Auteur (s) : Massimo Hulot and Côme Salvaire
Organisation Affiliée : Urbanistes du Monde
Type de Publication : Étude
Date de Publication : Septembre 2015
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Introduction: La gouvernance à Lagos
Lagos, nouvelle capitale économique de l’Afrique
Lagos, nouvelle capitale économique de l’Afrique, est une ville en plein essor. Située au sud-est du pays, elle abrite aujourd’hui environ 21 millions de citadins, attirant continuellement des migrants de tout le Nigeria et des pays frontaliers, le taux annuel de croissance urbaine atteignant 6 à 7%. La croissance démographique de Lagos – qui accueille chaque année l’équivalent de la population de Bordeaux – doit également se comprendre au regard des tendances nationales, le Nigeria abritant aujourd’hui 170 millions d’habitants, en passe de devenir le troisième pays du monde à l’horizon 2050 avec près de 400 millions d’habitants (ONU).
Après avoir procédé au réajustement du calcul de son PIB, le Nigeria est devenu en 2014 la première puissance économique d’Afrique devant l’Afrique du Sud, avec un PIB estimé à 568 milliards de dollars en 2014, selon la Banque Mondiale (soit environ 1/5 du PIB de la France). Si les chiffres sont moins précis dans le cas de l’État de Lagos, les estimations avancent un PIB de 80 milliards de dollars, équivalent à ceux combinés du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Cameroun. Lagos apparaît donc comme le pilier de l’économie nigériane, et le pôle économique de l’Afrique subsaharienne.
Structures de gouvernance
Le Nigeria est un pays fédéral, composé de 36 États, chacun disposant d’un gouvernement subdivisé en zones de gouvernement local (LGA). L’État de Lagos comprend 20 gouvernements locaux, et l’aire métropolitaine s’étend aujourd’hui sur 16 de ces gouvernements. Néanmoins, le paysage politique local doit se comprendre au regard des 37 LCDA (Local Community Development Areas) de L’État de Lagos, subdivisions des gouvernements locaux, non reconnues par L’État central.
Cette ambivalence administrative ne fait que refléter une longue tradition de rivalité politique entre l’Etat central et l’Etat de Lagos. Cette rivalité de longue date s’est traduite par une réduction des budgets alloués à l’Etat de Lagos pendant la succession de gouvernements militaires, des années 1970 à la fin des années 1990. En 1991, la nomination d’Abuja comme nouvelle capitale politique a achevé la volonté nationale de limiter le pouvoir de l’Etat de Lagos.
De la même manière, le recensement démographique au sein de l’Etat de Lagos est sujet à controverse : la Commission Nationale du Nigéria a estimé la population de l’Etat de Lagos à 11 millions en 2006, chiffre contesté par l’Etat de Lagos qui avance des statistiques démographiques bien plus importantes.
Néanmoins, le réel tournant s’est opéré en 1999, quand la fin de la succession des régimes militaires a permis à l’Etat de Lagos de commencer à mettre en place de véritables structures de gouvernance urbaine, à l’heure où la provision des services publics devenait un enjeu criant.
Cela s’est d’abord traduit par une sensible amélioration de la collecte de l’impôt, permettant de financer la création de nouvelles agences métropolitaines, également soutenues par les bailleurs de fond et banques panafricaines (Sterling Bank, First Bank). De façon globale, les structures métropolitaines ont des fonctions sectorisées, répondant aux ministères concernés, en charge d’édicter les priorités, lorsque les LGA et LCDA sont responsables de l’implantation locale des directives énoncées par les agences.
Si les chiffres sont moins précis dans le cas de l’État de Lagos, les estimations avancent un PIB de 80 milliards de dollars, équivalent à ceux combinés du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Cameroun. Lagos apparaît donc comme le pilier de l’économie nigériane, et le pôle économique de l’Afrique subsaharienne
Ainsi, la Lagos Waste Management Authority (LAWMA) fut créée dans le courant des années 1990, devenant réellement compétente au milieu des années 2000. Sous tutelle du ministère de l’Environnement, la LAWMA est responsable de la collecte et du traitement des déchets solides domestiques, commerciaux, médicaux et industriels sur tout le territoire de l’Etat de Lagos.
Cartographie des acteurs de la gestion des déchets
La gestion des déchets à Lagos, un défi majeur
Lagos génère aujourd’hui 10000 à 13000 tonnes de déchets par jour. Dans une ville qui a reçu en 1983 le titre de “ville la plus sale du monde” dans le Guinness Book of Records, la question de la gestion des déchets se soulève de façon fondamentale. Aux défis sanitaires et environnementaux provoqués par l’amoncellement des déchets s’ajoute le risque majeur d’inondation dans une ville portuaire située sur une lagune, où les habitats sont majoritairement construits sur des sols marécageux.
Aussi, la question des déchets s’insère de façon cruciale dans la problématique de la régulation de l’espace public, dans une ville extrêmement congestionnée où les habitants passent plusieurs heures dans les embouteillages. L’omniprésence du secteur informel, qui représente 11 Schéma des acteurs de la filière à Lagos près de 60% de l’économie de la ville, se retrouve naturellement dans la gestion des déchets.
La Lagos Waste Management Authority (LAWMA)
En théorie le cahier des charges de la LAWMA est très précis. Pour ce qui est des déchets solides domestiques, l’agence se positionne en tant qu’instance de supervision et de contrôle. Elle s’assure donc du bon fonctionnement de la collecte opérée par les opérateurs privés en charge de la collecte (PSP), par une prise d’information directe auprès des usagers, grâce à un service téléphonique qui reçoit les plaintes des habitants dont les déchets n’auraient pas été collectés à temps.
L’émergence des start-up vertes, promotrices du “waste to wealth”
Fondée en 2012, Wecyclers est une start-up qui a connu un succès fulgurant et une grande reconnaissance à l’international, enchaînant les prix et trophées de fondations, tels que le Cartiers Women’s Initiative Award.
Son modèle économique repose sur une stratégie incitative : pour les familles, le recyclage est promu comme une opportunité économique, grâce à un système de collection de points en fonction de la quantité de matériaux récupérés chez chacun. Les individus sont ensuite informés par SMS des points qu’ils ont accumulé, qui leur permettent au fil du temps de se voir remettre des cadeaux (grille-pain, générateur, paquets de nouilles, etc.).
Cette ambivalence administrative ne fait que refléter une longue tradition de rivalité politique entre l’Etat central et l’Etat de Lagos. Cette rivalité de longue date s’est traduite par une réduction des budgets alloués à l’Etat de Lagos pendant la succession de gouvernements militaires, des années 1970 à la fin des années 1990
Wecyclers propose donc de récupérer les déchets recyclables (canettes en aluminium, bouteilles en plastiques et sachets plastiques d’eau) à la source. Les déchets sont collectés en vélos triporteurs. Le choix du vélo comme moyen de locomotion reflète deux axes majeurs de l’activité de Wecyclers : la protection environnementale avec un véhicule non polluant, et l’accès aux quartiers défavorisés dont les rues étroites ne peuvent être desservies par les camions poubelles. Une fois les matériaux collectés, ils sont soigneusement triés par une équipe formée au préalable, puis revendus à des entreprises de recyclage, parmi lesquelles l’entreprise indienne Alkem Nigeria Limited, ou la société BridgeCo.
L’initiative couronnée de succès a fait des émules : la start-up RecyclePoints, qui compte aujourd’hui 3000 inscrits, promeut exactement le même modèle d’une collection de déchets moyennant cadeaux, mais dans un périmètre plus large (toute l’aire métropolitaine de Lagos) et avec de petits camions. Cependant, ces start ups sont avant tout dépendantes du soutien de la LAWMA, qui a gracieusement légué à Wecyclers deux de ses anciens sites qui servent de centres de tri, ainsi que des camions utilisés pour desservir les compagnies de reyclage.
Lagos génère aujourd’hui 10000 à 13000 tonnes de déchets par jour. Dans une ville qui a reçu en 1983 le titre de “ville la plus sale du monde” dans le Guinness Book of Records, la question de la gestion des déchets se soulève de façon fondamentale
Les cart-pushers
La collecte des déchets était encore récemment largement prise en main par les “cart pushers” (ou “kole kole”), organisés de manière informelle pour rassembler des déchets entassés sur des caddies pour être rejetés dans des espaces vides de la ville, notamment dans les canaux.
Les ferrailleurs (scrap-dealers)
Les ferrailleurs à Lagos se retrouvent souvent dans une position ambiguë, du fait du banissement des cart-pushers. En effet, les collecteurs de métaux travaillant pour les grossistes utilisent les mêmes caddies que les cart-pushers, et sont donc “confondus” avec eux par les autorités environnementales, qui les envoient en prison ou détruisent leurs caddies malgré la légalité théorique du commerce de revente de métaux.
Les scavengers (chiffonniers)
A l’inverse des cart-pushers, la LAWMA semble aujourd’hui capitaliser sur le travail des chiffonniers, reconnaissant à demi-mot leur rôle pionnier et majeur dans la valorisation des déchets. Dans la lignée de l’objectif répété (bien que peu réaliste) de 0% de déchets arrivant en décharge, la maintenance actuelle des décharges formelles par les employés de la LAWMA se fait en relative acceptation de la présence des chiffonniers, à qui on interdit néanmoins la présence sur les sites après 20 heures.
Infrastructures
Il existe actuellement deux stations de transfert (transfert loading station – TLS) en activité : l’une basée à Oshodi, l’une dans le quartier de Simpson, sur Lagos Island. Les stations de transfert recueillent les déchets collectés par les camions des PSP (entre 16 et 20 m3), afin de les transférer, compactés, dans de plus gros camions (30m3). La station d’Oshodi vient d’être réouverte après avoir été victime d’un incendie en 2008. Elle recueille une partie des déchets collectés dans le mainland, avant de transiter vers la décharge d’Olushosun. La station Simpson est située à Lagos Island, recueillant les collectes effectuées sur les îles, ensuite transportées vers la décharge d’Epe, qui va devenir un centre d’enfouissement technique.
Olushosun, la principale décharge de Lagos, est considérée comme la plus grande d’Afrique de l’Ouest, couvrant environ 43 hectares au coeur du nord de la ville, et recueillant 40% des déchets collectés dans l’Etat de Lagos. Depuis son ouverture officielle en 1992, Olusosun a accumulé pas moins de 40 millions de tonnes, recueillant aujourd’hui encore une flotte quotidienne d’environ 300 camions, pour 11 000 tonnes par jour.
La formalisation de la gestion des déchets : une politique publique aux multiples facettes
La politique de gestion des déchets mise en place depuis 2005 par l’Etat de Lagos soulève un certain nombre de questions. En premier lieu, pourquoi exclure ou affaiblir des acteurs informels qui contribuent de manière décisive à la collecte des déchets dans les quartiers les moins accessibles, et au recyclage ? Pourquoi intégrer de nouvelles start-ups pour effectuer les mêmes tâches, plutôt que de capitaliser sur les activités existantes dans le secteur informel ?
Suite au conflit déjà mentionné entre le gouvernement de Lagos et l’Etat fédéral depuis une quinzaine d’années, le premier cherche à diversifier ses ressources et à développer cette relation impôts – services. Pour que ce service de gestion des déchets soit accepté comme légitime et utilisé par les citoyens, il doit paradoxalement avoir recours à des moyens coercitifs (fermeture de magasins, amendes). Le meilleur moyen de s’assurer la fidélité des habitants demeure alors l’élimination des alternatives qui leur sont offertes dans la gestion de leurs déchets : l’interdiction des acteur informels, en l’occurrence des cart-pushers.
Il demeure, cependant, que les acteurs informels s’avèrent plus efficaces que les camions compacteurs des opérateurs privés pour un certain nombre de tâches, à commencer par le tri sélectif à la source. C’est le rôle des nouvelles start-ups intégrées par la LAWMA. Elles sont formelles, partenaires du gouvernement, et font bénéficier à Lagos de leur image verte et dynamique, sans cesse appropriée par les autorités.
En second lieu, pourquoi avoir recours à d’innombrables opérateurs privés ?
Le nombre si élevé d’opérateurs privés (346) peut s’expliquer par l’incapacité financière actuelle de la LAWMA, au budget modeste, d’engager des contrats de longue durée avec des opérateurs plus importants. La LAWMA parvient néanmoins, au fil des ans, à collaborer avec des acteurs privés de plus en plus importants, qui permettent la constitution d’infrastructures, à l’image de West Africa Energy et son centre de tri. D’ici à 2020, il est probable que l’agence établira un contrat de gestion de son nouveau site d’enfouissement à Epe avec un acteur international, qui lui apportera l’expertise nécessaire.
Conclusion
Au cours des dix dernières années, la gestion des déchets au sein de l’aire métropolitaine de Lagos a évolué de manière indéniable. Au niveau politique, cette amélioration s’insère dans des objectifs de modernisation de l’image de Lagos, mégalopole qui doit s’élever aux critères environnementaux de “ville verte et durable.”
Olushosun, la principale décharge de Lagos, est considérée comme la plus grande d’Afrique de l’Ouest, couvrant environ 43 hectares au coeur du nord de la ville, et recueillant 40% des déchets collectés dans l’Etat de Lagos. Depuis son ouverture officielle en 1992, Olusosun a accumulé pas moins de 40 millions de tonnes, recueillant aujourd’hui encore une flotte quotidienne d’environ 300 camions, pour 11 000 tonnes par jour
Ainsi, ce travail d’analyse sur la formalisation de la gestion des déchets solides ménagers et commerciaux a permis d’identifier plusieurs points clé. D’abord, la contractualisation de petits opérateurs privés s’est opérée en parallèle du bannissement formel des cart-pushers, qui assuraient la collecte en fonction des requêtes spontanées des habitants.
De l’aspect disciplinaire, voire violent, de ce processus de formalisation de la collecte, dérive des situations ambigües pour les autres acteurs impliqués dans la chaîne des déchets. La situation ambivalente des ferrailleurs met en lumière les réseaux de patronage à l’oeuvre dans Lagos, où les directives des autorités métropolitaines reposent sur la capacité et le bon vouloir des gouvernements locaux à appliquer les objectifs adoptés à l’échelle supérieure.
Du 21 au 23 octobre 2015 se tiendra à Lagos le plus grand salon dédié à la gestion des déchets jamais organisé en Afrique de l’ouest : 150 entreprises y seront représentées. Cet évènement, la African Waste Management Exhibition, 7 est symptomatique de l’émergence d’une industrie des déchets à Lagos, face à laquelle les acteurs informels peineront à maintenir leurs positions.
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