Type de publication : Rapport
Date de publication : Juillet 2024
Site de l’organisation : Afrobarometer
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Depuis 2020, des militaires ont évincé des gouvernements élus dans six pays du continent. Le rapport d’Afrobarometer met en évidence les défis auxquels la démocratie est confrontée en Afrique, notamment la montée des coups d’État et la fragilité des institutions démocratiques. En analysant ces dynamiques, le document offre une vision claire des menaces pesant sur la stabilité politique et des obstacles à la consolidation démocratique, fournissant un cadre de référence précieux pour les chercheurs et les décideurs. En se concentrant sur le point de vue des citoyens, le rapport offre une perspective directe et authentique des attentes et des frustrations des Africains vis-à-vis de leurs gouvernements. Cette approche est essentielle pour saisir les nuances des opinions publiques souvent négligées dans les analyses politiques traditionnelles. En mettant en avant les voix des citoyens, le document éclaire les besoins et les aspirations des populations, offrant ainsi une base solide pour des politiques plus réactives et inclusives. De plus, le rapport fournit des données et des analyses pertinentes sur les tendances en matière de gouvernance et de démocratie. Ces informations sont indispensables pour éclairer les décideurs politiques, les chercheurs et les citoyens sur les directions possibles pour l’avenir de la démocratie en Afrique. Les statistiques et les analyses contenues dans le document permettent de mieux comprendre les dynamiques politiques actuelles et de planifier des interventions efficaces pour renforcer les systèmes démocratiques. En abordant les défis de la démocratie, le document incite également à réfléchir sur les alternatives possibles et les solutions que les pays africains pourraient envisager pour renforcer leurs systèmes démocratiques face à des gouvernements autoritaires et à des crises politiques.
Les enseignements tirés de ce rapport sont cruciaux pour les pays de la zone WATHI dans la lutte contre la tendance croissante vers l’autoritarisme et pour revitaliser les principes démocratiques. Le rapport révèle une détérioration alarmante de la démocratie dans la région, marquée par une montée des coups d’État et l’émergence de régimes autoritaires. Cette situation exige une attention immédiate et des actions concertées pour prévenir une aggravation supplémentaire. Pour contrer cette tendance inquiétante, il est essentiel de renforcer les institutions démocratiques et d’assurer leur indépendance. Cela passe par la protection rigoureuse des droits humains, la promotion d’un espace civique ouvert, et la garantie d’une liberté d’expression et d’une participation active des citoyens à la gouvernance. Les institutions doivent être capables de fonctionner sans ingérence politique, et les mécanismes de contrôle doivent être robustes pour garantir la transparence et la responsabilité des pouvoirs publics. Il est impératif d’améliorer les institutions démocratiques et de garantir leur indépendance. Le rapport met en avant l’importance de l’engagement des citoyens dans le processus démocratique. Les gouvernements doivent encourager la participation civique et utiliser les outils numériques pour mobiliser et informer les citoyens, tout en maintenant des méthodes de sensibilisation traditionnelles. Les plateformes numériques offrent une opportunité unique de toucher un large public et de favoriser un dialogue inclusif, mais elles doivent être complétées par des efforts sur le terrain pour atteindre tous les segments de la population. La coopération entre les États membres de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) est essentielle pour faire face aux défis communs.
Les extraits proviennent des pages : 8, 9-10, 12, 14, 17, 18-19, 20-21, 22-23, 25, 27, 28-29, 30
La démocratie en Afrique : tendances de la satisfaction et du soutien populaires
La démocratie et la gouvernance sont des sujets de prédilection pour Afrobarometer depuis sa création. C’est en 2001, avec la finalisation du premier ensemble de données du réseau, qu’il a été possible d’établir avec certitude à quel point le soutien à la démocratie était étendu sur le continent. Dans ces 12 premiers pays, nous avons constaté un rejet retentissant du régime militaire (82%), du régime dictatorial (80%) et du régime à un seul parti (69%), ainsi qu’une préférence marquée pour la démocratie par rapport à tout autre type de gouvernement (69%). Essentiellement, ces premiers chiffres ne sont pas si différents de ceux que nous présentons ci-dessous issus de notre neuvième round d’enquêtes en 2021/2023, qui reflètent les opinions d’un échantillon beaucoup plus diversifié de 53.444 répondants à travers 39 pays, 25 ans plus tard dans l’expérience démocratique de l’Afrique.
Les fréquents travaux d’Afrobarometer ont mis en évidence, outre l’impressionnante ampleur du soutien à la démocratie, l’écart croissant entre la demande populaire de démocratie et son offre insuffisante (Asunka & Gyimah-Boadi, 2021). Dans cette section, nous présentons nos derniers chiffres et examinons les tendances relatives aux attitudes démocratiques au cours de la dernière décennie. Bien que tous les rounds d’enquête Afrobarometer depuis le Round 5 (2011/2013) aient couvert au moins 34 pays, certains pays sont ajoutés ou perdus à chaque round en raison de changements politiques ou d’autres facteurs, ce qui nous laisse 30 pays dont nous disposons de données pour les cinq rounds d’enquête entre 2011 et 2023. Ces 30 pays sont au centre de notre discussion ici, quoique nous fassions également état des 39 pays inclus dans le Round 9.
Les aspirations des Africains à une gouvernance démocratique
Les démocraties africaines ont dû faire face à une multitude de revers économiques, politiques et sociaux au cours de la dernière décennie, et la croissance économique et les services sociaux continuent de représenter un énorme défi pour de nombreux pays. Pourtant, les données des enquêtes Afrobarometer suggèrent qu’il existe toujours un soutien très fort à la démocratie sur une grande partie du continent. A travers 39 pays sondés en 2021/2023, deux tiers (66%) des citoyens africains affirment préférer la démocratie à tout autre système de gouvernement. Cette préférence marquée pour la démocratie est renforcée par des majorités encore plus importantes qui rejettent deux des formes de gouvernement non démocratiques qui dominaient le continent avant les transitions démocratiques des années 1990 : Plus de trois quarts des répondants désapprouvent la dictature (80%) et le régime à un seul parti (78%). Et deux tiers (66%) s’opposent au régime militaire. En effet, Afrobarometer a précédemment démontré que le soutien à la démocratie est résistant en Afrique – en dépit de nombreux facteurs potentiellement érosifs et que le véritable « problème de la démocratie » sur le continent est enraciné dans le manque d’une offre adéquate de démocratie par les dirigeants africains, plutôt que dans un manque de préférence populaire (Réseau Afrobarometer, 2023). Dans une large mesure, c’est toujours le cas.
Pourtant, la situation gagne peut-être en complexité. Si un certain nombre d’indicateurs clés de l’engagement démocratique sont restés stables ou se sont même améliorés au cours de la dernière décennie, plusieurs autres dont certains semblent essentiels au vu de la récente vague de coups d’Etat militaires ont régressé. Nous commençons par les indicateurs de base de la demande de démocratie mentionnés ci-dessus, en nous concentrant sur les données relatives aux 30 pays qu’Afrobarometer a régulièrement sondés au cours de la dernière décennie.
Deux d’entre eux sont demeurés relativement stables : En 2011/2013, 82% des répondants rejetaient la dictature, un point de vue toujours partagé par 79% des répondants en 2021/2023. Le rejet du régime à parti unique est resté inchangé à 78%. Toutefois, les deux autres indicateurs montrent des signes d’essoufflement. Le soutien à la démocratie comme système de gouvernement préféré s’élevait à 73% en 2011/2013.
En 2021/2023, ce point de vue est toujours partagé par une proportion solide de 66% des répondants, mais cela reflète une baisse de 7 points de pourcentage dans cet indicateur clé de l’engagement démocratique. La régression du rejet du régime militaire est plus marquée, passant de 76% à 65%. Cette régression de 11 points est aussi bien plus récente que plus abrupte : Le rejet du régime militaire a régressé de 10 points rien qu’entre les enquêtes du Round 8 en 2019/2021 et celles du Round 9 en 2021/2023.
Pourtant, les données des enquêtes Afrobarometer suggèrent qu’il existe toujours un soutien très fort à la démocratie sur une grande partie du continent. A travers 39 pays sondés en 2021/2023, deux tiers (66%) des citoyens africains affirment préférer la démocratie à tout autre système de gouvernement. Cette préférence marquée pour la démocratie est renforcée par des majorités encore plus importantes qui rejettent deux des formes de gouvernement non démocratiques qui dominaient le continent avant les transitions démocratiques des années 1990 : Plus de trois quarts des répondants désapprouvent la dictature (80%) et le régime à un seul parti (78%)
En étudiant le soutien aux normes démocratiques, nous constatons une fois de plus des signes indiquant une évolution à la fois positive et légèrement négative. Le soutien est fort et généralement stable pour toute une série de normes démocratiques, de la limitation du nombre de mandats présidentiels à la responsabilité et à l’État de droit. A travers les 30 pays sondés, le soutien ne tombe en dessous de 60% pour aucune de ces normes dans l’enquête la plus récente.
Le soutien à la responsabilité présidentielle devant le Parlement est demeuré stable au cours de la dernière décennie, s’établissant à 66% en 2011/2013 et à 67% en 2021/2023. La limitation des mandats présidentiels, qui est fréquemment contestée par les dirigeants désireux de s’accrocher au pouvoir, demeure toujours populaire, avec des niveaux de soutien fluctuant entre 72% et 77% au cours de la dernière décennie. Au cours des deux derniers rounds d’enquêtes, les citoyens ont exprimé un fort soutien (64%) à la liberté de la presse, un autre outil essentiel pour obliger les gouvernements à rendre compte de leurs actes.
D’autres indicateurs révèlent des progrès substantiels. Le soutien populaire à l’Etat de droit, sous la forme du respect par le président des décisions de justice, est passé de 67% en 2011/2013 à 73% en 2021/2023. Plus remarquable encore est la hausse de la préférence pour la responsabilité gouvernementale, qui est passée de 52% il y a 10 ans à 61%. Ce résultat est particulièrement frappant quand on sait que de nombreux pays ont besoin d’une prestation de services publics plus efficace. Néanmoins, six citoyens sur 10 refusent de renoncer à l’obligation de rendre des comptes, même si c’est pour accélérer la prise de décision et « faire avancer les choses ». Le déclin du soutien aux élections, d’autre part, présente un contrepoint troublant.
L’importance des élections comme pierre angulaire de la démocratie a été succinctement résumée par Michael Bratton (1998), qui affirme que « s’il peut y avoir des élections sans démocratie, il ne peut y avoir de démocratie sans élections. La convocation d’élections multipartites programmées a pour fonction minimale de marquer la survie de la démocratie ». Pourtant, nous observons une baisse inquiétante du soutien aux élections comme meilleur moyen de choisir les dirigeants, qui a régressé de 8 points au cours de la dernière décennie.
Malgré cela, trois Africains sur quatre considèrent les élections comme la meilleure option, et le soutien est demeuré stable à ce niveau au cours de plusieurs rounds récents d’enquêtes, après une chute entre le Round 6 (2014/2015) et le Round 7 (2016/2018) (voir l’encadré sur les élections à la Page 19). Néanmoins, en combinaison avec le déclin du soutien à la démocratie et la tolérance croissante vis-à-vis du régime militaire, ces tendances des indicateurs critiques méritent un examen plus approfondi.
Évolution nationale des indicateurs clés
Soutien à la démocratie
En 2023, le soutien à la démocratie varie d’un maximum de 87% en Zambie à 39% seulement au Mali. La préférence pour la démocratie est désormais une opinion minoritaire dans cinq pays : le Mali, l’Afrique du Sud (43%), l’Angola (47%), le Mozambique (49%) et le Lesotho (49%). Mais ce qui nous préoccupe avant tout, c’est l’évolution de cet indicateur au fil du temps dans les 30 pays qui ont été sondés depuis 2011/2013. La régression moyenne de 7 points de pourcentage du soutien à la démocratie au cours de la dernière décennie reflète des changements d’attitude surprenants dans plusieurs pays, y compris plusieurs pays actuellement ou précédemment classés parmi le petit nombre de pays « libres » sur le continent.
La préférence pour la démocratie a remarquablement reculé de 29 points de pourcentage en Afrique du Sud et de 23 points au Mali, de 18 points au Malawi et en Tunisie et de 17 points au Burkina Faso. Nous constatons des régressions de 4 points ou plus dans 19 des 30 pays, tandis que quatre pays seulement affichent des hausses significatives, en tête desquelles l’Eswatini (+10 points) et la Sierra Leone (+8). Quoique plusieurs de ces pays notamment l’Afrique du Sud demeurent démocratiques et libres, le déclin du soutien public au système, s’il n’est pas enrayé, pourrait entraîner des problèmes potentiels dans les années à venir. Sur une note plus prometteuse, la Zambie (87%) et le Sénégal (84%) ainsi que le Cabo Verde (84%), l’Ouganda (81%) et le Bénin (79%) révèlent un soutien à la fois très fort et très régulier en faveur de la démocratie, en dépit des défis politiques récents dans tous ces pays.
Le rejet du régime militaire
Nous observons des tendances similaires en ce qui concerne le rejet du régime militaire, aussi bien en ce qui a trait à la grande disparité des réponses d’un pays à l’autre qu’en ce qui concerne les baisses marquées dans certains d’entre eux. La Zambie arrive une fois de plus en tête du classement, avec un taux de 90% de rejet de la perspective d’un gouvernement militaire, suivie de près par l’Ouganda (87%), l’Eswatini (85%) et les Seychelles (85%). Le contraste avec le Mali et le Burkina Faso deux pays qui ont récemment connu des coups d’État militaires et sont actuellement sous régime militaire ne pourrait être plus net : Moins d’un Malien sur cinq (18%) et un Burkinabé seulement sur quatre (25%) rejettent cette alternative autoritaire. Elle est également minoritaire au Niger (44%) et en Tunisie (42%), deux autres pays qui ont récemment connu un coup d’État militaire ou des revers démocratiques majeurs.
En 2023, le soutien à la démocratie varie d’un maximum de 87% en Zambie à 39% seulement au Mali. La préférence pour la démocratie est désormais une opinion minoritaire dans cinq pays : le Mali, l’Afrique du Sud (43%), l’Angola (47%), le Mozambique (49%) et le Lesotho (49%)
Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a 10 ans, la majorité des 30 pays rejetaient le pouvoir militaire. Après des régressions de 40 et 37 points de pourcentage, respectivement, le Mali et le Burkina Faso sont aujourd’hui les pays qui acceptent le mieux le régime militaire. Mais nous constatons également des déclins à deux chiffres dans 14 autres pays, dont la Côte d’Ivoire (-27 points), le Cameroun (-19 points) et même le Ghana (-18 points). Dans l’ensemble, 23 des 30 pays ont connu un déclin de 4 points ou plus. Le Maroc est la seule exception, avec une hausse de 12 points au cours de la dernière décennie. Les réponses à une question posée pour la première fois lors du neuvième round d’Afrobarometer, à savoir si l’intervention militaire en politique est parfois opportune, soulèvent d’autres inquiétudes quant à la perception populaire du régime militaire.
A travers 39 pays, 53% des répondants sont disposés à accepter que l’armée prenne le contrôle du gouvernement « lorsque les leaders élus abusent de leur pouvoir pour leurs propres intérêts », tandis qu’une minorité de 42% affirment que l’armée ne devrait jamais intervenir en politique. Qui plus est, bien que la jeunesse africaine se distingue peu de ses aînés pour ce qui est du soutien à la démocratie, elle se montre plus disposée à tolérer l’intervention de l’armée. Ces attitudes à l’égard du régime militaire suggèrent qu’une combinaison de confiance vis-à vis de l’armée, de frustration liée à la mauvaise gouvernance et de souvenirs en déclin (ou absents) des dures réalités vécues au cours d’une ère antérieure de gouvernements militaires pourrait ébranler la résistance à cette forme particulière de régime autoritaire.
Engagement en faveur des élections
Ces tendances reviennent à nouveau pour ce qui est du soutien aux élections, même si, après une régression de 8 points de pourcentage au cours de la décennie, une forte proportion de trois quarts (75%) des Africains continuent de considérer les élections comme le meilleur moyen de choisir les dirigeants. Nous constatons néanmoins des régressions de 4 points ou plus dans 26 des 30 pays, avec notamment des régressions de 24 points en Tunisie et de 15 points ou plus au Cameroun, au Mali, au Lesotho et au Burkina Faso. La Sierra Leone, avec une hausse de 13 points de l’engagement en faveur des élections, est la seule exception.
L’offre de gouvernance démocratique
Nous allons maintenant nous intéresser à la question de la quantité de démocratie que les Africains estiment obtenir de leurs gouvernements et, en particulier, à la question de savoir s’ils sont satisfaits du niveau de démocratie dont ils jouissent. Les analyses d’Afrobarometer au cours des deux dernières décennies ont toujours montré que si une grande majorité d’Africains préfèrent la démocratie et rejettent les alternatives non démocratiques, les niveaux perçus de l’offre de démocratie et de gouvernance responsable sont en deçà des aspirations populaires. En moyenne à travers les 39 pays sondés en 2021/2023, moins de la moitié (45%) des répondants décrivent leur pays comme « une pleine démocratie » ou « une démocratie avec des problèmes mineurs », et 37% seulement se disent « assez satisfaits » ou « très satisfaits » du fonctionnement de la démocratie dans leur pays.
Une analyse des tendances au fil du temps révèle un déclin modeste mais constant de tous les indicateurs de l’offre de démocratie présentés à la Figure 6. A travers les 30 pays sondés au cours de la dernière décennie, la proportion de ceux qui estiment que leur pays est essentiellement ou totalement démocratique a régressé de 8 points de pourcentage, de 54% à 46%, alors que la régression de la satisfaction a été encore plus marquée, de 11 points, de 50% à 39% seulement. Nous constatons également des régressions modestes de la qualité perçue des élections (-7 points) et de la responsabilité perçue du président devant le Parlement (-7 points) et devant les tribunaux (-6 points). Le sentiment que les officiels ne jouissent pas du statut d’impunité légale, toujours faible, a encore régressé de 3 points, pour tomber à 37%.
Le déclin de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie
La régression moyenne de 11 points correspond à un effondrement remarquable de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie dans un certain nombre de pays, dont le Botswana (-40 points), Maurice (-40 points), l’Afrique du Sud (-35 points), le Ghana (-23 points) et la Namibie (-12 points), tous considérés comme des références démocratiques sur le continent. La satisfaction s’est également dégradée d’au moins 20 points en Eswatini (-25 points), au Lesotho (-24 points) et au Sénégal (-20 points). Au total, 16 pays ont connu une régression à deux chiffres de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie, tandis que deux seulement, le Togo (+12 points) et le Zimbabwe (+14 points), ont enregistré des hausses d’une ampleur comparable.
Six pays seulement enregistrent des hausses d’au moins 4 points. Les pays les moins satisfaits sont désormais le Gabon (7%) et le Congo-Brazzaville (15%) (aucun de ces pays n’était inclus dans le Round 5), ainsi que l’Eswatini (11%). En revanche, la Tanzanie et la Zambie font figure d’exceptions : Elles ont toutes deux enregistré des niveaux de satisfaction parmi les plus élevés des rounds 5 et 9, et sont les deux seuls pays à continuer d’enregistrer des niveaux de satisfaction d’au moins 60% en 2021/2023 (comparés à 11 pays en 2011/2013). Nous notons que le haut niveau de satisfaction actuel de la Zambie représente une nette reprise après une chute à seulement 37% dans le Round 8 (2019/2021), avant que les dernières élections n’inversent la tendance du pays vers un régime plus autoritaire.
En moyenne à travers les 39 pays sondés en 2021/2023, moins de la moitié (45%) des répondants décrivent leur pays comme « une pleine démocratie » ou « une démocratie avec des problèmes mineurs », et 37% seulement se disent « assez satisfaits » ou « très satisfaits » du fonctionnement de la démocratie dans leur pays
L’ambivalence africaine vis-à-vis de l’armée
A l’instar des Européens et des Américains (Johnson, 2018), les Africains expriment depuis longtemps une grande confiance en leur armée. Six Africains sur 10 (61%) à travers 39 pays disent faire « partiellement » ou « beaucoup » confiance aux forces armées, loin devant la justice (47%), le président (46%), la police (46%) et d’autres institutions. Cela ne signifie pas qu’ils souhaitent que l’armée gouverne leur pays: Deux tiers d’entre eux (66%) rejettent cette idée. Mais cette opposition est en baisse – de 11 points de pourcentage en moyenne à travers 30 pays au cours de la dernière décennie. D’autres chiffres semblent confirmer cette possibilité : Plus de la moitié (53%) des Africains sont disposés à tolérer une intervention militaire dans la vie politique si « les leaders élus abusent de leur pouvoir pour leurs propres intérêts », tandis que 42% seulement affirment que l’armée ne devrait jamais intervenir.
Les jeunes (18-35 ans) expriment la plus grande tolérance (56%) pour cette intervention hypothétique, tandis que leurs aînés, qui conservent peut-être encore des souvenirs personnels de la vie sous un régime militaire, sont nettement moins ouverts à cette option (47%). Dans l’ensemble, 20% de tous les répondants tolèrent l’intervention militaire et sont favorables au régime militaire, tandis que 30% tolèrent l’intervention militaire mais s’opposeraient à son maintien. Le continent est très polarisé sur cette question . Des majorités dans 13 des 39 pays affirment que les militaires ne devraient jamais intervenir en politique, en tête desquelles 65% des Marocains, 64% des Ougandais et 60% des Zimbabwéens.
La qualité des élections au cœur du débat en 2024
En cette année riche de 23 élections nationales en Afrique, la qualité et la légitimité de ces scrutins à fort enjeu seront au centre des préoccupations. La plupart (75%) des Africains estiment que les élections sont le meilleur moyen de choisir leurs dirigeants ; plus de six citoyens sur 10 soutiennent les élections dans tous les pays sondés à l’exception du Lesotho (44%). Et presque deux tiers (64%) des Africains souhaitent une rivalité multipartite, bien qu’un tiers seulement des Tunisiens (32%) et des Basotho (34%) soient de cet avis (Akinocho, 2024). Le soutien aux élections a régressé de 8 points de pourcentage au cours de la dernière décennie. Cela traduit peut-être une certaine désillusion après un trop grand nombre d’élections de piètre qualité, contestées et/ ou violentes, ou la reconnaissance du fait que les élections en elles-mêmes ne garantissent pas une gouvernance responsable ou des services publics fiables.
L’évaluation par les citoyens de leurs dernières élections nationales comme largement libres et transparentes a régressé de 7 points depuis 2011/2013, de 66% à 59%. Et moins de la moitié des Africains pensent que les élections leur permettent de s’assurer que les membres du Parlement représentent les opinions des électeurs (42%) ou qu’elles permettent aux électeurs de destituer les dirigeants qui ne font pas militaire (65%), mais sont plus susceptibles de tolérer les prises de pouvoir militaires « lorsque les leaders élus abusent de leur pouvoir pour leurs propres intérêts » (56% des jeunes contre 47% des plus de 55 ans). Les jeunes sont plus susceptibles que leurs aînés de considérer « la plupart » ou « tous » les officiels de la Présidence corrompus (40%) et d’être peu satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays (60%). Mais comme les jeunes citoyens du monde entier, les jeunes africains sont nettement moins susceptibles que leurs aînés d’exprimer leurs préférences dans les urnes : 63% de ceux qui étaient en âge de voter lors des dernières élections de leur pays déclarent l’avoir fait, contre 78% à 84% des groupes plus âgés. Ils sont également à la traîne de 7 à 12 points de pourcentage en ce qui concerne d’autres formes d’engagement politique, comme le fait de se joindre à d’autres personnes pour évoquer un problème ou de contacter un élu local.
Six Africains sur 10 (61%) à travers 39 pays disent faire « partiellement » ou « beaucoup » confiance aux forces armées, loin devant la justice (47%), le président (46%), la police (46%) et d’autres institutions. Cela ne signifie pas qu’ils souhaitent que l’armée gouverne leur pays: Deux tiers d’entre eux (66%) rejettent cette idée
Le fossé hommes-femmes dans la participation démocratique
Si la pleine participation des femmes à la gouvernance et l’élaboration des politiques est essentielle au développement démocratique et durable, l’Afrique est loin du compte : Alors que les femmes représentent environ la moitié de la population adulte du continent, elles n’occupent que 27,3% des sièges parlementaires (Union Interparlementaire, 2023). Le soutien populaire en faveur d’une amélioration de la situation semble être en place : En moyenne à travers 39 pays, trois quarts (75%) des citoyens affirment que les femmes devraient avoir les mêmes opportunités que les hommes d’être élues à des postes politiques. Le soutien à l’équité entre les sexes en politique progresse, gagnant 4 points de pourcentage par rapport à 2011/2013 à travers les 30 pays dont nous disposons de données chronologiques. Cependant, les attitudes publiques indiquent également un obstacle possible : Plus de la moitié (52%) des Africains déclarent que les femmes qui se présentent aux élections sont « quelque peu » ou « très » susceptibles d’être critiquées, insultées ou harcelées par d’autres membres de la communauté (Twum & Logan, 2023).
En Tunisie, 85% s’attendent à de telles réactions négatives. Les femmes se distinguent peu des hommes dans leur attitudes à l’égard de la démocratie : Elles distancent les hommes de 2 à 4 points de pourcentage seulement en ce qui concerne la préférence pour la démocratie et le rejet des alternatives autoritaires, et sont tout aussi insatisfaites du fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Mais même si les niveaux d’engagement varient selon les pays, les femmes sont en moyenne moins susceptibles que les hommes de s’engager dans des activités politiques (Figure 18). Par exemple, elles sont moins nombreuses que les hommes à déclarer avoir voté lors des dernières élections nationales (66% contre 72%), et des écarts plus importants les séparent pour ce qui est de discuter de politique (53% contre 69%), de se joindre à d’autres personnes pour discuter de problèmes (35% contre 49%) et de contacter des conseillers municipaux (19% contre 31%).
Politique ou économie : Quels sont les déterminants du soutien des Africains à la démocratie ?
Les résultats d’Afrobarometer mettent en évidence deux tendances importantes dans les attitudes des Africains envers la démocratie. Premièrement, l’offre de démocratie que les citoyens reçoivent de leurs gouvernements est à la fois inférieure au niveau de demande populaire de démocratie et, selon la plupart des indicateurs, a connu un déclin lent mais régulier au cours de la dernière décennie ou plus. Nous considérons la baisse de 11 points de pourcentage de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie depuis 2011/2013 comme un indicateur phare de cette tendance. Deuxièmement, si le soutien aux normes et aux institutions démocratiques demeure fort – certains indicateurs sont même en hausse – nous constatons également plusieurs tendances inquiétantes de ce côté-là. Outre la tolérance croissante à l’égard du régime militaire comme alternative à la démocratie, et une certaine régression du soutien aux élections, nous considérons la baisse de 7 points du soutien exprimé à la démocratie comme meilleur système de gouvernement depuis 2011/2013 comme l’indicateur de référence. Qu’est-ce qui explique ces tendances ? La détérioration des performances économiques ou politiques des pays africains est-elle à l’origine de la hausse de l’insatisfaction vis-à-vis de la démocratie ? Ces conditions contribuent-elles à expliquer le déclin moins prononcé, mais toujours préoccupant, du soutien populaire à la gouvernance démocratique ?
Cette section étudie ces questions en utilisant des données nationales provenant des 30 pays qui ont fait l’objet d’une enquête Afrobarometer tant en 2011/2013 qu’en 2021/2023. Notre analyse met en évidence deux conclusions clés : 1. L’insatisfaction croissante des citoyens vis-à-vis de la démocratie est fortement liée à la perception d’un déclin des performances socio-économiques et politiques. 2. En revanche, le soutien des Africains à la démocratie résiste à la détérioration de nombreux indicateurs de performance socio-économique. Au contraire, l’évolution du soutien populaire au cours de la dernière décennie est liée à des mutations des conditions politiques telles que la baisse de la qualité des élections, la hausse des 22 niveaux de corruption et l’incapacité à promouvoir l’Etat de droit. Ces statistiques sont conformes aux données du premier round des enquêtes Afrobarometer, il y a plus de 20 ans, qui concluait que partout en Afrique, le soutien populaire à la démocratie « dépend davantage de l’exercice des droits politiques que des performances économiques » (Bratton, Mattes, & Gyimah-Boadi, 2005). Il importe particulièrement de comprendre les déterminants de la détérioration du soutien à la démocratie en raison du rôle essentiel que joue l’engagement des citoyens dans le maintien du projet démocratique, non seulement en Afrique, mais aussi dans le monde entier. Les principaux théoriciens de la démocratie ont fait valoir que le soutien inconditionnel aux institutions démocratiques – c’est-à-dire la préférence d’une forte majorité pour la démocratie par rapport à d’autres systèmes politiques, même en cas de troubles économiques et d’insatisfaction vis-à-vis du pouvoir en place – est une condition essentielle de la consolidation de la démocratie (Claassen, 2020 ; Linz & Stepan, 1996).
Nos données soulignent l’importance de restaurer la confiance en la capacité des gouvernements africains à assurer une gouvernance démocratique et responsable par le biais d’élections libres et transparentes et d’efforts concertés pour lutter contre la corruption. La démographie et la démocratie en Afrique Avant d’étudier les tendances nationales, nous observons les attitudes citoyennes vis-à-vis de la démocratie au niveau individuel, c’est-à-dire que des groupes démographiques spécifiques sont plus ou moins susceptibles d’exprimer leur satisfaction et leur soutien à la démocratie. Les données des enquêtes Afrobarometer 2021/2023 à travers 39 pays africains montrent que la satisfaction des citoyens vis-à-vis de la démocratie varie en fonction d’un certain nombre de facteurs individuels (Figure 19). Par exemple, si aucune disparité n’est observée entre les hommes et les femmes, les habitants des zones rurales sont modérément plus susceptibles d’être satisfaits que leurs concitoyens des zones urbaines (40% contre 35%).
Les niveaux de satisfaction diminuent de manière plus substantielle avec l’augmentation du niveau d’éducation. Les citoyens ayant fait des études post-secondaires sont peut-être plus critiques vis-à-vis de leur démocratie parce qu’ils sont davantage au courant des questions politiques et s’y intéressent davantage (Croke, Grossman, Larreguy, & Marshall, 2016 ; Mattes, 2019). Mais les différences les plus importantes sont liées à l’insécurité économique : Ceux qui connaissent des niveaux de pauvreté élevés sont beaucoup moins susceptibles d’être satisfaits du fonctionnement de la démocratie (30%) que les plus sûrs économiquement (47%), ce qui suggère un lien entre la performance économique et la satisfaction démocratique que nous explorerons plus en détail ci-dessous.
Les déterminants de l’insatisfaction vis-à-vis de la démocratie
S’agissant de la baisse moyenne de 11 points de pourcentage de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie (voir toutes les tendances nationales dans la Figure A.1 en annexe), quels sont les déterminants de cette baisse? Il ressort de notre analyse que les fluctuations de la satisfaction au niveau national – atteignant des baisses de 40 points au Botswana et à Maurice – sont étroitement liées à l’évaluation des performances gouvernementales par les Africains sur toute une série d’indicateurs, en particulier ceux liés à la prestation de services socio-économiques. L’axe horizontal indique la variation en points de pourcentage, entre 2011/2013 et 2021/2023, de la proportion de citoyens qui estiment que la situation économique de leur pays est « assez bonne » ou « très bonne », tandis que l’axe vertical montre l’évolution de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie au cours de la même période.
La trajectoire ascendante de la ligne de tendance en pointillés montre qu’il existe une association positive entre les évolutions des facteurs socio-économiques et les niveaux de satisfaction. En d’autres termes, l’amélioration de la perception des conditions économiques nationales tend à correspondre à une hausse de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie. Inversement, la détérioration des conditions est associée à une insatisfaction croissante, comme le montrent les positions du Botswana, de Maurice et de l’Afrique du Sud. Nous constatons par ailleurs une relation positive entre l’évolution de la perception des performances politiques et la satisfaction vis-à-vis de la démocratie. La Figure 21 illustre cette tendance en utilisant les variations de la proportion des citoyens qui considèrent que les élections les plus récentes de leur pays ont été soit « entièrement libres et transparentes », soit « libres et transparentes avec des problèmes mineurs».
Une fois encore, la tendance observée chez les Botswana, les Mauriciens et les Sud Africains illustre une relation plus générale entre la baisse des performances politiques – dans ce cas, la détérioration de la qualité des élections – et la hausse de l’insatisfaction des citoyens. Les figures 20 et 21 montrent la relation entre les niveaux de satisfaction et deux exemples de perception par les citoyens des performances socio-économiques et politiques de leur pays. Comment se comparent-ils à d’autres variables ? La pente de la ligne dans des graphiques comme ceux-ci indique la force de la relation plus raide signifie plus forte. Cette relation est également reflétée dans un coefficient de corrélation de Pearson (illustré en bas à droite des figures.
Les déterminants politiques
Mais lorsque nous nous tournons vers les facteurs politiques, nous trouvons des preuves de relations importantes. Le déclin du soutien à la démocratie semble être en grande partie dû à la détérioration des conditions politiques. Nous constatons que les fluctuations de la perception qu’ont les citoyens des performances de leur pays par rapport aux indicateurs clés de la démocratie et de la gouvernance responsable sont liées à des fluctuations des niveaux globaux de soutien aux institutions démocratiques. Cela se produit dans plusieurs domaines clés, notamment la qualité des élections, le respect de l’Etat de droit et la perception de la corruption.
Toutefois, tous les indicateurs politiques ne sont pas associés au soutien populaire à la démocratie. La Figure 23 suit l’évolution, au niveau national, des perceptions de l’adhésion à l’Etat de droit par le biais de la proportion des citoyens qui déclarent que les officiels du gouvernement échappent « rarement » ou « jamais » à la punition pour avoir commis des crimes. Nous constatons une corrélation positive entre l’évolution de ces attitudes et les changements correspondants du soutien à la démocratie. Cela suggère que la croyance des citoyens en la capacité de leur gouvernement à faire respecter l’Etat de droit – pilier central d’une gouvernance responsable – impacte leur soutien à la démocratie.
Les déterminants du soutien à la démocratie
Les déterminants socio-économiques Contrairement à leurs effets sur la satisfaction, l’évolution des conditions socio-économiques au cours de la dernière décennie ne joue qu’un rôle minime dans l’évolution observée du soutien à la démocratie. Lorsque nous comparons les changements dans la performance économique avec les changements dans la préférence populaire pour la démocratie, nous ne trouvons aucune relation, positive ou négative, entre les deux à travers de nombreux indicateurs. En d’autres termes, la ligne pointillée sur ce tracé serait presque plate. Une comparaison entre l’Eswatini et l’Afrique du Sud permet de démontrer l’absence d’association : Alors que les deux pays ont connu des niveaux de baisse similaires de la part des citoyens qui déclarent que l’économie se porte « assez bien » ou « très bien » (-16 et -17 points de pourcentage), le soutien des citoyens à la démocratie a augmenté en Eswatini alors qu’il a chuté de façon spectaculaire en Afrique du Sud.
En d’autres termes, l’amélioration de la perception des conditions économiques nationales tend à correspondre à une hausse de la satisfaction vis-à-vis de la démocratie. Inversement, la détérioration des conditions est associée à une insatisfaction croissante, comme le montrent les positions du Botswana, de Maurice et de l’Afrique du Sud
Nous constatons ici une corrélation négative entre les perceptions de la corruption et le soutien démocratique : La hausse de la corruption perçue entre 2011/2013 et 2021/2023 est liée à la baisse de la préférence populaire de la démocratie. La corrélation entre l’adhésion perçue à l’Etat de droit et le soutien à la démocratie est similaire, en termes de force et de direction, à celle observée pour la qualité des élections. Nous constatons par ailleurs des tendances très similaires pour l’absence d’impunité chez les responsables gouvernementaux et chez les citoyens lambda, ce qui suggère qu’ils ont la même importance dans l’explication des récentes mutations de l’engagement démocratique à l’échelle nationale. Cela contraste avec nos conclusions précédentes que l’absence d’impunité chez les responsables gouvernementaux explique dans une plus large mesure les variations de la satisfaction. Néanmoins, le constat selon lequel la corruption dans les administrations locales est particulièrement corrosive pour le soutien démocratique dans l’ensemble des pays est important, étant donné leur proximité physique et donc leur grande visibilité pour les citoyens.
Étude de cas Afrique du Sud : Déclin du soutien et de la satisfaction démocratiques dans un contexte de corruption croissante
L’Afrique du Sud est l’une des démocraties les plus respectées d’Afrique, se classant constamment dans la catégorie « libre » de Freedom House (2024) depuis sa transition vers une démocratie multiraciale en 1994. Si le pays a une société civile dynamique et dispose de solides mesures constitutionnelles de protection des libertés politiques et des droits de l’homme, il a tout de même dû faire face à de multiples problèmes économiques et politiques au cours de la décennie écoulée. La pauvreté, le chômage et les inégalités demeurent des obstacles persistants à l’amélioration de la qualité de vie de bon nombre de Sud-Africains (Chatterjee, Czajka, & Gethin, 2021; Zizzamia, Schotte, & Leibbrandt, 2019), et divers gros scandales de corruption au sein du gouvernement et du secteur privé ont mis à rude épreuve les mécanismes de reddition de comptes du pays (Holden & van Vuuren, 2011; Pauw, 2017).
Afrobarometer recense de très nets reculs du soutien des Sud-Africains à la démocratie (-29 points de pourcentage) et de leur satisfaction vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie dans leur pays (-35 points) depuis 2011, sur fond de désillusion croissante quant à la capacité ou la volonté du gouvernement de lutter contre la corruption (e.g. Dryding, 2020 ; Felton, van Wyk-Khosa, & Mpani, 2023). Au cours de cette période, la proportion des citoyens qui déclarent que le gouvernement affiche une performance « plutôt bonne » ou « très bonne » en matière de lutte contre la corruption a chuté d’un tiers (33%) en 2011 à un répondant sur 10 (10%) (Figure 26). La grande majorité de répondants qui perçoivent une hausse de la corruption au cours de l’année précédente a chuté de 83% à 64% au cours d’une brève période d’optimisme au début du mandat du Président Cyril Ramaphosa en 2018, mais est ensuite remontée à 82% en 2022.
Les données suggèrent que cette tendance à l’effondrement de la satisfaction démocratique liée à la perception croissante de la corruption se retrouve également dans d’autres démocraties respectées d’Afrique australe telles que le Botswana, Maurice et la Namibie. Comme le montre la Figure 27, au moins 70% des citoyens de ces trois pays déclarent que la corruption s’est accrue au cours de l’année écoulée. En revanche, 19% seulement des Zambiens partagent cette opinion, dans un contexte où les partisans de la démocratie sont demeurés largement majoritaires au cours de la dernière décennie et où le taux de satisfaction a rebondi en 2021/2023 (voir la Page 30).
Étude de cas Mali : Effondrement du soutien à la démocratie dans un contexte d’insécurité chronique
Les évolutions de la gouvernance démocratique au Mali coïncident avec le début de la dernière rébellion Touareg en 2012 (Freedom House, 2024). Le pays est l’épicentre d’une crise sécuritaire longue d’une décennie dans l’ensemble du Sahel. De multiples interventions militaires régionales et occidentales ne sont pas parvenues à rétablir la stabilité dans les régions contrôlées par des rebelles armés, des groupes militants islamistes et des milices d’autodéfense (Badi & Klute, 2022 ; International Crisis Group, 2020). Le conflit a engendré une crise humanitaire, exacerbée par les changements climatiques et les violences intercommunautaires (Tarif, 2021 ; OCHA, 2024).
En août 2020 et mai 2021, des factions des forces armées maliennes ont organisé des coups d’Etat sur fond de frustration croissante de la population face à l’incapacité du gouvernement civil à remédier aux problèmes économiques et à la corruption, et à rétablir le contrôle du territoire national (Bester, 2020 ; Melly, 2020). Le gouvernement militaire a imposé de plus en plus de restrictions aux libertés politiques, ce qui a abouti au report indéfini des élections qui devaient se tenir en mars 2024 (Freedom House, 2024). Dans les enquêtes Afrobarometer réalisées durant cette période, le soutien des citoyens à la démocratie a nettement diminué, d’une majorité solide de 75% en 2014 à 39% en 2022 (Figure 28). Une grande part de cette évolution (-23 points de pourcentage) est survenue immédiatement après les coups d’Etat, entre les enquêtes de 2020 et de 2022. Le rejet du régime militaire s’est effondré au même moment, de 70% à 18%, parallèlement à un recul (de 76% à 21%) de la perception du public d’une aggravation de la corruption dans le pays.
En revanche, la confiance du public en la capacité du gouvernement à prévenir ou à résoudre les conflits violents a doublé depuis l’abandon du régime civil, de 27% à 58%, en dépit d’éléments indiquant que le nombre d’événements conflictuels est demeuré sensiblement le même (ACLED, 2024). Il est intéressant de noter que dans les enquêtes réalisées avant et après les coups d’Etat, la confiance en la capacité du gouvernement à riposter à la violence est la plus faible, et le soutien à la démocratie le plus élevé, dans les régions du Nord et du Centre les plus touchées par la crise sécuritaire (Figure 29).
Étude de cas Kenya : La demande de démocratie est en hausse, mais l’offre faiblit
Le Kenya a vécu un moment politique exceptionnel après son élection d’août 2017, lorsque la Cour Suprême du pays a annulé les résultats en raison d’irrégularités généralisées, la première fois qu’une action en justice de l’opposition avait abouti à une décision judiciaire aussi radicale en Afrique (BBC, 2017). Cette décision a peut-être permis de revigorer l’engagement démocratique des Kenyans (Carnegie Endowment for International Peace, 2018). La plupart des indicateurs du soutien à la démocratie ont progressé au cours de la dernière décennie, et plus particulièrement depuis 2017.
Le rejet du régime à parti unique est en hausse de 13 points de pourcentage, et nous constatons des hausses significatives de la demande de pluripartisme (+17 points), du soutien à la responsabilité présidentielle devant les tribunaux (+12 points) et le Parlement (+19 points), ainsi que de la préférence pour un gouvernement qui rend des comptes plutôt que pour un gouvernement qui « fait avancer les choses » (+21 points). Le soutien croissant des Kenyans pour la démocratie constitue l’un des points les plus positifs de l’évolution de la démocratie sur le continent au cours de la dernière décennie. Pour ce qui est de l’offre, la situation est un peu plus incertaine. Plusieurs indicateurs ont enregistré d’importantes hausses par rapport à 2011, en particulier les évaluations de l’étendue de la démocratie dans le pays (+16 points de pourcentage), mais la satisfaction vis-à-vis de la démocratie est retombée à son niveau de 2011 (47%). Et si la plupart des indicateurs ont connu un sursaut après la répétition des élections en 2017, ils ont perdu du terrain depuis 2019 (Figure 31). Le Kenya est toujours confronté à des difficultés pour assurer un environnement démocratique à sa population, mais le soutien croissant de la population va exercer une pression de plus en plus forte sur le gouvernement pour qu’il fasse de la gouvernance démocratique une réalité.
Étude de cas entre la Zambie et le Sénégal : Une histoire à deux rebonds ?
La trajectoire démocratique de la Zambie au cours des dernières années est un exemple du pouvoir de la résilience. Après son accession au pouvoir à la mort du Président Michael Sata en 2014, Edgar Lungu a été déclaré vainqueur de l’élection contestée de 2016. Mais les choses ont rapidement tourné au vinaigre : Lungu a fait arrêter son principal opposant, restreint la liberté de la presse, suspendu le Parlement et décrété l’état d’urgence. La démocratie zambienne semblait être sur la corde raide, les analystes déplorant le « glissement du pays vers l’autoritarisme » (Allison, 2017). Les Zambiens n’ont jamais faibli, faisant constamment preuve d’un engagement démocratique parmi les plus élevés du continent.
Mais ils voyaient bien que leur démocratie était en train de péricliter : La satisfaction vis-à-vis de la démocratie est tombée à seulement 37% dans l’enquête 2020 d’Afrobarometer. En fin de compte, la démocratie a prévalu – et la satisfaction a rebondi (lignes en pointillés). Même si Lungu a essayé de se servir de la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour empêcher son rival de faire campagne pour les élections de 2021, Hakainde Hichilema en est sorti vainqueur. Les Zambiens s’en sont réjouis et ont manifesté leur approbation : Le taux de satisfaction vis-à-vis de la démocratie a presque doublé en 2022, atteignant 71%. Le Sénégal pourrait-il connaître un rebond similaire ? Comme en Zambie, l’engagement démocratique des Sénégalais demeure généralement fort au cours de la dernière décennie (à l’exception notable du rejet du régime militaire), alors que de nombreux indicateurs de l’offre sont en net recul.
Le pays a récemment failli faire l’expérience d’un coup de force autoritaire lorsque le Président Macky Sall, en fin de mandat, a tenté de reporter les élections dans ce que les analystes ont décrit comme une tentative de « coup d’Etat constitutionnel » (Toto, 2024). Mais la Cour Constitutionnelle du Sénégal, comme celle du Kenya et du Malawi avant elle, a tenu bon, annulant le décret de Sall (Sany, 2024), et le candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Faye a remporté l’élection du 24 mars avec près de 20 points d’avance. Il faudra attendre la prochaine enquête Afrobarometer, prévue pour la fin de l’année 2024, pour savoir si ce résultat a renouvelé la confiance des Sénégalais en la démocratie.