Bah Traoré
Les premiers 100 jours de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal ont été marqués par des initiatives ambitieuses qui visent à réaliser les promesses de campagne et instaurer un climat de confiance au sein de la population et à renforcer la position du Sénégal sur le plan régional et continental.
L’élection de Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour de la dernière présidentielle avec 54,28% des voix a marqué un tournant significatif dans l’histoire politique du Sénégal, suscitant de grandes attentes parmi une population désireuse de changement et de réformes profondes. En tant que « candidat anti-système », il a représenté un espoir considérable pour une jeunesse confrontée à des défis majeurs comme l’immigration et le chômage. Malgré les tensions précédant le scrutin, le processus électoral s’est globalement déroulé dans un climat pacifique après un report initial par le président sortant Macky Sall.
Le nouveau président sénégalais, a nommé Ousmane Sonko au poste de Premier ministre quelques heures après son investiture le 2 avril 2024. Cette nomination n’était point une surprise, car Ousmane Sonko a été une figure clé dans l’élection de Bassirou Diomaye Faye. Les deux hommes ont fait campagne ensemble sous la même bannière “Diomaye mooy Sonko”, (Diomaye c’est Sonko).
La nomination d’Ousmane Sonko revêt une grande importance politique. Elle démontre clairement la volonté de Faye de s’entourer de collaborateurs de confiance afin de mettre en œuvre efficacement le projet de rupture du parti les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) et révèle une convergence significative dans leurs visions politiques et idéologiques.
Ousmane Sonko bénéficie d’un soutien populaire et d’une influence importante auprès des jeunes au Sénégal. Bien qu’il joue un rôle central dans la conduite de la politique gouvernementale, le président Faye se distingue sur la scène diplomatique. Cette division des responsabilités semble fonctionner jusqu’à présent, confirmant une certaine proximité entre les deux hommes. Cependant, certains s’inquiètent des risques de dualité au sommet.
Certaines Sénégalaises ont critiqué vivement la faible représentation des femmes dans le nouveau gouvernement formé par le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko. Sur les 25 ministres et 5 secrétaires d’État nommés, seulement 4 sont des femmes, soit un taux de 13,3 %, en baisse par rapport aux 18 % du précédent gouvernement.
Cette sous-représentation des femmes dans les instances de décision est dénoncée avec force, malgré l’adoption de la loi sur la parité en 2010, qui vise à garantir une représentation équitable. . Un collectif de féministes s’est mobilisé pour exprimer son “désenchantement” et a publié une déclaration qui a recueilli plus de 1200 signatures. Le mouvement a également lancé un manifeste le 4 mai 2024 pour porter ce message au gouvernement, soulignant l’importance d’une représentation équitable des femmes dans la gouvernance du pays. Pour marquer ses premiers mois à la tête du pays, le président Bassirou Diomaye Faye a tenu son premier grand entretien avec la presse sénégalaise.
La nomination d’Ousmane Sonko revêt une grande importance politique. Elle démontre clairement la volonté de Faye de s’entourer de collaborateurs de confiance afin de mettre en œuvre efficacement le projet de rupture du parti les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) et révèle une convergence significative dans leurs visions politiques et idéologiques
Cet échange a permis au président Faye d’afficher une volonté de transparence dans la gestion publique, une approche pragmatique sur les relations extérieures et une ambition de jouer un rôle de facilitateur régional dans la crise qui oppose la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel.
Les premières mesures de Bassirou Diomaye Faye
Les premiers mois de la présidence de Bassirou Diomaye Faye au Sénégal ont été marqués par une série de mesures et une volonté manifeste de réformes. Face à un contexte économique et social tendu, Faye a mis en avant la lutte contre la corruption, la réforme du système judiciaire, et des mesures économiques pour atténuer la cherté de la vie.
Il a ordonné des audits dans des secteurs stratégiques tels que les hydrocarbures, les mines, et les finances publiques des ministères et la publication des rapports de ces dernières années des institutions de contrôle comme la Cour des comptes, l’Office national de lutte contre la corruption (OFNAC) et l’Inspection générale de l’État.
Ces audits visent à renforcer la transparence et à garantir une gestion plus rigoureuse des ressources publiques. Bien que saluées pour leur ambition, ces initiatives n’ont pas encore produit de résultats concrets, suscitant des doutes quant à leur efficacité à long terme.
Sur le plan économique, la présidence de Faye s’est confrontée à la problématique de la cherté de la vie, un défi majeur pour une grande partie des Sénégalais. Il a ainsi pris des mesures pour réduire les prix de certaines denrées alimentaires de première nécessité. Bien que ces mesures aient été bien accueillies favorablement, elles sont largement jugées insuffisantes face à la persistance de la cherté de la vie et le coût élevé de l’accès à un logement.
Il est nécessaire de mettre en place des politiques plus structurelles pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages, telles que la création d’emplois et l’amélioration des conditions de travail. La réforme judiciaire est un autre pilier central du programme de Bassirou Diomaye Faye. En organisant les assises de la justice, son administration a cherché à recueillir des recommandations pour améliorer en profondeur le système judiciaire afin de le rendre plus accessible et équitable à tous les citoyens, d’améliorer les conditions de détention et décongestionner les lieux de détention et « d’africaniser » les symboles et les valeurs de la justice.
Parmi les projets phares figurent la loi sur la protection des lanceurs d’alerte et la création d’une commission pour indemniser les victimes des manifestations entre 2021 et 2024, décision annoncée lors du conseil des ministres du 24 avril 2024.
Sous la présidence de Bassirou Diomaye Faye, le Sénégal a amorcé la fin du cumul des fonctions pour les ministres, une mesure visant à renforcer la gouvernance et la transparence politique. Le Premier ministre Ousmane Sonko et plusieurs ministres ont démissionné de leurs mandats électifs, comme la mairie de Ziguinchor pour Sonko, afin de se consacrer pleinement à leurs fonctions gouvernementales. Cette décision, prise sur instruction du président, marque une rupture avec les pratiques passées et envoie le signal d’un nouveau style de gestion des affaires publiques.
La présidence de Bassirou Diomaye Faye est confrontée à des défis considérables. Bien qu’il ait promis de résoudre l’équation du chômage endémique des jeunes, cette problématique demeure un défi majeur nécessitant des politiques d’emploi plus robustes et innovantes. Malgré l’espoir suscité par l’arrivée au pouvoir du président Faye, l’immigration des jeunes sénégalais ne s’est pas tarie pour autant. Le Sénégal reste à la fois un pays de départ, avec de nombreux jeunes tentant la traversée périlleuse vers l’Europe, mais aussi un pays de transit pour les migrants d’Afrique subsaharienne.
Cependant, les premiers mois de Faye à la présidence montrent une volonté de changement et de réformes. La lutte contre la corruption, bien que lente, est un pas dans la bonne direction. Les mesures économiques, bien que jugées insuffisantes, montrent une prise de conscience des défis auxquels sont confrontés les citoyens. La réforme judiciaire, est une initiative essentielle pour instaurer une justice équitable et renforcer la démocratie.
Les premiers pas de Diomaye Faye sur la scène internationale
Depuis son accession à la présidence, Bassirou Diomaye Faye a cherché à positionner le Sénégal comme un acteur clé sur la scène africaine, en particulier en Afrique de l’Ouest. Le président Bassirou Diomaye Faye a renommé le ministère des Affaires étrangères en “ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères”. Cette décision s’inscrit dans sa volonté de donner une orientation plus « africaniste » à la politique étrangère sénégalaise, conformément à son programme électoral.
Bassirou Diomaye Faye a fait de la consolidation des relations avec les pays voisins et de la région une priorité dès le début de son mandat. Il a effectué des visites officielles au Mali, au Burkina Faso, en Gambie, en Mauritanie, au Nigeria, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Ces déplacements visent à consolider les liens régionaux et à promouvoir une coopération accrue au sein de la CEDEAO soulignant l’importance des enjeux régionaux pour le Sénégal.
Malgré l’espoir suscité par l’arrivée au pouvoir du président Faye, l’immigration des jeunes sénégalais ne s’est pas tarie pour autant. Le Sénégal reste à la fois un pays de départ, avec de nombreux jeunes tentant la traversée périlleuse vers l’Europe, mais aussi un pays de transit pour les migrants d’Afrique subsaharienne
Ses initiatives reflètent une vision ambitieuse de leadership régional et une volonté de renforcer les relations bilatérales et multilatérales. L’une des initiatives marquantes de Faye est son appel à des réformes au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) lors de son discours d’investiture. Il vise à solidifier les fondations de l’organisation tout en rectifiant ses imperfections.
Cette démarche est cruciale dans un contexte de tensions régionales et de désintégration après le retrait annoncé des trois pays du Sahel central (Mali, Niger et Burkina Faso). Sa politique étrangère met l’Afrique au cœur de sa stratégie, visant à promouvoir l’intégration régionale et à traiter des questions sécuritaires et économiques d’intérêt commun.
Lors du dernier sommet de la CEDEAO tenu à Abuja le 07 juillet , Faye a été mandaté, aux côtés du président togolais Faure Gnassingbé, pour être le facilitateur entre les dirigeants de l’Alliance des États du Sahel et l’organisation communautaire qui veut les voir rester en son sein. Cette mission reflète la reconnaissance par ses pairs de sa volonté exprimée et de ses actions dans ce sens.
Il pourrait jouer un rôle dans ce sens au regard du sentiment favorable dont il jouit auprès des dirigeants des pays de l’AES en opposition aux autres Chefs d’État de la CEDEAO, qui sont souvent perçus comme les principaux auteurs des sanctions contre le Mali en 2022 et le Niger en 2023 allant même jusqu’à menacer d’une intervention militaire. Bien que les chances de succès à court terme soient incertaines, Faye n’exclut pas la possibilité de trouver des moyens de collaboration ou de coopération avec ces pays.
Son premier déplacement hors du continent était en France à l’occasion du Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinale où il a rencontré le président français Emmanuel Macron. La rencontre entre les deux présidents a permis de réaffirmer la volonté des deux pays de donner une nouvelle impulsion aux relations franco-sénégalaises.
Le président Bassirou Diomaye Faye a renommé le ministère des Affaires étrangères en “ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères”. Cette décision s’inscrit dans sa volonté de donner une orientation plus « africaniste » à la politique étrangère sénégalaise, conformément à son programme électoral
Cependant, des sujets de discorde persistent, notamment la présence militaire française au Sénégal, avec environ 350 soldats actuellement stationnés dans le pays, et la question du franc CFA. Lors de son entretien avec la presse sénégalaise, le président Faye a affirmé ne pas vouloir d’une rupture brutale. Il n’a pas évoqué de date précise pour la fermeture des bases militaires françaises, optant pour une approche prudente et pragmatique, favorisant la discussion et la négociation plutôt que des ruptures unilatérales.
Par le passé, Diomaye Faye s’était montré critique envers ce qu’il considérait comme une collaboration inégale entre la France et le Sénégal. Cela semble marquer une volonté de sa part d’adopter une position plus équilibrée et diplomatique, cherchant à renforcer les liens tout en abordant les points de divergence avec tact et diplomatie.
Bien que les initiatives diplomatiques de Faye montrent une volonté claire de positionner le Sénégal comme un acteur majeur dans la région et sur la scène internationale, elles doivent encore démontrer des résultats concrets en termes de développement économique et de stabilité régionale. Les attentes sont élevées, et la mise en œuvre effective des politiques annoncées sera cruciale pour assurer la crédibilité et le succès de son mandat.
La récente nomination du professeur Abdoulaye Bathily comme envoyé spécial par le président Bassirou Diomaye Faye confirme la volonté du président de s’entourer de collaborateurs expérimentés pour mener à bien ses objectifs diplomatiques. Bathily, avec son expérience en diplomatie et en résolution des conflits, est bien positionné pour aider le président Faye à relever les défis sécuritaires et politiques de l’Afrique de l’Ouest. Il a occupé divers postes ministériels au Sénégal et a travaillé pour les Nations Unies, notamment en tant que Représentant spécial pour la Libye et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL). Cette décision s’inscrit dans une vision plus large de Faye de promouvoir la paix et la stabilité régionales, tout en consolidant le leadership du Sénégal au sein de la CEDEAO et de l’Union africaine.
Crédit photo: Setal.net
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.