Auteur: Fifatin Grace Kpohazounde
Organisation affiliée : Centre Thucydide
Type de publication : Étude
Date de publication : 2018
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La politique étrangère des Etats-Unis en Afrique subsaharienne commence réellement à prendre forme durant les années de la Guerre froide. En effet, c’est en 1958 que le Congrès américain crée un bureau indépendant chargé des questions africaines et dirigé par un Secrétaire d’Etat adjoint.
Même si une rhétorique idéaliste est souvent plus prononcée avec les administrations démocrates, cette politique se conçoit et se pratique dans le cadre théorique du réalisme en Relations internationales, tel que développé par Hans Morgenthau et Raymond Aron. La théorie du réalisme en politique étrangère soutient entre autres que les Etats sont les principaux acteurs des relations internationales et, égoïstes, agissent sur la scène internationale pour sécuriser leurs intérêts nationaux et accroître leur puissance. Elle soutient aussi que les institutions internationales ne sont pas compétentes pour réguler les actions des Etats sur la scène internationale et que la guerre et les conflits sont un prolongement naturel des relations entre Etats, lesquelles sont de nature concurrentielle. Pour le réalisme, l’action de l’Etat ne doit pas être appréciée en fonction de sa justesse morale mais plutôt en fonction de sa contribution à l’intérêt national, lequel n’est pas constant.
En Afrique subsaharienne, pendant les années de Guerre froide, les Etats-Unis mettent en œuvre, une politique étrangère basée sur la stratégie de récupération politique. Elle a pour objectif de pousser les pays africains, pour la plupart nouvellement indépendants, à adopter les valeurs institutionnelles et économiques prônées par les Etats-Unis. Sa mise en œuvre consistait, d’une part, en l’usage d’instruments de puissance douce ou soft power (diplomatie, aide humanitaire, aide au développement) et, d’autre part, en interventions militaires discrètes, souvent sous forme de conflits par procuration, pour tordre le bras aux régimes récalcitrants envers l’agenda américain. Cette stratégie de politique étrangère semblait adaptée à l’enjeu principalement idéologique que représentait l’antagonisme entre un mode de production communiste et le capitalisme et au contexte géopolitique d’une Afrique subsaharienne qui était la chasse gardée de l’Europe. La promotion du mode de production capitaliste dans les nouveaux pays indépendants d’Afrique subsaharienne devant servir les intérêts économiques des Etats-Unis dans la région.
A la fin de la Guerre froide en 1990, les Etats-Unis réévaluent leur politique étrangère en Afrique subsaharienne pour faire face à des intérêts économiques et des enjeux sécuritaires croissants. En effet, en 2004, un rapport du Centre des études stratégiques et internationales (CSIS), intitulé Rising US Stakes in Africa : Seven Proposals to Strenghen US-Africa Policy, faisait état de la place stratégique qu’occupait l’Afrique pour les Etats-Unis en matière d’accès aux ressources naturelles, de lutte contre le terrorisme et face à la concurrence de nouveaux acteurs, notamment de la Chine.
En Afrique subsaharienne, pendant les années de Guerre froide, les Etats-Unis mettent en œuvre, une politique étrangère basée sur la stratégie de récupération politique. Elle a pour objectif de pousser les pays africains, pour la plupart nouvellement indépendants, à adopter les valeurs institutionnelles et économiques prônées par les Etats-Unis
La stratégie de récupération politique fait alors place à une politique étrangère plus agressive, et plus expansive. Alors que, pendant la Guerre froide, les instruments de puissance douce à la disposition de la politique étrangère des Etats-Unis étaient limités principalement à l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et aux Volontaires de la paix (Peace Corps), la période de l’après-Guerre froide voit le déploiement d’une palette plus variée d’instruments, aussi bien de puissance douce que de puissance militaire, pour affronter des enjeux multiformes.
Pour renforcer sa politique étrangère dans la région, les Etats-Unis opèrent un changement au niveau de la forme et non sur le fond. Ainsi, les objectifs de poursuite d’intérêts économiques selon le modèle de production capitaliste demeurent constants, tandis que les moyens et, par conséquent, les tactiques déployées pour atteindre ces objectifs évoluent. La politique étrangère américaine en Afrique subsaharienne après la Guerre froide est alors caractérisée par une diplomatie plus intense, une multiplication des instruments de politique étrangère avec l’introduction de nouveaux programmes de coopération, y compris l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) créé en 1999 sous la présidence de Bill Clinton, le Plan for Emergency Relief (PEPFAR) en 2004 sous l’administration Bush ou encore le Global Hunger and Food Security Initiative établi par le président Barack Obama en 2009. En outre, une militarisation de la présence américaine s’est manifestée avec la création en 2007 du Commandement américain pour l’Afrique, AFRICOM.
L’arrivée au pouvoir, en janvier 2017, du président Donald Trump soulève la question de savoir s’il y aura une continuité ou une rupture dans la politique étrangère des Etats-Unis en Afrique subsaharienne.
Ainsi, pour promouvoir ses intérêts capitalistes en Afrique subsaharienne de 1960 à 1990, Washington adopte une stratégie de récupération politique. Il s’agit de la méthode traditionnelle de la « carotte et du bâton » consistant, d’une part, en des mesures d’aide humanitaire, d’aide au développement, d’assistance technique, et d’autre part, de l’utilisation de la menace militaire
La politique étrangère des Etats-Unis pendant la Guerre froide (1960-1990) : une stratégie de récupération.
L’intérêt de la promotion du mode de production capitaliste dans les pays africains dans le contexte de la Guerre froide est de contribuer à créer un cadre institutionnel favorable aux investissements économiques américains. En effet, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, entre 1945 et 1960, le mode de production capitaliste est dans sa phase expansive aux Etats-Unis avec, entre autres, le développement de l’industrie automobile (la production annuelle de voitures aux Etats-Unis a quadruplé de 1945 à 1955) et de l’immobilier.
Le Produit national brut (PNB) passe de 2 milliards de dollars en 1940 à 3 milliards en 1950 et à 5 milliards en 1960. La classe moyenne américaine croît, avec le nombre d’employés col blanc qui passe de 4 millions en 1940 à 11 millions de personnes en 1960. Les capitaux se multiplient également et les Etats-Unis sont dans une phase d’abondance matérielle, de surproduction. Pour que les industriels continuent à maximiser leurs profits, l’excès de capital dans la phase expansive du capitalisme doit être investi dans de nouveaux marchés.
L’Europe, avec le Plan Marshall de 1947, était l’un de ces marchés et les pays indépendants d’Afrique subsaharienne, avec des ressources naturelles et une main-d’œuvre abordable, représentaient un autre marché potentiel. Ainsi, pour promouvoir ses intérêts capitalistes en Afrique subsaharienne de 1960 à 1990, Washington adopte une stratégie de récupération politique. Il s’agit de la méthode traditionnelle de la « carotte et du bâton » consistant, d’une part, en des mesures d’aide humanitaire, d’aide au développement, d’assistance technique, et d’autre part, de l’utilisation de la menace militaire. C’est donc une combinaison de soft power ou puissance douce – telle que définie par Joseph S. Nye – et de hard power ou puissance dure. De manière générale, « la carotte » ou les éléments de puissance douce sont mis en avant, tandis que « le bâton » ou la menace de l’usage de la force reste en renfort et intervient en cas de besoin, selon la théorie réaliste des Relations internationales.
Manifestation du soft power : illustration avec les Peace Corps ou Volontaires de la paix
La puissance douce est basée sur « l’idée selon laquelle le meilleur moyen d’imposer de façon durable la puissance américaine est de le faire à l’aide de stratégies d’influence et de privilégier les voies diplomatiques, en excluant tant que possible l’utilisation de la force armée ».
Il s’agit, pour les Etats-Unis, de faire la promotion de valeurs américaines en motivant les pays africains à adopter les mêmes valeurs à travers la diplomatie, l’aide au développement, etc., facilitant ainsi la mise en place d’un cadre institutionnel favorable aux intérêts économiques américains. Dans une politique étrangère réaliste, la puissance douce n’est pas autosuffisante comme stratégie mais est souvent un allié et un précurseur à l’usage de la force militaire. Pendant la Guerre froide, les instruments de puissance douce de la politique étrangère des Etats-Unis étaient limités à deux agences principales, USAID et les Peace Corps, créés en 1961.
Les Volontaires de la paix incarnent l’instrument de puissance douce par excellence de la politique étrangère des Etats-Unis durant la Guerre froide. Ce sont des fonctionnaires du gouvernement américain qui apportent dans les pays où ils sont déployés une assistance technique dans les domaines de l’éducation, de l’agriculture, de la santé et de l’entreprenariat. Dans son discours sur la création des Volontaires de la paix, tenu le 2 novembre 1960 à San Francisco, Cow Palace, le président John F. Kennedy déclarait : « Les enseignants, les docteurs, les techniciens et experts dont les pays en voie de développement ont désespérément besoin viennent en grand nombre de Moscou et contribuent ainsi à l’avancée du communisme […] Ils connaissent le pays, parlent la langue et travaillent rapidement et efficacement en Guinée, au Ghana, au Laos, et à travers le monde […] Ils peuvent seulement être contrés par des Américains qui sont tout aussi qualifiés et dévoués. […] Je suis convaincu que nos jeunes hommes et jeunes femmes attachés à la liberté sont entièrement capables de surpasser les efforts des missionnaires de M. Khrouchtchev qui s’attèlent à saper cette liberté ».
Une déclaration qui confirme, malgré l’apparence humanitaire que revêt l’agence, l’intérêt de politique étrangère qu’elle représente dans la lutte contre le communisme.
Les Volontaires de la paix sont présents en Afrique, aux Caraïbes, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, en Europe de l’Est, en Asie, au Moyen-Orient et dans les îles Pacifiques. En 1970, près de 9 000 volontaires servaient dans 59 pays en développement ; en 2010, on compte 8 655 volontaires servant dans 77 pays, dont 29 pays africains, et en 2015, 6 818 volontaires servaient dans 64 pays, dont 27 pays africains. Ces chiffres confirment que la présence des volontaires dans les pays en développement était plus importante pendant les années 1970, que l’Afrique accueille actuellement près de 45 % du nombre total des Volontaires de la paix, soit près de la moitié, et que, malgré un nombre total décroissant, la proportion de Volontaires servant en Afrique demeure la plus importante de toutes les régions.
L’instrument de la menace militaire
Cet instrument peut se manifester par un soutien militaire à des régimes clients, à des groupes armés rebelles déstabilisateurs d’un régime jugé non favorable aux intérêts américains ou alors à des coups d’Etat. De 1960 à 1990, l’usage des ressources militaires américaines se faisait de manière discrète, principalement au travers des opérations secrètes de la Central Intelligence Agency (CIA), comme par exemple dans l’assassinat de Patrice Lumumba au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) ou dans le soutien aux mouvements indépendantistes de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) et du Front national de libération de l’Angola (FNLA) dans le contexte de la Guerre froide. Au Ghana, en 1966, la CIA est soupçonnée d’avoir joué un « rôle pivot » dans le coup d’Etat contre le président Kwame Nkrumah. Il y eut également l’intervention indirecte des Etats-Unis dans la corne de l’Afrique, lors de la guerre de l’Ogaden en 1977-1978 opposant l’Ethiopie et la Somalie, qui se disputaient la localité d’Ogaden, riche en pétrole, en gaz naturel et stratégiquement proche des grandes lignes d’approvisionnement de pétrole. Un télégramme confidentiel du Département d’Etat à l’ambassade des Etats-Unis à Paris, daté du 6 août 1977, informe alors du projet de Washington de fournir des armes et des équipements militaires à la Somalie, tandis que l’Ethiopie est soutenue militairement par l’Union soviétique.
En plus des richesses naturelles de la région d’Ogaden, la corne de l’Afrique représente un intérêt stratégique pour les Etats-Unis en raison de sa proximité avec les champs pétroliers du Moyen-Orient. Ces interventions discrètes poursuivaient à l’époque le même objectif, principalement économique : faciliter l’accès d’entreprises américaines à des ressources naturelles, créer un environnement favorable au développement du capitalisme et, ce faisant, écarter l’Union soviétique.
La présence américaine en Afrique subsaharienne pendant la Guerre froide était néanmoins peu visible, tant en termes diplomatiques que militaires. Ainsi, la plupart des analystes des relations internationales, comme Philippe Hugon, reconnaissent qu’entre 1960 et 1990 Washington a adopté une empreinte légère (« light footprint ») en Afrique, considérant le continent « plus comme un problème européen que comme un problème américain ».
La politique américaine des Etats-Unis après la Guerre froide : diplomatie renforcée et militarisation
Contrairement à la période précédente, durant laquelle la politique africaine des Etats-Unis n’était pas très structurée et qui reposait sur une variété limitée d’instruments de puissance douce et sur une présence militaire discrète, nous assistons après la Guerre froide à une nouvelle formule de politique étrangère, qui se veut plus structurée, plus agressive, avec non seulement une multiplication d’éléments de puissance douce, mais aussi davantage d’instruments militaires, notamment avec la mise en place d’un commandement militaire pour l’Afrique en 2007, AFRICOM. En 2012, la Maison-Blanche conçoit pour la première fois un document officiel sur sa politique en Afrique subsaharienne intitulé the US Foreign Policy in Sub-saharan Africa. Le document identifie quatre priorités de la politique étrangère américaine dans la région : la sécurité et la lutte contre le terrorisme ; la promotion de la démocratie ; la promotion du libéralisme économique ; le développement socio-économique.
Une diplomatie intensifiée
La théorie réaliste des Relations internationales de Hans Morgenthau et Raymond Aron reconnaît le rôle essentiel de la diplomatie dans toute politique étrangère, même si elle estime que la guerre et les conflits sont un prolongement naturel des relations entre Etats.
Sur le plan diplomatique, les Etats-Unis adoptent désormais une approche plus agressive et plus présente en Afrique subsaharienne, en engageant tous les instruments diplomatiques disponibles, à savoir la diplomatie publique et la diplomatie d’Etat.
Pour ce qui est de la diplomatie d’Etat, définie comme la diplomatie exercée par les représentants officiels de l’Etat américain, le changement d’attitude envers l’Afrique subsaharienne commence pendant l’administration Clinton pour s’intensifier durant les administrations Bush et Obama. Les officiels américains mettent désormais en avant la notion de partenariat avec les pays africains, dans l’objectif de signaler aux Africains une volonté de coopérer d’égal à égal, au moins en théorie.
L’administration Obama a continué sur la même lancée que celle des présidents Bush et Clinton avec la notion de partenariat. Une notion qui reste somme toute très théorique et relève plus d’une offensive de charme que d’un changement de pratique
Cette notion de partenariat, s’inspire en partie de la tactique de la Chine en Afrique subsaharienne, qui met en avant, avec assez de succès, le respect de la souveraineté dans sa rhétorique diplomatique avec les pays africains. Pendant les deux mandats du président Bill Clinton (1993-2001), ce dernier fait preuve de plus de proximité avec les pays africains. Il était ainsi considéré comme le « monsieur Afrique » parmi tous les Présidents américains. En 1998, il effectue sa première visite en Afrique subsaharienne : c’est le voyage le plus long d’un dirigeant américain sur le continent. Il visite le Ghana, l’Ouganda, le Sénégal, le Rwanda, le Botswana et l’Afrique du Sud. Deux ans plus tard, le président Clinton visite à nouveau le continent, se rendant cette fois au Nigeria et en Tanzanie. Il devient alors le premier Président américain à visiter deux fois l’Afrique pendant son mandat. La promotion de la démocratie, des droits de l’homme et d’une économie de marché était le principal message du président Clinton. Ainsi, en mars 1998, au Ghana, Bill Clinton affirme : « La Guerre froide est finie ; le colonialisme est fini ; l’Apartheid est fini. Les vestiges de troubles passés demeurent. Mais sûrement, il viendra un moment où partout la réconciliation remplacera la récrimination. Maintenant, les nations et les individus sont enfin libres de rechercher un monde nouveau où la démocratie, la paix et la prospérité ne sont pas des slogans, mais l’essence d’une nouvelle Afrique ».
Ces déclarations seraient louables si les Etats-Unis n’adoptaient pas eux aussi en Afrique le même modèle d’exploitation de ressources qu’ils reprochent à d’autres nations. L’administration Obama a continué sur la même lancée que celle des présidents Bush et Clinton avec la notion de partenariat. Une notion qui reste somme toute très théorique et relève plus d’une offensive de charme que d’un changement de pratique.
Les visites de haut niveau d’autres autorités américaines en Afrique deviennent de plus en plus fréquentes. L’ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU Susan Rice (2009-2013), la secrétaire d’Etat Hillary Clinton (2009-2013) et le secrétaire d’Etat adjoint aux affaires africaines Johnnie Carson (2009- 2013) ont visité une douzaine de pays au total, dont le Rwanda, l’Ethiopie, le Liberia et le Congo en 2009, durant la première année du premier mandat du président Obama.
La diplomatie publique des Etats-Unis, définie comme « la promotion des intérêts, de la culture et des politiques américaines en informant et en influençant les populations étrangères » fut aussi renforcée en Afrique subsaharienne. Les vecteurs de cette diplomatie sont, entre autres, les programmes d’échanges culturels et éducationnels. Deux types d’activités principales y sont inclus, à savoir les programmes internationaux de radiodiffusion non militaire et les programmes d’échanges culturels éducationnels (International Non Military Broadcasting Programs et les Educationnal and Cultural Exchange Programs). Le programme de diffusion international consiste principalement en la diffusion d’informations et d’autres programmes par des relais médias (radio ou télé) américains qui émettent dans les régions à influencer. Voice of America (VOA), créé en février 1942, est le relais média américain principal du programme d’information international en Afrique.
Concrètement, les relais médias américains qui émettent en Afrique définissent et sélectionnent l’information digne d’être diffusée dans la région en fonction des intérêts américains. Au fil des années, VOA a étendu sa couverture géographique sur le continent et émet désormais dans 16 langues en Afrique subsaharienne, y compris en swahili, en haussa, en bambara, en kinyarwanda et en kirundi
Les médias sont un vecteur crucial d’influence politique dans le sens où ils façonnent la perception de la réalité par les populations à influencer. En d’autres termes, comme l’expliquent Noam Chomsky et Edward S. Herman dans Manufacturing Consent : the Political Economy of the Mass Media, il s’agit de contrôler la pensée pour mieux dominer. Concrètement, les relais médias américains qui émettent en Afrique définissent et sélectionnent l’information digne d’être diffusée dans la région en fonction des intérêts américains. Au fil des années, VOA a étendu sa couverture géographique sur le continent et émet désormais dans 16 langues en Afrique subsaharienne, y compris en swahili, en haussa, en bambara, en kinyarwanda et en kirundi.
Les programmes d’échanges culturels et éducationnels américains se multiplient aussi. En 2010, le président Obama crée la Young Africa Leaders’ Initiative (YALI), qui consiste à inviter de jeunes Africains « prometteurs », pour des échanges avec des cadres de milieux politiques et économiques américains. La même année, il crée l’African Women Entrepreneurship Program (AWEP) qui consiste à faciliter des contacts entre des femmes entrepreneures originaires d’Afrique subsaharienne et les milieux d’affaires américains. En 2010, 120 jeunes Africains ont été invités aux Etats-Unis dans le cadre du programme AWEP.
En somme, les Etats-Unis renforcent leur diplomatie avec les pays de l’Afrique subsaharienne en misant sur un « partenariat » avec les pays de la région par opposition à la posture de donneurs de leçons des décennies précédentes afin d’améliorer la perception des Etats-Unis par les dirigeants et les peuples africains.
Multiplication d’initiatives économiques et humanitaires
L’aide humanitaire ou économique est un puissant instrument de domination et de politique étrangère, comme l’explique Kwame Nkrumah dans son fameux ouvrage Neo-colonialism, the Last Stage of Imperialism. Les engagements humanitaires des Etats-Unis envers l’Afrique se sont multipliés depuis le début des années 2000. En 2003, le président Bush crée the President’s Emergency Plan for Aids Relief (PEPFAR), financé à hauteur de 15 milliards de dollars sur une période de cinq ans pour aider les pays africains à lutter contre le SIDA. La Global Health Initiative du président Obama est mise en place en 2009 et « a pour objectif une meilleure prévention et un traitement des maladies, un renforcement des systèmes de santé et une amélioration de la santé maternelle et infantile, de meilleurs résultats pour les maladies tropicales négligées et une augmentation de la recherche et du développement ». La même année, la Global Hunger and Food Security Initiative est créée comme un fonds multilatéral pour le développement de l’agriculture dans les pays en développement et en Afrique subsaharienne en particulier.
En termes d’initiatives d’aide au développement économique, les programmes d’USAID sont désormais complétés par d’autres structures du gouvernement américain, comme prévu par l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) de 1999, sous le président Clinton, et le Millenium Challenge Account (MCA) créé en janvier 2004 sous l’administration Bush. L’AGOA, « premier support juridique des rapports entre l’Afrique et les EtatsUnis », a pour contenu essentiel la libéralisation et la promotion du secteur privé, l’augmentation des échanges commerciaux et des investissements, la réduction des barrières douanières et des entraves non tarifaires, la négociation des zones de libre-échange en Afrique . Théoriquement, l’AGOA permet l’accès au marché américain, en franchise de douane pour certains produits (textile, hydrocarbures) provenant de pays africains éligibles pour prendre part à l’AGOA. Les critères d’éligibilité comprennent, entre autres, les progrès réalisés par ces pays pour « la mise en place d’une économie de marché, la primauté du droit et le pluralisme politique, l’élimination des obstacles au commerce et à l’investissement des Etats-Unis ».
Près de quarante pays d’Afrique subsaharienne sont actuellement éligibles à l’AGOA, y compris le Sénégal, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Gabon, le Nigeria, le Togo, le Cameroun et le Bénin. Tandis que ce cadre de coopération facilite l’accès au marché africain par les entreprises américaines, les bienfaits de cette loi restent mitigés pour les acteurs économiques africains. Théoriquement, les entrepreneurs des pays éligibles devraient bénéficier de tarifs préférentiels pour accéder au marché américain. Pourtant, au-delà de la levée de normes douanières, la compétitivité de certains produits africains sur le marché américain reste difficile, notamment à cause des subventions dont bénéficient les producteurs américains. La conséquence est que cette initiative profite plus aux industriels américains qu’aux Africains. Par ailleurs, il est intéressant de noter que plus de 80% des produits africains exportés vers les Etats-Unis dans le cadre de l’AGOA sont des produits pétroliers.
La militarisation : AFRICOM
Le United States Africa Command (AFRICOM), créé en 2007, couvre le continent africain, à l’exception de l’Egypte – couverte par le Commandement européen, EUCOM. Le quartier général de ce grand commandement est basé à Stuttgart, en Allemagne. En effet, lors de l’annonce de la création d’AFRICOM en 2007, des organisations régionales africaines comme la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Communauté des Etats sahelo-saheliens (CEN-SAD), ainsi que des chefs d’Etat africains, y compris à l’époque le Ghanéen John Atta Mills, Levy Mwanawasa de Zambie et Festus Mogae du Botswana, ont exprimé de la méfiance à l’égard de cette initiative. C’est dans ce contexte qu’il fut difficile, pour les Etats-Unis, de trouver un pays africain prêt à accueillir sur son sol le quartier général du commandement.
La mise en place du commandement marque l’innovation tactique la plus importante de la politique étrangère des Etats-Unis en Afrique subsaharienne dans la période de l’après-Guerre froide. Une innovation conforme à la théorie réaliste des Relations internationales, qui accorde une place de choix à l’usage des ressources de puissance dure. Par ailleurs, la mise en place d’AFRICOM confirme, de fait, une importance géostratégique accrue de l’Afrique subsaharienne pour les Etats-Unis. En effet, l’Afrique était jusqu’alors le seul continent auquel le Département de Défense n’avait pas attribué de commandement militaire.
En fait, depuis le 11 septembre 2001 et sur la base de l’argument de la lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis ont intensifié leur engagement militaire avec les pays africains, notamment à travers des coopérations de formations militaires. Officiellement, AFRICOM se livre à la formation des éléments d’armées nationales et à la conduite d’opérations unilatérales ou conjointes en Afrique subsaharienne. En 2013, AFRICOM délivra au moins quatorze formations aux armées de certains pays d’Afrique subsaharienne. Il s’agit entre autres de Saharan Express 2013, qui est une formation pour la sécurité maritime, d’Obangame Express, une formation de lutte contre la piraterie, du Western Accord, délivré avec la France et auquel participent en 2012 le Sénégal, la Guinée-Bissau, le Burkina Faso et la Gambie, du Central Accord, qui voit la participation d’une majorité de pays d’Afrique centrale, à savoir le Gabon, la République du Congo, le Cameroun et le Burundi, et du Contingency Operations Training and Assistance (ACOTA), par lequel l’armée américaine forme et équipe des unités africaines.
Dans la région du Sahel, depuis 2011, les incidents qualifiés de « terroristes » attribués à Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou à d’autres groupuscules, tels Ansar Dine, Mujao, Al Mourabitoune, se sont multipliés après la chute du Guide libyen, Mouammar Kadhafi, et dans le contexte d’instabilité politique au Mali en 2012, avec un coup d’Etat contre le président Amadou Toumani Touré, au pouvoir depuis 2002. En 2011, les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), sous mandat onusien, interviennent en Libye, initialement pour la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne pour protéger les civils face à la répression du pouvoir de Kadhafi contre des mouvements populaires de contestation. Cette intervention s’est soldée par l’assassinat de Kadhafi et un changement de régime. Il est estimé que l’intervention des forces de l’OTAN en Libye relève d’intérêts plus géostratégiques liés au pétrole, dont la Libye est le quatrième producteur en Afrique. Pour beaucoup d’analystes et certains dirigeants de la région, y compris Idriss Déby, la chute de Kadhafi a précipité le Sahel dans la crise sécuritaire que la région connaît depuis lors.
En outre, AFRICOM dispose d’un réseau logistique sophistiqué connu sous le nom officiel d’AFRICOM Surface Distribution Network et appelé, en jargon d’AFRICOM, « la nouvelle route des épices ». Ce réseau logistique connecterait les ports de pays d’Afrique de l’Est et de la corne de l’Afrique, à savoir Manda Bay, Garissa et Mombassa au Kenya, Entebbe en Ouganda, Dire Dawa en Ethiopie et Djibouti, aux ports de pays d’Afrique de l’Ouest, notamment les ports de Tema au Ghana et de Dakar au Sénégal. Des emplacements de soute à combustible ou d’emmagasinage de carburant sont situés dans huit pays africains, y compris le Gabon, la Tanzanie, le Cameroun, le Nigeria et l’Afrique du Sud.
Ces présences et cette logistique sont indéniablement l’illustration d’une présence militaire américaine massive, avec un accès stratégique et un contrôle global de l’espace des pays de l’Afrique subsaharienne, que ce soit par voie terrestre, aérienne ou maritime. Un accès et un contrôle dont ces pays ne disposent même pas pour leur propre bénéfice, pour des besoins d’échanges économiques par exemple. Leur accord pour l’installation de ces bases relève de la même réalité d’un rapport de force géopolitique qui voit l’installation de bases militaires de pays plus puissants dans des régions où ils détiennent des intérêts économiques et sécuritaires. Les bases américaines en Amérique latine, en Asie ou au Moyen-Orient et les bases françaises en Afrique sont un exemple. Dans le cas de l’Afrique subsaharienne, l’intérêt pour des dirigeants d’accepter sur leur sol la présence de bases militaires étrangères est souvent lié à la survie du régime en place, qui obtient en échange une protection et un soutien pour se maintenir au pouvoir, souvent contre la volonté du peuple.
Perspectives de la politiques étrangères des Etats-Unis sous l’administration Trump : continuité ou rupture ?
Comme nous venons de le voir, la politique étrangère des Etats-Unis en Afrique subsaharienne a évolué graduellement, depuis la fin de la Guerre froide, en une politique plus structurée, s’appuyant sur une diplomatie renforcée et des moyens de puissance douce et militaire accrus, afin affronter des enjeux économiques et sécuritaires plus importants. L’arrivée au pouvoir en 2017 du 45e Président des Etats-Unis, Donald J. Trump, soulève la question légitime de savoir s’il y aura une continuité ou une rupture dans la conception, dans la forme ou dans la mise en œuvre de la politique étrangère des Etats-Unis dans la région. Dix mois après la mise en place de la nouvelle administration, le Secrétaire d’Etat adjoint intérimaire aux affaires africaines, Donald Y. Yamamoto, donne quelques indications lors de sa présentation du budget de l’assistance américaine en Afrique subsaharienne pour l’exercice 2018, au Congrès américain, le 11 octobre 2017.
Cependant cette présentation officielle, qui devrait offrir une base légitime pour l’analyse de la politique étrangère des Etats-Unis en Afrique subsaharienne sous l’administration Trump, doit être recadrée dans un contexte où les membres de la nouvelle administration n’ont pas encore été tous nommés, Yamamoto étant lui-même intérimaire à ce poste, et le caractère versatile du Président, lequel change de position en fonction de ses interlocuteurs ou d’intérêts immédiats, fait que les stratégies officielles présentées par les départements concernés sont susceptibles de changer constamment. Cela étant, il apparaît tout de même des éléments de continuité et de rupture dans les grandes composantes de la politique américaine en Afrique subsaharienne, à savoir la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, la diplomatie et l’aide au développement socio-économique et la poursuite d’intérêts économiques et sécuritaires. Une politique étrangère qui, de toute évidence, sera désormais mise en œuvre de façon ad hoc et versatile, à l’image du chef de la Maison-Blanche.
La promotion de la démocratie et des droits de l’homme
L’un des fondements idéologiques de la politique étrangère des Etats-Unis de manière générale et en Afrique subsaharienne en particulier est la promotion de la démocratie et des droits de l’homme. Toutes les administrations, qu’elles soient démocrates ou républicaines, ont adopté en Afrique subsaharienne la même rhétorique de promotion de la démocratie et des droits de l’homme. En général, le discours idéaliste sur la promotion de la démocratie et des droits de l’homme se traduisait souvent dans son application par une politique étrangère très réaliste, conforme à la théorie réaliste des Relations internationales développée par Hans Morgenthau et Raymond Aron.
La diplomatie et l’aide au développement socio-économique
Contrairement à l’offensive diplomatique de la période précédente, où les présidents Obama, Bush et Clinton créent ou renforcent des cadres de coopération diplomatique, humanitaire ou socio-économique, l’administration Trump adopte une approche diplomatique un peu plus réservée, exclusivement économique, tout en reprenant le concept de partenariat avec l’Afrique subsaharienne. En effet, Yamamoto, dans son discours au Congrès américain sur le budget de l’assistance financière des Etats-Unis pour l’année 2018, déclare que « l’Afrique est déjà un continent d’amis et de partenaires ». Comme son prédécesseur, le président Trump a reçu des dirigeants africains en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, pas pour parler de démocratie, de bonne gouvernance ou des droits de l’homme, mais pour des échanges qui se sont largement focalisés sur la promotion des investissements économiques américains en Afrique subsaharienne.
Ainsi, le partenariat des Etats-Unis avec les pays africains au sud du Sahara bénéficiera désormais de ressources financières réduites pour des programmes à vocation purement humanitaires ou sociales, y compris PEPFAR et la Global Hunger Initiative.
Intérêts économiques et sécuritaires
Dans les domaines économiques et sécuritaires, il ressort une continuité, voire une intensification de l’engagement des Etats-Unis en Afrique subsaharienne. Ainsi, la course pour l’accès aux ressources naturelles, notamment pétrolières, dans un contexte de compétition avec d’autres acteurs économiques et la militarisation de la présence américaine au nom de la lutte contre le terrorisme vont prendre de l’ampleur. En effet, le Département d’Etat note que son budget d’assistance en Afrique subsaharienne pour l’année financière 2018 sera concentré de façon stratégique sur les pays où les Etats-Unis ont des intérêts économiques et sécuritaires conséquents, particulièrement dans le golfe de Guinée, la région du Sahel et la corne de l’Afrique.
La poursuite des intérêts économiques américains en Afrique subsaharienne s’est faite jusqu’ici dans des cadres de coopération précis comme l’AGOA ou le Millenium Challenge Account. Tout porte à croire, qu’elle se fera désormais davantage de façon ad hoc, en dehors de tout cadre institutionnel, et que les entreprises multinationales auront plus de marge de manœuvre pour décider individuellement, avec les pays africains, des règles du jeu de leur coopération sans un cadrage politique.
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