Auteur : Léonard Colomba-Petteng
Organisation affiliée : Fondation Robert Schuman
Site de publication : Fondation Robert Schuman
Type de publication : Article
Date de publication : 18 novembre 2019
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Le déclenchement d’une mission de sécurité dès 2012
L’Union européenne cherche à s’affirmer, depuis 2011, comme un acteur politique crédible au Sahel. Mais la mise en œuvre concrète du nexus “développement-sécurité” résiste difficilement à l’étude des dynamiques locales, et mériterait d’être revue par la prochaine Commission.
En juillet 2012, l’Union européenne procédait au lancement d’une mission civile de renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure qui constitue encore le dispositif de coopération sécuritaire le plus lourd au Niger. Alors que Bruxelles privilégiait auparavant le soutien aux “organisations de la société civile” et aux structures du marché plutôt qu’aux appareils de sécurité, le lancement de la mission EUCAP Sahel Niger consacre la reconfiguration de l’approche européenne au Sahel.
L’efficacité et les réalisations d’EUCAP Sahel restent en réalité particulièrement difficiles à mesurer. Le seul document d’évaluation existant est un rapport de la Cour des comptes européenne en 2018, qui souligne des “succès lents et limités ».
Un espace de dialogue privilégié entre les acteurs du secteur du développement et de la sécurité
S’il est difficile de parler d’un véritable rôle de “coordination”, tant ces acteurs et leurs agendas sont pluriels, la mission se présente comme un espace de dialogue où se réunissent autour d’une même table les acteurs humanitaires, du développement et de la sécurité.
Mais ce forum, investi de manière inégale, présente parfois peu d’intérêt pour certains acteurs bien établis localement qui observent avec méfiance l’inflation de plans d’action, d’ateliers de concertation et de feuilles de route stratégiques rarement suivis d’effets.
Diffa, Tahoua, Tillabéry : des mesures sécuritaires contre productives
Dans les régions les plus exposées du Niger, il devient particulièrement difficile de mener des programmes de développement. Face à la recrudescence d’attaques de groupes armés, Niamey a pourtant souhaité réagir avec rapidité et fermeté. Les autorités ont mis en place des mesures exceptionnelles dès le mois de février 2015 dans le bassin du lac Tchad, où sévit Boko Haram, et dans certains départements frontaliers du Mali.
Environ 1,5 million de déplacés du Niger et 175 000 réfugiés du Mali et du Nigeria vivent actuellement dans des conditions “critiques” et nécessitent une assistance humanitaire. Dans la région de Tahoua, 75% de la population déplacée n’a plus d’accès régulier à l’eau potable.
L’état d’urgence cristallise les tensions et les griefs qui se dirigent autant vers le gouvernement que vers les acteurs extérieurs visibles (en particulier la France et les Etats-Unis, qui disposent des plus grosses implantations militaires dans le pays).
L’impact limité des programmes de reconversion des passeurs
Dans la région d’Agadez, les problématiques sécuritaires sont axées sur les migrations irrégulières et sur la circulation de produits illicites. Les dispositifs financés par le fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne ont porté un coup d’arrêt aux flux migratoires en direction de la Libye. Des programmes de reconversion ont été envisagés dès 2016 sous la pression du ministre de l’Intérieur, Mohamed Bazoum. Trois ans plus tard, on ne peut qu’en déplorer les effets limités : ils n’auraient permis la reconversion que de 10% des acteurs impliqués.
Un manque de lisibilité
Le risque d’enchevêtrement des initiatives ne semble pas suffisamment anticipé à Bruxelles entre le comité opérationnel du Fonds et le Service diplomatique (SEAE). Les programmes fonctionnent en “tuyau d’orgue” et la multiplication des dispositifs implique autant d’interlocuteurs différents au sein des administrations nigériennes. Les responsables des programmes sur le terrain se trouvent ainsi obligés de redoubler d’effort en matière de coordination afin d’éviter les doublons.
L’identification de nouveaux besoins
L’idée de “former des formateurs” nigériens est au cœur de l’approche européenne. Cette ambition conditionne la pérennité des programmes et devrait conduire à une diminution des effectifs déployés sur le terrain. Mais l’identification de nouveaux besoins justifie chaque année la création de nouveaux postes, l’élargissement des mandats et la reconsidération des moyens budgétaires.
Par ailleurs, les experts européens ont surestimé l’attractivité de la fonction de formateur aux yeux des membres des forces de sécurité du Niger. Face au manque de personnel volontaire, la mission a soufflé aux autorités nigériennes l’idée d’un projet de décret fixant un statut interministériel harmonisé au profit de formateurs permanents, auquel serait associée une incidence financière.
Le tabou des per diem
Quel que soit le programme européen dans lequel elles s’inscrivent, les formations au profit des forces de sécurité intérieure sont assorties de compensations financières sous forme de per diem. Au Niger, où le salaire mensuel d’un policier ne dépasse guère 70 000 FCFA, le montant des per diem peut s’élever à 120 000 FCFA.
Aux yeux de nombreux formateurs européens sur place, les per diem instaurent un biais considérable à leurs actions. Si le principe de rembourser les stagiaires ne paraît pas choquant, le montant de l’incidence financière pose question. La pratique persiste néanmoins car l’octroi des per diem est devenu un acquis pour les stagiaires.
EUCAP Sahel : une mission mal dimensionnée ?
Par sa visibilité au niveau local, la mission EUCAP Sahel cristallise des critiques émanant d’autres acteurs du domaine de la sécurité. Certains s’agacent de la communication jugée exagérée et d’une trop grande propension à “agiter le drapeau européen” en s’appropriant les réalisations d’autres programmes de coopération.
La répartition du personnel de la mission civile interroge: la moitié du personnel déployé assure des fonctions de soutien à la mission (d’ordre administratif, logistique ou de sûreté) et les postes de formateurs ou conseillers les plus proches des autorités nigériennes sont accaparés par la France, ce qui génère des crispations.
Des normes de sécurité inappropriées ?
Le mode de vie des personnels de la mission EUCAP Sahel semble en décalage avec la réalité de la menace sur le terrain et nuit, selon certains, à la crédibilité de la mission. Premièrement, les consignes de sécurité sont différentes pour le personnel de la mission civile et pour celui la délégation à Niamey. Deuxièmement, les personnels nigériens qui travaillent à EUCAP Sahel ne sont pas soumis à ces mesures de sécurité, y compris à Agadez. Troisièmement, de telles conditions marquent une séparation nette entre les experts et la société dans laquelle ils évoluent.
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