Islam et politique au Mali : entre réalité et fiction
Les auteurs
L’International Crisis Group (ICG) est une organisation non gouvernementale internationale, à but non lucratif, dont la mission est de prévenir et résoudre les conflits grâce à une analyse de la situation sur le terrain et des recommandations indépendantes.
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WATHI a choisi ce document parce qu’il informe sur les relations entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux au Mali, notamment sur la question de la régulation par l’Etat de la sphère religieuse. Selon certains observateurs, la réorganisation de l’espace religieux est un impératif pour garantir l’indépendance du gouvernement mais aussi et surtout pour prévenir tout risque d’extrémisme islamiste.
Ce document met en lumière la prolifération d’associations religieuses non contrôlées qui pourraient constituer une menace à la cohésion sociale et à la paix. L’occupation du nord du Mali par des groupes armés recourant au terrorisme en 2012, encore présente dans les esprits, justifie les inquiétudes des partenaires du Mali et de certains Maliens quant à l’absence de régulation de certains groupes à caractère religieux.
Enfin, ce rapport montre à travers quelques exemples précis la difficulté de l’Etat malien à résister aux pressions de chefs religieux influents.
L’intérêt de ce rapport est de mettre sur la table, dans le cas du Mali, la question de l’influence du facteur religieux sur les dynamiques politiques et sociales. Si les contextes nationaux des pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest généralement ont chacun leurs spécificités, il est incontestable que le facteur religieux, quelles que soient les confessions concernées, joue un rôle important dans tous les pays de la région.
Parce qu’elle est partout sensible, susceptible de déclencher de vives polémiques et parce qu’elle constitue potentiellement un déterminant important des choix politiques des citoyens dans le contexte démocratique, la question de la place du religieux dans l’espace public est peu discutée. Elle est pourtant essentielle si l’on veut s’assurer de la préservation de la paix, de la cohésion au sein de chaque pays aujourd’hui et surtout demain.
La leçon principale à tirer de ce rapport est qu’il est urgent de faire des recherches sérieuses sur les évolutions du paysage religieux dans les pays de la région au cours des dernières décennies, d’examiner les impacts sur les dynamiques politiques, sécuritaires, économiques et socioculturelles et de déterminer collectivement les valeurs et les principes qui doivent orienter l’encadrement par les Etats de l’espace religieux, afin de limiter les risques d’extrémisme, d’intolérance, de violence et de fragmentation des sociétés.
S’il faut se garder de toute généralisation à partir du cas du Mali, il est souhaitable qu’un débat public sain et dépassionné, fondé sur des faits et des travaux de recherche, s’instaure en Afrique de l’Ouest et dans les pays voisins d’Afrique centrale comme le Tchad et le Cameroun, sur la question de l’influence des courants religieux, de leurs financements et de ceux qui les incarnent de bonne ou de mauvaise foi, sur la politique et la société.
Enfin il est nécessaire de protéger l’espace public des discours religieux qui incitent à la violence et à l’exclusion par un renforcement des organes de régulation de l’audiovisuel.
LES EXTRAITS SUIVANTS PROVIENNENT DES PAGES: 1-2,3-6,7-12
Introduction
L’islam est pratiqué par l’écrasante majorité de la population malienne. Selon le recensement de 2009, le Mali comprend 94,8 pour cent de musulmans, 2,4 pour cent de chrétiens et 2 pour cent d’animistes. Si la Constitution de 1992 consacre le principe de laïcité de l’Etat, héritage de la colonisation, tous les interlocuteurs interrogés soulignent d’emblée la place centrale de la religion dans le quotidien des Maliens. Les religieux sont présents à toutes les étapes de la vie (baptêmes, mariages, funérailles), bien plus que les représentants de l’Etat. Le facteur religieux doit être pris en compte à la hauteur de son importance dans la société.
Dans le contexte régional marqué par la montée de la religiosité et d’une violence qui se réclame de l’islam, les questions liées à la religion sont sensibles, taboues ou laissent parfois libre cours aux fantasmes. Les partenaires occidentaux et certains interlocuteurs maliens s’inquiètent de l’influence grandissante de l’islam sur la vie politique malienne.
Selon le recensement de 2009, le Mali comprend 94,8 pour cent de musulmans, 2,4 pour cent de chrétiens et 2 pour cent d’animistes
Mieux comprendre la place du religieux permet d’entrevoir comment, au lieu d’être considéré comme une menace, il pourrait constituer un facteur d’apaisement de tensions et de résolution de conflits.
Ce rapport expose ensuite un dilemme auquel l’Etat malien fait face : de nombreux interlocuteurs déplorent l’absence de régulation de la sphère religieuse, mais laisser à l’Etat – surtout lorsqu’il est faible et discrédité – le soin de réguler les activités religieuses comporte de nombreux dangers.
Il porte ainsi davantage sur la place de l’islam au niveau institutionnel que sur ses manifestations locales et son rôle dans les terroirs. Ce rapport ne prend donc pas en compte les spécificités du Nord et du centre du Mali, où les réalités historiques et actuelles de l’islam sont différentes et pourraient faire l’objet d’une publication à part entière.
Des liens historiques étroits entre islam et pouvoir politique
Diffusé notamment par les élites politiques et les commerçants, l’islam tient une place importante dans les grands empires précoloniaux. L’Empire du Mali se veut un empire musulman, bien que la majorité de la population pratique les religions animistes et polythéistes. L’islam au Mali reste toutefois longtemps un islam d’élites et de commerçants ; il ne se massifie que pendant la période coloniale, lorsqu’il devient un instrument de résistance contre la domination française.
Les Français tentent de limiter le potentiel contestataire de l’islam, notamment en créant une distinction entre un «islam noir» traditionnel et pacifique et un islam dangereux venu du monde arabe. Les régimes qui se succèdent depuis l’indépendance du Mali en 1960 entretiennent des rapports différents avec l’islam.
L’Empire du Mali se veut un empire musulman, bien que la majorité de la population pratique les religions animistes et polythéistes
Pendant la dictature de Moussa Traoré (1968-1991), l’islam gagne au contraire de l’importance. Pour canaliser les différents courants, le régime crée l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (AMUPI) en 1981, qui reste jusqu’au début des années 1990 officiellement la seule association musulmane.
Puisque la Constitution de 1992 maintient l’interdiction de partis politiques confessionnels, les religieux investissent la sphère associative. Les associations et médias confessionnels se multiplient sous le régime libéral du président Alpha Oumar Konaré (1992-2002). L’élection présidentielle de 2002 consacre pour la première fois l’implication directe des religieux dans le jeu politique, avec la création du Collectif des associations islamiques (CAIM) qui appelle ouvertement à voter pour Ibrahim Boubacar Keïta.
Un paysage musulman concurrentiel
Le paysage musulman malien est marqué par une grande diversité et des rivalités idéologiques et personnelles. Quelques figures très charismatiques occupent la majeure partie de l’espace religieux national. Il s’agit du président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), Mahmoud Dicko, du très populaire fondateur de l’association Ançar Dine, Chérif Ousmane Madani Haïdara, et du chérif de Nioro, Mohamed OuldCheichnè dit Bouyé. Le plus populaire à Bamako est sans doute Haïdara, qui peut mobiliser des dizaines de milliers de personnes. Mais Dicko, quia montré sa capacité de rassemblement lors de la contestation contre le code de la famille à la fin des années 2000, maîtrise mieux le système politique et les rouages de l’Etat.L’influence du chérif de Nioro repose sur sa légitimité historique et son pouvoir économique.
Le monde musulman malien est traversé par un clivage entre le soi-disant «malékisme» et le soi-disant «wahhabisme». Au Mali, le terme «malékisme» est utilisé pour désigner un large éventail de courants musulmans, au-delà du soufisme. Ce rapport emploie le terme «malékisme» pour désigner au sens large ces nombreux mouvements.
Quelques figures très charismatiques occupent la majeure partie de l’espace religieux national. Il s’agit du président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), Mahmoud Dicko, du très populaire fondateur de l’association Ançar Dine, Chérif Ousmane Madani Haïdara, et du chérif de Nioro, Mohamed OuldCheichnè dit Bouyé
Le courant «wahhabite» dispose en outre d’un levier important avec la présidence du Haut Conseil islamique du Mali, détenue depuis 2008 par l’imam Mahmoud Dicko. Pour contrebalancer la mainmise des «wahhabites» sur l’institution, la tendance «malékite» dont le chef de file est Haïdara, vice-président du Haut Conseil, a créé le Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali en 2011.
Pour contrebalancer la mainmise des «wahhabites» sur l’institution, la tendance «malékite» dont le chef de file est Haïdara, vice-président du Haut Conseil, a créé le Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali en 2011
Une autre institution créée en 1994, la Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique (LIMAMA), visait à rassembler les différents courants et promouvoir le rôle des savants, mais son action est limitée par la diversité des opinions qui la traversent et l’absence d’un chef de file incontesté de la communauté musulmane.
La politisation du religieux
Un tournant majeur est l’adoption du code de la famille en 2009, lorsque la contestation organisée par les religieux contre une réforme dénoncée comme contraire à ce qu’ils appellent les « valeurs maliennes » fait reculer le gouvernement. Le succès de la mobilisation populaire crée la surprise autant qu’elle permet aux religieux de prendre conscience de leur force. L’élection présidentielle de 2013 consacre ensuite l’implication directe de responsables religieux dans le processus politique, à travers la création de Sabati 2012, un mouvement proche du Haut Conseil islamique, qui prend position en faveur d’Ibrahim Boubacar Keïta.
Fin novembre 2015, le gouvernement tente par exemple d’interdire les célébrations du Maouloud organisées par Haïdara en raison de l’état d’urgence mis en œuvre à la suite de l’attentat du Radisson à Bamako, mais il cède face au refus d’Haïdara d’obtempérer. L’année suivante, le président participe à la cérémonie du Maouloud organisée par Haïdara.
L’élection présidentielle de 2013 consacre ensuite l’implication directe de responsables religieux dans le processus politique, à travers la création de Sabati 2012, un mouvement proche du Haut Conseil islamique, qui prend position en faveur d’Ibrahim Boubacar Keïta
Lors d’un rassemblement fin février 2017, l’imam Mahmoud Dicko dénonce la promesse faite par le ministre de la Justice d’adopter une loi criminalisant l’excision. Face à cette mise en garde, le ministre se rétracte, affirmant que la loi traitera des violences conjugales et non de l’excision.
Les responsables musulmans s’impliquent dans la vie politique à divers degrés et avec différents objectifs. Ils s’expriment sur les grands débats qui agitent la société, qu’il s’agisse de l’excision, la bonne gouvernance ou la présence des forces internationales, ou critiquent les dirigeants lorsqu’ils l’estiment nécessaire.
Les responsables musulmans avancent plusieurs arguments pour justifier leur implication dans la vie politique. Ils affirment que le politique ayant pour objectif de gouverner la société, ils ont «leur mot à dire» puisqu’ils sont les gardiens des «valeurs maliennes», citant l’exemple du code de la famille.
Les responsables musulmans avancent plusieurs arguments pour justifier leur implication dans la vie politique. Ils affirment que le politique ayant pour objectif de gouverner la société, ils ont «leur mot à dire» puisqu’ils sont les gardiens des «valeurs maliennes», citant l’exemple du code de la famille
L’imam Dicko, souvent perçu comme incarnant ce courant, se défend de remettre en cause la laïcité ou de chercher à créer un Etat islamique. Mais la tentation de l’islam politique pourrait se renforcer à l’avenir, surtout si les élites actuelles continuent à démontrer leur incapacité à sortir le Mali de la crise.
Les partenaires occidentaux et une partie des Maliens craignent un essor de l’islam politique. Ils voient parfois des liens et, sans en apporter de preuve formelle, des accointances entre groupes armés se revendiquant de l’islam au Nord du Mali et influence grandissante de l’islam sur la scène politique.
Il est vrai que certains Maliens voient d’un mauvais œil la montée en puissance de l’islam sur la scène politique car ils craignent qu’il ne devienne la principale source de règles sociales et menace un mode de vie auquel ils sont attachés, ainsi que certaines valeurs comme la laïcité ou les droits des femmes.
L’islam a pris de l’importance à mesure que l’Etat s’est affaibli. Il ressoude un tissu social déchiré par l’échec des promesses de démocratisation, l’urbanisation et la perte de repères
Il est important de distinguer l’influence de l’islam en tant que religion de celle des responsables musulmans en tant qu’individus. L’islam a pris de l’importance à mesure que l’Etat s’est affaibli. Il ressoude un tissu social déchiré par l’échec des promesses de démocratisation, l’urbanisation et la perte de repères. C’est avant tout sa « force sociale » qui lui confère une influence politique.
A travers le discours religieux transparait cette triple volonté de préserver « nos valeurs sociétales et religieuses », de moraliser la gouvernance et de s’opposer à ce qui est perçu comme une domination néocoloniale. L’islam devient alors un outil cohérent et structuré de contestation de l’Occident. Quant aux responsables musulmans, leur influence repose davantage sur le résultat de stratégies politiques que sur la défense de l’islam.
L’islam devient alors un outil cohérent et structuré de contestation de l’Occident
Leurs revendications sont loin d’être centrées uniquement sur la religion, même si la sauvegarde des valeurs occupe une place importante. Si Ibrahim Boubacar Keïta était déjà proche des milieux religieux lorsqu’il était président de l’Assemblée (2002-2012), le soutien qu’il a reçu de ces derniers en 2013 tient davantage au sentiment qu’il est l’homme de la situation pour sortir de la crise qu’à la perception qu’il est le candidat de l’islam.
Si les religieux apparaissent forts, c’est avant tout par comparaison avec la faiblesse de la classe politique, et en raison de leur capacité à devenir des acteurs sociaux de premier plan concurrençant l’Etat dans des domaines clés tels que l’éducation ou la santé. S’ils sont capables de mobiliser autour de thèmes liés à la défense des valeurs maliennes, leurs consignes de vote ne sont pas toujours suivies, et les Maliens ne voteront pas nécessairement pour un candidat issu des milieux religieux.
Si les religieux apparaissent forts, c’est avant tout par comparaison avec la faiblesse de la classe politique, et en raison de leur capacité à devenir des acteurs sociaux de premier plan concurrençant l’Etat dans des domaines clés tels que l’éducation ou la santé
Lors des élections législatives partielles en commune V de Bamako fin mai 2015, ce n’est pas un membre du Haut Conseil islamique, Mohamed Kimbiri, qui a remporté le scrutin, mais la candidate du RPM, Jacqueline Marie Nana, qui au demeurant est chrétienne. Des personnalités religieuses se sont présentées aux élections législatives de 2013 etaux municipales de 2016 dans de nombreuses circonscriptions sans obtenir beaucoup d’élus.
Il faut également relativiser la capacité des responsables religieux à peser sur les décisions politiques. La création du ministère des Affaires religieuses et du Culte est souvent citée en exemple. Or, si le ministère a été instauré en 2012 à la demande des milieux religieux – demande formulée depuis 2002 – et si son premier chef, Yacouba Traoré, est issu du Haut Conseil islamique, la nomination en 2013 de l’actuel ministre, Thierno Amadou Omar Hass Diallo, démontre une volonté de reprise en main par l’Etat des affaires religieuses. Le ministre ne satisfait pas les milieux religieux proches de l’imam Dicko, mais le président Ibrahim Boubacar Keïta aurait refusé d’accéder à la demande de le limoger.
Il serait par exemple difficile pour un candidat de l’emporter contre l’avis des religieux : s’ils ne font pas forcément l’élection, ils peuvent empêcher un candidat d’être élu, par exemple en le présentant comme incapable de sauvegarder les valeurs maliennes
L’élection présidentielle de 2018 fournira une première indication sur la trajectoire que prendra la relation entre religion et politique dans les années à venir. Plusieurs scénarios sont possibles. Il n’est pas évident que d’importantes personnalités musulmanes soutiennent de nouveau le président actuel s’il brigue un second mandat, parce qu’il n’a pas tenu ses promesses mais peut-être aussi parce que certaines d’entre elles pourraient conclure que s’impliquer directement dans la vie politique ne leur a pas apporté les bénéfices attendus.
Il ne s’agit cependant pas de minimiser l’influence politique de l’islam et des responsables musulmans. Il serait par exemple difficile pour un candidat de l’emporter contre l’avis des religieux : s’ils ne font pas forcément l’élection, ils peuvent empêcher un candidat d’être élu, par exemple en le présentant comme incapable de sauvegarder les valeurs maliennes.
Une demande de régulation
Dans leur grande majorité, les responsables politiques et religieux rencontrés par Crisis Group déplorent le manque de formation des imams et prêcheurs maliens et affirment que le manque de compétences et l’absence de critères pour accéder à l’imamat risquent de favoriser les discours haineux ou intolérants.
Ils regrettent aussi l’existence de discours haineux dans les prêches ou dans les médias confessionnels. Un responsable religieux dénonce ainsi des «prêches radicaux dans les mosquées et dans les radios». Un employé d’une radio chrétienne dénonce l’existence d’une radio qui «insulte les chrétiens» alors que «l’Etat ne fait rien».
Un responsable chrétien en plein centre de Bamako déplore «certains prêches radicaux, même dans la mosquée juste à côté de nous». Un membre de la Haute Autorité de la communication (HAC) emploie l’expression «pleine pagaille» pour décrire la situation des médias confessionnels.
Un responsable religieux dénonce ainsi des «prêches radicaux dans les mosquées et dans les radios». Un employé d’une radio chrétienne dénonce l’existence d’une radio qui «insulte les chrétiens» alors que «l’Etat ne fait rien»
En outre, les exemples abondent de mosquées ou d’églises construites sans autorisation ou sur des parcelles à usage d’habitation. La loi de 1961, qui réglemente la construction de lieux de culte, est obsolète et peu appliquée, notamment en raison de l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat et d’une mauvaise gestion du foncier. Le clientélisme ou la corruption permettent parfois de contourner la réglementation.
Enfin, des responsables religieux et politiques, représentants de la société civile et diplomates déplorent l’incapacité de l’Etat à contrôler les financements privés, provenant parfois de l’étranger, et circulant soit légalement à travers des ONG islamiques soit à travers des réseaux informels.
des responsables religieux et politiques, représentants de la société civile et diplomates déplorent l’incapacité de l’Etat à contrôler les financements privés, provenant parfois de l’étranger, et circulant soit légalement à travers des ONG islamiques soit à travers des réseaux informels
Le vrai problème réside certainement dans le fait que non seulement l’Etat malien est incapable d’identifier ces flux financiers venant du Golfe mais que quand bien même il en serait capable, il lui serait difficile de les refuser tant ses carences en matière sociale sont flagrantes.
Les associations et ONG islamiques sont devenues des acteurs sociaux de premier plan, concurrençant voire dépassant l’Etat dans la fourniture de services aux populations. Elles sont actives dans plusieurs domaines, réhabilitation de mosquées, construction de forages, d’écoles et de centres de santé, soutien aux activités agricoles, microcrédit ou formation professionnelle. En commune IV de Bamako par exemple, l’ONG al-Farouk, la plus grosse ONG islamique au Mali, dont les sources de financement ne nous ont pas été divulguées, réalise beaucoup plus d’actions sociales que la mairie de la commune.
Les dangers de la régulation
La régulation de la sphère religieuse par l’Etat comporte des risques. Non seulement l’Etat malien est discrédité en raison de son incapacité à fournir des services de base, mais il est régulièrement perçu comme étant à la solde de l’Occident du fait de sa dépendance envers l’aide au développement et de la pression de certains partenaires pour promouvoir leurs agendas. Une immixtion de l’Etat dans le champ religieux pourrait ainsi être perçue comme une nouvelle attaque de l’Occident contre les valeurs maliennes.
Empêcher un responsable religieux de construire sa mosquée, censurer ses prêches ou fermer sa radio pourrait renforcer sa popularité et plomber davantage l’autorité de l’Etat. Un responsable musulman donne un exemple: lorsque le préfet d’une localité a tenté de dissuader des individus de construire une mosquée car ils n’avaient pas obtenu de permis, ceux-ci ont répondu que la banque et le bar de l’autre côté de la rue n’avaient pas non plus d’autorisation pour exercer des activités commerciales, et qu’ils n’étaient pas inquiétés pour autant.
Une immixtion de l’Etat dans le champ religieux pourrait ainsi être perçue comme une nouvelle attaque de l’Occident contre les valeurs maliennes
De plus, la régulation de la sphère religieuse risque de discréditer la religion officielle plutôt que de légitimer l’Etat. Résultat probable : l’émergence d’une religion informelle, qui prendrait le contrepied du discours que l’Etat cherche à imposer. Etant donné la diversité de l’islam au Mali, il serait contre-productif de privilégier un courant par rapport à un autre et de créer un islam officiel. Par exemple, des figures charismatiques tels Dicko ou Haïdara pourraient s’opposer à l’action du ministre des Affaires religieuses et du Culte grâce à un accès direct au gouvernement, voire à la présidence.
Une régulation à minima
Si l’Etat prend la décision de réguler la sphère religieuse, le mieux serait qu’il le fasse à minima et de manière concertée. Seuls acteurs capables de lui conférer la légitimité requise, les responsables religieux devraient être au cœur de la démarche. Interrogés sur le rôle de l’Etat en matière religieuse, plusieurs responsables religieux soulignent que l’ « Etat ne fait rien pour nous » : il ne finance pas la construction de lieux de culte, la formation ni la rémunération des imams, et s’intéresse peu à l’enseignement islamique. Or si l’Etat n’aide pas le culte à s’organiser, il ne peut aspirer à le réguler. En ce sens, l’Etat serait mieux avisé d’accompagner les mesures prises par les responsables musulmans et de privilégier le partenariat avec eux.
Les interlocuteurs de tous bords interrogés par Crisis Group – responsables religieux et politiques, observateurs, représentants de la société civile – s’accordent sur au moins deux domaines dans lesquels des améliorations sont nécessaires : la réglementation de propos intolérants ou haineux (diffusés dans les prêches, dans les médias locaux comme les radios communautaires, sur cassettes, internet, Whatsapp ou les réseaux sociaux) et la formation des imams. Le document sur le cadre d’exercice des prêches et des sermons produit en 2002 par le Haut Conseil islamique n’est ni diffusé, ni appliqué.
Si l’Etat prend la décision de réguler la sphère religieuse, le mieux serait qu’il le fasse à minima et de manière concertée
Il pourrait être actualisé et vulgarisé. Le fonctionnement du bureau de la Conférence nationale des oulémas, au sein du Haut Conseil, est handicapé par des divergences sur l’inclusion et la représentativité de ses membres. Il pourrait être redynamisé afin qu’il puisse jouer un rôle d’orientation du discours, fort de l’autorité morale de ses savants.
Concernant les médias, la Haute Autorité de la communication (HAC) manque d’équipement pour écouter les médias et de personnel compétent pour faire l’analyse et le suivi. Ses capacités pourraient être renforcées. La HAC pourrait mieux faire connaitre son existence auprès du public, dans l’espoir que cela incite les citoyens à la saisir.
Quant à la formation des imams, la convention signée avec le Maroc pour la formation de 500 imams maliens montre que l’Etat souhaite s’impliquer davantage dans ce domaine. De plus, former les imams maliens à l’étranger comporte le risque d’exacerber les clivages entre différentes tendances islamiques, en particulier entre « malékites », dont le Maroc se place en chef de file, et « wahhabites », influencés par les pays du Golfe.
Pour une contribution positive des religieux
Au-delà des questions liées à l’organisation de la sphère religieuse, l’Etat devrait réfléchir au rôle positif joué par les responsables religieux en matière de résolution de conflits et de régulation sociale. Leur force sociale ne signifie pas que les autorités religieuses aient vocation à s’impliquer dans tous les domaines, ni que leur implication soit forcément positive. Des segments de la société malienne craignent la mainmise des religieux sur la vie publique, notamment en matière de droits des femmes et de mœurs mais aussi d’éducation.
Votée en septembre 2016, la loi électorale interdisant de battre campagne dans les lieux de culte – mais pas ailleurs – est en ce sens un développement intéressant
Par ailleurs, à trop s’immiscer en politique, ils risqueraient, à l’image des politiciens, de perdre de leur crédibilité. Ce pourrait déjà être le cas pour ceux qui ont soutenu Ibrahim Boubacar Keïta en 2013.Votée en septembre 2016, la loi électorale interdisant de battre campagne dans les lieux de culte – mais pas ailleurs – est en ce sens un développement intéressant.
Crédit photo: ICG