Auteur: M. Télesphore Ondo
Type de publication: Annuaire africain des droits de l’homme
Date de publication: 2017
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La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour africaine) a été instituée par le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Protocole), adopté le 10 juin 1998 à Ouagadougou. Institution judiciaire principale des droits de l’homme en Afrique, la Cour africaine a été créée pour renforcer le mandat de protection de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission africaine), dans un système africain de protection des droits de l’homme fondé principalement sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Aux termes des dispositions des articles 3 (1) et 7 du Protocole, la Cour est compétente pour connaître de l’interprétation et de l’application non seulement de la Charte africaine, mais également de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés. C’est dans ce cadre que la Cour africaine exerce sa fonction contentieuse à l’égard des États Parties reconnaissant sa compétence.
Conformément aux dispositions des articles 5 (3) et 34(6) du Protocole 5 la Cour peut recevoir également des requêtes émanant de la Commission africaine, des individus et des organisations non gouvernementales, introduites contre lesdits États. A n’en point douter, il s’agit là d’une évolution notable du droit africain des droits de l’homme. En effet, en droit international, la reconnaissance de droits fondamentaux aux individus et aux peuples ne s’est pas originellement accompagnée de la capacité juridique à agir en cas de violation. La consécration d’un droit d’accès direct ou indirect des personnes privées (individus et organisations non gouvernementales) au prétoire de la Cour africaine, qui se situe dans le sillage global de la reconnaissance de ces personnes comme sujets du droit international constitue dès lors une véritable révolution juridico-institutionnelle.
Cette option d’une juridiction internationale à l’accès libéral apparaît non seulement comme la forme de protection des droits de l’homme la plus avancée et la plus perfectionnée, mais aussi comme la plus dynamique. Il est vrai que ce modèle libéral est limité par la condition très critiquée du dépôt d’une déclaration spéciale de reconnaissance de compétence. Quoi qu’il en soit, que les individus soient demandeurs dans presque toutes les 155 requêtes reçues et 34 décisions rendues par la Cour africaine au cours de sa première décennie d’existence, est la preuve intangible de cette démocratisation de l’accès à son prétoire.
Conjointement à cette fonction contentieuse, la Cour africaine exerce une fonction consultative en vertu des dispositions des articles 4 du Protocole et 68 de son Règlement intérieur. Les demandes d’avis sont à l’initiative des États membres, de l’Union africaine, de tout organe de l’Union africaine ou d’une organisation africaine reconnue par l’Union. La Cour a reçu à ce jour 12 demandes et rendu 11 avis consultatifs.
Dans l’exécution de sa mission, la Cour met en perspective les différents acteurs; elle garantit la confrontation directe entre les supposées victimes de violation des droits de l’homme et les États défendeurs, dans le respect du principe du contradictoire; elle reconnaît aux victimes les droits de participation au procès et de réparation des dommages qui leur sont causés; et elle garantit l’égalité des armes entre les parties tout au long de la procédure devant la Cour, dans le respect des exigences du procès équitable. Ce faisant, la Cour interprète, irrigue, développe et enrichit le droit africain des droits de l’homme.
Dans quelle mesure ce droit en construction apparaît-il comme avant-gardiste, non-conformiste, voire créatif par rapport aux canons du positivisme juridique volontariste et universaliste du droit interne Contrairement à ce que suggère Mubiala par exemple, la Cour africaine n’est pas une réplique identique des autres juridictions régionales des droits de l’homme. Elle se caractérise par une certaine démarcation du volontarisme étatique en développant une jurisprudence relativement originale qui met en exergue, non seulement la constitutionnalisation et la socialisation, mais aussi l’humanisation et la moralisation du droit africain national public?
La constitutionnalisation et la socialisation du droit africain sont deux traits caractéristiques de la jurisprudence de la Cour africaine qu’il faudrait examiner successivement.La constitutionnalisation s’entend ici du processus par lequel la Cour africaine va, conformément à la volonté du législateur africain, ériger les normes relatives aux droits de l’homme en normes suprêmes devant lesquelles le droit interne doit s’incliner. Cette suprématie est garantie par la Cour africaine. En effet, le rôle de la Cour africaine ne se limite pas à interpréter la Charte africaine et les autres instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés par les États africains, ni à en contrôler le respect.
Dans l’exercice de sa mission, elle le fait de deux manières: d’une part, en assurant le contrôle des systèmes juridictionnels et juridiques des États et, d’autre part, en rappelant aux États leurs obligations internationales en matière de respect des droits de l’homme.
Institution judiciaire principale des droits de l’homme en Afrique, la Cour africaine a été créée pour renforcer le mandat de protection de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission africaine), dans un système africain de protection des droits de l’homme fondé principalement sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
Dans le cadre de l’appréciation de la mise en œuvre de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, la Cour assure un véritable contrôle des systèmes juridiques et juridictionnels des États sur le fondement des critères de disponibilité, d’efficacité et de suffisance. Dans l’affaire Konaté au Burkina Faso, la Cour, après avoir contrôlé le système juridictionnel burkinabé, a indiqué que si le pourvoi en cassation, dont le délai est de cinq jours, est bien disponible, il ne vise qu’à annuler le jugement et non la loi.
Dans la même affaire, la Cour, en véritable juge constitutionnel, a assuré le contrôle de la conformité des lois burkinabé avec les dispositions de la Charte africaine et du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) de 1966, relativement à la liberté d’expression, sur la base de critères précis. Il s’est agi plus concrètement de vérifier que la limitation de la liberté d’expression est prévue par la loi, qu’elle répond à un objectif légitime et qu’elle est nécessaire pour atteindre l’objectif visé et proportionnée dans une société démocratique.
Dans le cas d’espèce, le juge africain a estimé que non seulement la législation burkinabé, en prévoyant la diffamation comme une infraction pénale, viole manifestement les articles 9 et 19 respectivement de la Charte et du Pacte de 1966,23 mais aussi que les décisions prises par des tribunaux condamnant le requérant sont disproportionnées par rapport au but poursuivi par le Code pénal et le Code de l’information du Burkina Faso.
Enfin, toujours dans son contrôle du système juridique de l’État, la Cour va jusqu’à censurer les dispositions constitutionnelles. Par exemple, elle a jugé que celles de la Tanzanie-Unie qui interdisent les candidatures indépendantes aux élections politiques violent la Charte africaine, notamment le droit des requérants tanzaniens de participer aux affaires publiques de leur pays. De même, le fait que la Constitution exige que les candidats soient membres d’un parti politique viole la liberté d’association garantie par la Charte, viole également le droit à la non-discrimination et l’égalité devant la loi.
La socialisation du droit africain s’entend du processus social par lequel les juges de la Cour africaine interprètent les dispositions de la Charte et autres instruments relatifs aux droits de l’homme et rendent des arrêts en tenant compte des spécificités africaines.
En effet, dans son rôle de protectrice des droits et libertés, la Cour s’efforce d’interpréter les normes relatives aux droits de l’homme dans l’intérêt des individus en procédant à une méthode sociologique. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Konaté, la Cour a tenu compte des réalités africaines relatives au faible niveau d’alphabétisation, en retenant sa compétence pour modifier le titre d’une requête truffée d’erreurs, en l’occurrence la République du Burkina Faso a été qualifiée de République Populaire et Démocratique du Burkina.
Contrairement à ce que soutenait l’État burkinabé, et en tenant compte du niveau intellectuel moyen du requérant, la Cour a jugé qu’il ne s’agit nullement là de termes outrageants ou insultants.Enfin, pour éviter d’être influencée par la tendance de certains États africains au rejet de la compétence de la Cour pénale internationale, la Cour n’hésite pas à remettre en cause certaines règles de procédure pour se soumettre aux prétentions des États.
Ainsi, dans l’affaire APDH en Côte d’Ivoire, la Cour a dans l’intérêt de la justice, décidé de recevoir le mémoire de l’État défendeur soulevant hors délai les exceptions d’irrecevabilité, alors qu’elle devait rendre un arrêt par défaut. De même, dans l’affaire Umuhoza au Rwanda, la Cour sans que l’État défendeur ait eu à comparaître à l’audience et à plaider quoi que ce soit, a pourtant suspendu l’examen de la recevabilité de la requête et du fond de l’affaire, pour sauvegarder le principe du contradictoire.
En réalité, selon le juge Ouguergouz, dans l’opinion dissidente jointe à cette ordonnance, la Cour apparaît ainsi comme ayant pris fait et cause pour l’État défendeur qui a fait le choix délibéré de ne pas comparaître à l’audience. En accordant un traitement préférentiel à l’une des parties au détriment de l’autre, la Cour rompt ainsi le principe d’égalité des parties qui doit présider à l’exercice de sa fonction judiciaire, alors qu’à ce stade, la Cour aurait dû prendre acte de cette non-comparution et continuer la procédure.
Dans l’exécution de sa mission, la Cour met en perspective les différents acteurs; elle garantit la confrontation directe entre les supposées victimes de violation des droits de l’homme et les États défendeurs, dans le respect du principe du contradictoire; elle reconnaît aux victimes les droits de participation au procès et de réparation des dommages qui leur sont causés; et elle garantit l’égalité des armes entre les parties tout au long de la procédure devant la Cour, dans le respect des exigences du procès équitable
La jurisprudence de la Cour africaine contribue également à l’humanisation et à la moralisation du droit africain. Le développement de la jurisprudence de la Cour africaine a largement enrichi le droit africain qui est devenu non seulement un droit à visage humain, mais également un droit prenant en compte les questions morales ou éthiques. L’Afrique a souvent été qualifiée de ‘berceau de l’impunité’, au regard de l’ampleur des violations des droits de l’homme qui y sont perpétrées.
Le rôle de la Cour africaine est de promouvoir les droits de l’homme par une prise en compte des victimes qui méritent respect et justice. Le processus d’humanisation du droit africain enclenché par la Cour vise donc à placer l’individu, en l’occurrence la victime, au cœur du système africain de protection des droits de l’homme. Deux aspects importants permettent d’illustrer ce processus.
La moralisation du droit africain repose entièrement sur la question de la responsabilité internationale de l’État et son corollaire la réparation des dommages causés aux victimes en cas de violation des droits de l’homme. Cette réparation peut être ordonnée aux États par la Cour africaine. Ce mécanisme est consacré à l’article 27(1) du Protocole:
Lorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation. C’est en application de cette disposition que la Cour a rendue quelques arrêts relatifs à la réparation.
La moralisation du droit africain repose entièrement sur la question de la responsabilité internationale de l’État et son corollaire la réparation des dommages causés aux victimes en cas de violation des droits de l’homme
L’universalisme africain met en exergue les rapports que la Cour et le droit africain entretiennent avec les autres systèmes de protection des droits de l’homme et même plus généralement avec le droit international. De l’analyse des instruments juridiques pertinents et de la jurisprudence, il ressort clairement que le droit africain, en raison de son caractère embryonnaire, constitue le relais régional de l’universalisme du droit des droits de l’homme dans ses dimensions procédurale et matérielle.
La Cour africaine est très fréquemment saisie d’exceptions préliminaires sur lesquelles elle doit statuer in limine litis, avant d’examiner le fond de l’affaire. Ces exceptions s’appuient sur divers arguments. La Cour est également compétente pour interpréter les dispositions du Protocole qui la crée. En tant qu’une juridiction internationale et vu le caractère lacunaire des textes pertinents et de la jurisprudence, la Cour va les interpréter conformément aux normes de droit international et notamment aux dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Celle-ci prévoit, en son article 31(1), qu’un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et son but.
La jurisprudence de la Cour africaine contribue également à l’humanisation et à la moralisation du droit africain
L’influence du droit international sur le droit africain se manifeste dans quatre matières importantes: d’une part, la notion d’organisation internationale et la responsabilité internationale de l’État, et d’autre part, l’institution d’un organe électoral indépendant et impartial et les limitations à la jouissance des droits.
En matière de violation des droits de l’homme, la question de la responsabilité internationale de l’État et son corollaire la réparation est fondamentale. Sur ce point, le droit africain est particulièrement pauvre. En effet, lorsqu’elle est saisie sur ces questions, la Cour africaine n’a d’autres choix que de recourir au droit international et à la jurisprudence internationale. Elle l’a fait dans deux arrêts datant du 13 juin 2014 et du 5 juin 2015 relatifs à la réparation dans les affaires respectivement Mtikila et Zongo. La Cour a d’abord posé le fondement de la responsabilité internationale de l’État (para 27 et paras 20-22).
Au total, la Cour africaine a élaboré une jurisprudence originale qui repose sur une conception particulière des droits de l’homme. Cette construction prétorienne qui irradie et pourrait à terme transformer l’ensemble du système vise, selon une interprétation sociologique, constitutionnaliser, socialiser, humaniser et moraliser le droit africain des droits de l’homme.
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3 Commentaires. En écrire un nouveau
Les arrêts de la cour ne sont jamais exécutés par les Etats membres de l’UA. Le cas le plus flagrant est celui de Madame Umuhoza Ingabire, de nationalité rwandaise. Aux fins de l’empêcher à l’élection présidentielle, Kagame a décidé de l’envoyer pour les faits fabriqués de toute pièce. Elle a été condamnée à plusieurs années de prison. Elle a saisi la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Celle-ci a annulé la décision de la Cour Suprême du Rwanda et condamné le Rwanda à plusieurs millions de francs rwandais pour préjudices subis par lngabire Umuhoza Victoire. Or, le Rwanda n’a jamais exécuté l’arrêt de la Cour, mais également il a implicitement rejeté la demande d’agrément de son parti politique formulée par celle-ci. De plus, elle est frappée d’interdiction de quitter le Rwanda de sorte qu’elle ne peut même
pas aller vois ses enfants et mari gravement malade résidant aux Pays Bas, le tout en sus d’autres restrictions à ses libertés fondamentales les plus élémentaires.
Se pose alors la question suivante: Dès lors que ses arrêts ne sont jamais exécutés par les Etats membres de l’Union Africaine, à quoi sert la CADH pour les citoyens des Etats membres de l’Union Africaine.
Bonne initiative et travail de bonne qualité.
Document simple, facile de compréhension et de bonne qualité intellectuelle.