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La Banque africaine de développement (BAD) est une institution financière multinationale de développement chargée de financer, de soutenir et de mener des expertises pour contribuer au développement et au progrès social des États africains.
Date de publication : 2019
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WATHI a choisi ce document car il présente la situation économique actuelle de l’Afrique et les grands défis qui se présentent aux pays du continent. Il apporte en outre des recommandations précises concernant les différents secteurs des économies africaines, que ce soit la question monétaire, douanière ou encore l’intégration des marchés financiers. Le rapport montre les risques et les perspectives qui se cachent derrière les chiffres de croissance prometteurs des économies africaines. Alors que la croissance africaine a atteint 3,5 %, de nombreuses zones d’ombre demeurent concernant l’avenir du continent. L’évolution du contexte de l’économie internationale marquée par un protectionnisme américain de plus en plus important, la hausse du cours du dollar et les conséquences du changement climatique sont autant d’éléments qui doivent être pris en compte pour des économies plus efficaces sur le continent. La BAD étudie les risques inhérents à ces évolutions et propose dans ce rapport des solutions pour y répondre. Les auteurs se sont en effet attachés à exposer de manière spécifique les écueils dans lesquels les décideurs politiques africains ne doivent pas tomber, ainsi que les bonnes décisions à privilégier dans les politiques publiques. Cette liste offre l’opportunité d’avoir une vue d’ensemble sur les différentes politiques qui pourraient s’avérer contre-productives ou au contraire positives pour les pays de la région. Si les mesures proposées, comme par exemple l’élimination de toutes les barrières non tarifaires, peuvent parfois prêter à discussion sur la concrétisation, il demeure néanmoins que ces propositions permettent d’alimenter un débat éclairé sur les politiques économiques à mener dans les pays africains.
Une recommandation en particulier semble pouvoir s’appliquer à chaque pays concerné par ce rapport : la nécessité d’une plus grande intégration régionale. Elle s’affirme comme une des prises de position forte des auteurs du rapport. Selon ces derniers, une telle évolution permettrait des économies d’échelle aux investisseurs, l’élimination des situations de monopole ainsi qu’une amélioration de la situation sécuritaire de la zone. L’industrialisation des économies est également mise en avant comme étant la « clé » du casse-tête de l’emploi en Afrique. Les auteurs soulignent que le secteur de l’industrie créé plus d’emplois et permet une croissance plus forte que ceux de l’agriculture ou des services. Selon eux, la lutte contre la désindustrialisation de l’économie doit ainsi être une priorité des pays africains afin d’offrir des emplois dignes aux jeunes générations. Parmi les autres mesures phares proposées, on peut noter l’ouverture des frontières à la libre circulation des personnes, la mise en commun de l’énergie, l’imposition d’un tarif de 0,2 % sur les importations provenant des pays à haut revenu ou encore l’ouverture des marchés aériens à la concurrence. Enfin, dans l’optique d’une intégration monétaire africaine, une recommandation est formulée sur les impératifs à respecter pour que cette évolution apporte le plus d’effets positifs possible. Il est ainsi demandé la mise en place d’institutions et des règles budgétaires transnationales fonctionnelles, une mise en place effective de la circulation de la main d’oeuvre, des capitaux et des marchandises, un suivi attentif des déficits et enfin une surveillance accrue du secteur financier et bancaire par une institution régionale indépendante.
EXTRAITS DU DOCUMENT PAGE 16 – 28
Performances macroéconomiques en Afrique et perspectives
Risques pour les perspectives économiques
Plusieurs risques pèsent sur les prévisions macroéconomiques pour l’Afrique. Tout d’abord, une nouvelle escalade des tensions commerciales entre les États-Unis et ses principaux partenaires commerciaux pourrait réduire la croissance économique mondiale, ce qui aurait des répercussions sur l’Afrique. Ces tensions, ainsi que le renforcement du dollar américain, ont augmenté la volatilité des prix des matières premières et exercé des pressions sur les devises des pays émergents. Si la demande mondiale venait à ralentir, les prix des matières premières pourraient diminuer, ce qui réduirait la croissance du PIB et affecterait les soldes commercial et budgétaire pour les exportateurs de matières premières d’Afrique.
Deuxièmement, les coûts du financement extérieur pourraient croître davantage si les taux d’intérêt dans les pays développés augmentaient plus vite que prévu. Troisièmement, si les pays africains connaissaient une nouvelle fois des conditions météorologiques extrêmes en raison du changement climatique, semblables à celles de ces dernières années, la production agricole et la croissance du PIB pourraient être plus faibles qu’anticipé. Quatrièmement, dans certaines zones, l’instabilité politique et les problèmes de sécurité pourraient affaiblir les économies. Les pays qui ont amélioré leurs positions budgétaire et extérieure et qui ont une dette faible ou modérée seront probablement résilients face aux nouveaux chocs externes. Ceux qui en revanche n’ont pas reconstitué leurs marges de manoeuvre budgétaires ne sont pas préparés face aux risques majeurs de ralentissement.
L’intégration monétaire demeure un défi
Les gains immédiats de l’intégration monétaire africaine, l’une des aspirations de l’intégration régionale et continentale, peuvent s’avérer beaucoup plus insaisissables et les défis macroéconomiques beaucoup plus importants que ne le prévoit l’analyse classique. Le cadre d’analyse standard utilisé par de nombreux économistes (la zone monétaire optimale) peut être difficile à valider pour les pays qui disposent de trop peu de données précises sur les variables macroéconomiques clés. Il est peu probable que les différences sur les marchés du travail disparaissent rapidement avec le temps. Il est également peu probable que les chocs ne touchent qu’un seul Etat membre de l’union monétaire et ne soient pas généralisés à un grand nombre d’entre eux ou à tous.
Si la demande mondiale venait à ralentir, les prix des matières premières pourraient diminuer, ce qui réduirait la croissance du PIB et affecterait les soldes commercial et budgétaire pour les exportateurs de matières premières d’Afrique
Il est donc peu probable qu’une autorité supranationale africaine dispose à court terme des ressources et de l’autorité politique nécessaires pour venir en aide aux pays confrontés à de graves difficultés économiques. Pour les pays faisant partie d’une union monétaire, des institutions et des règles budgétaires transnationales et bien fonctionnelles sont nécessaires pour aider les pays membres à faire face aux chocs asymétriques. La libre circulation de la main-d’oeuvre, des capitaux et des marchandises devrait être une réalité et non un simple objectif.
Les politiques en matière d’endettement et de déficit devraient être cohérentes dans l’ensemble de l’union et faire l’objet d’un suivi attentif par une autorité centrale crédible. Par ailleurs, le secteur financier et bancaire devrait être surveillé de près par une institution indépendante à l’échelle de l’union, capable d’appliquer des règles prudentielles strictes. Chacune de ces quatre exigences est un défi de taille. Ensemble, elles représentent des défis macroéconomiques immenses.
Implications pour les politiques économiques
Diversifier l’économie et entreprendre des changements structurels profonds supposent la mobilisation d’importantes ressources pour financer le développement. Outre les revenus provenant des industries extractives et des taxes, la plupart des pays africains bénéficient d’envois de fonds qui dépassent désormais l’APD et les IDE, sans compter les envois de fonds transférés par des canaux informels, qui pourraient représenter la moitié des envois de fonds effectués par les canaux formels.
Les politiques visant à réduire le coût des transferts d’argent et à améliorer les plates-formes d’investissement de la diaspora, ainsi que d’autres mesures d’incitation, peuvent accroître la disponibilité des ressources critiques pour le financement du développement. Les envois de fonds entre pays africains transitent en grande partie par des canaux informels en raison des coûts de transferts élevés et des services interbancaires limités en Afrique, qui entravent les envois de fonds formels.
Les sorties illicites de capitaux, très répandues en Afrique, affectent la plupart des pays, limitant les ressources disponibles pour investir dans les infrastructures, l’électricité et d’autres projets à long terme. Un suivi continu de la situation de la dette dans les économies africaines les plus fragiles financièrement est également nécessaire pour mettre en place des systèmes d’alerte rapide et des mécanismes de retour d’information afin d’éviter le surendettement.
En outre, il est nécessaire d’accroître la sensibilisation sur la viabilité de la dette au plus haut niveau politique, d’établir les bases d’une utilisation efficiente des ressources existantes afin de limiter un endettement supplémentaire, de renforcer la capacité des pays à gérer leur dette publique, de soutenir l’utilisation rationnelle et productive de la dette et de renforcer la capacité fiscale.
Les politiques visant à réduire le coût des transferts d’argent et à améliorer les plates-formes d’investissement de la diaspora, ainsi que d’autres mesures d’incitation, peuvent accroître la disponibilité des ressources critiques pour le financement du développement
Alors que les taux d’intérêt se normalisent progressivement dans les économies avancées et que les taux de rendement diminuent en Afrique, des ajustements de politiques sont nécessaires pour continuer à attirer les investisseurs dans la région, grâce à des performances solides en termes de fondamentaux macroéconomiques, telles qu’une forte croissance du PIB, une inflation stable et faible, la garantie de la sécurité des personnes et des biens. L’accumulation du capital physique et l’accroissement de la capacité de production de l’économie constituent l’un des moyens de parvenir à une croissance tirée par les exportations.
Les interventions des pouvoirs publics axées sur l’augmentation de la part des biens intermédiaires et des biens d’investissement dans les importations pourraient aider les pays à tirer profit des économies d’échelle et de gamme et à exploiter les transferts de connaissances issus de processus de production plus avancés.
- La hausse des investissements privés est associée à une amélioration future de la balance commerciale. Les pays peuvent donc faire face aux importants déficits extérieurs actuels, tant que des incitations fiscales, des cadres institutionnels et des infrastructures de base sont mis en place pour canaliser les investissements en capitaux vers les secteurs les plus susceptibles de conduire à un redressement de la balance commerciale.
- Mettre l’accent sur l’urbanisation et la réallocation des ressources les plus productives vers des secteurs à forte intensité d’exportation et bien intégrés dans les chaînes de valeur mondiales semble essentiel à la croissance globale de la productivité.
- Dans les expériences réussies en matière de diversification des exportations en Afrique, l’amélioration de la structure des tarifs extérieurs pour éviter une charge excessive sur les biens intermédiaires et les biens d’investissement est aussi une mesure politique pertinente permettant de niveler le terrain et de rehausser structurellement, au niveau des importations, la part des biens d’investissement par rapport aux biens de consommation.
- Le fait d’assurer l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales en respectant les normes techniques et du travail et en renforçant l’intégration régionale permet aux pays de gravir les échelons de la spécialisation et de corriger les déséquilibres externes.
- Pour rendre le commerce partie intégrante du changement structurel en Afrique, il est essentiel de réinvestir les excédents provenant des bénéfices liés à la hausse des prix des matières premières dans les secteurs à forte croissance de productivité et présentant un plus grand potentiel en termes d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales.
Emploi, croissance et dynamisme des entreprises
Accélérations de la croissance et croissance de l’emploi
Globalement, les phénomènes d’accélération de la croissance impulsés par le secteur industriel ont conduit à des changements structurels positifs, avec des effets dynamiques potentiellement plus importants à long terme. Une telle association forte entre les épisodes de croissance impulsés par l’industrie et l’emploi démontre que l’industrialisation est la clé du casse-tête de l’emploi en Afrique.
Les grandes entreprises sont plus productives et paient des salaires plus élevés que les petites entreprises. Le rapport entre productivité et taille des entreprises est encore plus élevé en Afrique que dans les autres régions en développement, avec une augmentation de 0,15 % de la productivité du travail pour une augmentation de 1 % de la taille. Les salaires sont également beaucoup plus élevés dans les moyennes et grandes entreprises que dans les petites entreprises et dans le secteur manufacturier que dans les services.
Les écarts de productivité et de salaires selon la taille des entreprises sont en partie dus au fait que les grandes entreprises ont généralement des employés plus instruits et plus qualifiés, et une production plus intensive en capital que les petites entreprises, générant un niveau de productivité plus élevé par employé.
Il faut faire davantage pour encourager les grandes sociétés à créer des entreprises en Afrique et pour aider les petites entreprises à se développer en levant les contraintes récurrentes telles que la faiblesse des infrastructures, l’instabilité politique et la corruption
Dans l’ensemble, on note un faible niveau de dynamisme des entreprises en Afrique, et en particulier la faible probabilité qu’ont les petites entreprises de se transformer en moyennes ou grandes entreprises. En conséquence, la prépondérance des petites entreprises abaisse la productivité globale, en particulier dans le secteur manufacturier, et ne permet pas aux entreprises de créer suffisamment d’emplois hautement qualifiés pour absorber la main-d’oeuvre croissante de l’Afrique.
Il faut faire davantage pour encourager les grandes sociétés à créer des entreprises en Afrique et pour aider les petites entreprises à se développer en levant les contraintes récurrentes telles que la faiblesse des infrastructures, l’instabilité politique et la corruption. Identifier et construire les agrégats nécessaires à la bonne échelle pourraient également contribuer à la croissance des entreprises. Cela implique un effort d’industrialisation concerté s’appuyant sur l’avantage comparatif des pays et la complexité économique sous-jacente du secteur manufacturier africain.
Créer des emplois de meilleure qualité et permettre le développement durable exige de diversifier les produits en développant un secteur manufacturier solide. C’est d’autant plus vrai en Afrique, où les phénomènes d’accélération de la croissance portés par l’industrie ont généré plus d’emplois que ceux portés par les services ou l’agriculture et où une désindustrialisation prématurée annonce davantage de défis à relever à l’avenir. Favoriser l’industrialisation en Afrique pour promouvoir des emplois décents et une croissance soutenue exige que les entreprises puissent croître et prospérer relativement librement. Ainsi, les politiques industrielles et le mode d’industrialisation des pays ont un rôle à jouer.
Obstacles commerciaux et pertes d’emplois
Le système de délivrance des licences et permis, le fonctionnement de la justice, l’instabilité politique et la corruption sont associés aux nombres les plus élevés d’emplois perdus dans le secteur privé en Afrique. Etant liés à la gouvernance, ces obstacles sont susceptibles de faire l’objet de réformes.
Un moyen d’améliorer le soutien aux infrastructures pour favoriser la création et la survie des entreprises consiste à créer des zones industrielles. Les entreprises africaines qui s’engagent dans l’exportation, opèrent à proximité d’autres entreprises et attirent les investissements directs à l’étranger ont tendance à être plus compétitives et donc à prospérer.
Etant donné que de nombreux pays africains sont tributaires des industries extractives, il est difficile d’augmenter la complexité de leurs économies. Les capacités et les connaissances productives dans les industries extractives sont sans grand rapport avec celles nécessaires à la fabrication de produits manufacturés plus complexes.
Les décideurs devraient identifier non seulement les produits frontières à travers lesquels les pays pourraient diversifier leur production mais également les capacités productives nécessaires pour cette diversification. Ils devraient également lever les obstacles inutiles à la conduite des affaires, en particulier ceux que les entreprises ont identifiés comme étant les principaux obstacles et auxquels le gouvernement peut remédier rapidement.
Des stratégies industrielles axées sur l’identification des questions prioritaires et la création d’un environnement concurrentiel fort devraient être mises en place en collaboration avec les parties prenantes, en particulier le secteur privé. Les pays africains doivent se frayer leur propre chemin vers une transformation économique durable. Enfin, pour éviter la redondance et accroître les synergies entre pays voisins, des zones industrielles régionales pourraient être créées afin de tirer parti des avantages liés aux externalités et aux agglomérations, et pour constituer une masse critique de travailleurs qualifiés.
La prospérité de l’Afrique passe par l’intégration
Une Afrique sans frontières constitue le fondement d’un marché continental concurrentiel qui pourrait devenir un centre d’affaires au plan international. Elle permettrait une production agricole et industrielle par-delà des frontières nationales et offrirait donc des économies d’échelle aux investisseurs, tout en créant des marchés beaucoup plus vastes et en donnant de nouvelles opportunités aux petites et grandes entreprises.
Une Afrique intégrée contribuerait à éliminer les situations de monopole tout en renforçant les retombées transfrontalières entre les pays côtiers et les pays enclavés. Bien plus encore, l’intégration régionale peut améliorer la sécurité régionale, car l’expansion du commerce international est souvent corrélée à un niveau de conflits réduit.
Accroître la mobilité de la main-d’oeuvre
Les migrations sont une réalité. La mise en oeuvre intégrale de toutes ces mesures pourrait accroître les flux entre les pays africains. Il est donc important de comprendre ce qui empêche les pays d’appliquer les protocoles. Le Passeport de l’Union africaine, lancé en juillet 2016 lors du Sommet de l’Union africaine (UA) à Kigali, fait la promotion de la libre circulation des personnes en général et de la mobilité du travail en particulier. Quant à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC), son premier objectif est de « créer un marché unique continental pour les biens et les services, avec la libre circulation des hommes d’affaires et des investissements, et ouvrir ainsi la voie à l’accélération de l’établissement de l’union douanière continentale et de l’union douanière africaine ».
Les pays doivent mettre en oeuvre le renforcement institutionnel nécessaire au succès de l’union monétaire, en l’occurrence une coordination étroite de la supervision bancaire, une volonté de venir en aide aux pays en situation de crise économique et une fédération politique pour coordonner les politiques budgétaires et contrôler les déficits
Pour que ces initiatives soient fructueuses et efficaces, il est utile de commencer par améliorer l’efficacité des politiques au sein de chaque communauté économique régionale (CER) avant d’intensifier les efforts sur le continent. Et parce que l’intégration doit se faire non seulement sur le marché des biens, mais aussi sur celui des facteurs de production, les discussions doivent porter davantage sur la libre circulation des personnes.
Intégrer les marchés financiers
Des réformes audacieuses, en particulier au niveau institutionnel, sont nécessaires pour synchroniser les cadres de gouvernance financière dans l’ensemble de la région et pour supprimer toutes les restrictions juridiques qui subsistent aux flux et transactions financières transfrontalières. Il est important de poursuivre les progrès technologiques dans l’harmonisation des systèmes de paiement à travers le continent, car cela faciliterait le mouvement réel des fonds à travers les frontières.
Alors que le traité créant l’UA envisage une monnaie unique pour l’Afrique et que de nombreuses CER envisagent de créer des monnaies régionales, ces plans sont dans la plupart des cas plus des aspirations que des guides concrets pour les politiques nationales. Les pays doivent mettre en oeuvre le renforcement institutionnel nécessaire au succès de l’union monétaire, en l’occurrence une coordination étroite de la supervision bancaire, une volonté de venir en aide aux pays en situation de crise économique et une fédération politique pour coordonner les politiques budgétaires et contrôler les déficits.
Renforcer la coopération pour les biens publics régionaux
L’action collective des gouvernements de la région devrait avoir des retombées positives dans toute la région, supérieures aux retombées que les pays agissant seuls pourraient engendrer. Cela nécessite une gouvernance régionale avec un organe régional ayant une réelle autorité sur les Etats membres pour fournir des biens publics régionaux.
Les Etats doivent être disposés à céder une part importante de leur autorité à cet organe, ce qui ne s’est produit jusqu’à présent que dans l’Union européenne. C’est pourquoi la coopération régionale est essentiellement intergouvernementale. Chaque Etat conserve un droit de veto et l’organisation régionale est un secrétariat chargé de coordonner et d’harmoniser les politiques, d’établir des normes et de fournir des services, mais sans autorité.
Réduire les coûts commerciaux pour accroître la participation aux chaînes d’approvisionnement commerciales
L’un des objectifs immédiats de l’Accord de libre-change continental (ALEC) est d’accroître la participation aux chaînes d’approvisionnement transfrontalières en réduisant les coûts commerciaux par l’intégration régionale. Les pays africains participent peu aux chaînes d’approvisionnement du commerce mondial, si ce n’est dans les activités en amont en tant que fournisseurs de biens non transformés et de matières premières. Mais l’expérience dans les domaines du textile et de l’habillement, des supermarchés et de l’automobile montre que les pays africains s’impliquent de plus en plus dans le commerce des tâches à travers les chaînes de valeur régionales.
La réduction des coûts commerciaux est essentielle à cet égard, car les marchandises traversent plusieurs fois les frontières. Pour développer les chaînes d’approvisionnement transfrontalières, il est essentiel d’améliorer la gestion douanière et d’adopter des règles d’origine simples et transparentes.
La mise en oeuvre rapide de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) introduirait une première série de mesures de réduction des coûts que les membres africains de l’Organisation pourraient mettre en oeuvre. L’OMC estime que la réduction des délais aux douanes pourrait diminuer les coûts commerciaux d’environ 15 % pour les pays en développement. D’autres estimations au niveau des pays préparées pour le présent rapport confirment les gains découlant de l’amélioration de la transparence et de la réduction de la bureaucratie dans les services des douanes.
Dans un monde où les accords commerciaux préférentiels se multiplient et où les échanges des tâches s’accroissent, les règles d’origine sont un obstacle. L’un des défis du « régionalisme de la multilatéralisation » est d’éviter que les règles d’origine entravent la montée des chaînes de valeur mondiales et régionales. Nulle part ailleurs ce défi n’est plus grand que dans les CER africaines. Bien que les règles d’origine soient nécessaires pour empêcher le transbordement, si elles sont trop restrictives, elles annulent tout effet commercial des préférences, puisque les règles d’origine spécifiques aux produits sont alors adaptées à la demande de protection des producteurs.
Tirer parti de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’OMC
La réduction des coûts commerciaux fixes liés au temps passé en douane et des coûts monétaires associés devrait favoriser une plus grande diversification des échanges vers d’autres marchés et d’autres produits vers le même marché. Cela devrait également conduire à une plus grande participation au commerce de la chaîne d’approvisionnement aux niveaux régional et mondial, où les marchandises doivent franchir plusieurs fois les frontières.
Harmoniser les règles d’origine
Etant donné que les droits de douane et les restrictions à l’importation peuvent dépendre de l’origine des importations, des critères sont nécessaires pour déterminer le pays d’origine d’un produit. Il s’agit des règles d’origine, qui font partie intégrante de tous les accords commerciaux. Les règles d’origine préférentielles sont utilisées pour appliquer les régimes préférentiels en déterminant les produits qui peuvent bénéficier d’un accès préférentiel.
Comme dans d’autres accords de libre-change, les négociations sur les règles d’origine de l’ALEC sont susceptibles d’être dominées par une forte pression industrielle. Au cours des négociations menées jusqu’à présent, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ont préféré des règles d’origine générales, qui ressembleraient probablement à celles de la région Asie de l’Est et Pacifique. D’un autre côté, l’Egypte, le Kenya et l’Afrique du Sud ont fait pression en faveur de règles d’origine spécifiques aux produits, et l’Afrique du Sud a fait pression pour l’adoption des règles d’origine de la Communauté de développement d’Afrique australe (CDAA) sur une base sectorielle ou par produit.
La mise en oeuvre rapide de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) introduirait une première série de mesures de réduction des coûts que les membres africains de l’Organisation pourraient mettre en oeuvre. L’OMC estime que la réduction des délais aux douanes pourrait diminuer les coûts commerciaux d’environ 15 % pour les pays en développement
Les règles d’origine doivent également traiter des règles applicables à l’ensemble du régime en matière de certification, de vérification et de cumul. En raison des différences minimes dans les méthodes de certification et de vérification entre les CER africaines, il devrait être relativement facile de se mettre d’accord sur ces méthodes – surtout si, comme le suggèrent des données récentes, les coûts administratifs ne sont pas aussi élevés que prévu. Il pourrait donc être plus facile de s’entendre d’abord sur l’harmonisation des règles régissant la certification et la vérification. En revanche, les dispositions sur le cumul (traitement des intermédiaires d’autres pays du bloc ou de pays ayant un statut de cumul spécial) différent d’une CER à l’autre.
Recommandations pour les décideurs politiques en matière d’intégration
Tous les pays africains se porteront mieux avec une intégration bien conçue que sans intégration. Quelles sont donc les réponses politiques permettant de maximiser les bénéfices de l’intégration régionale tout en atténuant les risques potentiels ?
Voici tout d’abord une liste des écueils dans lesquels les décideurs ne doivent pas tomber :
- S’inquiéter excessivement d’une cession de souveraineté nationale à une autorité supranationale car celle-ci permet de faciliter l’harmonisation des politiques réglementaires, de développer la confiance, et de contrôler les pressions politiques pour l’érection de barrières non tarifaires.
- Négliger les infrastructures institutionnelles (logistiques et apparentées) qui sont essentielles pour dégager les bénéfices des infrastructures physiques (routes, rail, ponts, ports).
- Croire que l’intégration a nécessairement pour effet de concentrer encore davantage les activités économiques dans les grands pays, car la facilitation des échanges répartit l’activité économique tout le long des corridors.
- Sous-estimer l’impact sur les ménages pauvres des listes de produits sensibles à tarifs élevés pour des produits comme le riz et le sucre, comme le font les tarifs extérieurs communs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et, dans une moindre mesure, ceux de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE).
- Imposer des règles d’origine spécifiques à des secteurs ou à des produits. Il se dit dans les cercles politiques que les négociateurs commerciaux africains auraient déjà identifié 800 produits pour des traitements spéciaux.
A l’inverse, pour faciliter le commerce, il convient d’envisager les mesures suivantes :
- Assurer un suivi des progrès dans la réduction des tarifs bilatéraux et des barrières non tarifaires, comme le fait la CAE avec une fiche d’évaluation du marché commun permettant de surveiller la bonne mise en oeuvre de la liberté de mouvement du capital, des services et des biens.
- Eliminer tous les tarifs bilatéraux appliqués aujourd’hui en Afrique et assurer des règles d’origine simples, souples et transparentes. L’augmentation des échanges intra-africains qui en résulterait pourrait atteindre jusqu’à 15 %, soit un gain de 2,8 milliards de dollars US, ce qui peut paraître peu mais serait salutaire dans un contexte de montée des postures protectionnistes dans l’économie mondiale et des divisions entre la Chine et les Etats-Unis d’une part, et la Grande-Bretagne et l’Europe continentale d’autre part.
- Eliminer toutes les barrières non tarifaires affectant le commerce des biens et services sur la base de la nation la plus favorisée (NPF), étant donné qu’elles s’appliquent en grande majorité à l’ensemble des partenaires commerciaux dans toute l’Afrique. Cette mesure, couplée à l’élimination des tarifs, permettrait d’augmenter les échanges et de porter les gains de revenus cumulés à 37 milliards de dollars US et les recettes tarifaires du continent à 15 milliards de dollars US, ce qui est loin d’être négligeable.
- Mettre en oeuvre, en parallèle, l’accord de facilitation des échanges de l’OMC afin de réduire les temps de passage aux frontières et les coûts de transaction liée à des mesures non tarifaires. Cette mesure, ajoutée à l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires, pourrait permettre d’engendrer des revenus cumulés correspondant à 3,5 % du PIB du continent, soit des gains totalisant environ 100 milliards de dollars US.
- Prendre en compte l’effet d’une diminution de moitié des barrières tarifaires et non tarifaires sur une base NPF par d’autres pays en développement. Ceci pourrait permettre à l’Afrique un gain équivalent à 4,5 % de son PIB, soit 31 milliards de dollars US supplémentaires, portant le total des gains à environ 134 milliards de dollars US.
- Envisager également l’imposition d’un tarif de 0,2 % sur les importations provenant de pays à haut revenu. Cette mesure apporterait 850 millions de dollars US par an pour financer des projets de facilitation des échanges. Par ailleurs, il faut accorder plus d’importance aux biens publics régionaux – ce qui ne doit poser aucun problème, car tous les pays en bénéficient, en particulier les pays à faible revenu –.
- Synchroniser les cadres de gouvernance financière dans la région et renforcer les cadres prudentiels de supervision des flux financiers, tout en éliminant les restrictions juridiques infondées faisant obstacle aux transactions et flux financiers transfrontaliers.
- Mettre en commun l’énergie pour tirer parti du potentiel énorme d’échanges transfrontaliers d’électricité. Comme l’illustre le Nord Pool, une bourse de l’énergie privée pour les pays nordiques, il convient de commencer avec un petit nombre de pays, d’utiliser des financements extérieurs pour augmenter les capacités, de combiner génération et transmission, et de disposer d’une capacité de transmission suffisante pour stabiliser l’offre et encourager la concurrence.
- Ouvrir les espaces aériens à la concurrence, comme l’a fait le Mozambique en s’ouvrant récemment aux transporteurs étrangers. Le marché unique africain du transport aérien de l’Union africaine, lancé par cette dernière en janvier 2019, a déjà recueilli les signatures de 22 pays représentant 75 % du transport aérien intra-africain. La politique de ciel ouvert du Maroc montre qu’une baisse des tarifs aériens et l’ouverture de nouvelles routes aériennes peut augmenter de moitié le nombre de sièges offerts (contre 10 % en Tunisie) et augmenter la part des transporteurs aériens bon marché de 3 % en 2006 à 36 % en 2010 (de 7 à seulement 10 % en Tunisie).
- Ouvrir les frontières à la libre circulation des personnes, par exemple en ratifiant et en mettant en oeuvre le Passeport de l’Union africaine lancé en 2016 et qui devrait être entièrement déployé en 2020.
Source photo : afdb.org/fr