Auteur: Amandine Dusoulier
Organisation affiliée: Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité(GRIP)
Type de publication: Article
Date de publication: 16 juin 2020
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Partie de la ville de Wuhan en Chine à la fin de l’année 2019, l’épidémie de COVID-19 s’est rapidement propagée aux quatre coins de la planète. Aucun continent n’a été épargné par ce virus qui le 14 juin 2020, a déjà causé, à l’échelle mondiale, plus de 427 600 morts et 7 690 700 contaminations selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’Afrique, un des derniers continents touchés, déplore à ce jour le décès de près de 4 000 personnes. Alors que les chiffres de l’OMS relevés pour le territoire africain sont les plus bas, la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) estime que dans le meilleur des scénarios, «il se peut que 300 000 Africains perdent la vie à cause de la maladie».
La région ouest-africaine ne fait pas exception en Afrique et résiste au coronavirus en dépit des multiples défis, entre autres sécuritaires, auxquels elle est confrontée. En date du 12 juin 2020, malgré des facteurs potentiellement aggravants – tels le terrorisme, l’insécurité alimentaire et les mouvements migratoires – l’Afrique de l’Ouest affiche 1 032 décès et 48 720 cas confirmés pour une population de plus de 400 millions d’habitants. Différents éléments sont avancés pour expliquer cette situation encourageante, notamment la pyramide des âges favorable (l’âge moyen est de 19,7 ans contre 42,5 ans en Europe) et la faible densité des populations, limitant la propagation.
La lente progression du virus observée jusqu’ici en Afrique contredit les thèses alarmistes occidentales. Le philosophe Achille Mbembe s’insurge contre ces prédictions: «Le catastrophisme n’est pas une option. Le catastrophisme ne permet absolument pas de rendre compte des dynamiques de société très plurielles, très complexes et qui sont là depuis très longtemps, et qui savent mettre à profit les épreuves qu’elles ont endurées dans le passé.»
La crise Ebola : une source d’apprentissage
En 2014, la région ouest-africaine a été frappée de plein fouet par le virus Ebola. Alors que ce dernier, dont la présence sur le continent est connue depuis les années 1970, était jusque-là localisé en Afrique centrale et orientale, un nouveau foyer épidémiologique a vu le jour à l’ouest, en particulier en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia. Prises de court, les autorités nationales ne sont pas parvenues à endiguer la propagation fulgurante du virus et à empêcher les milliers de morts qui ont suivi. Depuis, les gouvernements ont tiré des leçons de cette crise et se sont préparés afin d’agir rapidement et efficacement lors d’une nouvelle épidémie de grande ampleur… comme celle de la COVID-19.
À l’échelle régionale, à partir de janvier 2020, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est attelée à l’élaboration d’un plan régional de riposte à la COVID-19. Plusieurs objectifs ont été fixés, dont la production massive de masques, l’harmonisation de la gestion des lieux de culte ou encore le renforcement de l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS). L’Union africaine (UA) a pris part à cette préparation collective en collaboration avec les centres africains de contrôle et de prévention des maladies.
Au niveau des gouvernements nationaux, dès que le nouveau coronavirus a été observé en Chine, les pays d’Afrique de l’Ouest ont réactivé leurs mécanismes de lutte, à savoir « les tests, l’isolation et le traçage des personnes en contact avec un malade». En mars 2020, les gouvernements burkinabè, guinéen, ivoirien, malien, nigérien et sénégalais ont annoncé l’état d’urgence sanitaire et ont accompagné la mesure d’un couvre-feu, de la fermeture des frontières, des écoles, des universités et de l’interdiction des rassemblements publics. Certains gouvernements, comme celui du Burkina Faso, où les premiers cas ont été diagnostiqués le 9 mars, ont également fait placarder des affiches rappelant les gestes barrières et imposé le port obligatoire du masque/bavette.
Les initiatives régionales et nationales ont été renforcées par le comportement des populations d’Afrique de l’Ouest ayant elles aussi assimilé les leçons d’Ebola.
Réactivité, créativité et mobilisation de la société civile
Les exemples illustrant la mobilisation de la société civile et l’implication des secteurs de la recherche et de l’innovation dans la lutte contre la COVID-19 sont nombreux. On relève notamment que le Réseau francophone des FabLab d’Afrique de l’Ouest (ReFFAO) a participé à la création d’un système automatisé de lavage des mains au Mali, au développement d’un système de distribution automatisé de gel antiseptique au Sénégal, ainsi qu’à la fabrication et la distribution gratuite de masques pour le personnel médical au Burkina Faso. Aux côtés du gouvernement ivoirien, un réseau de dix startups s’est formé pour développer l’application AntiCoro utile pour suivre les potentiels porteurs du virus.
Dans un registre plus culturel, des rappeurs du mouvement citoyen sénégalais Y en a marre ont créé une chanson en wolof intitulée «Fagaru Ci Corona» («prévenir le corona») et tourné un clip vidéo dans lequel ils rappellent les gestes barrières et les symptômes de la maladie. Dans plusieurs pays, des créateurs ont proposé leur aide pour la fabrication de masques. Au Sénégal, l’Atelier 221, un collectif de créateurs de mode, a lancé le projet « 1 Sénégalais 1 masque » dont l’objectif est de permettre à tous les Sénégalais de disposer de masques de protection efficaces et réutilisables.
La région [l’Afrique subsaharienne] est confrontée à un effondrement de la croissance économique, à un resserrement des conditions financières, à une forte baisse des prix des principaux produits exportés et à de graves perturbations de l’activité économique […]. La baisse des revenus accentuera les vulnérabilités existantes, tandis que les mesures d’endiguement et la distanciation sociale menaceront inévitablement les moyens d’existence d’innombrables personnes
Toutefois, les mesures préconisées par les centres africains de contrôle et de prévention des maladies se sont heurtées, à plusieurs reprises, à la résistance des populations des pays où elles ont été mises en œuvre. Ainsi, malgré le déploiement massif de policiers dans des villes ouest-africaines, plusieurs violations du couvre-feu ont été observées. Contrevenant au confinement, des réseaux clandestins de transport à l’intérieur des terres ont aussi vu le jour. De plus, les forces de l’ordre ont dû faire face à de nombreuses manifestations dénonçant les violences policières et les mesures anti-COVID 19 (notamment au Niger et en Guinée où la majorité de la population est musulmane), en particulier lors de la fermeture des mosquées et en réponse à l’interdiction consécutive des prières collectives en pleine période de Ramadan.
L’inquiétude face aux répercussions de la crise
Si jusqu’ici l’épidémie de COVID-19 est relativement contenue en Afrique de l’Ouest, il faut craindre une détérioration de la situation à court, moyen et long termes tant sur le plan sécuritaire, socio-économique que politique. Dans un rapport, l’ICG relève un certain nombre de tendances à surveiller en Afrique de l’Ouest.
Tout d’abord, il apparaît que les personnes résidant dans des zones de conflit sont plus vulnérables à la propagation du virus. Dans le contexte de la pandémie, la situation des déplacés internes et des réfugiés est encore plus préoccupante au regard des restrictions de voyage impactant les acteurs humanitaires et leurs chaînes d’approvisionnement. En conséquence, les délais d’acheminement de l’aide humanitaire se sont fortement allongés.
Le terrorisme est un autre risque majeur dans la mesure où certains groupes armés pourraient profiter de l’affaiblissement momentané des gouvernements pour mener de nouvelles offensives. Selon le Secrétaire général adjoint aux opérations onusiennes de maintien de la paix Jean-Pierre Lacroix, «la COVID-19 complique une situation sécuritaire déjà complexe au Sahel, avec des groupes terroristes qui exploitent la pandémie en intensifiant leurs attaques contre les forces nationales et internationales.»
Si jusqu’ici l’épidémie de COVID-19 est relativement contenue en Afrique de l’Ouest, il faut craindre une détérioration de la situation à court, moyen et long termes tant sur le plan sécuritaire, socio-économique que politique
En outre, l’annonce d’une récession mondiale ne rassure pas les États dont les économies sont déjà fragilisées. Selon Abebe Aemro Selassie, Directeur du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI), l’épidémie de COVID‑19 fait que «la région [l’Afrique subsaharienne] est confrontée à un effondrement de la croissance économique, à un resserrement des conditions financières, à une forte baisse des prix des principaux produits exportés et à de graves perturbations de l’activité économique […]. La baisse des revenus accentuera les vulnérabilités existantes, tandis que les mesures d’endiguement et la distanciation sociale menaceront inévitablement les moyens d’existence d’innombrables personnes».
C’est particulièrement le cas pour les États aux économies peu diversifiées et dépendant des exportations de matières premières ou de produits agricoles dont la demande a chuté. On pense au Mali, contraint de baisser le prix aux producteurs de coton d’un tiers, ou encore à la Côte d’Ivoire, incapable d’écouler ses stocks de cacao et de noix de cajou. À ces facteurs, il faut encore ajouter la baisse des transferts d’argent des diasporas.
Sur la base de ces prévisions inquiétantes, le G20 a accepté, à la demande de l’UA, d’octroyer un moratoire de six mois sur la dette africaine. Dans cette logique, des décaissements ont notamment été octroyés au Burkina Faso, au Niger et au Sénégal. Cependant, cette offre ne suscite qu’un engouement relatif au vu des conditions qui l’assortissent. Les pays bénéficiaires devront, entre autres, se montrer transparents et renégocier le règlement de leur dette privée internationale puisque les ressources dégagées par la proposition du G20 ne pourront être employées que pour répondre aux conséquences du nouveau coronavirus.
Sur la base de ces prévisions inquiétantes, le G20 a accepté, à la demande de l’UA, d’octroyer un moratoire de six mois sur la dette africaine. Dans cette logique, des décaissements ont notamment été octroyés au Burkina Faso, au Niger et au Sénégal.
Enfin, les gouvernements sont susceptibles d’instrumentaliser la crise sanitaire afin de prolonger certaines mesures coercitives (par exemple, l’interdiction des rassemblements) au-delà de la fin de l’épidémie. L’argument sanitaire pourrait également être invoqué pour reporter arbitrairement les élections attendues fin 2020 en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, en Guinée et au Niger.
Afin de limiter au maximum les répercussions de l’épidémie sur les processus électoraux, le président de la Commission de la CEDEAO et le représentant du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest ont formulé plusieurs recommandations. L’une d’entre elles expose « qu’il est important que la décision de maintenir ou de reporter les élections prévues cette année se prenne sur la base d’un consensus politique inclusif, et en tenant compte des recommandations des experts médicaux», comme le fait actuellement le Burkina Faso en pleine concertation à ce sujet.
Toutefois, chaque pays ne gère pas la situation d’une manière identique. Dans le cas de la Guinée, il est à craindre que le report électoral nuise à la transparence et à la qualité des élections. Le président Alpha Condé a procédé à un double scrutin (élections législatives et référendum constitutionnel) vivement contesté le 22 mars. Or, selon le think tank ouest-africain Wathi, Alpha Condé pourrait profiter de la conjoncture et de l’attention portée sur d’autres sujets pour se représenter aux élections présidentielles d’octobre 2020. À cela s’ajoute le fait que les mesures anti-COVID-19 seraient instrumentalisées par les autorités pour empêcher la mobilisation de la société civile en faveur de la démocratie.
Conclusion
Contredisant les prévisions, le continent africain est celui qui enregistre à ce jour la plus faible mortalité dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Ces résultats ne sont pas sans lien avec les leçons que de nombreux pays africains ont tirées de l’épidémie d’Ebola de 2014. Cette crise sanitaire les a encouragés à élaborer des réponses rapides, préventives, multidimensionnelles et adaptées à une épidémie d’une ampleur similaire.
En plus des plans de riposte nationaux et régionaux, les gouvernements ouest-africains ont pu compter sur la mobilisation des communautés et de la société civile dont les initiatives ont permis de soutenir les efforts des pouvoirs publics. Cependant, cette apparente résilience de la sous-région ne doit pas occulter les risques des conséquences socio-économiques, politiques et sécuritaires de l’épidémie potentiellement plus problématiques que la crise sanitaire.
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