Auteurs: Olivier Delas, Eugène Ntaganda
Type de publication: Revue Internationale
Date de publication: 1999
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La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples se distingue des autres instruments internationaux. Elle proclame non seulement des droits, mais également des devoirs, tant sur le plan individuel que collectif. Le contrôle de cette Charte est confié à une Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui est l’organe principal de la Charte. Cependant, vingt ans après son adoption, la Charte africaine ne permet pas encore une mise en œuvre effective des droits de l’Homme sur le continent africain. Un Protocole prévoyant la création d’une Cour a déjà été adoptée par l’OUA, mais son entrée en vigueur a été reportée puisque le nombre d’État l’ayant ratifié demeure malheureusement insuffisant afin de permettre son application.
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples se distingue des autres instruments internationaux. Elle proclame non seulement des droits, mais également des devoirs, tant sur le plan individuel que collectif.
Néanmoins, ce procédé comporte des lacunes institutionnelles en ce qui concerne les mécanismes de garanties procédurales. Les auteurs relèvent non seulement les insuffisances de la Commission, mais également les lacunes sur le statut de la Cour. Ils dégagent les possibilités de ce nouvel instrument tout en déterminant les limites intrinsèques et opérationnelles qui peuvent occasionner une entrave à l’efficience du mécanisme de protection.
Sur le plan normatif, la Charte africaine soulève des interrogations. À cet égard, non seulement elle consacre des droits appartenant à des titulaires différents, soit l’individu et les peuples, mais elle impose également des devoirs à ceux-ci. Cet instrument introduit aussi des droits de la troisième génération, dont le droit à un environnement satisfaisant, à un développement, et à la paix. La cohabitation de principes apparemment antinomiques a donc alimenté de vives controverses dans la littérature juridique.
Les attributions de la Commission sont larges au sens des articles 30 et 45 de la Charte africaine qui ont pour effet d’investir celle-ci de trois fonctions principales, à savoir la promotion des droits de l’homme et des peuples en Afrique, leur protection et l’interprétation de toute disposition de la Charte.
Tout comme la Commission africaine des droits de l’homme, la Cour sera composée de onze juges, celle-ci ne pouvant comprendre plus d’un juge d’une même nationalité. Ces derniers doivent être des ressortissants des États membres, et sont élus à titre personnel pour un mandat de six ans, mandat renouvelable une seule fois.
L’idée d’une Cour dans le cadre du système africain n’est pas nouvelle. En effet, un Congrès réuni sur l’initiative de la Commission internationale des juristes, en janvier 1961, avait endossé la possibilité de créer une telle Cour; cette initiative fut cependant rejetée par les chefs d’État et de Gouvernement de l’OUA. Les tenants de l’approche judiciaire estimaient que la Commission n’avait pas les prérogatives nécessaires à la réalisation de son mandat de protection.
D’ailleurs, dix ans après le début de ses activités, elle n’a toujours pas réussi à assurer une mise en œuvre effective et adéquate des droits reconnus aux citoyens africains. Tout comme la Commission africaine des droits de l’homme, la Cour sera composée de onze juges, celle-ci ne pouvant comprendre plus d’un juge d’une même nationalité. Ces derniers doivent être des ressortissants des États membres, et sont élus à titre personnel pour un mandat de six ans, mandat renouvelable une seule fois.
En effet, un certain nombre de similitudes peuvent être relevées quant à la composition de la Cour africaine et de la Cour américaine des droits de l’Homme. Cette dernière comprend sept juges ressortissants des États membres de l’Organisation des États américains, élus également pour un mandat de 6 ans renouvelable une seule fois et ne peut comprendre plus d’un juge d’une même nationalité.
Quant aux qualifications, aux conditions d’indépendance et aux incompatibilités de fonctions fixées aux juges, celles-ci sont semblables à celles contenues dans les statuts de la plupart des juridictions internationales et régionales. Si selon l’avis unanime de la Cour, un juge ne répond plus à de telles exigences, alors il peut être suspendu ou relevé de ses fonctions. Il est néanmoins regrettable que la Conférence des Chefs d’États et de Gouvernement puisse s’immiscer dans le cadre de cette procédure disciplinaire. Une telle décision de la part des Chefs d’État gouvernement serait perçue comme un désaveu cinglant pour l’ensemble de la Cour.
Celle-ci pourrait venir remettre en doute la légitimité de l’action de la Cour et nuire également à la sérénité de son travail, puisqu’elle se verrait imposer un juge dont elle aurait estimé à l’unanimité qu’il ne réunissait plus les exigences liées à sa charge. Un tel cas aurait pour effet de placer en situation conflictuelle la Cour et la Conférence, ce qui ne manquerait pas d’engendrer des tensions juridiques et politiques peu souhaitables dans le cadre d’un contrôle judiciaire international des droits de la personne.
Dès lors, comme le souligne M. Hamid Boukrif, il aurait été plus adroit de préciser la saisine par la Cour de la Conférence pour demander, dans un rapport motivé, la distribution au lieu et place de la double procédure. C’est d’ailleurs la solution retenue par l’article 73 de la Convention interaméricaine qui stipule que l’Assemblée générale de l’OÉA décide sur requête de la Cour des sanctions à appliquer au juge concerné.
Tout comme ses homologues américaine et européenne, la Cour africaine a une compétence contentieuse et consultative. Selon l’article 3 du Protocole, cette dernière peut connaître de toute affaire relative non seulement à l’interprétation et à l’application de la Charte africaine et du Protocole, mais également de tout autre instrument relatif aux droits de l’homme, ratifié par les États concernés.
La création de la Cour correspond à la volonté de «judiciariser» un processus de contrôle du respect des droits de la personne en Afrique, jusque là dominé par la conciliation.
Il apparaît donc de cette disposition la volonté des rédacteurs de ne pas vouloir limiter la compétence de la Cour au corpus de la Charte africaine et du Protocole. L’article 7 du Protocole réaffirme une nouvelle fois ce principe en ce qui a trait à la compétence contentieuse de la Cour. Il convient de noter que cette avantageuse possibilité offerte à la Cour africaine ne trouve aucun équivalent au niveau de la Cour européenne et de la Cour américaine.
Certes l’absence de l’exigence d’une telle déclaration aurait réduit considérablement les chances de voir adopter ce Protocole. Néanmoins, comme il a été vu précédemment, l’une des raisons de la création de cette Cour est l’inefficacité du système prévu par la Charte africaine. Dès lors, il est quelque peu regrettable que le développement et l’efficacité de ce nouveau système repose principalement sur les acteurs de l’ancien système: la Commission et les États.
La création de la Cour correspond à la volonté de «judiciariser» un processus de contrôle du respect des droits de la personne en Afrique, jusque là dominé par la conciliation. Toutefois, cette dernière ne disparaît pas totalement puisque la Cour peut «tenter de régler à l’amiable les cas qui lui sont soumis conformément aux dispositions de la Charte »84. Certains regretteront peut-être cette possibilité laissée à la Cour, en soulignant que c’est l’insuffisance de ce mode de règlement des litiges a rendu nécessaire l’adjonction d’un volet judiciaire.
Néanmoins, il convient de remarquer que cette procédure offerte à la Cour n’est pas inusitée et qu’elle est présente dans les autres systèmes de protection des droits de la personne, que ce soit devant la Cour interaméricaine ou la Cour européenne. Mais il est dommage qu’à la différence de ces deux juridictions, il ne soit pas fait obligation à la Cour de poursuivre l’examen de l’affaire si le respect des droits de la personne l’exige, nonobstant tout accord entre les parties.
Lors de l’examen des requêtes, bien que la Cour ait la possibilité de tenir des audiences à huis clos, dans des conditions que devra préciser son règlement intérieur, le principe établi par le Protocole est qu’elles doivent être publiques.
Quant aux conditions de recevabilité des requêtes, le Protocole ne donne que peu de détails, si ce n’est l’article 6(1) qui souligne que la Cour peut, avant de statuer sur la recevabilité, solliciter l’avis de la Commission. Par conséquent, la Cour devra fixer dans son Règlement intérieur les conditions d’examen des requêtes, «en tenant compte de la complémentarité entre elle et la Commission». Comme il sera vu ultérieurement, il est ici regrettable que le Protocole ait laissé le soin au Règlement intérieur de préciser quelle forme devrait prendre cette complémentarité.
Lors de l’examen des requêtes, bien que la Cour ait la possibilité de tenir des audiences à huis clos, dans des conditions que devra préciser son règlement intérieur, le principe établi par le Protocole est qu’elles doivent être publiques. Certes une telle disposition est généralement la règle devant une juridiction, toutefois, dans le contexte de la Charte africaine, celle-ci mérite d’être relevée. En effet, comme il a déjà été mentionné, l’activité de la Commission a manqué de transparence et de publicité; ainsi, durant les premières années de son mandat, l’examen des communications individuelles se faisait à huis clos et les observations sur ces communications ne furent diffusées qu’à partir de 1994.
Au cours de cette procédure, la Cour africaine peut ordonner, conformément à l’article 27(2), des mesures provisoires, en cas d’extrême gravité ou d’urgence, et lorsqu’il est nécessaire d’éviter des dommages irréparables. Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’intérêt que peuvent représenter les mesures provisoires pour un requérant, notamment dans les cas d’éloignement du territoire. Mais il mérite d’être souligné, que la Cour africaine, comme la Cour interaméricaine, ordonne ces mesures provisoires. Le Protocole s’éloigne donc judicieusement du modèle retenu pour le Comité des droits de l’Homme et pour la Cour européenne, où ces mesures ne sont que des indications ou des invitations que les États ne suivent pas toujours.
Pour que la Cour puisse examiner l’affaire, sept juges au moins doivent siéger. Les juges font un examen contradictoire de la requête, procèdent à une enquête si nécessaire, et peuvent recevoir tous moyens de preuve, y compris des témoins. Suite à l’examen de la requête, la Cour rend un arrêt motivé à la majorité des juges présents, précisant en cas de violation d’un droit de la personne, les mesures afin d’y remédier. Cet arrêt est définitif, mais si de nouveaux éléments de preuve sont portés à son attention, la cour pourra alors réviser son arrêt. Les États parties au Protocole s’engagent à respecter les arrêts de la Cour, le Conseil des ministres de l’OUA, au nom de la Conférence, veillant à leur exécution.
La principale faiblesse de ce Protocole tient en ce qu’il ne re-conceptualise pas et surtout ne réorganise pas l’ensemble du système de protection des droits de la personne en Afrique. Celui-ci ne fait que juxtaposer un contrôle judiciaire à l’ancien système qui reposait sur la Commission et la Conférence, sans jamais prévoir des règles de fond permettant d’assurer une complémentarité ou tout au moins une certaine harmonisation.
La réforme entreprise par le Protocole est limitée dans la mesure où, d’une part, le nouveau système n’existe que concurremment à celui prévu par la Charte Africaine et, d’autre part, car son succès est largement conditionné au volontarisme des États.
La principale faiblesse de ce Protocole tient en ce qu’il ne re-conceptualise pas et surtout ne réorganise pas l’ensemble du système de protection des droits de la personne en Afrique. Celui-ci ne fait que juxtaposer un contrôle judiciaire à l’ancien système qui reposait sur la Commission et la Conférence, sans jamais prévoir des règles de fond permettant d’assurer une complémentarité ou tout au moins une certaine harmonisation. Sans qu’il soit ici question d’envisager les améliorations dont aurait pu faire l’objet le système prévu par la Charte, il convenait de s’assurer qu’il ne vienne pas obérer cette volonté de «judiciariser» les moyens de contrôle.
Tel ne semble pas être le cas à deux égards. D’une part, rien n’est réellement prévu par le Protocole quant à une répartition des compétences entre la Commission et la Cour, permettant de conclure que celle-ci serait effectivement au sommet d’un système désormais judiciaire. D’autre part, cette judiciarisation trouve son principal handicap dans le fait que la Conférence, organe politique, occupe toujours une place centrale pouvant directement concurrencer la Cour.
Comme il a été examiné précédemment, la Commission dispose d’un certain nombre de prérogatives dans le cadre de la Charte. Or le Protocole ne précise pas comment ces dernières s’articulent avec celles de la Cour, se contentant sur ce point de renvoyer au futur Règlement intérieur de celle-ci. En effet, il n’est prévu aucun critère permettant de savoir dans quels cas la Commission peut saisir la Cour ou, au contraire, transmettre un rapport pour décision et publication à la Conférence, conformément au mécanisme de la Charte.
De même, il n’est nullement précisé les conditions dans lesquelles la Cour saisie d’une requête devra choisir de la renvoyer devant la Commission. Le fait de renvoyer au Règlement intérieur de la Cour pour régler ces problèmes ne semble pas être une solution satisfaisante et surtout efficace. Outre le fait qu’il s’agisse d’un bien lourd fardeau pour une jeune juridiction, la Cour ne pourra par ce moyen qu’adapter et moduler l’exercice de ses compétences à celles de la Commission telles que définies par la Charte.
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