier produit d’exportation du Congo. Il assure les deux tiers des ressources budgétaires nationales.
La Chine par le biais de la China National Petroleum Company (CNPC) est également présente au Soudan avec le consortium Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC) dont elle détient 40 % des parts (exploitation du bassin de Muglad). Au Soudan, l’entreprise a construit un oléoduc de 1 500 kilomètres pour acheminer l’or noir du sud du pays jusqu’au terminal portuaire de Marsa al-Bashair près de Port-Soudan au bord de la mer rouge. Le Soudan représenterait aujourd’hui à lui seul 7,7 % des importations pétrolières de la Chine.
Mais ces gisements pétroliers en Afrique sont également convoités par les États-Unis, et l’Afrique est désormais un terrain de confrontation entre les deux États.
Sur le plan énergétique, l’Afrique (plus particulièrement, le Nigeria et l’Angola) constitue l’un de leurs principaux fournisseurs en hydrocarbures. Les importations américaines de pétrole en provenance du Nigeria représentent plus de la moitié de celles arrivant d’Arabie saoudite. Sous l’égide de la Banque mondiale, les Etats-Unis entendent également mettre en valeur les gisements du Tchad et ont participé à la construction d’un oléoduc aboutissant au Cameroun. L’assouplissement des sanctions économiques américaines à l’égard de la Libye en février 2004 devrait aussi favoriser le retour des investissements dans ce pays.
L’Afrique est perçue comme un nouvel horizon commercial pour les entreprises chinoises. Si la part du commerce entre la Chine et les pays d’Afrique sub-saharienne reste marginale, elle a néanmoins progressé de manière sensible en moins d’une décennie. La Chine voit dans l’Afrique un réservoir de matières premières (comme le charbon provenant d’Afrique du Sud, ou les minerais du Gabon) et un débouché pour son industrie manufacturière. Là, comme dans le reste du monde, la Chine élimine ses concurrents dans le secteur du textile et des biens manufacturés.
La Chine voit dans l’Afrique un marché lui permettant de tester ses produits industriels et de les proposer à une clientèle moins exigeante. La société de télécommunication Zhongxing Telecom multiplie les implantations en Afrique (rénovation du réseau téléphonique à Djibouti) et au Maghreb. Le marché africain de 900 millions de consommateurs potentiels est considérable. Et comme en Europe ou aux Etats-Unis, la Chine peut s’appuyer sur des communautés chinoises très présentes en Afrique francophone et en Afrique orientale.
Si au Maghreb, la population chinoise reste insignifiante (à peine un millier de personnes au Maroc), elle est sensiblement plus importante au Sénégal, au Kenya et en Tanzanie. Même si les entreprises chinoises cristallisent le mécontentement, accusées de fraudes douanières et de livrer une concurrence déloyale à l’économie locale et informelle, les gouvernements africains restent bienveillants, estimant que l’intrusion de la Chine est un moyen de dynamiser la concurrence en permettant de contourner les circuits commerciaux traditionnels.
Le continent africain est également un théâtre de confrontation avec Taiwan
Le Sénégal vient de rompre fin octobre ses relations avec Taipei. Taiwan avait déjà perdu le 1er janvier 1998 son principal soutien africain, l’Afrique du Sud, puisque Nelson Mandela a choisi d’établir des relations diplomatiques avec Pékin. L’Afrique du Sud avait tenté de convaincre la Chine de l’idée d’une double reconnaissance diplomatique, sans succès. Taiwan, en dépit de ses relais et des relations nouées à l’époque de l’apartheid avec les milieux d’affaire et militaire, n’est pas parvenu à dissuader Nelson Mandela de reconnaître la RPC. Désormais, les pays d’Afrique qui reconnaissent Taiwan ont un poids économique et une influence limitée. Là encore, la Chine joue sur l’attrait que représente son immense marché.
Les pays africains (surtout ceux en délicatesse avec la communauté internationale) s’appuient sur la Chine afin de compenser l’influence des Etats-Unis et de la France comme au Gabon ou au Congo-Brazzaville, mais également pour mettre fin à leur isolement international et même obtenir des armes. Pékin n’a pas hésité à livrer au Soudan des avions de surveillance F-7 (dérivé des Mig-21 soviétique) en 1996 et des avions de transport Y-8 (dérivé des Antonov). L’Angola et la Chine ont également approfondi leur coopération dans le domaine militaire (livraison par Pékin de blindés légers et d’équipement).
Le décollage de la Chine a été bénéfique pour les pays africains qui ont trouvé un nouveau débouché pour leur commerce extérieur, et surtout bénéficient de la hausse sensible du cours des matières premières. Entre 1992 et 2002, la consommation d’acier en Chine a progressé de 20 % alors que la moyenne mondiale s’établissait à 4 %. Des minerais comme le cuivre (indispensable dans l’industrie électrique et électronique) et le nickel ont connu depuis 2001 une appréciation sensible.
Les pays africains doivent exiger des relations économiques plus équitables avec la Chine
Cette euphorie risque bientôt de se dissiper, en raison de la hausse sensible des prix agricoles. Les pays africains restent des importateurs majeurs de céréales comme le maïs et le blé ; là aussi, le développement de la Chine se fait sentir, mais de manière négative. Si l’objectif de nourrir plus d’un milliard d’hommes a été atteint, la situation agricole chinoise n’en reste pas moins précaire. Certes les progrès ont été spectaculaires depuis les années 1960. La Chine est aujourd’hui le premier producteur mondial de blé (91 millions de tonnes en 2004) devant l’Inde, la Russie, les États-Unis et la France. La Chine est également le premier producteur mondial de riz (176 millions de tonnes) devant l’Inde et l’Indonésie. En vingt ans, la production porcine chinoise a quadruplé et représente désormais plus de 50 % de la production mondiale.
En réalité se conjuguent en Chine plusieurs éléments qui nourrissent le pessimisme. La réduction de la surface agricole utile, la multiplication des pénuries d’eau limitant l’irrigation, et l’élévation du niveau de vie amenant à une modification des comportements alimentaires, menacent l’avenir. Des achats de céréales croissants sur les marchés internationaux auront immanquablement des répercussions négatives en Afrique. En 2002-2003, le Maroc, l’Algérie et l’Égypte ont importé 15 millions de tonnes de blé, notamment du Canada.
Les pays d’Afrique sub-saharienne pèsent peu sur les marchés mondiaux de céréales à cause des faibles quantités importés, néanmoins toute appréciation des cours aurait des incidences financières néfastes. Le Nigeria est devenu le premier importateur africain de riz et, de manière générale, l’Afrique achète le quart des importations mondiales de riz. Certes à ce jour il n’existe pas de prix mondial pour cette céréale (car seul 6 % de la production mondiale de riz est exportée), mais les prix fixés par la Thaïlande, premier exportateur mondial (25 %) servent de référence. En Afrique, nul ne peut nier que le prix du riz ne cesse de s’apprécier. A l’augmentation des cours mondiaux (10 % en moyenne depuis 2001), s’ajoute également le prix du transport maritime.
Les pays africains doivent exiger des relations économiques plus équitables avec la Chine, ne pas se contenter d’exporter leurs matières premières mais, en échange, bénéficier de transferts de technologie. Profitant de la crainte que peut susciter l’émergence de la Chine, l’Inde tente de proposer aux pays africains un partenariat plus équitable. L’Inde, confrontée également à une dépendance énergétique, ne peut rivaliser en termes financiers avec la Chine et propose à ses fournisseurs une coopération technique (transferts de technologie, projet informatique Sofcomp, vente de médicaments, etc.). Cette concurrence entre les deux géants asiatiques pourrait être favorable au développement du continent africain.
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