Author : Noëmi Ral
Site de publication : Centre d’études politiques étrangères et de sécurité (CEPES)
Type de publication : Article
Date de publication : Novembre 2007
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Depuis le 1er octobre 2007, le premier commandement militaire unifié pour l’Afrique des États-Unis (AFRICOM) est officiellement opérationnel, depuis Stuttgart où se situe son quartier général temporaire. En effet, Washington n’a toujours pas trouvé d’hôte africain qui lui convient pour installer son siège et sa création a été accueillie avec un certain scepticisme. Preuve de l’engagement stratégique croissant de l’administration Bush sur le continent africain depuis le 11 septembre 2001, le but officiel de l’AFRICOM est d’aider à prévenir la guerre par le renforcement des capacités militaires africaines et par l’assistance humanitaire. Comment dès lors expliquer l’inquiétude dont ont fait part récemment la presse africaine, la société civile et bon nombre d’africanistes? L’une des explications réside dans la stratégie de plus en plus controversée que Washington met en œuvre en Afrique et ce, surtout dans la Corne dite élargie de l’Afrique (Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Somalie, Soudan). Cette stratégie procède d’une lecture singulière de l’Afrique (définie comme menace) dans la lutte menée par Washington contre le terrorisme et se traduit par une approche militarisée, dont nombre d’observateurs soulignent les contradictions.
L’Afrique menaçante pour les États-Unis?
Si la Corne de l’Afrique a été quelque peu délaissée par Washington au cours des années 1990, ce ne fut pas toujours le cas. En effet, tout au long de la guerre froide, Washington soutenait économiquement et/ou militairement les régimes qui s’opposaient au communisme. Dans la Corne, les États-Unis appuyaient notamment les dictateurs en place au Kenya, au Soudan et en Somalie. Après une période de désengagement, liée en partie à la débâcle somalienne, Bill Clinton a brusquement été confronté aux complexités de la région avec les premiers attentats contre des intérêts américains sur le sol africain en 1998. Al Qaeda est alors déjà identifié comme le groupe responsable des attaques contre les ambassades américaines de Dar es-Salaam et de Nairobi qui ont eu lieu en août 1998 et qui se sont soldées par 224 morts et 5000 blessés. Si la réponse américaine ne s’est pas fait attendre, notamment avec l’Operation Infinite Reach, elle n’a cependant pas donné lieu à la mise en place d’une véritable stratégie dans la région.
Pour cela, il a fallu attendre les attentats de 2001, quand un lien a été créé entre l’Afrique et le terrorisme. Ce lien repose sur plusieurs arguments, dont le fait que l’administration Bush, ainsi qu’un bon nombre d’experts américains sur l’Afrique – comme l’ancien ambassadeur Lyman – tiennent pour acquis que les États faibles ou faillis (failed states) constituent des menaces pour la sécurité internationale et que la présence d’une grande population musulmane sur le continent est une source d’inquiétude. La crainte d’une radicalisation de l’Islam en Afrique et d’une intensification des efforts de recrutement par Al Qaeda y sont, en effet, pour beaucoup. Comme en atteste le propos du général Ghormley, l’ancien commandant de la Combined Joint Task Force-Horn of Africa (CJTF-HOA) basée à Djibouti : « Si on n’était pas ici, eux le seraient. ».
Cette approche se traduit notamment dans la répartition du budget consacré à l’aide internationale. Des 750 millions $US prévus pour augmenter le budget des programmes d’assistance internationale en 2003, 500 millions étaient réservés pour le financement militaire étranger et 52 millions pour l’établissement d’un centre antiterroriste
En outre, le continent est confronté à de nombreux problèmes associés désormais au terrorisme, parce qu’ils sont perçus comme des facteurs pouvant inciter à la radicalisation : guerres civiles, pauvreté, propagation du VIH/SIDA, non-respect des droits de l’homme, mauvaise gouvernance, etc. Depuis le 11 septembre, ces enjeux sont présentés dans le discours américain comme touchant à leur intérêt national en raison de leur lien présumé avec le terrorisme. Dans la National Security Strategy de 2002, on peut ainsi lire : « En Afrique, promesse et opportunité, maladies, guerres et pauvreté désespérée existent côte à côte. Ceci menace à la fois une valeur fondamentale des États-Unis – la préservation de la dignité humaine – et notre priorité stratégique – combattre la terreur globale. ».
Une approche de plus en plus militarisée Ce processus de « sécurisation » (concept cher à l’École de Copenhague) de l’Afrique se reflète dans les initiatives de l’administration Bush qui sont de plus en plus souvent d’ordre militaire. Sa stratégie africaine repose, en effet, sur une définition classique de la sécurité, focalisée sur la défense du territoire. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler la stratégie « soviétocentrique », dans le sens où la « guerre » contre le terrorisme est devenue la ligne directrice de sa politique africaine et où la part du militaire dans cette politique est devenue plus importante.
Cette approche se traduit notamment dans la répartition du budget consacré à l’aide internationale. Des 750 millions $US prévus pour augmenter le budget des programmes d’assistance internationale en 2003, 500 millions étaient réservés pour le financement militaire étranger et 52 millions pour l’établissement d’un centre antiterroriste. Quant aux 100 millions consacrés à l’East Africa Counter-Terrorism Initiative (EACTI), seulement 14 ont été alloués aux aspects de la lutte contre le terrorisme qui visent à renforcer la sécurité humaine tels que l’éducation, la majorité du budget étant réservé à l’augmentation des capacités dans les domaines du contrôle des frontières et du renseignement.
Une approche contradictoire de plus en plus contestée L’approche antiterroriste américaine peut sembler contradictoire dans la mesure où le « remède » américain au terrorisme est contraire à leur propre diagnostic. En effet, les discours officiels donnent à penser que le désespoir, le manque de démocratie et la mauvaise gouvernance sont les maux à combattre. Or, non seulement les abus dans le cadre du contreterrorisme sont tolérés par Washington, mais dans un bon nombre de cas les mesures répressives sont même encouragées. Comme au temps de la guerre froide, les alliés se sont vus promettre plus d’aide financière et militaire, sans égard pour leurs politiques internes. Il n’est donc guère surprenant que les régimes autoritaires aient rapidement affirmé leur allégeance aux États-Unis suite au 11 septembre 2001.
Autre incohérence : si Washington affirme que les États faibles menacent sa sécurité, il n’hésite pas pour autant à miner leur souveraineté. Les États-Unis n’ont ainsi pas hésité à réduire substantiellement leur aide à ceux qui ont refusé, comme le président kenyan Kibaki, de signer les accords concernant l’exemption des troupes américaines de la juridiction de la Cour pénale internationale ou d’implanter une législation antiterroriste équivalente au Patriot Act américain
Ce fut le cas du Kenya, alors dirigé par le dictateur Daniel arap Moi, et de l’Éthiopie et de l’Érythrée qui ont joint la coalition irakienne. Avec le Soudan, ils sont très critiqués pour leur répression à l’égard des opposants du régime. Leur coopération dans cette « guerre » leur a pourtant été très profitable. Djibouti est, par exemple, devenu un des premiers récipiendaires de l’aide américaine en Afrique en acceptant de devenir l’hôte de la première base militaire américaine sur le continent. Quant à l’Éthiopie, que les États-Unis ont assistée lors de son invasion de la Somalie, son assistance militaire a augmenté de dix-sept fois entre 2001 et 2004.
Cette stratégie est fortement critiquée par les organisations des droits de l’homme, comme Amnistie Internationale, qui signalent une multiplication des abus dans le cadre des opérations contre-terroristes. Plusieurs représentants de la société civile signalent que la population n’apprécie ni la présence militaire américaine sur leur territoire, ni l’association de leur État aux États-Unis, dont la promotion rhétorique des droits de l’homme et de la démocratie est considérée comme étant hypocrite. Le général Ghormley a d’ailleurs admis que l’antiaméricanisme est problématique en Afrique et qu’ils sont là, entre autres, pour gagner « cœurs et esprits » de la population locale. Or, tout indique que l’omniprésence américaine ne fait qu’accroître ce phénomène. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle la grande majorité des États africains a refusé d’être l’hôte d’AFRICOM.
Autre incohérence : si Washington affirme que les États faibles menacent sa sécurité, il n’hésite pas pour autant à miner leur souveraineté. Les États-Unis n’ont ainsi pas hésité à réduire substantiellement leur aide à ceux qui ont refusé, comme le président kenyan Kibaki, de signer les accords concernant l’exemption des troupes américaines de la juridiction de la Cour pénale internationale ou d’implanter une législation antiterroriste équivalente au Patriot Act américain. En outre, bien que les États faillis soient présentés comme la menace actuelle par excellence, Washington a aidé l’Éthiopie à déstabiliser la Somalie lorsque celle-ci connaissait un rare moment de calme relatif.
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