Félicité Djilo
Alors que l’UEMOA évolue vers une dissolution du Franc CFA (XOF) dans l’ECO de la CEDEAO, les États d’Afrique centrale restent étonnamment silencieux sur cette question. Il est vrai que la contestation du Franc CFA y est plus diffuse et moins bruyante qu’en Afrique de l’Ouest. Souvent, ce sont des chefs d’État à savoir Idriss Déby ou Téodoro Obiang Nguema qui ont publiquement critiqué le Franc CFA, sans toutefois proposer de réelles alternatives. L’initiative du président Denis Sassou Nguesso en vue d’un resserrement des relations monétaires entre la Chine et la CEMAC n’a pas reçu l’assentiment de ses pairs de la région.
Cependant, le silence de l’Afrique Centrale sur le Franc CFA n’est que l’écho de la discrétion de la première puissance économique de la région, à savoir le Cameroun. La manière avec laquelle le président Alassane Ouattara assume le rôle de locomotive de la Côte d’Ivoire dans l’UEMOA contraste avec le peu d’appétence du président camerounais pour un leadership assumé de la CEMAC.
Pourtant, les efforts financiers et budgétaires consentis par le Cameroun au cours des dernières années ont clairement évité une nouvelle dévaluation aux Franc CFA XAF, plombé par les déficits colossaux ainsi que les gestions hasardeuses de la Guinée Equatoriale, du Gabon et du Congo. Malgré cette prédominance, le Cameroun n’a que peu cherché à tirer profit de cet avantage stratégique. Ce positionnement du Cameroun résulte de ses rapports ambivalents avec les pays de la région, mais également de la pratique diplomatique de Paul Biya.
Le silence de l’Afrique Centrale sur le Franc CFA n’est que l’écho de la discrétion de la première puissance économique de la région, à savoir le Cameroun
Dans un continent où la teneur des relations internationales est fortement influencée par les rapports personnels entre les chefs d’État, Paul Biya semble privilégier des rapports d’État à État. On ne lui connait pas d’amitiés particulières parmi ses homologues africains en général ou ceux de la région. Sa proximité avec Teodoro Obiang Nguema semble davantage relever de leur appartenance commune au groupe ethnique Fang. Encore, cela n’empêche pas les autorités équato-guinéennes de fermer à leur guise la frontière entre les deux pays et de brimer les ressortissants camerounais.
De fait, dans la politique étrangère de Paul Biya, la région a jusqu’ici été secondaire. La priorité a toujours été d’équilibrer les soutiens du Cameroun parmi les grandes puissances (France, États-Unis, Royaume-Uni, Chine et plus récemment la Russie). S’il faut identifier un aspect positif de la présidence de Paul Biya, c’est bien ce jeu de balancier dans lequel la diplomatie camerounaise excelle. La tare de cette approche est que cette diplomatie vise davantage à garantir au président camerounais, le soutien plus ou moins tacite de ces puissances, sans pour autant contribuer à accroître l’influence du Cameroun dans la région, ou même au renforcement de l’intégration régionale.
Le Cameroun n’a que peu formalisé ses différents avantages comparatifs naturels en une stratégie diplomatique. Au contraire, le pays de Paul Biya a privilégié un leadership passéiste et réactif
En cela, l’urgence d’une réforme du Franc CFA constitue un rappel d’une réalité aux antipodes de la pratique diplomatique présidentielle, à savoir que la première ligne de front des intérêts camerounais se situe dans la région. À ce jour, le Cameroun n’a que peu formalisé ses différents avantages comparatifs naturels en une stratégie diplomatique. Au contraire, le pays de Paul Biya a privilégié un leadership passéiste et réactif.
Dans un tel contexte, des pays comme le Gabon, le Congo et le Tchad ont joué un rôle prépondérant dans la gestion de la crise centrafricaine alors que l’approvisionnement en marchandises de ce pays dépend majoritairement du Cameroun. C’est également dans un tel contexte que s’est déroulé une réforme de la CEMAC qui fait part belle aux «petits» pays au détriment du Cameroun suite à la présidence controversée d’Antoine Ntsimi à Bangui. Il en est de même avec le dédoublement de la bourse régionale entre Libreville et Douala. De fait, la politique régionale semble marquée par une logique de coup par coup, au détriment d’un réel dessein stratégique.
A la décharge de Paul Biya et du Cameroun, on peut dire qu’assumer le leadership dans le CEMAC ne va pas de soi du fait de la faible interdépendance entre les pays de la région. Dans l’UEMOA, au-delà de la dimension économique, l’interdépendance repose par exemple sur les communautés originaires du Mali, du Burkina Faso, du Sénégal immigrées en Côte d’Ivoire. Dans la CEMAC, ce brassage n’est pas de mise si ce n’est l’émigration débrouillarde de nombreux Camerounais dans les pays voisins tandis que les échanges commerciaux intra régionaux demeurent bas. La faible teneur de l’interdépendance entre les pays de la région – hormis celle créée par la monnaie léguée par l’ancienne puissance coloniale/puissance tutélaire- n’a pu susciter une réelle dynamique intra régionale.
En cela, le défi du Cameroun réside en sa capacité ou non à mobiliser ses liens économiques et financiers avec les pays voisins pour créer une dynamique de coopération régionale efficace et efficiente dans une configuration où le rôle de la France ira en s’amenuisant. Là où la Côte d’Ivoire tire bénéfice de la peur causée par le géant nigérian pour maintenir la cohésion de l’UEMOA, le Cameroun ne bénéficiera pas d’un tel avantage. Le maintien ou pas de la zone Franc dépendra de sa capacité à convaincre ses voisins de la pertinence d’une perpétuation de la coopération monétaire à défaut d’une intégration pour laquelle ces derniers ont peu d’appétence.
En conséquence, l’impérative réforme du Franc CFA est une opportunité pour le Cameroun de transformer ses acquis en une politique régionale structurée. Surtout, ladite réforme doit permettre de moderniser une diplomatie excessivement “présidentialisée”, pour la réorienter vers les services aux citoyens et entreprises camerounais opérant dans les pays de la région.
Crédit photo: Afrique du futur
Félicité Njilo est un analyste sur les questions africaines ayant travaillé dans un centre de recherche panafricain. Ses recherches portent sur les questions de gouvernance et de sécurité. Il prépare actuellement un essai sur la construction nationale au Cameroun.
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