

Type de publication : Rapport
Site de l’organisation : Cour des comptes
Date de publication : février 2025
Lien vers le document original
Le rapport de la Cour des comptes du Sénégal est une source officielle qui fournit une évaluation détaillée de la gestion des finances publiques sur une période de cinq ans. Son caractère institutionnel garantit des données fiables et permet d’avoir une lecture claire des forces et des faiblesses de la gouvernance économique du pays. Il met en lumière des problèmes récurrents dans la gestion des ressources publiques, notamment la dette publique, le déficit budgétaire, les dépenses non contrôlées et l’opacité de certaines transactions financières. Ces enjeux ne sont pas propres au Sénégal, mais concernent de nombreux pays de la région. La Cour des comptes a révélé d’importantes irrégularités dans la gestion des finances publiques entre 2019 et mars 2024 qui correspond au second mandat du président Macky Sall. Parmi les principales anomalies, la dette publique a été largement sous-estimée, atteignant en réalité 18 558,91 milliards de francs CFA, soit 99,67 % du PIB. Mieux, un montant de plus de 2 500 milliards de francs CFA a été contracté sous forme de dettes bancaires en dehors du circuit budgétaire officiel et sans validation parlementaire. Ces pratiques mettent en lumière un manque de transparence préoccupant. Le déficit budgétaire a également été manipulé. Alors que l’ancien gouvernement annonçait un déficit de 4,9 % du PIB pour 2023, les calculs de la Cour des comptes le situent plutôt à 12,3 %. Cet écart de plus de 2 291 milliards de francs CFA s’expliquerait par la supposée dissimulation de certaines dettes et dépenses. De telles pratiques faussent la réalité des finances publiques du Sénégal. Le rapport dénonce des dépenses effectuées hors du circuit du Trésor public, des transferts de fonds vers des comptes non réglementaires et des ventes « douteuses » de biens publics. Par exemple, des bâtiments d’État ont été vendus à des tiers, puis reloués par l’administration pour rembourser des emprunts, une pratique jugée abusive et contraire aux principes de bonne gouvernance.
Dans tous les pays de la région, nous avons des organes de contrôle en charge de la vérification de la bonne tenue des finances publiques. Ce rapport de la Cour des comptes du Sénégal qui est une obligation légale après chaque fin de mandat expose la situation des finances publiques. Il souligne la nécessité d’une plus grande transparence budgétaire et d’un encadrement strict de la dette publique afin d’éviter un endettement incontrôlé. Il met aussi en avant l’importance d’un contrôle rigoureux des dépenses publiques pour prévenir les abus et garantir une gestion efficace des ressources de l’État. La transparence budgétaire est un acte primordial de bonne gouvernance. Pour éviter de telles situations, les États doivent instaurer un suivi rigoureux des engagements financiers, avec des audits réguliers et un meilleur accès aux informations budgétaires pour les citoyens. Ensuite, le contrôle des dépenses publiques est crucial. L’ancien gouvernement sénégalais avait annoncé un déficit budgétaire de 4,9 % du PIB pour 2023, alors que la Cour des comptes le réévalue à 12,3 %, soit un écart de 2 291 milliards de francs CFA. Cet écart est dû à des dépenses non comptabilisées et à des engagements financiers non déclarés. Pour éviter de tels écarts, les pays doivent renforcer les mécanismes de vérification budgétaire et garantir que toutes les dépenses de l’État sont inscrites dans les documents officiels. L’augmentation incontrôlée de la masse salariale de l’État est également une leçon importante. Entre 2019 et 2023, la masse salariale a augmenté de 74,97 %, passant de 744,96 milliards à 1 303,50 milliards de francs CFA. Une telle hausse réduit la marge budgétaire de l’État pour financer des infrastructures et des services essentiels. Les gouvernements doivent adopter des politiques de recrutement plus responsables et limiter la croissance des dépenses de personnel pour éviter un déséquilibre financier. En cas de changement de pouvoir, la nouvelle équipe gouvernementale est rattrapée par les choix et comportements budgétaires du pouvoir sortant.
Les extraits proviennent des pages : 10-11, 12-13, 14-15, 16-17, 18-19, 21-22, 23, 25-26, 27-28, 29-30, 31-32, 33, 37, 41-42, 43-44, 45.
Opérations du budget général et des comptes spéciaux du trésor
Situation des recettes produite par le Gouvernement
Selon le rapport du Gouvernement sur la situation des finances publiques, « les recettes effectives du Budget général sont restées sur une tendance haussière de 2019 à 2023 avec un ralentissement en 2020 imputable pour l’essentiel aux mesures d’allègement fiscales dans le cadre de la pandémie COVID-19.
Les recettes sont établies, sur la période sous revue, à 16 160,8 milliards de F CFA répartis entre les recettes fiscales, les autres recettes et les dons pour respectivement 13 929,05 milliards de F CFA, 1 164,7 milliards de F CFA et 1 067,05 milliards de F CFA.
Concernant les restes à recouvrer (créances fiscales), leur solde d’ouverture était de 308,53 milliards de F CFA, en 2019, contre un stock en fin mars 2024 de 408,2 milliards de F CFA, soit une progression de 32%. »
Des rattachements irréguliers de recettes
Selon le principe de la comptabilité de caisse, les recettes doivent être comptabilisées dans la gestion au cours de laquelle elles sont encaissées. A cet égard, l’article 153 du décret n°2020-978 du 23 avril 2020 portant Règlement général sur la Comptabilité publique précise que « la période couverte par la comptabilité budgétaire est la gestion couvrant l’année civile, sans période complémentaire. »
La Cour constate, à la Recette générale du Trésor, des rattachements irréguliers consistant à comptabiliser des recettes recouvrées en année N à l’exercice N-1. Les situations des recettes rattachées sont produites par la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) et la Direction générale des Douanes (DGD).
Les rattachements irréguliers ont pour effet d’augmenter les recettes de l’année N-1 et, par conséquent, de minorer le déficit budgétaire de la même année enregistré dans le Tableau des Opérations financières de l’État (TOFE).
L’incidence des rattachements sur le déficit en 2019 et 2020 n’a pu être déterminé en raison de la non-transmission par la DGD des situations y relatives.
En 2022 et 2023, les déficits budgétaires sans rattachements irréguliers, rapportés au PIB, sont supérieurs respectivement de 0,46% et 0,27% aux déficits affichés dans le TOFE.
Cependant, cette hausse des déficits n’entraîne pas un besoin de financement additionnel en raison de la disponibilité de la trésorerie issue des recettes rattachées.
Une situation non exhaustive des restes à recouvrer (RAR)
Les restes à recouvrer indiqués dans le rapport du Gouvernement regroupent l’ensemble des impôts, droits et taxes liquidés par les administrations financières.
Ces restes à recouvrer s’élèvent à 408,2 milliards de F CFA et ne tiennent pas compte des créances douanières liquidées d’un montant de 261,71 milliards de F CFA réparti entre :
- Les droits et taxes résultant des déclarations sans bon-à-enlever (BAE) pour 182,25 milliards de F CFA ;
- le reliquat des droits et taxes liquidés ainsi que des pénalités appliquées après des procédures contentieuses closes pour 79,46 milliards de F CFA. Malgré leur importance, les droits de douane ne font pas l’objet d’un suivi administratif et comptable centralisé, contrairement aux impôts directs enrôlés. L’omission des créances douanières altère la précision des données relatives aux restes à recouvrer et donne une image incomplète de leur situation.
Une situation non exhaustive des dépenses fiscales
Le rapport sur la situation des finances publiques de 2019 au 31 mars 2024 indique que le Sénégal, à travers un comité de pilotage des études sur les dépenses fiscales, procède à l’évaluation annuelle régulière et périodique des dépenses fiscales.
Les dépenses fiscales s’élèvent à 952,7 milliards de F CFA en 2021.
La Cour constate que le rapport du Gouvernement n’inclut pas les données relatives aux dépenses fiscales pour les années 2022 et 2023.
La DGID sollicitée par la Cour n’a pas produit la situation des dépenses fiscales au titre des années 2022 et 2023 évoquant « des contraintes liées à la disponibilité des données » qui font que ladite situation n’est faite qu’à l’année n+2.
L’absence de rapports d’évaluation des dépenses fiscales pour les gestions 2022 et 2023 est contraire à la Décision n°08/2015/CM/UEMOA du 2 juillet 2015 instituant les modalités d’évaluation des dépenses fiscales dans les États membres de l’UEMOA. En effet, l’article 2 de la Décision précitée précise que « chaque État membre procède de manière annuelle à l’évaluation des dépenses fiscales. Cette évaluation fait l’objet d’un rapport qui est annexé au projet de lois de finances pour le budget de l’État (…) ». De plus, l’article 11 de la même Décision indique que « le rapport annuel d’évaluation des dépenses fiscales doit être rendu public par le Gouvernement au plus tard le 31 mars de l’année suivant celle au titre de laquelle la loi de finances en cours d’exécution a été adoptée ».
Selon le ministère des Finances et du Budget, les données définitives qui doivent servir à l’élaboration du rapport sur les dépenses fiscales au titre d’une année N ne sont disponibles qu’à la fin de l’année N+1. Certains États qui ont opté pour travailler avec des données provisoires sont en mesure de produire annuellement un rapport contrairement au Sénégal qui ne tient compte que des données définitives. Aussi, le Ministère s’est-il engagé, en attendant la disponibilité des données définitives, à élaborer, désormais, un rapport annuel sur les dépenses fiscales sur la base de données provisoires.
La Cour fait remarquer que la Décision n°08/2015/CM/UEMOA du 02 juillet 2015 qui ne fait pas de distinction entre données provisoires et données définitives, oblige les États à publier leur rapport annuel au plus tard le 31 mars de chaque année. Cette norme communautaire, d’application directe, ne prévoit pas de dérogation.
Dépenses du budget général
Situation des dépenses produite par le Gouvernement
Dans le rapport du Gouvernement, « les dépenses effectives s’élèvent à 21 007,13 milliards de F CFA sur la période 2019-2023, soit une progression moyenne de 9,3%. La masse salariale est constituée uniquement des charges de personnel de la Fonction publique payée par la Direction de la Solde. De ce périmètre, il est exclu les contractuels de l’Éducation et de la Formation professionnelle, des Ministères en charge de la Santé, de l’Agriculture, de l’Environnement et des autres ainsi que les paiements de certaines indemnités aux agents qui sont logés au niveau des dépenses de matériels de biens et services ou de transferts courants aux services administratifs ou dans les projets d’investissements de l’État. La masse salariale est passée de 744,96 milliards de F CFA en 2019 à 1 303,50 milliards de F CFA en 2023, soit une évolution de 74,97%. Les transferts représentent en moyenne 77% des dépenses exécutées dans le système support du budget programme (SYSBUDGEP). »
Des transferts importants au profit des services non personnalisés de l’État (SNPE)
Les Services non personnalisés de l’État (SNPE), entités dépourvues de personnalité juridique, ont bénéficié, durant la période sous revue, de transferts budgétaires d’un montant total de 2 562,17 milliards de F CFA, représentant 28,06% des transferts globaux du budget général.
L’absence de rapports d’évaluation des dépenses fiscales pour les gestions 2022 et 2023 est contraire à la Décision n°08/2015/CM/UEMOA du 2 juillet 2015 instituant les modalités d’évaluation des dépenses fiscales dans les États membres de l’UEMOA
L’État ne doit pas accorder à ses propres services des transferts de crédits ; ceux-ci devant bénéficier de crédits de fonctionnement ou d’investissement. Les transferts de crédits sont exécutés à travers des comptes de dépôt ouverts au Trésor et confiés à des gestionnaires nommés par le Ministre chargé des finances conformément à l’arrêté n°21136 du 21 novembre 2017 fixant les conditions d’ouverture, de fonctionnement et de clôture des comptes de dépôt, modifié par l’arrêté n°14117 du 26 juin 2018.
Les transferts au profit des SNPE suscite quelques observations. En effet :
- au plan budgétaire, l’arrêté n°037029 du 07 décembre 2022 fixant les lignes budgétaires et les catégories de dépenses pris en application de l’article 4 du décret n°2022-1576 du 1er septembre 2022 portant Nomenclature budgétaire de l’État ne prévoit de transferts qu’au profit des entités dotées de la personnalité juridique.
- au plan comptable, les comptes de dépôt fonctionnent comme des comptes bancaires. Les mouvements qui y sont retracés sont des opérations de trésorerie. Ainsi, les acquisitions de biens et les immobilisations qui en résultent ne sont pas retracées dans la comptabilité de l’Etat.
- contrairement à la procédure normale, les opérations effectuées à travers ces comptes de dépôt échappent totalement aux contrôles de régularité préalables nécessaires à la préservation des deniers publics. En effet, les seules diligences qu’effectuent les comptables de rattachement lors des décaissements des fonds portent sur le contrôle de la disponibilité des fonds et de la qualité du signataire du chèque ou de l’ordre de virement. Ils n’effectuent pas de contrôle de régularité notamment la vérification de la validité de la créance.
Les transferts au profit des services non personnalisés de l’État, exécutés à travers des comptes de dépôt ouverts au Trésor et confiés à des gestionnaires nommés par le Ministre chargé des finances, mobilisent d’importantes sommes dont la gestion comporte plusieurs manquements.
A titre illustratif, la Cour a examiné la situation d’exécution des comptes « CAP/Gouvernement » et « Programme de Défense des Intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES) » dans les développements qui suivent.
Le compte de dépôt CAP/Gouvernement
Le compte de dépôt « CAP/Gouvernement » est créé le 25 juin 2012 au profit de la Cellule d’appui à la mise en œuvre des Projets et Programmes (CAP) pour suppléer au financement des activités de cette structure par le PNUD. L’objectif général est de contribuer à l’amélioration du niveau et de la qualité d’exécution des projets et programmes.
Le compte de dépôt ouvert dans les livres de la Trésorerie générale est mouvementé par le Directeur de l’Ordonnancement des Dépenses publiques (DODP).
Sur la période sous revue, d’importantes ressources d’un montant de 1 343 577 555 142 F CFA sont décaissées à travers ce compte.
Cependant, des décaissements sont effectués en 2022 par le Trésorier général sur ordre du Directeur général du Budget qui n’est pas le gestionnaire du compte. Il s’agit notamment du paiement de :
- 6 481 740 000 F CFA au profit d’Envol Partenariat S.A, au titre du loyer (deuxième semestre 2022) de la Maison des Nations Unies à Diamniadio ;
- 1 205 237 681 F CFA au profit de DP WORLD au titre du complément de l’achat des 30% d’actions de DP WORLD pour le compte de l’Etat du Sénégal ;
- 4 000 000 000 F CFA au profit d’Air Sénégal.
Sur cette question, le Ministère des Finances et du Budget précise dans sa réponse que le Directeur général du Budget, qui n’est pas le gestionnaire du compte, ne peut donner d’ordre au Trésorier général de payer une dépense.
La Cour maintient que par lettres n°00260 MFB/DGB/DODP du 06 juillet 2022, n°00269 MFB/DGB/DODP du 14 juillet 2022 et n°00270 MFB/DGB/DODP du 14 juillet 2022 signées par le Directeur général du Budget, les décaissements susmentionnés de montants respectifs de 6 481 740 000 F CFA, 1 205 237 681 F CFA et 4 000 000 000 F CFA sont effectués par le Trésorier général et bien retracés dans le relevé du compte de dépôt n°3683047 « CAP/Gouvernement ».
Par ailleurs, le compte de dépôt enregistre, en 2023, le remboursement d’une dette bancaire d’un montant de 305 943 167 977 F CFA sans lien établi avec l’objet pour lequel il a été créé.
Il s’y ajoute que les remboursements sont effectués en dehors des procédures normales prévues par la réglementation en matière de gestion de la dette publique.
Le compte de dépôt Programme de Défense des Intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES)
Le Programme de défense des intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES) est créé par décret n° 2017-74 du 12 janvier 2017.
La mobilisation des ressources dudit programme est faite par le biais d’un compte de dépôt ouvert dans les livres de la Trésorerie générale. Ce programme est placé sous l’autorité du Ministre chargé des finances qui peut en confier le pilotage à l’un des membres de son personnel.
L’article 5 du décret susvisé prévoit la possibilité d’ouvrir un ou plusieurs comptes au niveau des banques primaires du Sénégal et à l’étranger pour y verser les fonds tirés du compte de dépôt.
Par ailleurs, le compte de dépôt enregistre, en 2023, le remboursement d’une dette bancaire d’un montant de 305 943 167 977 F CFA sans lien établi avec l’objet pour lequel il a été créé
En outre, selon l’article 6 dudit décret, les dépenses prévues pour le fonctionnement et les activités opérationnelles du programme ne sont pas justifiées, en raison des spécificités liées aux opérations qui y sont effectuées.
Les dispositions de ce décret ouvrent de fait des fonds spéciaux gérés par le Ministre chargé des finances.
Sur la période de 2019 à 2023, un montant de 303 031 260 751 F CFA est décaissé à travers ce compte.
La Cour constate qu’en plus des transferts budgétaires, les comptes de dépôt « CAP/Gouvernement » et « Programme de Défense des Intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES) » reçoivent des affectations de trésorerie sur autorisation du Ministre chargé des finances.
C’est le cas de l’autorisation accordée en 2023 d’imputer les ressources mobilisées auprès de l’investisseur CGL dans les comptes de dépôt CAP Gouvernement et PDIES pour des montants respectifs de 125 000 000 000 F CFA et 4 022 122 869 F CFA.
Ces affectations sont effectuées en dehors des procédures de la loi de finances
Outre les problèmes relevés sur l’exécution des comptes de dépôt sus indiqués, une utilisation irrégulière des soldes créditeurs des comptes de dépôt est constatée. Ainsi, en fin d’année 2023, des prélèvements d’un montant de 407 550 717 701 F CFA sont opérés sur des soldes créditeurs des comptes de dépôt pour être affectés à d’autres comptes sur autorisation du Ministre chargé des Finances.
Ces prélèvement/affectations contreviennent aux dispositions de l’arrêté n°21136 du 21 novembre 2017, modifié, qui prévoient, pour les soldes créditeurs de ces comptes de dépôt, le report ou la comptabilisation en recettes exceptionnelles.
Le Ministre des Finances et du Budget affirme que les opérations de prélèvement et d’affectation sur comptes de dépôt « sont effectuées, conformément aux attributions du Ministre chargé des Finances relativement aux opérations de trésorerie de l’Etat (article 1er alinéa 2 du décret n° 2024-948 relatif aux attributions du Ministre des Finances et du Budget).
Cette compétence du Ministre des Finances est corroborée par l’article 17 du RGCP qui dispose que le Ministre chargé des Finances est ordonnateur principal unique du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor ainsi que de l’ensemble des opérations de trésorerie ».
La Cour rappelle, cependant, que les affectations de trésorerie relèvent du domaine de la loi de finances. En effet, conformément à l’article 3 de la loi organique n°2020-07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances « les lois de finances déterminent la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte (…) ».
Par ailleurs, l’article 3 du décret n°2020-978 du 28 avril 2020 portant Règlement général sur la Comptabilité publique ajoute que « les ressources et les charges de l’Etat sont prévues et autorisées, pour chaque année civile, par une loi de finances ».
Au regard de ces dispositions, le Ministre chargé des finances ne doit pas affecter le produit des emprunts à des comptes de dépôt pour y exécuter des opérations non autorisées par la loi de finances.
Outre les problèmes relevés sur l’exécution des comptes de dépôt sus indiqués, une utilisation irrégulière des soldes créditeurs des comptes de dépôt est constatée. Ainsi, en fin d’année 2023, des prélèvements d’un montant de 407 550 717 701 F CFA sont opérés sur des soldes créditeurs des comptes de dépôt pour être affectés à d’autres comptes sur autorisation du Ministre chargé des Finances
En outre, dans l’exécution des opérations de trésorerie, en dehors des cas bien définis par la réglementation notamment l’arrêté n°21136 du 21 novembre 2017 susmentionné et relatif au traitement des soldes créditeurs, les comptes de dépôt ne peuvent être mouvementés par les comptables du Trésor que sur ordre des gestionnaires ou agents comptables dument habilités.
Des discordances sur les données des ressources extérieures
Des variations notées dans les situations produites par la DODP
L’écart global entre la dernière situation produite par la DODP et celle figurant dans le rapport du Gouvernement est de 143,98 milliards de F CFA. Par ailleurs, la Cour a procédé à un échantillonnage de 09 bailleurs (Banque mondiale, Banque africaine de Développement, Banque islamique de Développement, Agence française de Développement, BOAD, Chine, USAID, Société générale et Standard Chartered Bank) dont les financements couvrent 97,84% des ordonnancements des dépenses sur ressources extérieures sur la période de 2019 à mars 2024.
Les rapprochements effectués ont permis de constater des écarts entre les ordonnancements de la DODP et ceux enregistrés dans les plateformes de certains bailleurs.
Interpellé sur ces constats, le Directeur de l’Ordonnancement des Dépenses publiques a transmis une nouvelle situation des ordonnancements qui présente encore des écarts.
Des discordances sur les tirages des prêts projets entre la Direction de la Dette publique (DDP) et la DODP
Les données de la DODP sont supérieures aux tirages de la DDP ; ce qui signifie qu’une partie de l’encours de la dette n’est pas retracée dans les documents de suivi de la DDP. Il convient de signaler que les difficultés relevées dans la gestion des ressources extérieures sont dues à l’absence d’un système d’information intégré et au fait que le DODP ne tient pas de comptabilité conformément au plan comptable de l’Etat alors qu’il gère un portefeuille important de projets.
Il s’y ajoute qu’il cumule les fonctions d’ordonnateur et de comptable en méconnaissance des dispositions de l’article 14 du décret n°2020-978 du 23 avril 2020 portant Règlement général sur la Comptabilité publique.
Sur recommandation de la Cour, le Ministre des Finances et du Budget s’engage à faire prendre les dispositions nécessaires pour l’assignation des opérations financées sur ressources extérieures à un comptable public.
Par ailleurs, le Ministre affirme avoir entamé un processus de fiabilisation des données avec notamment la plateforme de gestion des ressources externes dont la mise en service est prévue en 2025, après une phase test d’un an.
Chapitre II : Gestion de la trésorerie et situation de l’endettement
Constatations de la Cour
Les travaux de la Cour ont permis de relever les constatations ci-après :
- des discordances sur les données de l’amortissement, de l’encours de la dette publique et des disponibilités bancaires ;
- des anomalies constatées dans les surfinancements ;
- des pratiques impactant la trésorerie de l’Etat ;
- des manquements dans la gestion des dépôts à terme (DAT) ;
- un reliquat de l’emprunt obligataire (Sukuk SOGEPA) de 2022 non versé au Trésor public ;
- une dette garantie non exhaustive ;
- une dette bancaire importante contractée hors circuit budgétaire ;
- des déficits budgétaires supérieurs à ceux affichés dans les documents de reddition ;
- un encours de la dette supérieur au montant figurant dans les documents de reddition
Des discordances sur les données de l’amortissement, de l’encours de la dette publique et des disponibilités bancaires
Sur l’encours de la dette
L’encours de 13 773 milliards de F CFA de la dette de l’Administration centrale au 31 décembre 2023 présenté dans le rapport du Gouvernement est différent de celui de 13 854 milliards de F CFA retracé dans le PLR 2023, soit un écart de 81 milliards de F CFA.
Cet écart porte sur la dette intérieure et concerne les bons du Trésor en compte de dépôt et les bons du Trésor par adjudication de courte durée (inférieure à un an) qui n’ont pas été remboursés dans l’année et, par conséquent intègrent, l’encours.
Par ailleurs, l’encours présenté dans le rapport du Gouvernement n’inclut pas celui de la dette bancaire hors cadrage et certains tirages sur les ressources extérieures.
Sur les disponibilités bancaires
La situation des disponibilités de l’État transmise à la Cour par le Trésorier général est arrêtée à 278,47 milliards de F CFA au 31 décembre 2023 alors que le rapport du Gouvernement indique un solde de 173,6 milliards de F CFA, soit un écart de 104,87 milliards de F CFA.
L’encours de 13 773 milliards de F CFA de la dette de l’Administration centrale au 31 décembre 2023 présenté dans le rapport du Gouvernement est différent de celui de 13 854 milliards de F CFA retracé dans le PLR 2023, soit un écart de 81 milliards de F CFA
Toutefois, la circularisation auprès de la banque B.A. révèle l’existence :
- d’un solde créditeur au 31 décembre 2023 d’un montant de 479 607 713 FCFA du compte n°80130730000 ouvert au nom du Trésorier général mais non communiqué par le Trésor ;
- d’un solde au 31 décembre 2023 de 3 141 FCFA en lieu et place de 15 000 003 141 FCFA enregistré au compte n°80080030000 ouvert au nom de l’Etat du Sénégal et géré par le Ministre chargé des finances que le Trésorier général a indument intégré dans ses disponibilités.
- Le Trésorier général admet que le compte est bien ouvert à son nom. Il ajoute que « le solde dudit compte ouvert dans les livres de la Banque B.A. au 31 décembre 2023 est bien de 15 000 000 141 FCFA. Ce solde résulte de la réalisation d’une opération de trésorerie (mouvement de fonds) constatée le 29 décembre 2023 dans ses livres.
- En considérant le relevé transmis par la Cour des Comptes, il est constaté que le montant de 15 000 000 000 qui fait la différence est passé au crédit du compte en début d’année 2024 (03 janvier 2024). Ce qui résulterait d’un problème technique au niveau de la Banque.
- Sur cette base, il est sollicité de la Cour des Comptes le rajout de ce montant aux disponibilités du Trésorier général au 31 décembre 2023 qui doivent ressortir à un montant de 278,47 milliards de F CFA ».
- Le Trésorier général a produit une attestation de la banque B.A. confirmant l’existence d’un virement d’un montant de 15 000 000 000 F CFA à la date du 29 décembre 2023 dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom.
Toutefois, la Cour souligne que le relevé transmis par la banque affiche un solde de 479 607 713 F CFA à la date du 31 décembre 2023.
En réalité, le Trésorier général a procédé le 29 décembre 2023, à partir de son compte règlement ouvert à la BCEAO, à un virement d’un montant de 15 milliards de F CFA dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom dans les livres de la banque B.A.
Ce virement positionné le 02 janvier 2024 est transféré le même jour dans le compte n°80080030000 ouvert au nom de l’État du Sénégal dans la même banque et géré par le Ministre chargé des finances. Le montant est aussitôt utilisé pour payer des dépenses non autorisées au profit de divers fournisseurs.
En définitive, la Cour retient le solde de 479 607 713 F CFA au 31 décembre 2023 ; ce solde n’a pas varié en fin janvier 2024.
Par ailleurs, la situation des disponibilités du Trésor présentée dans le rapport du Gouvernement n’inclut pas les dépôts à terme (DAT) ainsi que les soldes des comptes ouverts par les ministres chargés des finances au nom de l’Etat du Sénégal.
Des anomalies constatées dans les surfinancements
Le surfinancement est le dépassement du montant nécessaire pour couvrir le besoin de financement composé du déficit, de l’amortissement de la dette et des autres charges de trésorerie. La Cour relève des discordances dans les reports des surfinancements et l’utilisation en 2023 d’une partie du surfinancement.
Des discordances dans les reports des surfinancements
Le surfinancement de 2020 de 54,71 milliards de F CFA n’a été reporté en 2021 que pour un montant de 51,31 milliards de F CFA, soit un écart de 3,4 milliards de F CFA. Celui de 2021 d’un montant de 238,24 milliards de FCFA n’a été reporté en 2022 que pour 120,7 milliards de F CFA, d’où un écart de 117,54 milliards de F CFA. Le ministre des Finances et du Budget avait soutenu, dans le rapport sur l’exécution des lois de finances de 2022, qu’une partie de ce surfinancement a été rétrocédée à PETROSEN.
S’agissant de la gestion 2022, le surfinancement de 35,4 milliards de F CFA n’a pas été reporté en 2023. Selon le Ministère des Finances, le non-report se justifie par « la hausse de l’amortissement de la dette porté à 944 milliards de F CFA au lieu du montant de 908,51 milliards de F CFA retenu qui résulte de la fluctuation de change ».
La Cour fait observer que le montant de l’amortissement arrêté en 2022 est de 908,51 milliards de F CFA et non 944 milliards de F CFA. La raison invoquée par le ministère relativement aux variations de change ne peut faire fluctuer l’amortissement. Ces variations sont neutres sur l’amortissement. En effet, pour l’amortissement c’est la valeur d’entrée qui détermine sa valeur de sortie. Les fluctuations affectent tout au plus les comptes de change.
L’écart de 35 milliards de F CFA sus indiqué avait été relevé dans le cadre de l’instruction du RELF 2022 et résultait de la comptabilisation dans l’amortissement de la dette d’un bon du trésor (SN0000001744-BAT-05-2022 du 11/02/2022) de courte durée qui n’affecte pas le financement du budget.
Un surfinancement partiellement utilisé pour des dépenses sans couverture budgétaire
Le tableau de financement de 2023 présenté dans le rapport du Gouvernement indique un surfinancement d’un montant de 604,7 milliards de F CFA à intégrer dans les moyens de couverture du besoin de financement de 2024.
La Cour constate que sur les 604,7 milliards de FCFA annoncés au titre du surfinancement, une partie est consommée sur autorisation du Ministre des Finances et du Budget, pour un montant de 326, 43 milliards de F CFA destiné à des dépenses relatives au remboursement de dettes bancaires, au secteur de l’énergie et au soutien à la consommation.
Une partie de ces décaissements est effectuée par le Trésorier général sur initiative des gestionnaires des comptes de dépôt de services non personnalisés de l’Etat 3683047 « CAP/Gouvernement » et 3683148 « Soutien prix à la consommation » qui relèvent respectivement du Ministère des Finances et du Budget et du Ministère du Commerce, de la Consommation et des PME.
Les autres dépenses dont le remboursement de prêts contractés auprès de IB Bank T et B F et de la BDEV sans autorisation de l’Assemblée nationale sont payées directement par le Trésorier général.
Emprunt « IB Bank T et B F »
Le Ministre chargé des Finances a signé au mois de janvier 2022, au nom de l’État du Sénégal, avec International Business (IB) Bank T et International Business (IB) Bank B, une convention de crédit d’un montant de 91 942 400 000 F CFA, destiné, selon ladite convention, à l’acquisition de matériel par l’Etat du Sénégal sans précision sur la nature dudit matériel.
Le montant du crédit, intérêts y compris, est de 105 052 249 080 F CFA, remboursable au plus tard le 31 décembre 2026 suivant des échéances trimestrielles.
D’après la convention de crédit, les fonds doivent être mobilisés dans un compte de l’Etat du Sénégal « TG 024-01030-026631500101-17 » ouvert dans les livres de IB Bank T.
Dans cette opération, l’Etat a payé diverses commissions d’un montant de 919 424 000 F CFA aux banques à travers le compte de dépôt « CAP Gouvernement ».
Pour cet emprunt, la Cour relève :
- l’absence d’informations sur la nature et la destination du matériel à acquérir ;
- la contractualisation d’une dette publique en dehors des procédures prévues par la réglementation ;
- le non-versement du produit de l’emprunt dans les comptes du Trésor public ;
- le remboursement par le Trésor du reliquat de l’emprunt d’un montant de 80 041 771 576 F CFA non comptabilisé dans ses livres.
Dans le cadre de l’émission d’obligation par Appel Public à l’Épargne (APE) lancée par l’Etat du Sénégal en mars 2023 pour un montant de 200 milliards de F CFA, les deux banques ont souscrit pour le montant de leurs créances et, ce faisant, la créance initiale, conclue dans des conditions non transparentes, est remboursée pour laisser place à une nouvelle créance régulière inscrite dans le portefeuille de la dette de l’État.
Substitution de débiteur « BDEV/DOAG »
L’Etat du Sénégal, par convention en date du 02 juin 2023, s’est substitué à DOAG comme débiteur de toutes les obligations que cette dernière devait à la BDEV pour un montant de 20 milliards de F CFA. A cet effet, une convention de titrisation de la créance est signée le 29 août 2023 entre l’Etat Sénégal et la BDEV.
L’opération de titrisation est réalisée dans le cadre de l’émission d’obligation par Appel public à l’épargne (APE) lancée par l’Etat du Sénégal le 03 août 2023 pour un montant de 130 milliards de F CFA. Cet emprunt n’ayant pas été autorisé par la loi de finances, le mécanisme de titrisation a permis, de l’intégrer dans la dette de l’Etat.
Dépenses d’un montant de 155 milliards de F CFA sans couverture budgétaire
La Cour constate, dans la comptabilité générale de l’État, l’alimentation du compte CAP Gouvernement pour un montant de 155 milliards de F CFA sans couverture budgétaire.
Le Ministère des Finances et du Budget précise que le montant de 155 milliards de F CFA est imputé par erreur dans le compte au moment du basculement en 2023 sur le nouveau système intégré de gestion des comptes de dépôt (SIGCCD). Le relevé du compte de dépôt est joint pour attester qu’aucune dépense n’a été imputée sur ce montant et que la trésorerie de l’Etat n’a pas été affectée par cette erreur.
La Cour relève, cependant, que toutes les ressources portées au crédit du compte de dépôt CAP Gouvernement figurant au journal des opérations d’ordre à la date du 15 septembre 2023 sont entièrement consommées et aucune écriture d’annulation n’a été effectuée.
En définitive, ces décaissements irréguliers d’un montant total de 481,42 milliards de F CFA doivent être déduits du surplus de financement annoncé de 604,7 milliards de F CFA, ce qui ne laisse qu’un reliquat de 123,28 milliards de F CFA.
Des pratiques impactant la trésorerie de l’État
Le solde de trésorerie au 31 décembre 2023 de 278, 5 milliards de F CFA ne permet pas de couvrir tous les engagements du Trésor qui s’élèvent à 879,15 milliards de FCFA.
La Cour constate, dans la comptabilité générale de l’État, l’alimentation du compte CAP Gouvernement pour un montant de 155 milliards de F CFA sans couverture budgétaire
Le déséquilibre de trésorerie qui limite les possibilités de l’État à couvrir ses engagements résulte de certaines pratiques liées notamment à :
- des dotations de comptes de dépôt sans couverture budgétaire ;
- des dépenses autorisées par décret d’avance et non régularisées d’un montant de 204 584 374 324 F CFA ; l’avance est accordée dans le cadre de conventions de dettes croisées avec la SENELEC et destinée notamment au paiement d’impôts, de droits et taxes dus à l’Etat.
Des manquements dans la gestion des dépôts à terme (DAT)
Le DAT est une somme d’argent bloquée sur un compte bancaire et productive d’intérêt au bout de l’échéance fixée dans la convention y relative. Il a vocation à être restitué au comptable public déposant à l’échéance convenue.
La balance définitive des comptes de la Trésorerie générale au 31 décembre 2023 fait apparaitre des placements dans les banques commerciales au compte 515119 « DAT-TG Banques commerciales ». L’annexe n°3 du rapport présente la situation détaillée des DAT.
Les travaux réalisés par la Cour ont permis de relever une absence de concordance entre le compte « DAT-TG Banques commerciales » de la balance du TG et l’état de suivi des DAT, des DAT encore disponibles dans les livres des banques et des DAT cassés et non reversés au Trésor.
Le solde du compte 515119 « DAT-TG Banques commerciales » en fin d’année 2023 est de 219 354 013 260 F CFA. Ce solde comprend l’ensemble des DAT constitués depuis 2014 et non encore restitués au Trésor.
Une absence de concordance entre le compte « DAT-TG Banques commerciales » de la balance du TG et la situation de suivi extracomptable
Le solde du compte 515119 « DAT-TG Banques commerciales » en fin d’année 2023 est de 219 354 013 260 F CFA. Ce solde comprend l’ensemble des DAT constitués depuis 2014 et non encore restitués au Trésor.
Au regard de la balance dite provisoire, ce solde n’a pas évolué au 31 mars 2024. Toutefois, ce stock n’est pas corroboré par la situation extracomptable des DAT appuyée des pièces justificatives qui dégage un solde de 198 287 194 249 F CFA, soit un écart de 21 066 819 011 F CFA.
De plus, le calcul et le versement des intérêts attachés aux DAT ne font pas l’objet d’un rapprochement périodique entre le Trésor et les banques dépositaires.
L’absence de concordance entre le compte « DAT-TG Banques commerciales » de la balance du TG et la situation de suivi extracomptable est due à l’absence de suivi adéquat des DAT, malgré l’importance des sommes en cause.
Sur recommandation de la Cour, le Ministre des Finances et du Budget s’engage à fixer, par instruction, les modalités de suivi des dépôts à terme.
Des DAT cassés et non reversés au Trésor public
L’examen des pièces justificatives recueillies auprès de la Trésorerie générale et des établissements financiers dépositaires révèle que des DAT sont virés à des tiers sur instruction des ministres chargés des finances ou des ministres délégués chargés du budget.
Il convient de préciser que l’habilitation faite aux ministres chargés des Finances d’autoriser l’ouverture de comptes à la BCEAO ou dans les banques commerciales pour y déposer les fonds du Trésor public n’emporte pas, pour eux, licence pour manier les deniers. En effet, le décret n°2011- 1880 du 24 novembre 2011 portant Règlement général sur la Comptabilité publique, qui était applicable au moment de la constitution de certains de ces dépôts à terme, précise bien en son article 125 que « seuls les comptables deniers et valeurs sont habilités à manier les fonds du Trésor public ».
De plus, en donnant à un établissement financier l’ordre d’utiliser les dépôts à terme d’un comptable public pour payer des dépenses non autorisées, des ministres chargés des finances ou des ministres délégués chargés du budget ont irrégulièrement engagé l’État, en dehors des lois de finances. Du reste, la comptabilité du Trésor est conçue de telle sorte que le compte relatif aux dépôts à terme ne peut être soldé que par la reconstitution, dans les livres du comptable public déposant, de la trésorerie qu’il avait placée en banque.
En effet, la qualité de deniers publics a un caractère indélébile et ne peut être perdue que lorsqu’ils ont été employés pour leur usage normal qui est d’éteindre une dette publique régulière.
Un reliquat de 114,4 milliards de F CFA de l’emprunt obligataire (Sukuk SOGEPA) de 2022 non versé au Trésor public
La Société nationale de Gestion et d’Exploitation du Patrimoine bâti (SOGEPA) est créée par loi n°2021-36 du 22 novembre 2021. La SOGEPA a procédé le 21 avril 2022 à la mobilisation d’un emprunt obligataire sous forme de Sukuk d’un montant de 330 milliards de F CFA.
Pour réaliser cette opération, l’Etat a procédé à la vente de certains de ses immeubles bâtis à la SOGEPA, par décret n°2022-163 du 03 février 2022 portant cession à titre onéreux au profit de la Société, dans le cadre du développement du Sukuk, de divers immeubles bâtis appartenant à l’Etat.
Il convient de rappeler que l’article 4 de la loi n°2021-36 du 22 novembre 2021 autorisant la création de la SOGEPA, permet le transfert par l’Etat à la SOGEPA, par cession à titre gratuit ou onéreux, ou par tout autre mode, des droits et immeubles nécessaires à la réalisation de son objet social.
Ces biens vendus à SOGEPA ont permis via un fonds commun de titrisation de mobiliser l’emprunt. Ils sont ensuite mis en location à l’Etat du Sénégal qui paie des loyers servant de rendement aux investisseurs. A la fin de la maturité, l’actif est racheté pour permettre le remboursement intégral du capital.
Des anomalies sont relevées sur cette opération
Un virement d’un montant de 247,33 milliards de F CFA est effectué par la BIS au profit du compte n° SN079.01101.251143401001.67 ouvert au nom de « ETAT DU SENEGAL/RELANCE DE L’ECONOMIE ».
Selon la banque, il n’existe pas de dossier d’ouverture du compte ; les ordres de virements présentés par la banque sont signés par le Directeur général du Budget. Positionné le 11 mai 2022, le produit est entièrement exécuté en dehors des procédures budgétaires et comptables. Pourtant, l’État a pris le décret d’avance n°2022-1950 du 07 novembre 2022 pour constater le produit et ouvrir des crédits d’égal montant pour des ressources exécutées en dehors de la loi de finances.
Le Trésor public n’a reçu que 90 milliards de F CFA par virements successifs faits le 16 mai 2022 pour 30 milliards de F CFA, le 19 mai 2022 pour 40 milliards de F CFA et le 14 juin 2022 pour 20 milliards de F CFA. Ainsi, le reliquat de 157 338 615 804 F CFA n’est pas reversé au Trésor public. Le ministre des Finances et du Budget précise que la situation du Sukuk de 247,3 milliards de FCFA se présenté ainsi qu’il suit :
- 132,9 milliards de F CFA effectivement encaissés par le Trésor dont 90 milliards de F CFA après l’émission, 13,2 milliards reçus via le crédit relais remboursé à Ecobank et 29,774 milliards de F CFA (sur le montant de 31 milliards) mobilisés pour le remboursement d’un crédit relais de la BIS contracté en 2021.
- 114,4 milliards de F CFA du produit du Sukuk exécutés hors des comptes bancaires du Trésor.
Par nature d’opération, la décomposition du montant de l’émission est résumée ainsi :
- opérations de trésorerie pour 58,3 milliards dont 29,774 milliards de F CFA encaissés par le Trésor ;
- opérations budgétaires pour 189,034 milliards de F CFA dont 103,15 milliards de FCFA encaissés par le Trésor.
Le Ministre conclut en indiquant que le montant exécuté en dehors du circuit Trésor est de 114,4 milliards de F CFA dont une partie (28,52 milliards de F CFA) est une opération de trésorerie. Toutefois, la Cour constate que les justificatifs relatifs à cette opération de trésorerie ne sont pas produits.
En définitive, la Cour considère comme gap de trésorerie affectant le déficit le montant de 114,4 milliards de F CFA non reversé au Trésor.
Une importante dette bancaire contractée hors circuit budgétaire
Un service élevé de la dette bancaire
Le rapport du Gouvernement sur la situation des finances publiques n’indique pas le service de la dette bancaire. Le montant du service de la dette sur la période sous-revue s’élève à 2 497 milliards de F CFA. Ce service de la dette est réparti ainsi qu’il suit :
- Amortissement : 2 147,22 milliards de F CFA ;
- Intérêts de crédit : 298,77 milliards de F CFA ;
- Intérêts et pénalités de retard : 21,73 milliards de F CFA ;
- Commissions et autres frais : 29,28 milliards de F CFA.
L’absence d’un suivi centralisé des échéanciers consécutive à l’utilisation d’un circuit de remboursement non prévu par la règlementation occasionne le paiement d’intérêts et pénalités de retard estimés à 21,73 milliards de F CFA. Les remboursements sont principalement effectués soit par le Payeur général du Trésor à travers des crédits budgétaires imputés au chapitre « participations financières par crédits », soit par le Directeur de l’Ordonnancement des Dépenses publiques à travers le compte de dépôt « Cap Gouvernement » domicilié à la Trésorerie générale.
Selon la banque, il n’existe pas de dossier d’ouverture du compte ; les ordres de virements présentés par la banque sont signés par le Directeur général du Budget. Positionné le 11 mai 2022, le produit est entièrement exécuté en dehors des procédures budgétaires et comptables. Pourtant, l’État a pris le décret d’avance n°2022-1950 du 07 novembre 2022 pour constater le produit et ouvrir des crédits d’égal montant pour des ressources exécutées en dehors de la loi de finances
Il convient de rappeler que le remboursement de la dette est encadré par des règles et procédures clairement définies et fait intervenir le Directeur de la Dette publique (DDP) en tant qu’ordonnateur délégué et le Trésorier général (TG) en qualité de comptable assignataire. Le DDP est chargé notamment d’établir et de transmettre au comptable assignataire les ordres de paiement pour remboursement. Le TG procède au paiement de la dette dans les comptes d’amortissement et budgétaires.
Cependant, la Cour constate que les remboursements de la dette bancaire sont effectués suivant deux procédés faisant intervenir des personnes non habilitées contrevenant ainsi aux règles et procédures définies supra.
Ainsi :
- les ordonnancements sont effectués par des ordonnateurs délégués relevant de la Direction générale du Budget et transmis au Payeur général du Trésor qui a procédé au paiement ;
- les ordres de paiement sont établis par le gestionnaire du compte de dépôt « CAP Gouvernement » et transmis au Trésorier général qui a procédé au paiement.
Des comptes bancaires commerciaux mouvementés sur ordre du Ministre chargé des Finances et utilisés pour couvrir des dépenses extrabudgétaires
Les prêts accordés par les banques sont mobilisés dans des comptes bancaires ouverts à cet effet au nom de « l’Etat du Sénégal » et mouvementés sur ordre des ministres chargés des Finances.
Ces prêts sont contractés pour couvrir essentiellement des dépenses extrabudgétaires. Au regard des libellés des relevés bancaires transmis à la Cour, il s’agit principalement de l’acquisition de biens et services, des transferts au secteur parapublic et du paiement des charges de la dette publique hors cadrage. Ces opérations doivent être intégrées dans le déficit.
Des opérations de trésorerie sont aussi effectuées dans ces comptes bancaires notamment le paiement de l’amortissement de la dette pour un montant de 2 147,21 milliards.
Cette pratique ne respecte pas les dispositions des articles 120 et suivants du décret n°2020-978 portant Règlement général sur la Comptabilité publique en vertu desquelles les opérations d’encaissement et de décaissement sont exécutées exclusivement par les comptables publics.
Le ministre des Finances et du Budget prend bonne note de la recommandation de la Cour et s’engage à mettre en œuvre les mesures nécessaires en vue de la clôture des comptes bancaires ouverts au nom de l’État du Sénégal et gérés par des personnes autres que les comptables publics.
Des risques budgétaires de la dette bancaire sur les finances publiques
L’encours de la dette bancaire au 31 mars 2024 et les charges futures (intérêts et autres frais à payer) sont établis respectivement à 2 517,14 milliards de F CFA et 302,61 milliards de F CFA. Le remboursement de l’encours de la dette d’un montant de 2 517,14 milliards de F CFA par des crédits budgétaires réduit les marges de manœuvre budgétaire de l’État.
Les charges financières de la dette bancaire à payer d’un montant de 302,61 milliards de F CFA auront une grande incidence sur les budgets à venir compte tenu de leur volume et de la durée des échéances.
Des déficits budgétaires supérieurs à ceux affichés dans les documents de reddition
Durant la période sous revue, le déficit affiché par le Gouvernement est inférieur à celui reconstitué par la Cour. Pour reconstituer le déficit budgétaire, la Cour a pris en compte les éléments suivants :
- le montant réel des dépenses financées sur ressources extérieures ;
- les rattachements irréguliers des recettes ;
- les décaissements extrabudgétaires financés par une partie du surfinancement ;
- les décaissements extrabudgétaires financés par le sukuk ;
- les dépenses financées par la dette bancaire hors cadrage c’est-à-dire la dette contractée auprès du système bancaire sans autorisation parlementaire ;
- l’octroi d’une avance de trésorerie d’un montant de 204,58 milliards de F CFA non régularisée.
Il convient de préciser que les dépenses financées par la dette bancaire hors cadrage sont intégrées sur la base des relevés bancaires. Elles sont relatives aux charges financières de la dette, aux acquisitions des biens et services et aux transferts. Les opérations de trésorerie, notamment le remboursement du principal de la dette, ne sont pas prises en compte car n’impactant pas le déficit.
De même, les décaissements notés dans les relevés bancaires, dont les libellés ou la nature ne sont pas explicités, sont exclus du calcul du déficit conformément au principe de prudence.
S’agissant de l’avance de trésorerie d’un montant de 204,58 milliards de F CFA non régularisée, le ministre des Finances et du Budget précise que celle-ci a servi à payer des impôts pour un montant de 170 milliards de F CFA en 2021. Ainsi, il y a lieu de considérer ce montant dans la reconstitution du déficit et non l’intégralité du montant de 204,58 milliards de F CFA. La Cour considère que l’avance n’étant pas régularisée, le montant y relatif doit être enregistré dans le TOFE pour un montant de 204,58 milliards de F CFA.
Un encours de la dette supérieur au montant figurant dans les documents de reddition
L’encours de la dette est reconstitué, dans le cadre de la contradiction avec le MFB, en relation avec la Direction de la Dette publique.
Il tient compte du montant réel des prêts projets, de la dette bancaire hors cadrage et de certaines corrections effectuées par la DDP portant notamment sur le financement.
Les informations sur la dette bancaire locale hors cadrage sont tirées des travaux de la Cour des Comptes.
Les travaux réalisés par la Cour montrent que l’encours de la dette est supérieur à celui affiché dans les documents de reddition. L’encours total de la dette de l’administration centrale budgétaire s’élève à 18 558,91 milliards de FCFA, au 31 décembre 2023, et représente 99, 67% du PIB.
En définitive, les travaux de la Cour sur la situation globale des finances publiques, en particulier l’exécution du Budget général et des Comptes spéciaux du Trésor ainsi que l’endettement et la trésorerie, présentée dans le rapport du Gouvernement, ont abouti aux principales constatations suivantes :
- tirages sur ressources extérieures supérieurs à ceux affichés dans le rapport du Gouvernement ;
- encours de la dette supérieur à celui figurant au rapport du Gouvernement ;
- disponibilités du Trésor supérieures à celles indiquées dans le rapport du Gouvernement ;
- montant de la dette garantie supérieur à celui présenté dans le rapport du Gouvernement ;
- déficits budgétaires supérieurs aux niveaux affichés dans le rapport du Gouvernement ;
- service de la dette bancaire hors cadrage non retracé dans le rapport du Gouvernement ;
- encours de la dette bancaire hors cadrage supérieur au montant affiché dans le rapport du Gouvernement.