Type de publication : Rapport Afrique N°315
Date de publication : Décembre 2024
Site de l’organisation : Crisis group
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Arrivées au pouvoir en 2021 après un double coup d’État, les autorités de transition maliennes ont fait du “souverainisme” le moteur de leur action politique. Alliant nationalisme et références au panafricanisme, elles entendent restaurer l’autonomie d’action de l’État, mise à mal, selon elles, par une décennie d’ingérence étrangère incapable de régler la crise politique et sécuritaire. Grâce aux réseaux sociaux et face à une population jeune ayant perdu foi en ses élites, cette approche a permis au pouvoir de jouir d’une forte adhésion populaire. Elle a aussi conduit le pays à opérer de profonds changements économiques, sécuritaires et diplomatiques, s’éloignant de partenaires historiques, dont la France. Mais ce tournant présente aussi de sérieux risques. En “coupant les ponts” avec d’importants bailleurs de fonds, le régime se prive de ressources, tout en justifiant une dérive autoritaire au nom de l’intérêt national. Pour répondre aux attentes des Maliens, les autorités devraient explorer la voie d’un souverainisme plus équilibré, en réinvestissant dans les secteurs sociaux et en apaisant les relations avec les partenaires occidentaux et régionaux. Le rapport revient sur le discours souverainiste qui puise sa force actuelle dans un double mécontentement de la population malienne. D’une part, contre les élites politiques au pouvoir depuis les années 1990, perçues comme largement corrompues et soumises aux influences extérieures, et accusées d’avoir sapé la démocratie malienne. D’autre part, contre l’incapacité en dépit de leurs promesses et de plus de dix années de présence sur le terrain des forces internationales à freiner la détérioration constante de la situation sécuritaire depuis 2013, et notamment la progression des groupes jihadistes. Surfant sur ce double rejet, les idées souverainistes ont gagné en influence parmi les Maliens, notamment auprès des jeunes, portées par le développement sans précédent des réseaux sociaux. Le rapport relève que le souverainisme influence en profondeur les politiques gouvernementales actuelles. Les autorités ont d’abord repris en main les dossiers sécuritaires, démantelant l’architecture internationale mise en place sous l’impulsion de la France et établissant de nouvelles alliances, y compris avec la Russie. En novembre 2023, la reprise de la ville de Kidal, bastion des groupes armés séparatistes, a été l’un des résultats militaires les plus concrets du virage souverainiste. Dans le domaine diplomatique, le pouvoir a aussi pris ses distances avec de nombreux partenaires, régionaux et occidentaux, annonçant notamment, conjointement avec le Niger et le Burkina Faso, son retrait de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la principale organisation régionale ouest-africaine. Sur le plan économique, les finances publiques se passent désormais d’une grande partie de l’aide occidentale.
Le rapport offre plusieurs leçons pertinentes pour les pays de la zone de WATHI. Tout d’abord, il souligne l’importance d’adopter une approche inclusive dans le processus décisionnel. Les pays de la région devraient veiller à impliquer divers acteurs politiques et sociaux afin d’éviter l’exclusion et de renforcer la légitimité des gouvernements. Une telle inclusion pourrait contribuer à apaiser les tensions internes et à favoriser un climat politique plus stable, essentiel pour la cohésion sociale. Ensuite, le rapport met en évidence la nécessité d’un rééquilibrage des priorités budgétaires. Les investissements militaires ne doivent pas se faire aux dépens des secteurs sociaux essentiels comme la santé et l’éducation. Pour les pays, cela implique une planification budgétaire qui prenne en compte les besoins fondamentaux des populations, garantissant ainsi un développement durable et inclusif. Une autre leçon importante concerne la gestion des relations internationales. Le rapport recommande d’apaiser les relations avec les partenaires financiers, tout en maintenant une souveraineté nationale affirmée. Les pays de la région doivent naviguer habilement entre leurs intérêts nationaux et les attentes des partenaires internationaux, cherchant à établir des alliances stratégiques qui respectent leur autonomie. De plus, le rapport met en garde contre le resserrement autoritaire et les restrictions sur les droits civils et politiques. Les pays de la région doivent être vigilants face aux signes de dérive autoritaire, en veillant à ce que les gouvernements respectent les droits fondamentaux et maintiennent un espace civique ouvert. Enfin, bien que le “souverainisme” puisse apparaître comme une réponse aux dysfonctionnements du modèle démocratique, il doit être accompagné d’actions concrètes pour améliorer le bien-être des populations. Les pays de la région devraient s’efforcer de traiter les causes profondes des mécontentements sociaux afin d’éviter que le “souverainisme” ne devienne un “simple slogan” sans impact réel. En somme, ces leçons soulignent l’importance d’une gouvernance inclusive, d’une gestion prudente des ressources et d’un engagement pour le respect des droits civils pour assurer la stabilité et le développement dans la région.
Les extraits proviennent des pages : 3, 4-5, 6, 7-8, 9-10, 11-12, 13-14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 24-25, 26, 27-28
Le souverainisme, roue de secours d’un modèle politique en panne
Le retour de la doctrine souverainiste dans le débat public
Le souverainisme est une doctrine politique ancrée de longue date au Mali. Le premier président malien Modibo Keïta (1960-1968) avait fait du souverainisme l’un des socles idéologiques de son régime. C’est en son nom que le Mali a créé, en 1962, le franc malien afin de remplacer le franc CFA, monnaie commune à la plupart des anciennes colonies françaises d’Afrique occidentale et centrale, alors perçue comme un outil néocolonial. Rapidement englué dans les difficultés économiques et l’autoritarisme, Modibo Keïta a été renversé par un coup d’Etat en 1968. Cherchant auprès des partenaires extérieurs des moyens financiers pour accompagner le décollage de l’économie malienne, ses successeurs ont relégué le souverainisme à l’arrière-plan.
En 1984, sous la présidence du général Moussa Traoré, le Mali a ainsi réintégré la zone franc CFA. Tout au long des années 1990 et 2000, une poignée de représentants politiques de la gauche radicale ont continué à dénoncer, sans rencontrer beaucoup de succès, l’influence de ce qu’ils nomment les « forces impérialistes ». Au début des années 2010, les idées souverainistes sont revenues dans le débat public à mesure que les autorités maliennes et le dispositif international de stabilisation, dans lequel la France jouait un rôle de premier plan, se montraient incapables de mettre fin aux violences armées qui se propageaient à travers le pays.
Déclenchée en janvier 2013 pour stopper l’avancée des groupes jihadistes vers le centre du Mali, l’opération militaire française a d’abord été accueillie avec soulagement par une grande partie de la population. Mais en s’installant dans la durée, elle a suscité des critiques. Des intellectuels comme Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture, ont alors décrit cette intervention comme un « projet de recolonisation du Mali ». Des figures plus jeunes comme Ras Bath, célèbre militant de la société civile et animateur radio, ont émergé à partir de 2014 en appelant, par exemple, au boycott des produits français.
Avec l’arrivée au pouvoir du CNSP en mai 2021, le souverainisme a retrouvé une place centrale au sommet de l’État. Ce souverainisme officiel ne constitue pas une doctrine clairement élaborée et appuyée sur des textes de référence. Il s’exprime au travers d’une rhétorique produite par les autorités et qui nourrit leur pratique de gouvernement. Il se résume à un petit nombre de principes qui tiennent lieu de cadre idéologique et dont la simplicité apparente explique aussi en partie le succès.
En septembre 2022, le président de la transition, le colonel devenu général depuis Assimi Goïta, a ainsi décliné les trois principes du souverainisme qui servent de feuille de route au gouvernement malien : « le respect de la souveraineté du Mali ; le respect des choix stratégiques et des choix des partenaires du Mali ; la défense des intérêts du peuple malien ». Ces principes seront plus tard reflétés dans la nouvelle constitution, promulguée en juillet 2023 par les autorités. La montée du souverainisme puise également dans la rhétorique du « Mali Kura », qui signifie « Mali nouveau » en français.
Déjà populaire dans les années 1990 après le renversement du général Moussa Traoré, ce concept a refait surface dans le sillage de la contestation contre le régime du président IBK en 2020. Pour ses partisans, il incarne l’ambition de donner un nouveau visage au pays à travers des réformes profondes visant à restaurer l’autorité de l’Etat, à recouvrer l’intégrité territoriale du pays et à garantir la sécurité des populations. Outre la simplicité de son énoncé, le souverainisme malien est populaire pour deux autres raisons.
D’une part, sa force d’attraction est étroitement liée aux dysfonctionnements du modèle démocratique jusque-là dominant, lequel a échoué à améliorer significativement le bien-être des populations. Les processus électoraux, conduits depuis le début des années 1990, ont souvent été entachés de fraudes et d’irrégularités, alimentant le mécontentement populaire et la défiance envers les institutions. La corruption généralisée et l’inefficacité des gouvernements successifs ont également sapé la légitimité des autorités, conduisant à des coups d’Etat et à des transitions militaires, en 2012 et plus récemment en 2020 et 2021. L’échec de l’un expliquant le succès de l’autre, le souverainisme apparaît comme une doctrine de secours venue se substituer à un modèle politique en panne sèche.
D’autre part, le souverainisme s’est opposé à un phénomène bien réel, avec lequel de nombreux Maliens étaient en désaccord profond : la dépendance du Mali vis-à-vis des puissances extérieures. L’influence de ces dernières ne s’est pas limitée pas à la présence de plusieurs milliers de soldats étrangers entre 2013 et 2023 sur le territoire malien, elle touchait aussi de nombreux autres domaines. Ainsi, la constitution malienne de 1992 a été fortement influencée par celle de la Vème République française. Le franc CFA, la monnaie utilisée au Mali comme dans le reste de la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), continue d’être arrimée à une monnaie étrangère, hier le franc français et aujourd’hui l’euro.
De manière générale, les politiques publiques au Mali ont été fortement influencées par des modèles institutionnels définis par les partenaires internationaux. Il serait néanmoins caricatural de réduire l’Etat malien des années 2000 et 2010 à un simple État vassal, comme le suggère régulièrement le discours souverainiste. Les autorités civiles savaient alors jouer des contraintes extérieures pour conserver des marges de manœuvre non négligeables dans leurs rapports avec les partenaires étrangers, y compris occidentaux. Elles ont aussi, dans certains cas, fait preuve d’une véritable autonomie, comme en 2008 lorsque le président Amadou Toumani Touré (2002-2012) a catégoriquement refusé de signer un accord de réadmission des Maliens en situation irrégulière en France, malgré les pressions de Paris.
L’incapacité des forces internationales à rétablir la sécurité a accentué la déception et la colère de nombreux Maliens vis-à-vis de la présence étrangère. Elle les a aussi convaincus à tort ou à raison que cet échec n’était pas fortuit et visait à maintenir le pays dans la dépendance envers l’Occident, en particulier la France. A maintes reprises, les forces de stabilisation, notamment l’opération Barkhane et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), ont été accusées par les autorités, mais aussi par de nombreux citoyens, de « confisquer » la souveraineté du pays et de paralyser l’autonomie décisionnelle des dirigeants.
Une ferveur souverainiste sur les réseaux sociaux et dans la société civile
A partir de la fin des années 2010, les idées souverainistes se sont rapidement diffusées dans l’espace public et ont gagné l’adhésion de toutes les couches de la société malienne. Elles ont été aidées en cela par la transformation des conditions d’accès à Internet et aux réseaux sociaux au cours des dix dernières années. D’après le site Datareportal, le nombre de Maliens connectés à Internet est passé de 2,21 millions en 2017 (un Malien sur huit) à plus de 7,8 millions (un Malien sur trois) en janvier 2024. Les réseaux sociaux sont ainsi devenus une source privilégiée d’informations pour de nombreux citoyens maliens, notamment les jeunes qui constituent la grande majorité de la population, qu’ils vivent en ville ou en milieu rural. Le contexte de crise prolongée a renforcé l’appétit des Maliens pour les informations qui concernent leur pays. Les sites animés par des influenceurs locaux spécialisés dans la communication politique, appelés « vidéomans », sont devenus particulièrement populaires. Présents sur les plateformes comme Facebook, TikTok, WhatsApp et Instagram, ces derniers jouent un rôle crucial dans la promotion du discours souverainiste.
Certains, comme Gandhi Malien ou le site Kati 24, comptent plus d’un million d’abonnés. Jeunes, urbains et souvent autodidactes, les vidéomans commentent les sujets d’actualité locale et internationale en bamanakan, la langue la plus parlée au Mali, s’assurant une audience sans commune mesure avec celle des médias traditionnels francophones. Leurs contenus sont largement relayés et échangés par des millions d’utilisateurs, notamment sur TikTok et WhatsApp. Certains sont devenus de véritables entrepreneurs et constituent de nouvelles figures de la réussite sociale aux yeux d’une partie de la jeunesse malienne.
A côté des réseaux sociaux, des mouvements plus classiques de la société civile promeuvent également le souverainisme en mobilisant ponctuellement des militants et en pesant dans le débat public. Des associations comme Yerewolo, qui signifie « les dignes fils du Mali » en bamanakan, ont réussi à sortir le discours souverainiste du débat entre intellectuels pour en faire un thème de mobilisation populaire. Dans les premiers mois de l’année 2023, par exemple, Yerewolo a organisé plusieurs rassemblements devant le siège de la Minusma à Bamako pour exiger son départ.
De manière générale, les politiques publiques au Mali ont été fortement influencées par des modèles institutionnels définis par les partenaires internationaux. Il serait néanmoins caricatural de réduire l’Etat malien des années 2000 et 2010 à un simple État vassal, comme le suggère régulièrement le discours souverainiste. Les autorités civiles savaient alors jouer des contraintes extérieures pour conserver des marges de manœuvre non négligeables dans leurs rapports avec les partenaires étrangers, y compris occidentaux
Ces manifestations ont préparé l’opinion publique à la décision des autorités maliennes d’exiger officiellement le retrait de la mission onusienne. Comme les vidéomans, les responsables de Yerewolo s’expriment principalement en bamanakan. Ces manifestations de rue pèsent cependant beaucoup moins lourd que les réseaux sociaux, lesquels restent le premier vecteur des idées souverainistes au Mali. Depuis mai 2021, plus d’une vingtaine de manifestations en soutien à la politique des autorités ou contre la présence militaire étrangère ont été recensées, mais la plupart n’ont pas dépassé quelques centaines, voire quelques milliers, de participants.
Aucune n’aurait mobilisé plus de 10 000 manifestants, un chiffre qui apparaît faible par rapport à la capacité de mobilisation des principaux prédicateurs religieux maliens, capables de remplir des stades. Enfin, le discours souverainiste se diffuse aussi à travers les dizaines de milliers de points de rencontre quotidiens que sont les grins, ces associations informelles où les Maliens aiment se retrouver, généralement par classe d’âge et selon les proximités du voisinage, pour boire le thé et discuter de mille sujets dont la politique.
Ces lieux de socialisation sont fréquentés en priorité par des hommes, sans exclure pour autant les femmes. Bien que la sphère souverainiste soit dominée par les hommes, quelques figures féminines y ont émergé. Parmi elles, Aminata Fofana et Founè Wadidjé, deux militantes de Yerewolo, ont activement contribué à relayer les messages souverainistes. D’autres femmes, à l’image de la journaliste Aiché Baba Keïta, ont créé de nouvelles structures telles que la Fédération des organisations et regroupements de soutien aux actions de la transition (Forsat civile) pour soutenir les autorités maliennes. De même, en juin 2023, Fatoumata Batouly Niane, la fondatrice du mouvement citoyen « An Biko » (« Nous te suivons » en bamanakan), a appelé les populations à voter en faveur du projet de nouvelle constitution proposé par le CNSP.
L’Etat en récupérateur
A partir du second coup d’Etat de mai 2021 et de la rupture avec la France, les autorités maliennes ont opéré un virage en direction des groupes et des idées souverainistes, qui bouillonnaient déjà sur les réseaux sociaux. Elles ont rapidement compris le potentiel qu’offraient ces plateformes pour justifier la réorientation du gouvernement vers ces positions. L’instrumentalisation des médias n’est pas nouvelle au Mali où les entrepreneurs politiques ont une vieille tradition de financement des médias, notamment de la presse écrite. Depuis des décennies, ils commanditent des articles pour soutenir leur propre action ou dénigrer leurs adversaires.
Des liens entre des WebTV et des forces socio-politiques avaient déjà été établis sous le régime du président IBK. Les autorités de transition maliennes entretiennent également des relations clientélistes avec un large réseau d’activistes, d’animateurs de pages Facebook et de WebTV. Les principaux responsables politiques, toutes tendances confondues, s’entourent de vidéomans dévoués en leur offrant protection et ressources. En échange, ils influencent le contenu des émissions produites par certains, notamment les plus fameux comme Gandhi Malien ou Kati 24.
Soutiens indéfectibles de la transition, ces deux influenceurs légitiment, au fil de leurs messages et émissions, l’idée que le tournant souverainiste est nécessaire pour lutter contre les « ennemis de l’intérieur », qualifiés d’« apatrides » (« Faso den Djougou » en bamanakan), et ceux de l’extérieur (la France et plus généralement l’Occident). Ils présentent les dirigeants actuels comme les garants de la souveraineté et de la fierté nationales. Ils vantent la montée en puissance de l’armée et l’acquisition de nouveaux équipements militaires, célèbrent les victoires des forces armées maliennes (Fama), et promettent des lendemains économiques radieux grâce au meilleur contrôle des ressources qu’opérerait le CNSP. Ils le font fréquemment au détriment de la vérité, les plateformes de Kati 24 et Gandhi Malien diffusant régulièrement des informations sensationnelles et erronées.
Cela dit, les rapports entre les influenceurs et les autorités maliennes ne sauraient se résumer à une simple relation de subordination. Les liens entre le pouvoir et la galaxie souverainiste oscillent en effet entre un clientélisme étroit et une simple convergence de vues. Il existe par ailleurs des tensions et des désaccords occasionnels entre ces deux pôles. Plusieurs sources ont affirmé à Crisis Group qu’il existe, au fond, moins un contrôle étroit par les nouvelles autorités qu’une interdépendance entre le pouvoir politique et l’ensemble hétéroclite de ces influenceurs.
Des soutiens étrangers amplifient le discours souverainiste
L’implication d’acteurs étrangers, en premier lieu celle de la Russie, dans la promotion du discours souverainiste au Mali est indéniable. Celle-ci se manifeste d’abord par un soutien direct aux grands influenceurs maliens. Ces dernières années, les autorités russes ont en effet identifié des vidéomans particulièrement influents et leur ont offert des séjours à Moscou. Mamadou Sidibé, promoteur de Gandhi Malien, a, par exemple, effectué un voyage en Russie en mai 2024 dont il a fait largement écho sur son compte Facebook. Des études ont également documenté l’influence de la Russie sur des pages Facebook promouvant des messages politiques.
Certains appellent à la « libération de l’Afrique » et à des révolutions populaires contre la « domination néocoloniale ». D’autres soutiennent, plus prosaïquement, le choix des autorités maliennes de changer de partenaires extérieurs, au profit de la Russie. Dans le sillage du déploiement du groupe paramilitaire russe Wagner dans la seconde moitié de 2021, des contenus en ligne dénigrant la présence française et justifiant celle de la Russie ont proliféré. Des données collectées à cette période ont comptabilisé plus de 24 000 publications de ce type sur Facebook, même s’il reste difficile d’identifier avec précision la manière dont la Russie soutient et organise cette production, dont une grande partie est fabriquée au Mali.
Particulièrement visée par cette hausse de contenus hostiles, Paris a cherché à répondre en mettant en place son propre réseau de propagande. Par ailleurs, des figures du néo-panafricanisme, comme Nathalie Yamb, Kémi Séba et Franklin Nyamsi, commentent fréquemment l’actualité malienne et sont des vecteurs d’influence majeurs dans la diffusion des discours souverainistes à travers des plateformes telles que Facebook, YouTube et X. Contrairement à leurs homologues sahéliens, ces activistes touchent principalement une audience urbaine et francophone.
Certains d’entre eux se déplacent fréquemment au Sahel à l’invitation des gouvernements, dont celui du Mali, pour témoigner de leur soutien aux mouvements souverainistes. Les liens entre ces activistes et la Russie sont indéniables : Kémi Séba et Nathalie Yamb ont participé à plusieurs évènements organisés par Moscou, notamment le Forum économique Russie-Afrique à Sotchi en 2019 et le deuxième Sommet Russie- Afrique, tenu à Saint-Pétersbourg en 2023. Une enquête menée en 2019 par un consortium de médias et d’organisations militantes a révélé la grande proximité entre Evgueni Prigojine, ancien patron de Wagner, décédé en 2023, et l’activiste Kémi Séba.
Ils affirment notamment que ce dernier aurait bénéficié d’un appui financier de l’oligarque russe. Dans un entretien récent, Kémi Séba a nié cependant avoir reçu un quelconque financement de la part d’Evgueni Prigojine. Malgré leur implication réelle dans le débat, ces activistes internationaux bénéficient d’une audience moindre par rapport aux vidéomans locaux, confirmant que les soutiens étrangers du souverainisme jouent un rôle d’amplificateur, mais que les Maliens demeurent son principal promoteur.
Le souverainisme en actes : des atouts et des risques
Pour de nombreux analystes occidentaux mais aussi parfois sahéliens, le souverainisme serait un discours de façade faisant le lit d’une dictature militaire. Mais ce tournant ne saurait être réduit à un simple artifice rhétorique servant à légitimer le maintien au pouvoir de militaires autoritaires. Les dirigeants maliens ont fait du souverainisme un instrument pour recréer du lien avec une partie de leur population, notamment la jeunesse urbaine. Il influence également fortement le contenu des politiques gouvernementales dans les domaines sécuritaire, diplomatique et économique. Il ne faut donc sous-estimer ni le changement que le virage souverainiste produit, ni ses limites, ni les risques qu’il induit pour le Mali.
Des études ont également documenté l’influence de la Russie sur des pages Facebook promouvant des messages politiques. Certains appellent à la « libération de l’Afrique » et à des révolutions populaires contre la « domination néocoloniale ». D’autres soutiennent, plus prosaïquement, le choix des autorités maliennes de changer de partenaires extérieurs, au profit de la Russie. Dans le sillage du déploiement du groupe paramilitaire russe Wagner dans la seconde moitié de 2021, des contenus en ligne dénigrant la présence française et justifiant celle de la Russie ont proliféré
Un outil pour gouverner sans élections
Le discours souverainiste suscite aujourd’hui un espoir comparable à celui que l’aspiration démocratique avait fait naître au Mali au début des années 1990, en grande partie en opposition au régime vieillissant du général Moussa Traoré, lequel monopolisait le pouvoir depuis 1968. Mais les régimes démocratiques maliens qui lui ont succédé se sont usés à leur tour, incapables de produire une société plus juste et d’incarner le changement aux yeux d’une population malienne de plus en plus jeune. Dans les années 2010, de nombreux citoyens avec lesquels Crisis Group s’entretenait n’attendaient plus grand-chose de leurs dirigeants.
Certains disaient même avoir perdu foi dans la démocratie libérale sur laquelle reposaient leurs institutions. Reflet de ce désintérêt, la participation aux élections nationales a été particulièrement faible au Mali dès la fin des années 1990. Le discours souverainiste parle directement aux populations. Il permet d’offrir une explication simple aux difficultés que ces dernières rencontrent, en dénonçant des élites corrompues, prétendument démocratiques et coupables d’avoir livré le pays aux intérêts étrangers.
Il contient aussi une promesse de changement qui, dans le cadre du « Mali nouveau », entend mettre les ressources du pays au service de l’intérêt général. Ce discours a un effet de remobilisation indéniable sur une vaste partie de la population, notamment auprès de la jeunesse urbaine. Depuis l’arrivée au pouvoir du CNSP, une partie de la jeunesse malienne a développé une forme de fierté nationale et un espoir dans l’Etat dont elle n’attendait plus rien encore quelques années auparavant. Sur les réseaux sociaux, un nombre grandissant de citoyens ont, ces dernières années, proclamé leur fierté d’être Maliens, de voir leurs forces armées se redéployer, et d’avoir des dirigeants ayant le courage de rompre avec les « forces néocoloniales ».
Cette remobilisation citoyenne et la popularité du régime qui l’accompagne se font jusqu’ici sans consultation électorale, à l’exception du référendum constitutionnel de juin 2023, qui a été un plébiscite. La nouvelle constitution a été approuvée avec 97 pour cent des voix. Le taux de participation du scrutin n’a cependant pas dépassé les 40 pour cent. Se présentant comme seules capables de défendre les intérêts du Mali, les autorités de transition esquivent les pressions pour organiser des élections démocratiques et, depuis quatre ans, les Maliens n’élisent plus aucun représentant du pouvoir exécutif ou législatif, national ou local.
Le discours souverainiste se révèle ainsi un puissant instrument de mobilisation politique permettant aux autorités maliennes de se constituer une légitimité en dehors de tout processus électoral. Si le soutien aux autorités de transition est robuste, il n’est pas pour autant généralisé. Des voix s’expriment, publiquement ou en privé, pour les critiquer et dénoncer les fausses ruptures qu’elles ont introduites, notamment dans la lutte contre la corruption, toujours présente, ou pour revendiquer des succès sans précédent contre les insurgés jihadistes, toujours très actifs en dépit de ces victoires.
Mais ces voix restent minoritaires. Surtout, elles peinent à se faire entendre publiquement du fait de la pression sociale exercée par l’entourage et de la crainte d’un État de plus en plus autoritaire. A partir de 2022, les autorités ont en effet pris une série de mesures restrictives, ciblant notamment des organes de presse, des acteurs politiques et des activistes. Plusieurs journalistes, universitaires, influenceurs et personnalités de la société civile et des réseaux sociaux ont été arrêtés. Certains, comme l’économiste Etienne Fakaba Sissoko, ont été interpellés pour « atteinte au crédit de l’Etat » ; d’autres, comme Rokia Doumbia, influenceuse et militante contre la vie chère, pour « incitation à la révolte ». Le souverainisme prôné par les autorités de transition s’accompagne ainsi d’un rétrécissement inquiétant de l’espace civique, signalant une dérive autoritaire qui pourrait encore s’aggraver face à la montée du mécontentement populaire due à l’aggravation des difficultés économiques.
De nombreux acteurs politiques et activistes dénoncent ce durcissement des autorités maliennes, qu’ils perçoivent comme une tentative de conserver le pouvoir en étouffant toute contestation. Les multiples arrestations et autres interpellations semblent s’inscrire dans une stratégie délibérée de musèlement des voix discordantes. Selon les sondages disponibles, la popularité du régime reste élevée, mais elle pourrait s’effriter, même à Bamako. La capitale malienne, où vit un quart de la population du pays et qui abrite les principaux centres de pouvoir, est sans doute le principal foyer de soutien au régime actuel, mais elle est touchée par d’incessantes coupures de courant auxquelles le gouvernement n’apporte pas de solution depuis de longs mois (voir section D). Pire, une attaque meurtrière a visé mi-septembre des installations militaires en plein cœur de la ville, risquant d’ébranler la confiance des Maliens dans la capacité de leurs dirigeants à garantir leur sécurité.
La reprise en main des dossiers sécuritaires
Les autorités maliennes ont fait des questions de défense et de sécurité un enjeu central de leur discours et de leurs actions. Il y a deux raisons principales à cela. D’une part, les dirigeants sont convaincus que l’intervention militaire étrangère était au mieux improductive, au pire que son objectif inavoué était de maintenir le Mali dans la dépendance. D’autre part, la défense est un domaine régalien par excellence dont tout régime souverainiste tend à faire une priorité qui plus est si le pays est dirigé par des militaires. C’est donc au nom de la nécessaire reconquête de la souveraineté nationale que les autorités maliennes ont démantelé l’architecture que les partenaires internationaux avaient mis en place, à partir de 2013 et sous l’impulsion de la France, pour sécuriser et stabiliser le Mali.
Après le coup d’Etat de mai 2021, les autorités de transition ont poussé les différentes composantes de ce dispositif sécuritaire vers la sortie. Les opérations française Barkhane et européenne Takuba ont pris fin en février 2022. Deux mois plus tard, le Mali s’est retiré du G5 Sahel, une organisation de sécurité régionale créée en 2014 et rassemblant cinq pays sahéliens. En juin 2023, les autorités maliennes ont exigé le départ de la Minusma. Persuadées que les partenaires occidentaux ne les laisseraient pas reprendre en main la politique sécuritaire, les autorités se sont tournées vers la Russie, en qui elles voient un allié stratégique plus fiable, plus utile et davantage compatible avec l’approche de Bamako en matière de lutte contre-insurrectionnelle.
Cette perception repose notamment sur la capacité de la Russie à livrer rapidement des équipements militaires jugés essentiels par les autorités de transition, mais que les alliés occidentaux hésitaient jusqu’alors à leur livrer en quantité suffisante. Contrairement aux armées occidentales qui ont des règles d’engagement contraignantes, les paramilitaires russes se préoccupent également peu du respect des droits humains ou encore des conséquences de la lutte contre-insurrectionnelle sur les civils. Enfin, les Russes accompagnent directement les Fama dans les combats au sol. En cela, ils se distinguent de la mission Barkhane qui menait seule les combats importants, réduisant les forces maliennes à une présence symbolique. Ils se distinguent aussi des missions de formation européennes comme l’European Union Training Mission (EUTM), que les militaires maliens jugent inadaptées à leurs besoins.
Le Mali a également procédé à un réaménagement substantiel de ses alliances sécuritaires régionales. Rejoint par le Burkina Faso et le Niger, deux autres pays dirigés par des militaires, le Mali a créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES) le 16 septembre 2023. Celle-ci remplace le G5-Sahel que les trois pays ont quitté, essentiellement parce qu’ils la considéraient peu efficace et trop dépendante des pays occidentaux. L’AES vise à consolider la sécurité des trois régimes militaires du Sahel central, en coordonnant notamment les politiques de défense contre les insurrections armées et contre toute autre forme de menace extérieure. En janvier 2024, les trois pays de l’AES se sont retirés de la Cedeao, à qui ils reprochent son hostilité, son manque de soutien concret dans la lutte contre le « terrorisme » et une forme de soumission aux intérêts de l’Occident.
Cet aggiornamento des alliances sécuritaires a permis une certaine remontée en puissance de l’armée malienne. Celle-ci est désormais plus active sur le terrain et a été replacée au centre du dispositif de sécurisation du territoire, une position occupée précédemment par les militaires français et par la Minusma.72 Si l’appui apporté par les éléments russes semble déterminant, les Fama sont toujours présentes lors des phases importantes des combats. Les pays de l’AES fournissent également une aide précieuse, quoique ponctuelle, en matière de transport aérien ou de drones de combat. La reprise de Kidal, dans le nord du pays, en novembre 2023, après plus d’une décennie de quasi-absence de l’administration malienne, est perçue comme l’un des résultats sécuritaires les plus concrets du virage souverainiste.
Cette victoire militaire a eu un retentissement politique majeur dans le pays, réparant l’humiliante défaite de l’armée malienne dans cette même ville en mai 2014 face aux mêmes groupes séparatistes. Constituant à la fois une revanche symbolique et une avancée stratégique, elle illustre la volonté des autorités maliennes de réaffirmer leur souveraineté sur l’ensemble du territoire national. En sollicitant l’assistance russe, le Mali est cependant passé, selon certains observateurs, d’une dépendance à une autre. Le pays y perdrait financièrement, car Bamako rémunère désormais au moins une partie de cette aide, contrairement à celle fournie par les Occidentaux.
Par ailleurs, alors que le soutien de l’Occident promettait de s’étendre dans la durée, rien ne garantit que celui de la Russie soit aussi pérenne. Bamako rejette pourtant, non sans argument, l’idée d’être tombé dans une nouvelle forme de dépendance. Contrairement à l’opération française Barkhane, qui définissait ses propres objectifs au Sahel, les Russes appuient une stratégie définie et choisie par le Mali, comme en témoigne l’offensive sur Kidal. Par ailleurs, l’exemple de la République centrafricaine (RCA), où la Russie exerce une forte influence sur les autorités, est souvent brandi comme un avertissement face aux risques d’une dépendance excessive à l’égard de Moscou. Or, à l’inverse de la RCA, les paramilitaires russes n’occupent pas une place centrale dans le dispositif de sécurité rapprochée du président malien. Ils n’y ont pas non plus développé une économie parallèle aussi forte.
Le repositionnement contrarié d’une diplomatie souverainiste
Le tournant souverainiste a entraîné un repositionnement de la diplomatie malienne sur les scènes régionale et internationale. Les autorités de transition souhaitent en effet rompre avec la politique étrangère de leurs prédécesseurs, perçue comme une forme d’alignement étroit sur les intérêts occidentaux. Pour les promoteurs du souverainisme, il s’agit de replacer les intérêts du pays au cœur de la diplomatie pour recomposer les alliances et les partenariats. L’idée fait, cependant, l’objet d’interprétations différentes au sein des élites maliennes, entre ceux qui interprètent l’option souverainiste comme une nécessité de rupture avec l’Occident, et d’autres qui considèrent qu’il faut plutôt diversifier les partenariats.
En réalité, quelle que soit l’option retenue, les Maliens peinent à rester maîtres de leur repositionnement dans un monde de plus en plus polarisé. Le partenariat sécuritaire avec la Russie met en effet sous pression la diplomatie malienne dans un contexte international marqué par la guerre en Ukraine et la division du monde en deux blocs antagoniques. D’un côté, Moscou, en prêtant assistance à Bamako, encourage le Mali à s’aligner sur ses positions, notamment sur le dossier ukrainien, l’éloignant un peu plus de certains de ses partenaires occidentaux.
D’un autre côté, une partie des partenaires occidentaux avertissent Bamako qu’un tel rapprochement avec la Russie n’est pas compatible avec le maintien, à terme, d’une politique de collaboration. Sur ce dernier point, les pays occidentaux ne sont cependant pas unanimes. Certains, comme l’Espagne ou l’Italie, pensent qu’il faut maintenir les liens avec un pays dont la stabilité est centrale pour le futur de la région et qu’il ne faut pas abandonner le terrain malien à la seule influence russe. Mais un nombre grandissant de pays occidentaux optent pour une attitude moins conciliante.
Estimant que l’alliance avec la Russie mène Bamako dans une impasse dangereuse, ils ont suspendu leur aide budgétaire directe à l’État, réduit leur aide en matière de développement et, pour certains, fermé leur ambassade. En janvier 2024, le ministre suédois des Affaires étrangères justifiait ainsi la suspension de l’aide apportée par son pays : « Lorsque nous coopérons avec d’autres pays, nous voulons que ces pays veuillent également coopérer avec la Suède, mais la junte militaire du Mali se tourne plutôt vers la Russie ». Devenu un champ d’affrontement entre la Russie et l’Occident, le Mali peine à placer ses intérêts au cœur de sa propre diplomatie.
Alors que le pays aurait intérêt à établir des partenariats équilibrés sans choisir un bloc au détriment d’un autre, il est poussé, par un jeu de pressions opposées, à s’aligner de plus en plus sur les intérêts russes. Même si elles le nient, les autorités maliennes risquent aujourd’hui de passer d’une forme de dépendance diplomatique à une autre. Or ce repositionnement a d’importantes conséquences pour le Mali : si le pays y a peut-être gagné dans le domaine sécuritaire, en retrouvant une autonomie de choix, cela se fait au prix d’une réduction significative de l’assistance financière internationale et notamment occidentale (voir section D). Les autorités maliennes saisissent toutes les occasions pour démontrer qu’elles compensent la perte de soutiens occidentaux en forgeant de nouveaux partenariats.
Dès 2022, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, indiquait que « le Mali (continuait) de nouer des partenariats stratégiques et ne se (considérait) pas isolé ». De fait, la diplomatie malienne cherche à développer les partenariats qui la sortent de l’orbite occidentale, en forgeant de nouveaux accords ou en revigorant des liens anciens avec des pays aussi divers que le Rwanda, le Maroc, la Turquie ou l’Iran. En janvier 2024, le roi du Maroc, Mohamed VI, a ainsi proposé aux trois pays enclavés du Sahel central, dont le Mali, un accès stratégique à l’océan Atlantique pour développer leurs économies.
Le financement des infrastructures routières ou ferroviaires nécessaires à cette nouvelle connexion régionale des économies reste cependant très incertain. L’autre grand enjeu pour le Mali est la gestion de ses relations avec ses voisins immédiats ainsi qu’avec la Cedeao. De ce point de vue également, l’option souverainiste des autorités a profondément rebattu les cartes. Les tensions avec le bloc régional ouest-africain se sont en effet considérablement accrues depuis deux ans. En janvier 2022, la Cedeao a imposé des sanctions diplomatiques, économiques et commerciales contre le pays lorsque les autorités ont décidé de prolonger la transition sans organiser d’élection.
Dès 2022, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, indiquait que « le Mali (continuait) de nouer des partenariats stratégiques et ne se (considérait) pas isolé ». De fait, la diplomatie malienne cherche à développer les partenariats qui la sortent de l’orbite occidentale, en forgeant de nouveaux accords ou en revigorant des liens anciens avec des pays aussi divers que le Rwanda, le Maroc, la Turquie ou l’Iran.
En réponse, Bamako a multiplié les actes de défiance envers l’organisation. Après avoir créé l’AES en septembre 2023, le Mali a annoncé quelques mois plus tard son départ de la Cedeao. Sur le plan bilatéral, les relations se tendent également avec un certain nombre de membres du bloc, au risque d’atteindre un point de rupture. Les liens se sont ainsi particulièrement dégradés avec la Côte d’Ivoire, un pays influent de la région où réside une forte diaspora malienne.
Bamako estime que le président ivoirien, Alassane Ouattara, a joué un rôle prépondérant dans la décision de la Cedeao de sanctionner le Mali en 2022. Il lui reproche, en outre, sa proximité avec la France et l’Occident. Signe des tensions, les autorités maliennes ont arrêté, en juillet 2022, 49 militaires ivoiriens à l’aéroport de Bamako avant de les inculper pour « atteinte à la sécurité de l’Etat ». La plupart des militaires sont restés détenus au Mali jusqu’en décembre 2022. L’incident a été finalement résolu grâce à la médiation togolaise en décembre 2023, mais les relations entre Bamako et Abidjan restent tendues. Les rapports avec l’Algérie et la Mauritanie se sont aussi significativement détériorés à la suite de l’abrogation, voulue par Bamako, de l’accord de paix de 2015, dans lequel Alger et Nouakchott ont joué les médiateurs, et la reprise du conflit dans le nord du pays.
En outre, la poursuite des combats entre les Fama, appuyées par les combattants de Wagner, et les groupes rebelles du Cadre stratégique permanent (CSP) et les jihadistes du JNIM à Tinzawatène inquiète Alger. Irrité par la présence de combattants étrangers à sa frontière, le gouvernement algérien redoute les conséquences humanitaires d’un conflit se prolongeant dans le temps. La Mauritanie, qui abrite l’un des principaux camps de réfugiés maliens, s’alarme également de la multiplication des incidents sécuritaires à sa propre frontière. Bamako a tenté de désamorcer les tensions en envoyant, en avril 2024, une délégation de haut niveau auprès des autorités mauritaniennes, mais l’initiative a rencontré un succès limité. De son côté, le pouvoir malien s’agace de la présence de plusieurs responsables du CSP dans la capitale mauritanienne.
L’économie, talon d’Achille du tournant souverainiste ?
Au Mali, l’Etat est un acteur central de la vie économique. Il joue un rôle décisif dans la production des services de base et est le premier employeur dans l’économie formelle. Or, le tournant souverainiste des autorités a des répercussions importantes sur le budget de l’Etat, limitant sa capacité à conserver son rôle dans les domaines économique et financier. Les autorités de transition estiment que la souveraineté du Mali ne peut être effective sans sortir de ce qui est perçu comme une dépendance financière à l’égard des bailleurs de fonds occidentaux. Cette approche contribue à la forte dégradation des relations avec certains des partenaires du Mali, échaudés par son rapprochement avec la Russie.
D’un côté, les autorités refusent de recevoir tout soutien dont elles estiment qu’il ne respecte pas sa souveraineté. En 2023, le gouvernement a ainsi renoncé à une enveloppe budgétaire de 50 millions d’euros de l’Union européenne (UE), considérant que celle-ci n’était pas conforme aux principes guidant l’action publique définie par le président de la transition, Assimi Goïta, notamment quant à la capacité de l’Etat à définir lui-même les priorités d’utilisation de cette aide. D’un autre côté, les partenaires ont aussi réduit ou suspendu d’eux-mêmes leur assistance financière.
C’est souvent le cas de l’aide budgétaire directe, mais cela touche aussi les projets de développement qui, sans être contrôlés par l’Etat, permettent de maintenir à niveau des services publics importants, comme la santé ou l’éducation. En conséquence, la part de l’assistance internationale dans le budget de l’Etat malien a considérablement diminué au cours des dernières années. D’après les lois de finances du Mali, la part des prêts et des dons contribuant directement au budget de l’Etat atteignait environ 17 pour cent en 2017, la dernière année du premier mandat du président IBK, et dépassait même un pic à 29 pour cent en 2020, lorsqu’il a été renversé.99 Depuis, ils chutent de manière continue, s’élevant à moins de 13 pour cent en 2022, à moins de 5 pour cent en 2023, et ils ne devraient pas dépasser 4 pour cent en 2024.
Pourtant, les comptes publics continuent d’afficher une augmentation constante du budget général de l’Etat, suggérant que les pouvoirs publics maliens réussissent à compenser la baisse de l’assistance internationale.100 Selon les données du gouvernement, le déficit budgétaire de l’Etat malien reste par ailleurs quasi constant, s’établissant à 683 milliards de francs CFA en 2024 (1,13 milliard de dollars) contre 690 milliards de francs CFA en 2023 (1,14 milliard de dollars). Ces chiffres ne doivent pourtant pas faire illusion : l’Etat concentre de plus en plus ses moyens sur les dépenses de fonctionnement (essentiellement les salaires), au détriment des dépenses d’investissement qui permettent de faire tourner l’économie et d’offrir de meilleurs services aux populations.
En 2017, les dépenses ordinaires pour l’essentiel les dépenses de fonctionnement de l’Etat malien – et les dépenses d’investissement représentaient, respectivement, environ 55 pour cent et 45 cent du budget. En 2023, elles s’élevaient respectivement à 79 pour cent et à 21 pour cent, illustrant la forte baisse des capacités de l’Etat à investir dans le développement des services publics. Par ailleurs, confronté à ces nouvelles contraintes budgétaires et financières, Bamako peine à lever des fonds sur le marché régional. En 2023, alors que le Mali était à la recherche de 25 milliards de francs CFA (42,2 millions de dollars) dans le cadre de sa stratégie de gestion de la dette, le pays a dû faire face à la réticence des investisseurs sur le marché financier de l’UEMOA. Il n’a réussi a mobilisé que 9,5 milliards de francs CFA (16 millions de dollars), soit un taux de couverture de 38 pour cent, dont la majorité est d’ailleurs venue d’institutions bancaires maliennes.
Dans un entretien accordé à Jeune Afrique en septembre 2023, le président du patronat malien, Mossadeck Bally, reconnaissait que « le Mali [était] toujours boycotté sur le plan financier » et que « les relations bancaires [restaient] difficiles ». La décision récente du gouvernement de décaisser 200 milliards de francs CFA (331 millions de dollars) pour apurer la dette intérieure constitue un geste positif, mais elle reste insuffisante pour restaurer pleinement la confiance des investisseurs nationaux et attirer les capitaux étrangers. De manière générale, l’environnement économique malien s’est fortement dégradé et les incertitudes politiques inquiètent les potentiels investisseurs.
L’instabilité politique et sécuritaire du pays génère des conditions d’emprunt défavorables, le Mali faisant face à des taux d’intérêt de 8 à 10 pour cent, contre une moyenne régionale de 6 à 7 pour cent.106 Le service de la dette, qui a déjà atteint 233 milliards de francs CFA (387 millions de dollars) dans le budget 2024, soit une augmentation de 11,6 pour cent par rapport à 2023, pourrait grever davantage les recettes de l’Etat. La récente détention de représentants britanniques d’une compagnie minière australienne visant à les forcer à verser des arriérés de taxes contestés n’a pas non plus arrangé le climat des affaires. Si les autorités maliennes ont sans doute raison de renégocier les termes des contrats qui les lient aux grandes sociétés internationales, l’usage de méthodes aussi brutales pourrait se retourner contre l’Etat et faire fuir les investisseurs.
L’instabilité politique et sécuritaire du pays génère des conditions d’emprunt défavorables, le Mali faisant face à des taux d’intérêt de 8 à 10 pour cent, contre une moyenne régionale de 6 à 7 pour cent.106 Le service de la dette, qui a déjà atteint 233 milliards de francs CFA (387 millions de dollars) dans le budget 2024, soit une augmentation de 11,6 pour cent par rapport à 2023, pourrait grever davantage les recettes de l’Etat
Les difficultés financières de l’Etat malien ont un impact dans certains domaines stratégiques comme l’énergie. Depuis plusieurs mois, le gouvernement ne parvient pas à résoudre les perturbations qui touchent l’approvisionnement en électricité à travers le pays, en particulier à Bamako. L’interruption de l’aide budgétaire et le ralentissement des financements internationaux ont gravement entravé la capacité du pays à importer des combustibles et à entretenir ses installations électriques.
Les tensions avec la Côte d’Ivoire, un important fournisseur régional d’électricité, ont encore aggravé les choses. Cette situation affecte la vie quotidienne des Maliens et les activités économiques. Soumises à des coûts énergétiques élevés et à de fréquentes coupures de courant, les entreprises voient leur compétitivité diminuer. La crise a aussi des répercussions sur d’autres secteurs sociaux : les écoles, déjà confrontées à d’importantes difficultés, et les infrastructures sanitaires sont durement touchées. La décision de Bamako de quitter la Cedeao pourrait compliquer les échanges commerciaux du Mali avec le reste de la région. Par ailleurs, les autorités investissent de façon prioritaire dans les domaines de la défense et de la sécurité intérieure, bien plus que dans les secteurs sociaux comme l’éducation et la santé.
Entre 2020 et 2024, le budget du ministère de la Défense a augmenté de 38 cent, dépassant celui de l’Education qui s’est tout de même accru de 29 pour cent sur la période. Dans le même temps, le budget du ministère de la Sécurité intérieure a, lui, progressé de plus de 80 pour cent. Si l’investissement dans la défense et la sécurité était déjà élevé sous IBK, il semble que la tendance s’accentue avec les autorités actuelles, au détriment d’autres secteurs comme la santé. Ainsi entre 2020 et 2024, le budget du ministère de la Santé n’a augmenté que de 8 pour cent, près de quatre fois moins que celui de la Défense.
Ajuster la trajectoire
Les autorités maliennes ne doivent pas se méprendre sur la nature réelle des aspirations souverainistes de leur population. Si la rupture avec certains partenaires extérieurs jugés inefficaces a servi d’élément mobilisateur, elle ne suffit pas à répondre à l’ensemble des besoins des Maliens. Dans un tel contexte, le soutien populaire pourrait s’effriter aussi rapidement qu’il est apparu si le régime ne parvient ni à pacifier le pays, ni à fournir les services de base à une population en demande, ni enfin à relancer une économie largement en panne. Le régime pourrait alors se retrouver dans une impasse à la fois sécuritaire et socio-économique. Pour relever ces défis, les autorités maliennes devraient considérer une version rééquilibrée du virage souverainiste initié il y a trois ans.
La nomination en novembre 2024 du général Abdoulaye Maïga, ancien ministre de l’Administration territoriale, au poste de Premier ministre, en lieu et place de Choguel Maïga, pourrait être l’occasion d’un tel réajustement. Celui-ci pourrait passer par l’adoption de trois grandes mesures correctives : un effort d’investissement dans les secteurs sociaux longtemps éclipsés par les dépenses militaires, la relance des partenariats financiers extérieurs, y compris avec les organismes financiers multilatéraux et les Etats occidentaux pour permettre à l’Etat de retrouver ses capacités d’investissement, et la promotion d’une vision inclusive du souverainisme, passant par un renforcement de la cohésion sociale et un véritable dialogue politique inter malien.
Rééquilibrer les dépenses sociales et les budgets militaires
Les autorités devraient rééquilibrer les dépenses publiques au profit des secteurs sociaux essentiels. Pour cela, il leur faut corriger la priorité excessive actuellement accordée aux dépenses dans le secteur de la défense. Il ne s’agit pas d’arrêter les investissements dans ce domaine, alors que la situation sécuritaire continue de se dégrader, mais de procéder à des ajustements. Cela fait plus de dix ans que l’Etat malien privilégie les dépenses de défense et de sécurité. Initiée sous le président IBK, cette tendance n’a fait que se renforcer ces trois dernières années sous l’influence du général Assimi Goïta.
Les autorités devraient reconnaître que cette situation engendre de graves difficultés matérielles pour la population et engager un plan d’investissement national dans au moins deux domaines prioritaires : l’éducation et la santé. A court terme, Bamako devrait également chercher les moyens de relancer une économie en souffrance en raison de la crise énergétique et de la baisse des investissements. L’augmentation des dépenses sociales et la revitalisation du tissu économique seront difficiles à accomplir sans d’autres coupes budgétaires.
Outre le besoin de rationaliser les dépenses, en réduisant notamment le train de vie de l’Etat et en luttant efficacement contre la corruption, il faudrait garantir de meilleures conditions d’accès aux marchés financiers. Or, cet accès dépend en partie de l’état des relations que Bamako entretient avec les organismes financiers multilatéraux, notamment la Banque mondiale et le FMI. Il dépend aussi de la capacité des autorités maliennes à rassurer les milieux d’affaires maliens. Sur ce point, les mesures économiques comme l’apurement de la dette publique sont encourageantes mais insuffisantes.
Outre le besoin de rationaliser les dépenses, en réduisant notamment le train de vie de l’Etat et en luttant efficacement contre la corruption, il faudrait garantir de meilleures conditions d’accès aux marchés financiers.
Les autorités doivent aussi poser des gestes politiques pour réduire l’incertitude, en s’engageant notamment à respecter un calendrier électoral. Le retour à l’ordre constitutionnel pourrait grandement relancer la confiance du monde des affaires et du secteur privé envers le Mali. En renouant avec le fonctionnement normal des institutions politiques, il ne s’agit pas ici de répondre aux injonctions des acteurs internationaux mais plutôt de rassurer les secteurs économique et financier et, plus largement, tous les Maliens. En l’absence d’améliorations significatives dans les secteurs sociaux et d’une relance de l’activité économique, le discours souverainiste risque de se réduire à une simple incantation, un « changement sans changement » dont les populations finissent immanquablement par se lasser.
Renouer avec les voisins et les anciens alliés occidentaux
Les grands plans d’investissement nécessaires au développement du Mali ne sont pas réalisables sans des ressources à la hauteur des ambitions et des besoins. Renouer avec les partenaires occidentaux ne signifie pas pour autant replonger dans la dépendance et aller à rebours de la souveraineté du pays. Une partie des partenaires a accepté le choix des autorités de composer avec de nouveaux alliés en matière de sécurité. Même s’ils le déplorent, ils sont prêts à soutenir l’Etat malien dans d’autres domaines essentiels, du moment que cette aide ne soit pas mise au service d’une politique répressive ou liberticide. Le gouvernement du Mali sera jugé sur ses actes : si les troupes maliennes se livrent à des exactions contre les civils ou si les autorités répriment brutalement toute forme d’opposition politique, les partenaires internationaux, et tout particulièrement occidentaux, pourraient tirer les conclusions qui s’imposent quant à leur niveau de soutien à ce gouvernement.
En somme, il s’agit pour Bamako d’adopter une approche plus équilibrée dans ses relations avec les partenaires extérieurs, s’inspirant de celle du non-alignement des années 1960. Cette position permettrait au Mali de rendre compatibles les différents partenariats en cumulant leurs avantages respectifs et en conjuguant souverainisme sécuritaire et partenariats dans les domaines socioéconomiques. Les autorités maliennes ont maintenu de bonnes relations avec certains pays de la Cedeao comme le Sénégal, mais elles devraient également s’attacher à améliorer les liens avec d’autres voisins immédiats, en particulier la Côte d’Ivoire (également membre de la Cedeao) et l’Algérie. Après une décennie qui a vu les partenaires de Bamako souvent négliger la souveraineté des décisions maliennes, les autorités actuelles ont fait passer le message, parfois de manière très brusque, qu’une telle attitude ne serait plus acceptée.
Le message a été entendu, il faut désormais reconstruire des liens régionaux sur la base de partenariats assainis. Les pays de la sous-région ont trop d’intérêts en commun, à commencer par la lutte contre les insurrections jihadistes, pour risquer le piège de l’isolement ou jouer les uns contre les autres. De leur côté, les partenaires extérieurs, principalement occidentaux, ont également un rôle à jouer pour permettre aux autorités de corriger la trajectoire de la transition. Tout d’abord, ils ne devraient pas sous-estimer l’aspiration au souverainisme, qui n’est pas qu’un stratagème pour conserver le pouvoir mais qui traduit aussi un profond désir de renouveau parmi la population malienne.
Ensuite, les partenaires doivent apprendre à composer avec le discours souverainiste en prenant garde d’éviter les approches paternalistes ou donneuses de leçon que les Maliens leur reprochent. Cela est d’autant plus nécessaire que ce virage est lié à un passé mal digéré, marqué, notamment, par les traumatismes de l’époque coloniale. Plutôt que de rejeter frontalement le tournant souverainiste, les partenaires extérieurs du Mali, les Occidentaux en particulier, devraient chercher à identifier de possibles convergences d’intérêts et à rendre leurs interventions compatibles avec une version plus inclusive et pacifiée du souverainisme. En suivant une telle approche, les partenaires occidentaux pourraient ainsi continuer à être écoutés par Bamako sans abandonner les principes essentiels sur lesquels ils veulent appuyer leurs partenariats, notamment en matière de gouvernance et de respect des droits humains. Le Sahel joue un rôle important dans la stabilité de la région ouest-africaine, la gestion des routes migratoires ou encore le contrôle des effets du changement climatique.
Développer une version plus inclusive du souverainisme et lancer un véritable dialogue
Plutôt que de creuser les divisions entre les Maliens, le discours souverainiste devrait enfin favoriser l’unité nationale. Jusqu’à présent, les autorités ont fermé les yeux sur certaines dérives de leurs partisans, notamment la propagation de fausses informations ou de discours de haine contre leurs adversaires et opposants. Pourtant, elles devraient se démarquer plus nettement de ces dérives qui présentent un risque élevé pour la cohésion sociale.
De même, le dialogue intermalien, que les autorités ont promu en mai 2024, restera un vœu pieu s’il ne s’accompagne pas de propositions concrètes en direction des forces politiques classiques et d’une main tendue envers les groupes politico-militaires du nord du pays. Or, depuis la fin du dispositif qui accompagnait l’accord de paix d’Alger, les autorités sont désormais pleinement décisionnaires en matière de réconciliation, et elles ont la responsabilité de prendre des initiatives. Elles devraient adopter une approche inclusive, seule à même de rassembler les Maliens, de promouvoir la paix et de contribuer au développement durable du pays.
De manière concrète, les autorités de transition doivent saisir l’opportunité de l’élaboration d’une charte pour la paix, l’une des recommandations issues du dialogue intermalien de mai 2024, pour apaiser le climat politique et relancer des pourparlers avec les forces belligérantes. Certes, la perspective d’une offre de dialogue ambitieuse semble incertaine dans le contexte actuel, les parties ayant tant abusé ces dernières années de la rhétorique martiale qu’il leur est difficile d’en sortir sans perdre la face. Pourtant, après douze années de crise, et l’intervention d’alliés militaires aussi divers que la France et la Russie, les insurgés n’ont pas été vaincus sur le terrain militaire.
De manière concrète, les autorités de transition doivent saisir l’opportunité de l’élaboration d’une charte pour la paix, l’une des recommandations issues du dialogue intermalien de mai 2024, pour apaiser le climat politique et relancer des pourparlers avec les forces belligérantes
Cela prouve qu’il n’y a pas d’autres issues viables que celle d’un dialogue politique direct entre le plus grand nombre de belligérants. Cette ambition peut se réaliser si les différentes parties en expriment publiquement la volonté. Des signes timides existent. En septembre 2024, un conseiller militaire d’Assimi Goïta a reconnu que la crise ne pouvait prendre fin en usant des seuls moyens militaires. Un mois plus tard, dans un entretien accordé au journaliste Wassim Nasr, spécialiste des groupes jihadistes, le chef de la Katiba Macina, Hamadoun Kouffa, rappelait que son organisation était ouverte au dialogue, à condition que celui-ci se tienne dans le respect de la Charia.
Celle-ci recouvre tant de dimensions de la vie humaine et fait l’objet de tellement d’interprétations différentes que, loin de fermer des portes, la référence à la loi islamique ouvre en réalité des perspectives de négociation sur des sujets aussi divers que la gouvernance, l’éducation ou la justice. Le Premier ministre d’alors Choguel Maïga démis de ses fonctions pour d’autres raisons en novembre 2024 avait rapidement réagi à cette sortie de Kouffa, se déclarant opposé à tout dialogue qui ne serait pas précédé d’un affaiblissement préalable des groupes jihadistes. Ce processus peut aussi réussir si, contrairement aux années 2010, il est entièrement piloté par des Maliens d’opinions et d’origines diverses. Les partenaires régionaux et internationaux peuvent soutenir cette dynamique, mais ils doivent veiller à être davantage à l’écoute, à ne pas imposer de solutions et à accompagner les initiatives locales.
Aux yeux d’une partie de la population malienne interrogée par Crisis Group, la plus grande victoire du souverainisme serait de parvenir à faire les compromis nécessaires pour ramener la paix dans le pays. Le gouvernement a une responsabilité majeure à cet égard, et devrait prendre l’initiative, en consultation avec ses adversaires, de constituer une équipe de médiateurs maliens diverse et crédible afin de lancer cette démarche. A court terme, une amélioration de la situation sécuritaire permettra également de réduire les besoins en ressources pour ce secteur. A mesure que cette discussion prendra forme et que la perspective d’un dialogue politique s’ouvrira, les belligérants pourraient s’entendre sur la mise en place de cessez-le-feu, d’abord localisés pour que l’équipe de médiateurs puisse circuler dans les différentes régions du pays, puis plus généralisés afin que le dialogue véritable puisse commencer.