Type de publication : Rapport
Date de publication : Décembre 2023
Site de l’organisation : International Crisis Group
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Ce document d’analyse examine de manière approfondie la situation critique au Burkina Faso, confronté depuis plusieurs années à l’expansion des groupes djihadistes. En mettant en lumière les multiples dimensions de cette menace, il souligne d’abord l’impact dévastateur sur la population, qui subit des pertes humaines massives et des déplacements internes considérables pour échapper aux violences. Par ailleurs, ce rapport aborde la déstabilisation politique conséquente, illustrée par deux coups d’État en 2022. Ibrahim Traoré, après son accession au pouvoir lors du second putsch, a érigé la reconquête et la sécurisation du territoire en priorités majeures. Le document offre une réflexion cruciale sur le rôle des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), présentés comme une réponse aux lacunes de l’armée en termes d’effectifs et de connaissance du terrain. Toutefois, il souligne également le risque potentiel que représentent les VDP en tant que facteur d’insécurité et de fragilisation de la paix sociale. Contrairement aux attentes, les VDP pourraient aggraver et alimenter les attaques jihadistes, mettant en évidence l’importance stratégique de ce rapport dans la compréhension des enjeux complexes auxquels le Burkina Faso est confronté.
Le cas du Burkina Faso offre des leçons importantes pour les pays d’Afrique de l’Ouest, en particulier en ce qui concerne la question de l’armement des civils et son impact sur la cohésion sociale. La décision d’armer les civils, bien qu’elle puisse sembler offrir une solution rapide aux défis sécuritaires, comporte des risques majeurs pour la stabilité et l’unité nationale. Tout d’abord, armer les civils peut aggraver les tensions intercommunautaires et ethniques. Dans un contexte où les identités ethniques et religieuses sont souvent au cœur des conflits, la distribution d’armes aux civils peut exacerber les divisions préexistantes et conduire à des affrontements violents entre groupes rivaux. De plus, l’armement des civils peut contribuer à l’émergence de milices et de groupes paramilitaires indépendants, échappant ainsi au contrôle de l’État. Ces groupes, motivés par des intérêts particuliers ou des revendications territoriales, peuvent agir de manière incontrôlée et compromettre la sécurité de l’ensemble de la population. En outre, armer les civils peut également affaiblir la légitimité et l’autorité de l’État. En confiant la responsabilité de la sécurité à des acteurs non étatiques, les gouvernements risquent de perdre leur capacité à maintenir l’ordre et à garantir la protection de tous les citoyens de manière équitable. Enfin, l’armement des civils peut avoir des conséquences désastreuses pour les efforts de réconciliation et de construction de la paix. En créant un climat de méfiance et de suspicion, cette stratégie peut entraver les processus de dialogue et de réconciliation nationale, sapant ainsi les fondements même de la cohésion sociale.
Les extraits proviennent des pages : 1-2, 3-4, 6-9, 9-11, 11-13, 14-16,17,20-22, 23-24, 26-27, 28, 30, 31, 33
Burkina Faso : Armer les civils au prix de la cohésion sociale ?
Ces insurrections armées ont provoqué la mort de milliers de personnes et le déplacement interne d’environ deux millions de Burkinabè. Ils ont aussi affecté la stabilité politique du pays et sont l’une des principales causes des deux coups d’Etat survenus en 2022. Comme son prédécesseur, le président Traoré a fait de la reconquête des territoires tombés aux mains des jihadistes son objectif prioritaire. Pour cela, il a choisi d’aller beaucoup plus loin que ses prédécesseurs dans le recrutement, l’armement et le déploiement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Créés en 2020 par le président Kaboré, les VDP sont des civils recrutés comme « auxiliaires de défense » par les forces armées. Pour le président Traoré, « le défi de l’effectif est le plus important » ; il estime donc que le recrutement massif de civils pour épauler l’armée constitue la meilleure réponse pour relever ce défi. Les VDP s’ajoutent à d’autres groupes d’autodéfense que sont les Dozos (une confrérie de chasseurs traditionnels présente dans les régions de l’Ouest, estimée à 2 000 membres) et les Koglweogo.
Si les VDP sont désormais au cœur de la stratégie de sécurisation du territoire, et ont contribué à plusieurs victoires des forces de sécurité sur les groupes armés, ils n’ont pas permis jusqu’ici le retour à la paix et contribuent même à générer de nouvelles formes d’instabilité dans de nombreuses régions. Ils aident certes les forces armées par leur nombre, leur dévouement et leur bonne connaissance du terrain, mais ils aggravent également les fractures communautaires et exposent les populations civiles aux représailles jihadistes. Ce texte analyse l’effet à double tranchant des VDP et suggère des pistes pour que les autorités, qui ne peuvent, ni ne veulent, retourner en arrière, parviennent à mieux maîtriser les conséquences négatives de la mobilisation de dizaines de milliers de civils dotés d’armes de guerre.
Les VDP: des civils en armes au cœur de la contre-insurrection
La première vague de VDP (2020-2022) : des débuts peu convaincants
Le 21 janvier 2020, après une année de forte poussée jihadiste, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité un projet de loi soumis par le gouvernement portant création des VDP, des « auxiliaires de défense » formés, équipés et encadrés par le ministère de la Défense. L’Assemblée a entériné une décision du président Kaboré exprimée deux mois plus tôt en réaction à la mort de 38 civils tués dans une embuscade du JNIM dans la région de l’Est. Cette attaque jihadiste contre des civils, à l’époque la plus lourde depuis le début des insurrections armées, fin 2015, a créé une onde de choc dans le pays. En réponse, le président Kaboré a appelé « à la mobilisation générale des filles et des fils de la Nation contre le terrorisme ». Les VDP se sont rapidement trouvés en première ligne de la lutte contre-insurrectionnelle alors que la loi les cantonnait à des fonctions défensives. L’armée, sous le choc de lourdes pertes, avait en effet tendance à se retrancher dans des camps, laissant les VDP seuls face aux jihadistes.
Si les VDP sont désormais au cœur de la stratégie de sécurisation du territoire, et ont contribué à plusieurs victoires des forces de sécurité sur les groupes armés, ils n’ont pas permis jusqu’ici le retour à la paix et contribuent même à générer de nouvelles formes d’instabilité dans de nombreuses régions
Qui plus est, quelques mois après la création des VDP, l’Etat a conclu un accord (dit de Djibo) avec le JNIM, au terme duquel les forces armées et le JNIM se sont pas affrontés entre octobre 2020 et mars 2021. Cet accord n’associait cependant pas les VDP qui sont devenus alors la principale cible des jihadistes du JNIM. L’opérationnalisation des VDP s’est rapidement heurtée à de nombreux problèmes, notamment matériels, qui subsistent encore aujourd’hui. Plus largement, les premiers VDP sont souvent sortis du cadre précis de la loi censée réglementer leurs activités. Celle-ci exigeait, par exemple, que les VDP servent les intérêts de leur « village ou secteur de résidence », mais des VDP se sont attribué des zones d’activité plus étendues, couvrant parfois une province entière à l’instar de Ladji Yoro, chef d’un groupe de VDP de la région Nord, qui opérait sur l’ensemble de la province du Loroum. Par ailleurs, sur le terrain, l’identification des VDP a posé de nombreux problèmes quand des civils sans formation se sont mêlés à eux, sans même s’être enregistrés auprès des autorités.
La deuxième vague de VDP : les acteurs d’une « nation en armes »
Peu après son arrivée au pouvoir le 30 septembre 2022 à la tête du deuxième Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR 2), le président Traoré a fait de la « libération du territoire » sa priorité absolue. Bien plus que ses prédécesseurs, il a placé les VDP au centre de la réponse anti-jihadiste. Cette orientation est liée à la conviction du président Traoré que les VDP sont décisifs dans une guerre contre-insurrectionnelle où la maîtrise du terrain est essentielle et où la mobilisation des forces armées ne donne pas entière satisfaction. À plusieurs reprises, les VDP ont réussi à repousser des attaques jihadistes ou même tendre des embuscades aux jihadistes comme à Arbinda (Soum), Gorgadji (Seno), à Piéla (Gnagna) ou plus récemment, en juin 2023, à Falagountou (Seno). Pour le président Traoré, les VDP permettent aussi de compenser l’insuffisance des effectifs et le manque d’engagement de certaines unités de l’armée, laquelle souffre de divisions internes aggravées par les putschs de 2022.
Le chef de l’Etat et son entourage doivent faire face à des tensions au sein des forces armées qui pourraient menacer la stabilité de leur pouvoir. De ce point de vue, les VDP pourraient servir à consolider le régime actuel. Ce sont d’abord des acteurs de renseignement utiles au régime car répartis sur tout le territoire. Ils pourraient ensuite se mobiliser pour défendre le régime si celui-ci était menacé. Si les VDP n’ont jusqu’ici jamais été utilisés à cette fin, le régime a déjà su mobiliser ses partisans à Ouagadougou lorsque des rumeurs de coup d’Etat contre Traoré ont circulé en septembre 2023. Pour toutes ces raisons, le gouvernement du MPSR 2 a annoncé, le 24 octobre 2022, le recrutement de 50 000 VDP, un chiffre qui représente le double de l’effectif total de l’armée.
Les 50 000 nouveaux VDP sont divisés en deux nouvelles catégories : des VDP nationaux dont les effectifs initiaux devaient atteindre 15 000 et des VDP communaux dont le nombre annoncé par les autorités est de 35 000.
L’opérationnalisation des VDP s’est rapidement heurtée à de nombreux problèmes, notamment matériels, qui subsistent encore aujourd’hui. Plus largement, les premiers VDP sont souvent sortis du cadre précis de la loi censée réglementer leurs activités
En plus d’un certain engouement populaire, trois raisons principales expliquent l’enrôlement massif de VDP dans des régions où leur présence était jusqu’ici assez faible. D’abord, les populations de ces zones ressentent la nécessité de résister à la pression jihadiste croissante. Ensuite, les populations de la capitale, qui représentent le plus grand nombre des nouvelles recrues, sont conscientes que le jihadisme n’est plus un phénomène périphérique, mais qu’il se rapproche dangereusement de la ville de Ouagadougou. Enfin, les Dozo et les quelques groupes de Koglweogo qui résistaient à leur enrôlement au sein des VDP durant la première vague craignent que l’arrivée de recrues VDP les marginalise, surtout si celles-ci appartiennent à des communautés rivales. Ces deux groupes ont donc finalement rejoint en grand nombre les VDP. Dans l’esprit des autorités, les VDP, nationaux comme communaux, sont l’incarnation d’un sursaut patriotique national qui doit être financé par les forces vives de la nation. À cette fin, le 9 décembre 2022, les autorités ont annoncé la création d’un « Fonds de soutien patriotique » pour l’effort de guerre. Ils veulent mobiliser 152 millions d’euros en 2023 pour financer la lutte contre le terrorisme, en particulier le recrutement et l’équipement des VDP. Ce fonds, géré par le ministère de l’Économie, repose sur des contributions volontaires des citoyens burkinabè et des entreprises ainsi que sur différents prélèvements.
Des difficultés à se déployer pour sécuriser les territoires
La distinction opérée entre VDP nationaux et communaux semble répondre aux besoins opérationnels au Burkina Faso, à savoir un équilibre entre projections offensives aux côtés des forces armées et protection défensive du territoire. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette stratégie, mais après près d’une année de fonctionnement, on peut établir les premiers constats suivants. La majorité des VDP restent donc encore concentrés dans ces grandes villes, dont les jihadistes ne tentent pas de s’emparer, comme Ouahigouya, Dédougou, Tenkodogo, Kaya ou Fada N’Gourma. Les nouvelles recrues y rejoignent les VDP déjà mobilisés depuis la première vague de recrutement, mais aussi les VDP originaires de communes ou de villages environnants trop exposés aux attaques jihadistes et qui affluent dans ces villes plus sûres. Ainsi, différents groupes de VDP se regroupent pour faire masse et s’appuyer mutuellement. En juin 2023, près de 1700 VDP communaux et nationaux seraient ainsi basés à Fada N’Gourma (Gourma), et plus de 700 à Ouahigouya (Yatenga).
Les autorités ont entamé le redéploiement de ces VDP souvent avec les forces armées dans les zones reculées par le biais d’opérations militaires destinées à libérer les territoires. L’objectif est souvent de réinstaller puis de sécuriser les populations déplacées. Quelques avancées ont été enregistrées, mais nécessitent d’être consolidées sur le moyen et long terme tant la situation sécuritaire dans ces villages reconquis reste fragile. La complexité de ces redéploiements, caractérisés par un mélange de réoccupation très localisée et fragile des territoires et d’échecs caractérisés par la résilience des groupes jihadistes, explique en partie la lenteur du processus. En trop petits nombres, souvent inférieurs à l’objectif de 100 par commune, les VDP, une fois installés dans les territoires, risquent de se retrouver isolés et impuissants à sécuriser leur localité face aux jihadistes. Les jihadistes fuient généralement lors des missions de réinstallation opérées par les VDP et les forces armées, préférant éviter les affrontements à ce moment, mais ils reviennent généralement une fois la mission de l’armée terminée pour cibler les VDP et les populations restées sur place. Le processus de sécurisation des réinstallations nécessitera donc des efforts continus dans la durée.
En plus d’un certain engouement populaire, trois raisons principales expliquent l’enrôlement massif de VDP dans des régions où leur présence était jusqu’ici assez faible. D’abord, les populations de ces zones ressentent la nécessité de résister à la pression jihadiste croissante
Le quotidien difficile des VDP : manque de moyens, frustrations et défiance
Malgré la volonté du président Traoré de mieux traiter les VDP, leur organisation et leur emploi continuent de se heurter à de nombreux défis, souvent similaires à ceux qui se posaient en 2020-21. En dépit de l’existence du Fonds de soutien patriotique, certains VDP se plaignent toujours du retard du paiement des primes. Cela crée une certaine frustration, voire une démotivation, même si les collectes de dons organisées à l’échelle des communes compensent parfois ces retards de paiement. Des VDP déplorent également l’absence de tenues (notamment pour les VDP communaux), ou d’équipements de protection (jambières par exemple). Ils doivent souvent se partager un nombre limité d’armes automatiques individuelles (AK47), dont la qualité n’est pas toujours bonne. L’absence de dotation en véhicule motorisé ou en carburant réduit leur mobilité alors même qu’ils sont censés couvrir un territoire plus large.
Les pertes humaines qu’enregistrent les VDP lors des attaques jihadistes sont très élevées. Selon les données d’ACLED, au moins 644 VDP auraient été tués entre le 1er janvier 2023 et le 6 octobre 2023 dans 148 attaques. Les pertes humaines affectent également la collaboration entre VDP et forces armées. Les relations quotidiennes entre VDP et forces armées sont marquées par des incompréhensions sur le rôle de chacun. Lorsque les forces armées interdisent aux VDP de patrouiller seuls, conformément aux engagements du président Traoré, les VDP critiquent l’inaction des forces armées qu’ils mettent sur le compte de la peur, de la jalousie ou encore de la fidélité de certains officiers à l’ancien régime. Des VDP se plaignent également de la condescendance de certains détachements militaires, des moqueries ou du manque de considération pour les renseignements qu’ils fournissent. Les pertes humaines enregistrées, les frustrations matérielles couplées à celles liées à leurs relations difficiles avec les forces de défense et de sécurité risquent d’aggraver le mécontentement parmi les VDP. Cela pourrait entraîner à terme des défections encore plus importantes que celles enregistrées en 2023. Jusqu’ici ces mécontentements visent moins le président Traoré soutenu par une grande partie des VDP que les détachements locaux des forces de sécurité. Toutefois, s’ils perdurent et se multiplient, les mécontentements pourraient finir par viser le chef de l’Etat, comme ce fut le cas avec le président Kaboré, accusé en son temps par les VDP de les avoir abandonnés.
La défense du territoire au détriment de la cohésion sociale
Des biais communautaires qui renforcent les clivages
Le recrutement des VDP n’a jamais respecté les équilibres communautaires locaux et a presque systématiquement exclu les communautés pastorales. Si les Mossi sont majoritaires au sein des VDP à l’échelle nationale, cela reflète la démographie du pays où ils comptent pour environ 50 pour cent de la population. Toutefois, les Peul, qui sont la seconde communauté du pays avec environ 10 pour cent de la population totale, sont largement exclus du recrutement. Cela pose problème, en particulier dans les zones où ils sont majoritaires ou y revendiquent un ancrage historique. Cette exclusion des Peul s’est accentuée à mesure qu’ils ont été accusés par certains VDP de constituer la majorité des groupes jihadistes, poussant certains Koglweogo puis VDP à s’opposer à leur adhésion. Ainsi, dans plusieurs localités qui constituent des bastions VDP, comme Arbinda, Gorgadji ou Djibo au Sahel, Barsalogho dans le Centre-Nord, Titao ou Sollé dans le Nord, les Peul sont délibérément exclus parce qu’ils sont suspectés de collaborer avec les jihadistes. Les autorités n’ont jamais corrigé ces biais communautaires.
Après plusieurs années de rejet et de violences exercées par des Koglweogo ou VDP, de nombreux Peul ont fini par conclure que leur inclusion au sein des VDP était impossible. Certains responsables peul expliquent que leurs communautés se tiennent à l’écart des VDP de peur d’être stigmatisées, isolées ou même menacées en leur sein. Leur adhésion ne suffirait pas à protéger leurs communautés des VDP et elle les exposerait encore davantage aux violences des jihadistes qui ciblent les VDP en priorité. De plus, cette réticence à rejoindre les VDP les rend souvent suspects auprès des autorités. Depuis fin 2022, des candidatures de Peul ont été refusées au motif que ces derniers pourraient tenter d’infiltrer les VDP au profit des jihadistes. Les biais communautaires des VDP s’illustrent dans la manière dont ils s’impliquent dans le règlement de problèmes locaux bien éloignés de la lutte contre-insurrectionnelle. Le contrôle du pouvoir politique ou économique local est un enjeu caché de la lutte anti-terroriste. Dans un contexte généralisé de pression autour de l’accès aux ressources (foncier, eau, or, forêts, bétail…), où l’État n’est plus en mesure de jouer son rôle de régulateur, les VDP deviennent un moyen de « solder des comptes » comme le reconnaît notamment le fondateur des Koglweogo dans l’Est.
Les VDP au cœur des violences à base communautaire
Tenues à l’écart des groupes de VDP, les communautés Peul se retrouvent particulièrement exposées aux violences de ces derniers ou des forces armées. Plusieurs récents épisodes de violence envers cette communauté en témoignent. Ces violences conduisent à des représailles qui favorisent à la fois le recrutement des VDP, mais aussi celui des groupes jihadistes. Chaque massacre détériore un peu plus la cohésion sociale et entretient un cycle de vengeance par groupes armés interposés. Faute d’initiative de médiation locale, ces conflits communautaires perdurent et s’amplifient.
Les civils associés aux VDP et très exposés aux violences jihadistes
La mobilisation patriotique encouragée par le président Traoré tend à diviser une large partie des citoyens burkinabè, entre ceux qui soutiennent l’élan de la reconquête du territoire et les autres, fréquemment qualifiés d’« apatrides ». Les communautés payent un lourd tribut du fait de cette impossibilité d’être neutre ou de dialoguer avec les jihadistes. Le nombre de civils tués croît sans cesse depuis 2015 et atteint aujourd’hui des records, aggravant d’autant plus les rancœurs et les dynamiques de représailles. Selon les données de l’ACLED, sur les sept premiers mois de l’année 2023, au moins 1 527 civils ont été tués, contre 1 414 civils tués pour toute l’année 2022 et 757 en 2021.
Avec les recrutements de la seconde vague de VDP, les jihadistes s’en sont pris de façon plus systématique aux civils, même si une première montée des violences jihadistes contre les civils avait déjà été observée à l’époque du président Damiba. Les autorités sont confrontées à un dilemme en matière de sécurisation du pays : reconquérir les territoires sans exposer la population. Ce pari n’est pour l’instant pas gagné. L’Etat, via les VDP, semble avoir fait le choix d’engager les communautés dans la guerre au risque de les rendre plus vulnérables, tant d’un point de vue économique que sécuritaire.
La marge de manœuvre étroite des partenaires extérieurs
Un positionnement timide des partenaires traditionnels sur la question des civils en armes
Avant même le développement de la menace jihadiste, des partenaires occidentaux s’intéressaient à la question de la sécurité locale et notamment à la police de proximité au Burkina Faso. Dès 2003, le Burkina Faso a formulé une politique ambitieuse en la matière, à travers la création des Initiatives locales de sécurité (ILS). En 2010, la Stratégie nationale de sécurité intérieure projetait la généralisation des polices de proximité sur l’ensemble du territoire. Plusieurs partenaires dont le Canada et l’ONG suisse Coginta ont très tôt soutenu cette approche. Mais, à partir de 2020, la création des VDP a marqué un changement de cap et freiné les ardeurs de la majorité des partenaires occidentaux.
Les biais communautaires des VDP s’illustrent dans la manière dont ils s’impliquent dans le règlement de problèmes locaux bien éloignés de la lutte contre-insurrectionnelle
Alors que les partenaires sont réticents à soutenir les VDP, l’Etat burkinabè attend d’eux, au contraire, qu’ils l’aident à développer ces groupes de civils armés. Depuis les coups d’Etat de janvier puis septembre 2022, le Burkina Faso concentre ses demandes sur «le soutien à la guerre» à travers la fourniture d’équipements militaires destinés autant aux forces armées qu’aux VDP. Ces demandes sont impossibles à satisfaire pour des entités ou des pays qui, comme l’UE, ont pour principe « de ne jamais armer les civils ». Cette position de principe est difficilement compréhensible pour les autorités burkinabè qui ont donné aux VDP le statut officiel d’« auxiliaires de défense», encadrés par les ministères de la Défense et de la Sécurité.
Accompagner les nouvelles autorités sans soutenir les VDP : un dilemme pour les partenaires occidentaux
Parallèlement au malaise lié à la création des VDP, la position des partenaires occidentaux envers les autorités du Burkina Faso a également évolué avec les deux putschs de 2022 qui ont grandement compliqué la coopération sécuritaire pour de nombreux Etats ou institutions multilatérales. Beaucoup ont alors suspendu leur coopération ou hésitent à envisager de nouveaux projets pour remplacer ceux qui sont en cours d’achèvement. Les partenaires occidentaux suivent avec inquiétude ces développements. Ils ne veulent ni soutenir les options sécuritaires actuelles du régime, en particulier les VDP, ni couper brutalement tous leurs efforts au risque de sacrifier les dividendes de leurs investissements passés et de se voir évincer par de nouveaux concurrents. Ils sont ainsi confrontés à un dilemme dont ils n’arrivent pas jusqu’ici à sortir.
Atténuer les effets contre-productifs du recours aux VDP
Trouver le bon équilibre sécuritaire
Le recrutement massif des VDP, qui pourraient à terme être près de deux fois plus nombreux que les forces de défense et de sécurité, représente un risque pour la cohésion de ces dernières et pour la stabilité de l’Etat. Les autorités devraient ralentir le rythme des recrutements et reconsidérer l’objectif d’atteindre 100 000 VDP, annoncé par le Premier ministre en mai 2023, à l’aune des contraintes budgétaires actuelles, des crispations observées localement avec une partie des forces armées et des effets négatifs de leur engagement sur la cohésion sociale. Afin de compenser la baisse des recrutements de VDP sans affecter la sécurité du pays, les autorités devraient mieux utiliser les forces armées disponibles. Ces ressources humaines déjà couvertes par le budget de l’État n’engendrent, en effet, aucun coût supplémentaire.
Éviter que les VDP ne détériorent la cohésion sociale
Une partie des VDP, tout comme une partie des forces armées, est régulièrement accusée de violences contre les populations civiles, dans un contexte d’enquêtes et de poursuites en justice insuffisantes. Les autorités ne devraient pas tolérer cette situation et devraient, au contraire, se convaincre que la guerre ne peut pas être gagnée en sacrifiant une partie des populations et que tout acte de violences à l’égard des civils fait le jeu des groupes jihadistes.
Des gestes concrets sont nécessaires pour rassurer les populations qui se sentent exclues et visées par les VDP et plus largement par le régime. Le procureur militaire pourrait, notamment, annoncer l’ouverture d’une enquête sur certains massacres de civils qui impliqueraient des VDP et/ou l’armée.
Identifier un espace de coopération pour les partenaires internationaux
Le Burkina Faso a une longue tradition d’engagement avec les partenaires extérieurs régionaux comme internationaux. Face à la montée des violences et de l’insécurité, ils partagent un intérêt commun à éviter l’aggravation des violences et de l’insécurité, mais divergent sur les facteurs y contribuant. Les partenaires extérieurs, en particulier occidentaux, devraient renforcer leur coopération pour défendre des positions communes fondées sur le risque que la poursuite du recours aux VDP et des violences trop régulières contre les populations civiles n’aggravent l’insécurité, plus qu’elles ne la résolvent.