Auteur : Mahaut de Fougières
Organisation affiliée : Institut Montaigne
Site de publication : Institut Montaigne
Type de publication : Article
Date de publication : 10 janvier 2020
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L’Afrique est longtemps resté un continent étranger à l’Allemagne. Le passé colonial de cette dernière semblait presque oublié dans l’opinion publique, l’immigration d’origine africaine restait relativement faible et l’absence de coordination au niveau des différents ministères ne permettait pas de définir une véritable politique africaine du gouvernement allemand. Devenue ces dernières années un sujet majeur outre-Rhin, l’Afrique apparaît désormais comme une des priorités de la diplomatie allemande et s’impose au niveau européen comme l’un des axes principaux de la politique extérieure de l’Union. En consacrant son premier déplacement officiel à l’Éthiopie, la Présidente de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen, envoie un message clair : la France n’est plus seule en Afrique et doit doit désormais composer avec son premier partenaire européen.
Le tournant africain de l’Allemagne
Le positionnement de l’Allemagne en Afrique accuse encore un léger retard par rapport à l’ancienneté de la présence française. L’Allemagne a longtemps dirigé son activité diplomatique et ses investissements économiques vers l’Europe centrale et orientale, laissant à la France le soin d’entretenir seule son aire d’influence africaine. Si les investissements allemands vers l’Afrique ont augmenté de 1,5 milliards d’euros en 2018, ils restent largement en deçà des investissements français. L’Afrika-Verein, l’association regroupant les grandes entreprises allemandes présentes en Afrique, estime ainsi que le stock d’investissements allemands s’établit autour de 10,4 milliards d’euros, dont 65 % en Afrique du Sud, alors que les investissements français, répartis plus équitablement sur le continent, sont estimés à près de 57,9 milliards d’euros.
Cette position de retrait par rapport à la France s’exprime également dans le domaine militaire. Malgré le “tournant africain” de l’Allemagne que représente l’engagement de l’armée allemande au Sahel via notamment sa participation à la Mission intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation du Mali (MINUSMA), l’Allemagne intervient essentiellement comme une force d’appui et de soutien logistique pour les troupes françaises présentes sur le terrain. Ainsi, bien que l’Allemagne ait réévalué au cours des dernières années l’importance accordée à l’Afrique dans le cadre de sa politique étrangère, il semble encore prématuré d’affirmer que l’Afrique occupe une place prioritaire dans les relations extérieures allemandes.
L’Allemagne a longtemps dirigé son activité diplomatique et ses investissements économiques vers l’Europe centrale et orientale, laissant à la France le soin d’entretenir seule son aire d’influence africaine
- Un premier facteur d’évolution est lié à la redécouverte par l’Allemagne de son passé colonial. Effacé de la mémoire collective après le Traité de Versailles qui prive l’Allemagne de ses possessions africaines (Togo, Cameroun, Tanganyika – la partie continentale de la Tanzanie contemporaine, Namibie, Rwanda, Burundi), la violence du passé colonial allemand a resurgi ces dernières années à travers le combat pour la reconnaissance du massacre des Hereros et des Namas perpétrés par l’Empire allemand dans l’actuelle Namibie.
- Un deuxième facteur d’évolution est lié à la reconnaissance du potentiel économique que représente l’Afrique pour les entreprises allemandes.
- Le troisième facteur – et de loin le plus important – est lié à la crise des réfugiés. Alors qu’en 2015, l’Allemagne accueille en une année près de 900 000 migrants principalement originaires du Moyen-Orient, la Chancelière Angela Merkel commence à insister sur le fait que “le développement de l’Afrique est le grand enjeu de notre époque“. En Allemagne, une distinction très claire s’opère entre les réfugiés originaires du Proche et Moyen Orient et les nouveaux migrants économiques largement issus du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne
C’est ainsi largement pour contenir les migrations que le gouvernement allemand a défini une nouvelle stratégie africaine, dont les lignes directrices furent dévoilées en mars dernier.
Vers un “Plan Marshall” avec l’Afrique
La présentation des nouvelles lignes directrices de la politique africaine de l’Allemagne fut assortie de plusieurs déplacements de la Chancelière en Afrique. Après avoir visité le Ghana, le Sénégal et le Nigeria en août 2018, Angela Merkel s’est rendue au Mali, au Burkina Faso et au Niger en mai.
Encourager les entreprises allemandes à investir en Afrique apparaît désormais comme la pierre angulaire de la stratégie africaine de l’Allemagne et cet objectif se décline à plusieurs niveaux
En effet c’est bien le secteur privé qui est au cœur du grand “plan Merkel” pour l’Afrique. Malgré la présence de quelques opérateurs historiques, comme le géant de l’énergie et des transports Siemens, le fabricant de machines-outils et de pièces automobiles Bosch ou le pharmacien Merck, les entreprises allemandes restent relativement peu présentes en Afrique. Selon Günter Nooke, responsable de la politique africaine du gouvernement fédéral, l’Allemagne “doit passer du statut d’exportateur à celui d’investisseur et de partenaire“. Encourager les entreprises allemandes à investir en Afrique apparaît désormais comme la pierre angulaire de la stratégie africaine de l’Allemagne et cet objectif se décline à plusieurs niveaux.
Ils remettent ainsi en cause la capacité des investissements directs étrangers à promouvoir une croissance créatrice d’emplois et regrettent que cette politique s’éloigne des objectifs de développement durable (ODD) définis par l’ONU : “Ces faiblesses du plan Compact With Africa illustrent la nécessité d’un nouvel agenda pour la coopération et le développement. Les priorités de ce nouvel agenda devraient être la promotion d’une croissance inclusive et durable et l’élimination de la pauvreté“. Les débats qui entourent le plan “Compact” en Allemagne sont révélateurs du nouveau paradigme de la politique européenne vis-à-vis de l’Afrique et de la transition, parfois difficile, d’une logique d’aide au développement à une logique d’investissement.
L’Allemagne en Afrique : partenaire ou concurrent pour la France ?
Le “tournant africain” de l’Allemagne, auquel on assiste aujourd’hui, est à la fois source de soulagement et d’inquiétude pour la France. Source d’inquiétude notamment due à la rapidité de déploiement des entreprises allemandes sur le continent africain : alors que son intérêt pour le continent est relativement récent, l’Allemagne est devenue, en 2017, le premier fournisseur européen en Afrique, dépassant ainsi la France.
Cela intervient alors que les parts de marché des entreprises françaises en Afrique ont progressivement été réduites de moitié dans les dernières années, passant de 12 % à 6 % entre 2001 et 2017, au profit de puissances émergentes telles que la Chine, la Turquie et l’Inde. L’Allemagne s’ajoute désormais à la liste de concurrents de l’Hexagone sur le continent.
Néanmoins, l’intérêt grandissant de l’Allemagne pour l’Afrique constitue également une opportunité pour la France, longtemps isolée sur le continent et aujourd’hui affaiblie, pour porter avec davantage de succès cette priorité au niveau européen. La récente visite en Éthiopie, où se trouve le siège de l’Union africaine, de la nouvelle présidente (allemande) de la Commission, Ursula von der Leyen, pour son premier déplacement hors d’Europe, est en cela un signe encourageant, qui va dans le sens d’un partenariat de continent à continent renouvelé, que nous appelions de nos vœux dans notre rapport publié en juin 2019 Europe-Afrique : partenaires particuliers.
L’engagement de l’Allemagne en Afrique reste largement subordonné à sa volonté d’apporter une réponse globale ce qu’elle perçoit comme les principaux enjeux du monde à venir : le défi migratoire et la lutte contre le réchauffement climatique
Lors de son discours d’investiture en 2004, le Bundespräsident Hörst Köhler affirmait : “Pour moi, l’humanité de notre monde se mesurera à l’aune du destin de l’Afrique“, anticipant ainsi de près d’une décennie le repositionnement de l’Allemagne vis-à-vis du continent africain. L’engagement de l’Allemagne en Afrique reste largement subordonné à sa volonté d’apporter une réponse globale ce qu’elle perçoit comme les principaux enjeux du monde à venir : le défi migratoire et la lutte contre le réchauffement climatique. Intrinsèquement liés, ces deux défis justifient la politique volontariste de l’Allemagne en Afrique et la volonté du Gouvernement d’encourager les entreprises allemandes à contribuer au développement économique de l’Afrique. Ce partenariat gagnant-gagnant encouragé par la Chancelière a des conséquences évidentes pour la France. Si “La France n’est plus seule en Afrique” (Le Drian) il lui revient désormais de redéfinir les modalités de sa coopération avec un partenaire de plus en plus conquérant, et bien décidé à assumer de nouvelles responsabilités en Afrique.
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