Auteur (s): Nina Krotov-Sand et Franziska Sopha
Organisation (s) affiliée (s): Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP)
Type de publication: Note d’analyse
Date de publication: 14 décembre 2016
Le 15 septembre 2016, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé un revirement historique du processus de sélection et de hiérarchisation des affaires de la Cour. Aussi, le document de politique générale publié ce même jour par la CPI indique-t-il que désormais, le Bureau « s’’intéressera particulièrement aux crimes (…) impliquant ou entraînant, entre autres, des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains ».
Naturellement, cette revendication de la compétence de la Cour fut vivement saluée par les ONG et activistes environnementaux. Bien souvent, l’abattage des éléphants et des rhinocéros a attiré l’attention sur le trafic illégal des animaux sauvages et sur les dangers que l’extinction de ces espèces comporterait pour l’homme et son environnement. Cependant, le spectre des actes illégaux susceptibles de nuire à l’environnement est autrement étendu. La liste figurant dans le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) de 2014 met ainsi en évidence des crimes moins connus, répartis en 5 catégories :
- L’exploitation forestière illégale et la déforestation
- La pêche illicite
- L’exploitation minière illégale et le trafic des minerais
- Le déversement et le commerce illégal des déchets dangereux et toxiques
- Le braconnage des animaux et des plantes sauvages
Tous les actes qui menacent ou détruisent les ressources naturelles ne sont cependant pas automatiquement qualifiés de « crimes environnementaux ». Pour être désigné en tant que tels, il doit s’agir d’un acte illégal violant la législation existante dans la zone concernée. Or, dans de nombreux pays, les législations en la matière s’avèrent lacunaires, manquent de cohérence et pâtissent en outre du manque d’harmonisation à l’échelon régional ou international.
Aussi, le constat de l’explosion des crimes environnementaux au cours des dernières décennies a-t-il inspiré le rapport co-écrit par le PNUE et INTERPOL, publié en 2016 et intitulé « The rise of environmental crime: A growing threat to natural resources, peace, development and security ». Avec une activité dont la croissance est estimée 2 à 3 fois plus rapide que celle de l’économie globale, les montants concernés par ces trafics auraient grimpé de 26 % depuis 2014 pour atteindre, en 2016, une valeur estimée entre 91 et 259 milliards de dollars, faisant ainsi des trafics issus du crime environnemental le quatrième marché criminel mondial.
Toutefois, outre la volonté d’alerter sur l’augmentation des crimes environnementaux et leurs coûts divers, la publication de datas de plus en plus précises et la formulation de rapports officiels traduisent-elles également la prise de conscience progressive du phénomène de « crime environnemental » – ce dont témoigne par ailleurs la multiplication des textes juridiques ayant vocation, précisément, à criminaliser les actes nuisibles à l’environnement.
Tous les actes qui menacent ou détruisent les ressources naturelles ne sont cependant pas automatiquement qualifiés de « crimes environnementaux ». Pour être désigné en tant que tels, il doit s’agir d’un acte illégal violant la législation existante dans la zone concernée
Dans ce contexte, la récente annonce de la CPI ainsi que la publication pionnière d’un rapport de L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), intitulé « World Wildlife Crime Report 2016: Trafficking in protected species », marquent un tournant politique majeur illustrant la volonté de s’attaquer aux auteurs de ces pratiques qui, outre les menaces engendrées en termes de préservation des ressources naturelles et des écosystèmes complexes, compromettent aussi la sécurité humaine, le développement et la paix.
L’Afrique de l’Ouest, moins touchée par les crimes les plus médiatisés – tels que ceux commis sur les pachydermes – n’en demeure pas moins confrontée à l’augmentation des crimes environnementaux transnationaux. Ainsi, l’objectif de cette note est de proposer une cartographie des pratiques et enjeux associés à la criminalité environnementale dans la région ouest-africaine. Après un état des lieux des principaux trafics traversant cet espace régional, cette analyse aborde plus en détail les enjeux associés à la criminalité forestière et la pêche illicite, ainsi que, en filigrane, leurs impacts sur la paix et la sécurité régionales. Enfin, ce papier propose un examen synthétique des divers mécanismes de lutte et de coopération existants ou envisagés.
L’Afrique de l’Ouest : une zone de transit
Les pays côtiers, et en particulier les grands ports d’Afrique de l’Ouest, constituent des zones de transit pour les diverses denrées issues du trafic illégal et des crimes environnementaux. Par exemple, le port de Lagos au Nigeria est un point de passage notoire du commerce de l’ivoire et de la corne de rhinocéros. Plus généralement, l’on constate que de nombreux produits en provenance d’Amérique latine et d’Afrique australe – tels que les essences de bois précieux, les animaux et plantes sauvages – transitent par l’Afrique de l’Ouest avant de poursuivre leur route vers l’Europe.
Aussi, le rapport publié en 2016 par l’ONUDC révèle-t-il des chiffres impressionnants. Entre 2007 et 2014, ce sont plus de 17 000 kg d’ivoire qui ont ainsi été saisis en Afrique de l’Ouest, majoritairement au Nigeria et au Togo, mais aussi au Ghana, en Côte d’Ivoire et en Guinée. Par ailleurs, le commerce lié à la contrebande de gibier prospère dans cette zone régionale – à l’exception notable de la Mauritanie et du Niger – tandis que le trafic de déchets toxiques et dangereux tend à prendre de l’ampleur, notamment au Nigeria, au Ghana, au Burkina Faso, au Sénégal, en Guinée et en Côte d’Ivoire, qui ont émergé comme les principales destinations d’enfouissement et de stockage de ces déchets.
L’Afrique de l’Ouest, moins touchée par les crimes les plus médiatisés – tels que ceux commis sur les pachydermes – n’en demeure pas moins confrontée à l’augmentation des crimes environnementaux transnationaux
Toutefois, outre son statut de zone de transit des produits issus des crimes environnementaux, l’Afrique de l’Ouest est également victime de cette criminalité, principalement liée, dans cette zone spécifique, à l’exploitation forestière illégale et à la pêche illicite.
La criminalité forestière : le bois de rose au centre des trafics
La criminalité forestière concerne non seulement l’abattage des bois, mais aussi toutes les activités et pratiques connexes à ce trafic, depuis la falsification de permis d’exploitation jusqu’au transport des bois et leur exportation. Cette vaste entreprise criminelle prospère donc au gré de pratiques frauduleuses, incluant notamment le blanchiment du bois et des revenus issus de ce trafic, la fraude fiscale, le versement des pots-de-vin ou encore le piratage des sites Internet gouvernementaux aux fins, par exemple, de l’obtention de permis de transport.
Ainsi, les ressources forestières franchissent de nombreuses étapes qui, in fine, tendent à entraver la traçabilité de la filière et des réseaux qui la contrôlent. En pratique, le bois extrait illégalement se trouve souvent inséré dans le circuit légal d’exploitation durant son transport, ou encore lors des opérations de transformation dans les scieries.
En ce sens, l’on constate que la liberté de circulation en vigueur dans la zone CEDEAO supplée ces réseaux criminels en permettant aux trafiquants de se déplacer aisément à l’intérieur de la région et ainsi, d’organiser leurs activités en fonction des ressources disponibles et des régulations en vigueur dans chacun des pays membre. Aussi, et en raison de cette démarche « à la carte », le pays d’extraction du bois et celui de son exportation varie-t-il souvent, rendant ainsi la détection de ces réseaux et les poursuites judiciaires particulièrement ardues.
L’exploitation illégale du bois est une activité génératrice de revenus non négligeables ; ainsi, entre juillet et septembre 2015, une opération INTERPOL menée dans neuf pays de la zone a conduit à une saisie de bois de rose exploité illégalement dont la valeur fut évaluée à hauteur d’environ 216 millions de dollars. Dès lors, et par-delà les pertes directes en termes de production, d’exportation et de contribution au revenu national, le profit tiré des crimes environnementaux, en échappant de fait à tout système de taxation, nuit immanquablement à l’économie nationale et régionale.
Par ailleurs, outre les manques à gagner pour les États concernés, le potentiel déstabilisateur et conflictogène des crimes forestiers est accru par le fait qu’ils contribuent de manière significative au financement de réseaux criminels transnationaux et des groupes armés sévissant dans la région. Un cas bien connu de ce phénomène est celui du « bois de sang » – ou « bois de conflit » – libérien, dont les revenus ont alimenté les deux guerres civiles du Libéria au cours des décennies 1990 et 2000.
Des cas plus récents de trafics de bois nourrissant des luttes et rébellions armées sont notamment le conflit en Casamance, une région forestière du Sénégal enclavée entre la Gambie et la Guinée-Bissau. Entre 2011 et 2013, la Gambie – dépourvue de réserves forestières – a exporté d’importants volumes de bois exotiques en provenance de la Casamance, dont on estime qu’au moins 95 % pourraient être classés comme étant du « bois de conflit ». Ainsi, et jusqu’à récemment encore, le bois illégalement exporté par la Gambie permettait de contourner l’interdiction d’exportation en vigueur dans la région de la Casamance afin, notamment, de freiner le phénomène de la déforestation et surtout, d’endiguer les dynamiques conflictuelles qui secouent la région.
La liberté de circulation en vigueur dans la zone CEDEAO supplée ces réseaux criminels en permettant aux trafiquants de se déplacer aisément à l’intérieur de la région
La pêche illicite: un facteur de déséquilibres régionaux
Les 67 000 km de côtes ouest-africaines figurent parmi les plus poissonneuses au monde. Aussi, le secteur de la pêche constitue-t-il une source essentielle de revenus et joue un rôle économique non négligeable ; malgré sa part relativement faible dans le PIB des pays de la zone – entre 0,2% en Côte d’Ivoire et 10,2% en Sierra Léone en 2013 – le secteur halieutique est le premier pourvoyeur d’emploi en Afrique de l’Ouest. Partant, le pillage organisé des fonds marins met en péril tant la sécurité alimentaire régionale que le secteur de la pêche artisanale.
Selon les estimations du PNUE, la valeur de la pêche « illégale, non déclarée et non réglementée (INN) » dans les eaux ouest-africaines – laquelle représente entre un tiers et la moitié de la prise totale effectuée dans la zone – est estimée à au moins 1,3 milliards de dollars par an. En pratique, les zones les plus durement touchées par le phénomène de la pêche INN en Afrique de l’Ouest sont les eaux sénégalaises, guinéennes et sierra-léonaises. Toutefois, les pays côtiers ne sont pas les seuls à souffrir de cette activité ; ainsi, le Burkina Faso et le Mali, dépendants des importations des produits halieutiques de leurs voisins, pâtissent également de la pêche illicite.
En Guinée particulièrement, les pêcheurs artisanaux se trouvent confrontés à la concurrence de navires étrangers, notamment des chalutiers russes et chinois en quête de courbine jaune. Ce poisson, classé par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), est particulièrement prisé en Asie. Or, depuis 2008 et en raison de la surpêche de ce poisson dans les eaux chinoises, un nombre croissant de chalutiers chinois sillonnent les eaux guinéennes et s’adonnent à des activités de pêche illicite dont les conséquences s’avèrent désastreuses pour la pêche artisanale locale.
Entre 2011 et 2013, la Gambie – dépourvue de réserves forestières – a exporté d’importants volumes de bois exotiques en provenance de la Casamance, dont on estime qu’au moins 95 % pourraient être classés comme étant du « bois de conflit »
La situation semble s’être encore aggravée lors de l’épidémie Ebola, qui a dévié l’attention de cette problématique. En 2014, une campagne d’un mois réalisée par Greenpeace dans les eaux guinéennes a permis d’identifier la présence d’un chalutier chinois illégal tous les deux jours. Toutefois, la Guinée n’est pas le seul pays concerné : les cas de pêche INN rapportés par Greenpeace et la Fondation pour la justice environnementale sont nombreux. En 2016, une mission de patrouille de quatre jours, co-financée par l’Union européenne et la Banque mondiale et conduite le long de la façade atlantique de la Guinée, de la Guinée-Bissau, de la Gambie et du Sénégal, a permis d’appréhender deux chalutiers chinois pris en flagrant délit de pêche illégale. Au total, 80 bateaux de pêche ont été contrôlés, dont quinze ont été arraisonnés.
On dénombre par ailleurs une multiplication des altercations entre pêcheurs artisanaux et illégaux d’une part, ainsi que des attaques armées menées contre les pêcheurs locaux d’autre part. Enfin, et de plus en plus, les pêcheurs traditionnels ont eux-mêmes recours à des techniques de pêche interdites afin de compenser les pertes générées par la pêche INN. En effet, la corrélation entre la perte d’emploi et des moyens de subsistance d’une part, et d’autre part, la reconversion des pêcheurs locaux à des activités illicites – dont notamment les attaques de navires pétroliers pour le vol de pétrole brut – est désormais un fait établi.
Vers un développement des instruments de lutte contre la criminalité environnementale
Face à l’exploitation effrénée des ressources maritimes, l’Union africaine (UA) a formulé en 2012 une « Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans – horizon 2050 »(Stratégie AIM 2050). Proposant « un vaste cadre de protection et d’exploitation durable de l’espace maritime africain », la Stratégie se propose en pratique d’élaborer « d’importants plans d’actions, concertés, cohérents, à long terme et multidimensionnels, qui visent à atteindre les objectifs fixés par l’UA afin d’accroître la viabilité maritime » sur le continent.
Ce cadre d’action global est complété par un panel d’instruments et d’initiatives régionaux visant à lutter contre les crimes environnementaux – et en particulier, contre la pêche INN et la criminalité forestière – en Afrique de l’Ouest ; adoptée à Yamoussoukro en mars 2015, la « Stratégie maritime intégrée » (SMI) de la CEDEAO et son Action n° 4.2 affirment ainsi l’ambition de « prévenir et combattre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) ».
En 2014, une campagne d’un mois réalisée par Greenpeace dans les eaux guinéennes a permis d’identifier la présence d’un chalutier chinois illégal tous les deux jours
Toutefois, la coopération ouest-africaine en matière de gouvernance environnementale et maritime demeure contrainte par divers facteurs – tels que la sauvegarde des prérogatives de souveraineté, les conflits passés et présents articulés, notamment, autour de différends frontaliers – lesquels font obstacle à une coopération et une intégration régionale, économique et politique plus approfondie. Pour autant, certaines avancées positives nuancent un tel constat.
Ainsi, et afin de surmonter ces difficultés et envisager un cadre d’action commun et coordonné de lutte contre le trafic illicite du bois de rose, une réunion d’échange entre les représentants de onze pays de la CEDEAO s‘est tenue en mars 2016. Les participants ont ainsi formulé une liste de recommandations visant notamment l’amélioration de la législation en la matière, l’établissement d’un dialogue avec la Chine ainsi que l’inscription du bois de rose dans l’annexe II (en lieu et place de l’annexe III) de la CITES. En pratique, on constate que cette rencontre a eu des répercussions favorables, comme en témoigne l’évolution de l’action du gouvernement de la Guinée-Bissau.
Toutefois, les revendications de la société civile peuvent se faire plus vindicatives. Au Niger par exemple, le Mouvement pour la justice et la réhabilitation du Niger – un groupe armé méconnu jusqu’en septembre 2016 – a menacé de « s’attaquer au Niger » en représailles du non-respect des droits fondamentaux de la communauté des Toubous, dont le mode et l’environnement de vie ainsi que les moyens de subsistance sont mis en péril par les dégâts écologiques causés par l’exploitation pétrolière. Cet exemple met dès lors en exergue les difficultés inhérentes à la volonté de criminaliser la destruction de l’environnement, ainsi que la complexité des moyens requis à cette fin.
La corrélation entre la perte d’emploi et des moyens de subsistance d’une part, et d’autre part, la reconversion des pêcheurs locaux à des activités illicites – dont notamment les attaques de navires pétroliers pour le vol de pétrole brut – est désormais un fait établi
Conclusion
Ces dernières années ont témoigné d’un intérêt tout à fait inédit pour cette problématique. Aussi, sa mise à l’agenda – tant médiatique que politique et juridique – ainsi que la mobilisation d’une société civile autour de la défense de l’environnement ont-elles contribué et soutenu le développement d’outils nationaux et multilatéraux destinés à lutter contre le phénomène de la criminalité environnementale. En dépit de certaines idées reçues, l’Afrique – et notamment l’Afrique de l’Ouest – n’est pas demeurée en marge de ce mouvement. À titre d’illustration, le projet de Charte adopté à l’occasion du Sommet de Lomé sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement en Afrique tenu en octobre 2016 a prévu l’instauration de mécanismes régionaux de coopération en matière de prévention et de répression de la criminalité maritime nationale et transnationale.
Toutefois, ces initiatives demeurent entravées par un manque de consensus persistant, notamment lié à des intérêts nationaux et régionaux divergents. À ce titre, le récent retrait de plusieurs États africains des Statuts de la CPI est de nature à tempérer l’engouement suscité par ces diverses avancées. Par conséquent, il semble que le spectre d’une reconnaissance universelle du crime d’« écocide » ainsi que la création d’une Cour pénale internationale de l’environnement, tels qu’appelés de leurs vœux par la CPI et divers mouvements citoyens, demeure encore lointain.
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