Auteurs : Adou Paul Venance
Organisation affiliée : World Wide Journal of Multidisciplinary Research and Development
Type de publication : Article scientifique
Date de publication : 2017
Lien vers le document original
Dans ce contexte-ci, nous sommes dans une réalité socialement construite par les autochtones d’Abidjan depuis environ deux siècles. Il s’agit d’une gestion du foncier2 basée sur l’alternance au pouvoir par les classes d’âge constitutives de la communauté Ebrié. Les classes d’âge sont le reflet des traits caractéristiques du peuple qui dans un processus cyclique parviennent tour à tour à la gestion du terroir.
La configuration de la démocratie chez les kyaman
La classe d’âge est un concept qui désigne chez les peuples lagunaires issus de la Côte d’Ivoire une association politique dont l’objectif est l’exercice du pouvoir. De surcroît, elle est aussi une institution économique et militaire qui associe les individus de même tranche d’âge. Par conséquent, la constitution de la classe d’âge est conditionnée par des rites de passage appelés « initiation » 16. L’initiation prend la forme d’épreuves physiques. Elle est aussi liée à une formation morale, politique, artistique et économique. Les Kyaman possèdent quatre (04) classes d’âge : Dougbo, Tchagba, Blessoué, Gnando.
Ainsi, une durée invariable sépare deux classes d’âge voisines. Elle est de seize ans et à l’issue de ce temps une nouvelle classe d’âge est initiée à la gestion du terroir. Le cycle initiatique de l’ensemble des classes d’âge est donc de soixante-quatre (64) ans. Le cycle des classes d’âge est réglé suivant un protocole rigoureux grâce auquel la société politique procède à un perpétuel renouvellement.
L’appartenance à une classe d’âge implique la stricte observance d’un devoir de solidarité, de discipline et de fidélité. Au sein de chaque promotion, l’égalité théorique est matérialisée par la solidarité, la discipline et la fidélité. Au sein de cette organisation sociale, l’égalité théorique est altérée par une hiérarchie entre aînés, puînés, cadets et benjamins et par la désignation de responsables chargés d’en assurer la conduite.
Actuellement, dans les villages Ebrié, la tendance est au choix des chefs instruits. Car la chefferie n’est plus un simple poste coutumier, mais elle compte des enjeux stratégiques qui minent le système foncier
La hiérarchie au niveau des sous-classes d’âge existe seulement à des fins éducatives et culturelles. Le rapport dominant et dominé est constaté rappelons le entre deux classes d’âge rivales. Un jeu de soutien et de rivalité allie ou sépare les membres de la société en fonction de la classe d’âge à laquelle ils appartiennent.
Dans la communauté Kyaman, l’institution des classes d’âge conduit à un exercice collégial du pouvoir. Cette collégialité est manifestée au sein des classes d’âge et dans leurs relations entre elles. Le groupe d’âge est solidaire et identifié au pouvoir qu’il exerce pendant un temps limité et invariable.
Le chef de village ou Akoubé-ôté est choisi au sein du groupe des hommes mûrs par ses compagnons de classe d’âge. Le choix est ensuite soumis à l’approbation du Nana.
Actuellement, dans les villages Ebrié, la tendance est au choix des chefs instruits. Car la chefferie n’est plus un simple poste coutumier, mais elle compte des enjeux stratégiques qui minent le système foncier. En tant que structure habilitée à défendre les intérêts des Populations tant au niveau des villages qu’au niveau de l’État, elle doit être capable de faire une analyse claire des contextes villageois et urbains en matière de cadastre.
La dominance sociale, une réalité dans la gestion du pouvoir
Le mode de gestion du foncier repose sur le principe de dominance sociale. Ce sont les aînés sociaux « dominant » Dougbo et Tchagba qui sont en charge de la régulation du terroir, surtout des retombées économiques liées à la marchandisation des terrains dans les localités étudiées. Tant au niveau de la chefferie que dans la famille, l’emprise de ces derniers sur les ressources financières de la communauté est totale. Ils occupent une position sociale honorable. De par leur statut, les aînés sociaux constitués de membres de la chefferie et de chefs de famille bénéficient de plus privilèges économiques que les cadets.
Les aînés sont les détenteurs des biens sociaux (meubles, immeubles et véhicules). Des fonds sociaux sont mis en place dans les villages pour les épauler en situation de crise économique et sanitaire. Ils bénéficient aussi des allocations financières annuelles. De même, au sein des familles, le privilège accordé aux aînés sociaux se démontre davantage à travers le rôle du chef de famille.
Les cadets sociaux issus des « classes d’âge subalternes » 30 n’ont pour source de revenus que l’héritage parental. Cette situation se laisse entrevoir chez certains « Bléssoué » pères de famille qui vivent dans la promiscuité dans la maison de leurs parents. Ils sont tenus en marge de la répartition de l’argent généré par la gestion du foncier villageois et familiale.
À travers la hardiesse des cadets sociaux à arpenter avec peine la raideur de l’échelle sociale, ceux-ci prouvent leur aptitude être de bons substituts au moment opportun. Cependant, ceux-ci ont droit à une allocation comme le prévoit la tradition.
Elles [les femmes] aussi sont socialement reparties en classe d’âge identique à celles des hommes, mais avec un fonctionnement communautaire souvent parallèle. Deux points d’ancrage allient la société femmes à celle des hommes, il s’agit de la chefferie et de l’économie. En effet, il n’y a un chef de village dans la société Kyaman. Il est toujours de genre masculin, mais son autorité s’applique au deux sexes. Car contrairement aux autres communautés du groupe des lagunaires en Côte d’Ivoire, celle des kyaman est patrilinéaire.
Des spécificités de la « démocratie Kyanman »
Au niveau de la chefferie, les chefs de villages et les notables sont issus de la classe d’âge Tchagba. Le conseil des sages et le doyen d’âge sont quant à eux, aux mains des membres de la classe d’âge Dougbo. Le comité politique actif est constitué que des membres de la classe d’âge Tchagba. Ceux-ci sont les garants et les dépositaires de la tradition dans la gestion de la gestion du foncier local. Le chef et les notables sont les régulateurs des décisions prises au sommet par le doyen d’âge.
Nous pouvons appréhender la chefferie comme une instance qui reflète la morphologie sociale de la société Kyaman. Elle est surtout une tribune politique où les classes d’âge du village viennent subir une sorte d’évaluation collective. La classe d’âge au pouvoir doit faire preuve de son aptitude à exercer et à maîtriser le « jeu politique » dans la société.
De même que nous devons rendre compte de nos actes devant Dieu à la fin de notre existence, de même à la fin de chaque mandat ceux qui à la charge du foncier communautaire vont aussi rendre compte de leurs actes dans le village
La gestion du foncier par les classes d’âge obéit au « mythe du jugement dernier ». Il s’agit d’une allégorie qui enseigne qu’au terme de toute vie, advient un jugement divin pendant lequel l’homme est puni ou récompensé en fonction de ses actes.
De plus, Monsieur Aké le responsable du comité local de gestion du foncier de Djrogobité le reconnaît en ces termes « De même que nous devons rendre compte de nos actes devant Dieu à la fin de notre existence, de même à la fin de chaque mandat ceux qui à la charge du foncier communautaire vont aussi rendre compte de leurs actes dans le village ».
Dans la démocratie Kyaman, le mandat d’exercice du pouvoir est fixé à durée de quinze à vingt ans (15 à 20 ans). Pour les cadets sociaux qui aspirent à une gestion prochaine du pouvoir ce délai, s’avère long et éprouvant, surtout qu’ils doivent se soumettre à la volonté des aînés. Ils perçoivent leur situation comme une emprise, ce qui les rend adeptes de l’idée d’une justice sociale.
Conclusion
Comme tout modèle de démocratie, celle des Kyaman est respectueuse de certains principes notamment d’une durée de gouvernance et une d’une alternance au pouvoir dans un processus cyclique de gestion du terroir. L’ascension sociale est d’ordre collégial et obéit à la séniorité. Ensuite, l’originalité du système politique Kyaman est garantie par « les mythes légitimisateurs » 46 tels que l’immuabilité du pouvoir des anciens et la justice sociale visant à restaurer l’intégrité du pouvoir enfin de chaque mandat.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.