Auteur : Martine Robert
Site de publication : Les Echos
Type de publication : Article
Date de publication : 4 novembre 2020
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Le Sénat a amendé le 4 novembre 2020, la loi d’exception menée en procédure accélérée ouvrant la voie à la restitution d’œuvres d’art à des pays africains. Une loi qui pourrait ouvrir la boîte de Pandore et que les sénateurs souhaitent absolument encadrer, à commencer par le changement même du mot « restitution » – qui signifie, d’après le Larousse, « rendre quelque chose que l’on possède indûment » – par le mot « retour ». Le ton est donné.
C’est dans l’immédiat au Bénin qu’il est question de rendre 26 pièces du Trésor de Béhanzin provenant du pillage du palais d’Abomey en 1892, actuellement au musée du quai Branly. Il faudrait également restituer au Sénégal un sabre avec son fourreau attribué à El Hadj Omar Tall, figure militaire et religieuse ouest-africaine du XIXe siècle – le musée de l’Armée l’a d’ailleurs d’ores et déjà renvoyé à Dakar.
Ces restitutions, imposées par aucun texte international (la convention de l’Unesco de 1970 n’est pas rétroactive), résultent de l’engagement pris par Emmanuel Macron en novembre 2017 à Ouagadougou, au Burkina-Faso, pour refonder les relations culturelles avec l’Afrique. Le président de la République avait alors demandé à Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l’université de Saint-Louis du Sénégal, de dresser un état des lieux.
Mal acquis ?
Choisis par Claudia Ferrazzi, ex-conseillère culture de l’Elysée, ces deux personnalités – et leurs conclusions -, ont aussitôt embrasé le milieu de l’art. « Un choix d’activistes, et non de scientifiques », résume Catherine Morin-Desailly, ex-présidente de la commission culture du Sénat. Stéphane Martin, alors à la tête du musée du Quai Branly, qui abrite la plus grande collection française d’arts premiers, dénoncera « un cri de haine contre le concept même de musée, considéré comme une invention occidentale, un lieu quasi-criminel dans lequel les objets sont plumés ». Et plaidera pour « une plus grande circulation des œuvres », et un « partage passant par des prêts, des dépôts et un certain nombre de transferts de propriétés ».
« Les auteurs sont partis du postulat que la majorité des biens sortis d’Afrique pendant la période coloniale ont été mal acquis. Cette présomption de pillage leur permet de justifier une inversion de la charge de la preuve : aux musées français de démontrer le caractère légal de l’acquisition, observe la commission de la culture du Sénat. Or, comme les auteurs le reconnaissent, les biens d’origine africaine des collections résultent de butins de guerre, de pillages, de vols, mais aussi de dons, de trocs, d’achats et de commandes directes aux artisans et artistes locaux. »
En l’absence d’autre document de référence, le rapport fait autorité dans les pays africains : dès qu’il a été rendu public, certains d’entre eux ont réclamé plusieurs centaines d’objets. « Il faut remettre de la sérénité et de la méthode dans la réflexion, pour examiner des demandes qui peuvent être légitimes, tout en évitant le ‘fait du prince’, motivé par des raisons diplomatiques », tempère Catherine Morin-Desailly, rapporteur et experte du sujet.
Celle-ci préconise « la constitution d’un conseil scientifique resserré, pour éclairer à l’avenir le gouvernement et le Parlement. Sans attendre d’être au pied du mur, il faut engager des recherches sur la provenance des œuvres, repenser les coopérations avec ces pays qui souhaitent se réapproprier leur patrimoine et se dotent de musées ». Les sénateurs l’ont suivi, réclamant «un Conseil National de réflexion». Parmi les exemples à suivre pour Catherine Morin-Desailly, figure le Louvre Abu Dhabi.
Inaliénabilité
Difficile d’évaluer l’ampleur des restitutions qui s’annoncent, d’autant que des problèmes de traçabilité se posent sur nombre de pièces. « Certains trésors ont eux-mêmes fait l’objet de razzias par un roi local chez son voisin ; de même une ethnie comme les Dogons est présente sur plusieurs pays. A qui rendre ? Et si on commence, pourquoi s’arrêter à l’Afrique sub-saharienne ? Pourquoi pas l’Egypte, l’Alaska ? », s’inquiète un conservateur.
A ce stade, 5 pays africains ont réclamé 13.000 objets, selon les sénateurs. La plupart des demandes portent sur des objets hautement symboliques. « Les pays africains reconnaissent qu’un retour massif, qui se traduirait par une quasi-disparition des objets d’art africain des collections muséales occidentales, présenteraient pour eux des difficultés. La présence de pièces hors du continent africain est importante pour le rayonnement de leur culture et satisfait une attente de la diaspora africaine », observe encore la commission culture.
Difficile d’évaluer l’ampleur des restitutions qui s’annoncent, d’autant que des problèmes de traçabilité se posent sur nombre de pièces. « Certains trésors ont eux-mêmes fait l’objet de razzias par un roi local chez son voisin ; de même une ethnie comme les Dogons est présente sur plusieurs pays. A qui rendre ? Et si on commence, pourquoi s’arrêter à l’Afrique sub-saharienne ? Pourquoi pas l’Egypte, l’Alaska ? », s’inquiète un conservateur
Pas question pour les parlementaires de revenir non plus sur l’approche universaliste des musées français, ni sur le sacro-saint principe d’inaliénabilité des collections qui protège celles-ci et rassure les mécènes . Un paramètre très important. « La moitié des collections du musée provient de dons : les Barbier-Mueller ont ainsi offert 502 pièces, Marc Ladreit de Lacharrière a fait une donation de 36 oeuvres », confiait l’an dernier Emmanuel Kasarhérou , actuel président du musée du quai Branly.
Poids des collectionneurs
« Dans les arts premiers, il n’y a pas de signature. C’est la provenance et le collectionneur qui font la valeur de l’oeuvre. Le musée du quai Branly s’est d’ailleurs trouvé pénalisé dans ses acquisitions, dépassé par le marché. Si on prend l’art aborigène, la simple création du musée a fait flamber les prix », se souvient Karim Mouttalib, ex-numéro deux du musée.
Héritage de notre passé colonial, la France est leader pour les arts premiers avec 66,5 % de part de marché, selon Artkhade. Aujourd’hui, « ce marché, qui était en pleine expansion, a été très secoué, car il a besoin de confiance. C’est une épée de Damoclès pour certains clients qui ne veulent plus acheter ni donner aux musées leurs collections », observe le commissaire-priseur Alexandre Giquello , l’un des spécialistes du secteur.
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