« Les médias ont un très grand rôle à jouer dans tout ce qui concerne la vie publique car ils donnent des informations et offrent l’opportunité à des personnes qui souhaitent défendre leur position de débattre. La lutte pour l’égalité entre hommes et femmes interroge des règles sociales préétablies. Cette construction sociale est au cœur de la vie publique ; les médias ont donc un rôle essentiel. Les médias correspondent aussi à un monde professionnel à part, dans lequel l’égalité hommes-femmes est un défi interne avec des conséquences externes. Notre organisation souhaite apporter une approche multidisciplinaire pour amener l’ensemble des acteurs à identifier les problèmes prioritaires et accompagner le domaine des médias dans la prise de conscience de l’importance de l’égalité de genre. » Le traitement de l’information relative aux femmes « Il y a eu un léger avancement vis-à-vis du traitement de l’information. Dans la plupart des médias, il y a des desks qui traitent de ces questions et certains organes de presse prennent plus au sérieux la question de l’intégration des femmes. En revanche, le milieu des médias reste en retard quant à l’intégration du genre. Ils ont des défis en interne sur l’éducation aux questions de genre.
Les médias correspondent aussi à un monde professionnel à part, dans lequel l’égalité hommes-femmes est un défi interne avec des conséquences externes
À titre d’exemple, la façon dont les médias traitent la question des violences faites aux femmes représente une violence en tant que telle parce que les informations sont atténuées. Il y a un travail d’accompagnement à faire pour former les médias à traiter les informations relatives aux femmes. Une dynamique collaborative est nécessaire car parfois, il manque des outils techniques pour sensibiliser sur l’égalité des sexes. Les médias sont un milieu encore fortement stéréotypé et ancré dans le patriarcat. Les médias relayent le leadership des hommes et non des femmes. Il faut dans ce milieu une plus grande concentration d’actions pour amener une réflexion sur l’égalité de genre. Les discours dans les médias sont parfois dégradants pour l’honneur et la qualité de la femme, et vont même remettre en cause les acquis que les femmes ont réussi à obtenir. Lutter pour éliminer les discours dégradants est un combat que les femmes portent puisqu’elles vivent et comprennent ces difficultés. Dorénavant, le challenge est de rendre ce combat commun à tous. Les médias doivent cultiver la masculinité positive, car il y a beaucoup de masculinité toxique dans le milieu. De manière collective, je vois cependant qu’un certain leadership féminin se développe mais il faut que les hommes accompagnent ce processus. Le défi est donc de promouvoir le leadership féminin collectif au niveau de la société sénégalaise. » Les obstacles à la prise de parole des femmes dans les médias et l’espace public « La masculinité toxique est très présente au sein des médias. Certains médias offrent aux hommes la liberté de traiter de sujets qui concernent les femmes et de prendre position sans pour autant être concernés. Le deuxième obstacle est la structuration sociale. Lorsqu’une femme prend position et lutte pour les droits des femmes, elle reçoit énormément de violences médiatiques. Toute cette énergie négative que nous recevons a un impact sur les femmes. Le dernier obstacle serait le patriarcat. Les hommes n’aiment pas entendre parler de ce terme, mais ils ne cherchent pas à savoir en quoi cela consiste. Lorsque les femmes parlent de démonter le patriarcat, cela fait peur. Nous avons reçu un héritage des pionnières féministes et nous ne voulons pas le perdre. Il y a à la fois une continuité avec les luttes passées mais aussi de nouveaux défis.
Le défi est donc de promouvoir le leadership féminin collectif au niveau de la société sénégalaise
Nous sommes assez outillées pour défendre certains droits que les pionnières féministes n’osaient pas défendre, comme les droits sexuels des femmes. En tant que féministes, nous portons l’égalité en termes de droits sexuels : il n’y a pas de droit sexuel pour les hommes et de devoir sexuel pour les femmes mais une égalité sur ce plan. Les femmes dans les médias jouent un rôle très important pour faire avancer la cause, mais toutes les femmes doivent évoluer dans une idéologie de sororité. Nous devons concentrer nos forces autour d’une grande dynamique nationale féministe. Nous devons engager avec les femmes travaillant dans la presse des actions communes sur les problématiques de l’autorité parentale, des mutilations génitales féminines, des violences sexuelles, de l’accès au foncier et des droits économiques. » L’utilisation des réseaux pour sensibiliser sur la quête d’égalité « Il y a une grande opportunité que les réseaux sociaux nous offrent en termes de communication, de développement et d’avancement. Les réseaux sociaux peuvent réellement contribuer à faire avancer les droits des femmes en transmettant des messages et en éduquant. Il y a aussi un côté violent et toxique chez les réseaux sociaux avec des pratiques comme le lynchage et le harcèlement. Également, les violences sexuelles contre les femmes se manifestent aujourd’hui de façon virtuelle. Certains hommes vont prendre des vidéos de femmes dans une position délicate à leur insu et effectuer du chantage. On pourrait dire que c’est une exportation des violences que les femmes vivent dans la société vers la société virtuelle. L’État doit réguler les risques des réseaux sociaux. Il faudrait une réorientation stratégique de l’éducation pour l’ensemble de la société, avec une sensibilisation aux enjeux des réseaux sociaux. Malheureusement, nous n’avons pas d’organes de presse en ligne capables de positivement éduquer les gens. » Recommandations « Il faut que les médias prennent la responsabilité d’amener une réflexion sur l’importance de l’égalité des sexes.
Nous devons inviter les femmes des médias et les organisations féministes à travailler autour d’actions communes pour l’intérêt de toute la société. Il faut des actions fortes, soutenues, coordonnées et multidisciplinaires qui accueillent des profils diversifiés provenant de tous les domaines
Le personnel des médias doit prendre en compte la charge mentale et psychologique des personnes citées dans les informations et respecter leur sensibilité. Il faut identifier les personnes concernées par l’information en déterminant leur catégorie sociale et leurs besoins. L’information n’est pas neutre et nécessite une réception positive et une sensibilité dans le traitement des informations. Le résultat serait d’impulser le débat sur des questions encore considérées comme taboues. Les femmes dans les médias qui se manifestent sur les questions de genre doivent être valorisées. Nous devons inviter les femmes des médias et les organisations féministes à travailler autour d’actions communes pour l’intérêt de toute la société. Il faut des actions fortes, soutenues, coordonnées et multidisciplinaires qui accueillent des profils diversifiés provenant de tous les domaines. »
Féministe activiste, elle est à la tête de Jguen Women Global Entrepreneurship, une organisation féministe qui œuvre pour le respect des droits des femmes et des filles principalement pour l’élimination des violences basées sur le genre, et la promotion de l’autonomisation économique des femmes. Les actions de Jguen sont concentrées prioritairement sur les jeunes femmes et les filles. Juriste de formation, Maimouna est diplômée en droit international public. Elle a également suivi des formations en population et développement de la santé et de la reproduction.