Auteur : Christine H. Gueye
Site de publication : Sputnik
Type de publication : Entretien
Date de publication : mai 2020
Lien vers le document original
Bien avant l’irruption du Covid-19, d’importants déficits fourragers en Mauritanie, au Sénégal et partiellement au Mali et au Niger avaient déjà fragilisé les activités pastorales. Du fait de la crise sécuritaire dans la zone du Liptako-Gourma, dite des « trois frontières » (Burkina Faso, Mali et Niger), en proie à des attaques djihadistes récurrentes, ou bien dans celle du Bassin du lac Tchad (Niger, Nigeria, Tchad), des difficultés se sont rajoutées avec la fermeture de grands marchés à bétail, l’accès à certains pâturages, de la transhumance limitée ou interdite.
Avec l’arrivée de la crise sanitaire, les autorités de ces pays ont dû fermer les frontières, perturbant le retour des animaux transhumant dans leurs territoires d’origine. Or, selon le dernier bulletin trimestriel du Comité inter-État de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS), «la forte concentration du bétail dans les zones frontalières présente d’importants risques épizootiques et de conflits entre agriculteurs et éleveurs».
Ces restrictions à la mobilité entraînent l’augmentation du prix de la viande dans les villes, tandis que les moyens d’existence des pasteurs ont été fragilisés par la suspension des marchés hebdomadaires.
L’insécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest est-elle aussi grave que le laissent entendre les organisations humanitaires?
Sibiri Jean Zoundi: «Non, on ne peut pas parler de famine pour le moment, mais d’une crise alimentaire et nutritionnelle majeure. Selon nos estimations, 17 millions de personnes sont affectées dans la région Sahel et Afrique de l’Ouest qui compte, en plus des 15 pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la Mauritanie et le Tchad. Si des mesures vigoureuses pour remédier à la crise sécuritaire ne sont pas prises ou bien si les restrictions dues au Covid-19 durent trop longtemps, au total, quatre fois plus de personnes pourraient se retrouver en situation d’insécurité alimentaire.»
Quels sont les pays les plus touchés?
Sibiri Jean Zoundi: «Tous les États dans lesquels une crise sécuritaire prévalait déjà, à savoir le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le nord du Nigeria. Fait nouveau, la Sierra Leone est dedans avec 1,3 million de personnes répertoriées en insécurité alimentaire. Pour la première fois, ce petit pays côtier est à risque. La raison repose sur d’importants chocs économiques (inflation et dépréciation de la devise locale, ndlr) qui commencent également à se poser au Liberia voisin, ainsi qu’en Guinée Conakry.»
Le Covid-19 est-il responsable de cette situation?
Sibiri Jean Zoundi: «La pandémie exacerbe un contexte qui existait déjà. Dès le mois de décembre, nous avons évalué à près de 15 millions le nombre d’individus qui étaient à risque, cette année. En mars, les prévisions sont passées à 17 millions de personnes, sans même que l’impact additionnel du Covid ait été pris en compte pour l’instant. À cause de l’insécurité qui règne dans la région, il y a eu un flux massif de populations déplacées. Le coronavirus aggrave, donc, une situation alimentaire déjà difficile.»
Selon nos estimations, 17 millions de personnes sont affectées dans la région Sahel et Afrique de l’Ouest qui compte, en plus des 15 pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la Mauritanie et le Tchad. Si des mesures vigoureuses pour remédier à la crise sécuritaire ne sont pas prises ou bien si les restrictions dues au Covid-19 durent trop longtemps, au total, quatre fois plus de personnes pourraient se retrouver en situation d’insécurité alimentaire
En plus des mesures d’urgence, il y a des problèmes structurels récurrents qu’il faudrait régler, très vite. Pourquoi n’y a-t-on pas encore remédié?
Sibiri Jean Zoundi: «Le CILSS a vocation à aider ses États membres sur le plan technique. Il ne peut pas se substituer à eux. Or, pour s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest, il n’y a pas que les mesures ayant trait aux changements climatiques qu’il faut prendre en compte. Il faudrait aussi pouvoir atteindre un niveau de développement global satisfaisant grâce, notamment, à l’accès à l’eau, la santé, l’éducation.
Toutefois, n’oublions pas que des États sahéliens déjà confrontés à un problème sécuritaire comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger font face à des tensions budgétaires extrêmes. Les arbitrages sont devenus très compliqués, voire impossibles, du fait de l’empilement des crises sanitaire, alimentaire et sécuritaire.»
Quels sont les recours possibles alors?
Sibiri Jean Zoundi : «Il faudrait une plus grande mobilisation des ressources au niveau interne et davantage de financements souverains pour le secteur agricole. Une étude a établi qu’en 2017, les ressources fiscales des États représentaient 33,2% parmi ses membres, mais seulement 17,2% en Afrique. Ce qui explique, aussi, pourquoi nos pays restent dépendants de l’aide extérieure pour le financement de leurs priorités. C’est un problème, particulièrement en ces temps de repli sur soi des donateurs du fait de la pandémie. Il va falloir que nous remettions tout notre système de collecte de l’impôt à plat.»
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.