Thierno Bocar Diop
L’insécurité alimentaire est de plus en plus exacerbée dans le monde. D’après le dernier rapport de la FAO, plus de 840 millions de personnes sont privées d’une alimentation saine et suffisante. Cette situation risque de s’aggraver si la tendance actuelle se confirme. L’objectif de «zéro faim dans le monde» en 2030 est ainsi compromis. Le continent africain, qui a une nutrition plus basée sur des céréales telles que le riz, le mais et le blé, peine à atteindre cet objectif. Selon l’Agence française de développement , plus de 40 Millions de personnes souffrent de sous-alimentation et de malnutrition en Afrique de l’Ouest.
Les économies ouest-africaines sont largement dépendantes de l’agriculture. Ce secteur représente près de 35% de la richesse nationale (PIB) d’après la CEDEAO en 2011. Cependant, l’agriculture dans cette région est fortement pluviale donc dépendante des précipitations. Elle est durement affectée par les changements climatiques. Au-delà des contraintes climatiques, il existe entre autres, les contraintes financières qui impactent négativement sur la production et la productivité agricole. Ceci a pour effet de réduire les revenus et l’offre de produits agricoles. Ce qui impacte principalement sur la disponibilité des terres arables et l’accès à la sécurité alimentaire.
Comment ces contraintes impactent concrètement la sécurité alimentaire?
L’insécurité alimentaire est causée, entre autres, par un dysfonctionnement du système alimentaire dans son ensemble. De la détention de ressources nécessaires à la production, jusqu’à la commercialisation en passant par la production, le stockage, le conditionnement et la transformation des produits agricoles, toute la chaîne de valeur est remise en cause. Cela suggère que les facteurs qui impactent négativement (ou positivement) les éléments de cette chaîne peuvent influer sur l’insécurité alimentaire. Ainsi, il est impératif de promouvoir la production et la productivité agricole mais aussi augmenter les revenus et donc le pouvoir d’achat des participants à cette chaîne de valeur>
Ceci a été bien compris par l’économiste indien Amartya Sen (Prix Nobel d’économie).Ces travaux montrent que les programmes mis en place par le gouvernement ou le acteurs privés devraient plus se focaliser sur le renforcement des capacités des individus («capabilities»). D’ailleurs, les organisations internationales ne s’y trompent pas. Le programme 2030 des Nations Unies, qui vise à éradiquer la faim et à réduire l’insécurité alimentaire dans le monde, veut augmenter la productivité des agriculteurs ainsi que leurs revenus.
Les contraintes financières réduisent l’investissement agricole en termes de machines mais aussi en termes d’apports productifs. On note aussi des contraintes sur le marché du travail avec notamment de faibles niveaux de salaire. Les agriculteurs ont aussi du mal à accéder aux prêts dans les institutions financières. L’asymétrie d’information est aussi une raison pour laquelle les agriculteurs peinent à être vus comme solvables par les préteurs.
Les asymétries d’information sont de deux types: l’aléa moral et la sélection adverse. L’aléa moral est le fait que les agriculteurs peuvent adopter des comportements «adéquats» pour obtenir les prêts ou assurances et ensuite faire défaut après la signature de contrat, soit en réduisant la vigilance ou en adoptant des pratiques plus risquées que celles convenues. La sélection adverse est observée lorsque les prêteurs ou assureurs choisissent seulement ceux qui remplissent les conditions (agriculteurs moins risqués ou qui ont les collatéraux demandés). Cela a pour conséquence une exclusion de personnes qui peuvent présenter plus de risques certes mais aussi plus compétentes.
La combinaison de ces facteurs, surtout dans les pays en développement, font que les agents économiques font face à des contraintes de liquidité. Ces dernières sont particulièrement pesantes pour les agriculteurs et conditionnent leurs activités. Les conséquences se font ressentir non seulement sur le niveau de production mais aussi sur le niveau de revenu de ces derniers. Donc la dimension de l’accès à la sécurité alimentaire est compromise par la baisse de revenus mais aussi par la baisse de la production et de la productivité.
Les contraintes financières réduisent l’investissement agricole en termes de machines mais aussi en termes d’apports productifs. On note aussi des contraintes sur le marché du travail avec notamment de faibles niveaux de salaire. Les agriculteurs ont aussi du mal à accéder aux prêts dans les institutions financières
Le même raisonnement s’applique aux contraintes climatiques. L’agriculture est en même temps vectrice et victime du changement climatique. Les effets du réchauffement se font sentir notamment sur la perturbation de la température et de la pluviométrie mais aussi sur la récurrence des aléas climatiques (sécheresse et inondation par exemple). Avec une agriculture essentiellement pluviale et de faibles capacités de gestion et d’adaptation, l’Afrique de l’Ouest est extrêmement vulnérable à ces changements.
Quelles solutions pour réduire l’effet de ces contraintes sur la sécurité alimentaire?
Les agriculteurs africains ont longtemps développé des stratégies d’adaptation pour faire face aux contraintes qui pesaient sur eux. Ils ont une grande expérience en matière de résilience aux chocs notamment financiers et climatiques. Cependant, il est clair que ces stratégies ne sont pas suffisantes. L’activité agricole peine à atteindre son niveau espéré. De plus, la forte urbanisation dans les capitales africaines et la croissance démographique augmentent les besoins alimentaires.
Les producteurs agricoles sont de plus en plus sollicités pour assurer la subsistance de la population. La lutte contre l’insécurité alimentaire passera inéluctablement par le renforcement de leurs capacités productives mais aussi de leurs revenus. Concrètement les solutions suivantes (non exhaustives) peuvent être proposées:
Une assurance indicielle : Les assurances climatiques constituent l’une des meilleures solutions pour faire face aux changements climatiques dans le secteur agricole. Elles permettent de résoudre les problèmes d’asymétrie d’information qui gangrènent les assurances traditionnelles. En effet, elles sont basées sur un indice climatique fortement corrélé aux rendements agricoles. Les primes d’indemnité sont versées lorsque l’indice en question dépasse (ou est en dessous) un certain seuil.
Ainsi, il n’est plus utile ni de constater les dégâts et les pertes avant de verser les indemnités, ni de classer les individus en fonction de leurs profils de risque. L’indice climatique doit être fortement lié aux sinistres. Ainsi, les assurances indicielles sont très attractives pour les agriculteurs et les protègent contre les risques climatiques. Mais au-delà, elles permettent aux agriculteurs d’avoir plus de chance d’obtenir des prêts. Une meilleure promotion de l’assurance indicielle est essentielle étant donné qu’elle est encore mal connue des agriculteurs.
Le prêt combiné avec des assurances : une combinaison entre prêts classiques et les assurances indicielles permettraient de gérer en même temps les contraintes financières et les contraintes climatiques. Les agriculteurs pourront investir dans les matériels de production, adopter des pratiques plus risquées mais plus rémunérantes et faire face aux aléas climatiques. De plus, cela peut augmenter les salaires dans le marché local et donc le pouvoir d’achats de toutes les personnes de la chaine de valeur agricole.
Une étude très récente au Ghana montre que les prêts combinés avec l’assurance indicielle augmentent les chances d’obtenir des crédits futurs dans les institutions financières. De même, une autre étude en Zambie suggère que les prêts obtenus par les agricultures ont permis d’augmenter non seulement la productivité des agriculteurs et l’emploi au sein des fermes mais aussi le niveau du salaire local. La mise à disposition de ces prêts avec assurance pourrait contribuer à réduire l’insécurité alimentaire.
Les assurances indicielles sont très attractives pour les agriculteurs et les protègent contre les risques climatiques. Mais au-delà, elles permettent aux agriculteurs d’avoir plus de chance d’obtenir des prêts
Les transferts des migrants : la migration (interne et internationale) est souvent une stratégie d’adaptation aux chocs que rencontrent les ménages. Les migrants envoient des fonds qui servent la plupart à la consommation. Cependant, ces transferts peuvent aussi être utilisés pour investir dans des actifs productifs (engrais, pesticides ou machines, eau, etc.). Ce qui augmenterait la productivité et permettrait aux ménages de lisser leurs consommations. Ainsi, ils disposent de plus de revenus pour se procurer les biens alimentaires nécessaires à une bonne nutrition. La réduction des coûts liés à ces transferts est une nécessité dans les années à venir.
Le Rotationg Saving and Credit Association (ROSCA) ou tontines : les tontines sont des méthodes souvent négligées mais qui contribuent grandement aux stratégies d’adaptation et de lissage de la consommation des ménages notamment agricoles. Elles sont des épargnes basées sur une solidarité et sur la confiance entre les participants. Ces épargnes peuvent aussi desserrer les contraintes dans une certaine mesure et permettre de stabiliser le niveau de consommation. Mais aussi, elles amortissent les chocs ressentis. Ceci permettra de maintenir l’accès aux produits de base et de qualité pour une alimentation diversifiée et saine. Les organisations paysannes ou encore les collectivités locales pourraient servir à mieux structurer ces initiatives pour en tirer une meilleure partie.
Le Rotationg Saving and Credit Association (ROSCA) ou tontines : les tontines sont des méthodes souvent négligées mais qui contribuent grandement aux stratégies d’adaptation et de lissage de la consommation des ménages notamment agricoles
L’application de ces pistes de solutions nécessitera la combinaison de l’ensemble des forces vives. L’implication des pouvoirs publics mais aussi des partenaires privés ainsi que des collectivités locales et territoriales sans oublier les organisations paysannes et les agriculteurs est primordiale. Des chambres d’agriculture peuvent être formées au niveau départemental afin de servir de conseillers en matière de pratiques agricoles mais aussi d’intermédiaire entre les pouvoirs publics et les organisations paysannes.
Source photo : La Tribune Afrique
Thierno Bocar Diop est doctorant à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE) en France. Il travaille sur les effets des politiques publiques agricoles et forestières en Europe et en Afrique. Il s’intéresse principalement aux questions d’impacts de l’agriculture sur l’environnement, de changements climatiques et de sécurité alimentaire.
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Fierté de lire cette publication riche et très instructive
Merci beaucoup Ndiaye. Au plaisir