Petit pays d’Afrique de l’Est aux douze millions d’habitants, le Rwanda fait souvent parler de lui. Loin d’être une page tournée de l’histoire, le génocide de 1994 et les secrets politiques qui l’entourent ressurgissent sans cesse dans l’actualité. La France refuse par exemple d’ouvrir ses archives (http://bit.ly/2gNzg52) puisque celles-ci risqueraient de compromettre l’image « positive » de l’opération Turquoise et de la forcer à reconnaître son soutien au régime extrémiste hutu.
Paul Kagame, président charismatique très apprécié de la population et réélu en 2017 avec 98,6% des voix, est souvent critiqué par la presse internationale et la plupart des organisations de défense des droits humains pour ses manquements démocratiques (source). Il faut aller au Rwanda pour comprendre l’engouement autour de Kagame. Il est l’homme qui incarne la fin du génocide et le renouveau rwandais. Toutes les personnes avec qui j’ai discuté ont voté pour lui et étaient favorables au référendum lui permettant de modifier la Constitution pour se faire réélire.
Il faut aller au Rwanda pour comprendre l’engouement autour de Kagame. Il est l’homme qui incarne la fin du génocide et le renouveau rwandais
Une unité nationale récente…
Lorsque je suis arrivée à Kigali, la campagne électorale battait son plein. Les autres candidats, impopulaires et méconnus de la population, avaient tout à fait le droit de s’exprimer à la télévision et d’organiser des cortèges dans les rues. Il faut tout de même préciser que le Front patriotique rwandais (FPR), le parti de Kagame, s’était accaparé tous les grands panneaux publicitaires et avait redécoré toutes les villes avec des rubans et des banderoles à ses couleurs : bleu, blanc et rouge.
Les Rwandais sont lucides sur Kagame. Ils reconnaissent son côté autoritaire et évoquent son implication dans les différents conflits en République Démocratique du Congo. Cependant, il est l’homme qui a mis en place une ambitieuse politique d’unité nationale et de réconciliation. Vingt-trois ans après la fin du génocide, on ne parle plus de Hutus et de Tutsis : on parle du peuple rwandais uni et on arbore fièrement les couleurs du drapeau un peu partout.
Vingt-trois ans après la fin du génocide, on ne parle plus de Hutus et de Tutsis : on parle du peuple rwandais uni et on arbore fièrement les couleurs du drapeau un peu partout
Cette incroyable réussite paraissait improbable au vu de l’horreur de la guerre qui a causé la mort de 800 000 personnes. Peu souvent évoqué et étudié, le génocide concerne pratiquement toute la population rwandaise. Il faut voir comment un Rwandais vous énonce calmement tous les membres de sa famille ou les amis qu’il a perdus. Les tueries étaient tout simplement inhumaines, puisant abondamment dans les stéréotypes véhiculés sur les Tutsis. Réputés pour avoir le front long, on utilisait la machette pour réduire la taille de leur crâne et les amputer de tous leurs membres. Les viols étaient monnaie courante et on obligeait les enfants à assister à toutes ces scènes de torture.
L’ennemi était à tel point déshumanisé que les tueurs n’ont pas hésité à massacrer des hommes, des femmes et des enfants réfugiés dans des églises. Le mémorial du génocide insiste bien sur l’idée que les futures victimes n’étaient plus considérées comme des humains. La haine s’est répandue au sein de toute la population et des amis de longue date n’ont pas hésité à s’entretuer.
Après une implication majeure de la population dans ce meurtre de masse, il a fallu trouver des moyens pour pacifier la société et unir à nouveau les citoyens. L’un des meilleurs moyens a été de recourir à l’histoire
Après une implication majeure de la population dans ce meurtre de masse, il a fallu trouver des moyens pour pacifier la société et unir à nouveau les citoyens. L’un des meilleurs moyens a été de recourir à l’histoire. En effet, les Hutus et les Tutsis n’étaient pas des ethnies à proprement parler. Ils constituaient des classes sociales : les Tutsis étaient riches car ils possédaient le bétail, tandis que les Hutus se consacraient à l’agriculture. Une troisième catégorie sociale était celle des potiers, appelée les Twas. Ces catégories n’étaient pas définitives : on pouvait devenir un Tutsi si l’on s’enrichissait.
Les colons allemands et belges en ont décidé autrement. Ils ont déclaré la supériorité ethnique du Tutsi et ont mis en place une carte d’identité afin de différencier les Hutus des Tutsis. Ironie de l’histoire, c’est cette même carte qui servira plus tard à identifier plus rapidement les Tutsis pour les massacrer. Le peuple rwandais était un peuple uni par la même langue avant la colonisation européenne : tel est le principal message véhiculé par le mémorial. Lors des commémorations, on continue d’insister lourdement sur l’unité du peuple rwandais et l’on condamne tout discours « divisionniste ».
Le peuple rwandais était un peuple uni par la même langue avant la colonisation européenne : tel est le principal message véhiculé par le mémorial
Les tribunaux traditionnels, les gacaca, ont également joué un rôle prépondérant dans l’après génocide. Ils ont permis une justice efficace et rapide, avec des tribunaux rassemblant des génocidaires et des survivants. Près d’une décennie après le conflit, 130 000 prisonniers attendaient toujours d’être jugés. En utilisant cette justice populaire, les tribunaux ont pu rendre des comptes rapidement et prononcer des sentences pouvant aller jusqu’à trente ans d’emprisonnement.
Certains critiquent parfois le caractère « forcé » de cette unité à tout prix. Un Rwandais ne peut plus se définir comme un Tutsi ou un Hutu : il est Rwandais, un point c’est tout. Il m’est difficile de juger avec un regard objectif le caractère autoritaire de cette unité nationale. Il n’empêche que beaucoup de Rwandais ont réussi à pardonner et réussissent à cohabiter au quotidien avec les assassins ou avec les personnes qui avaient dénoncé leur famille aux génocidaires.
Le peuple rwandais était un peuple uni par la même langue avant la colonisation européenne : tel est le principal message véhiculé par le mémorial
La plupart des civils coupables de meurtres sont désormais libres et il faut continuer à aller dans le sens du pardon pour maintenir cette paix qui peut se fragiliser à tout instant. Il est important de ne pas oublier l’histoire et de continuer à se battre pour que la vérité soit faite en ouvrant toutes les archives et en entendant les protagonistes majeurs du génocide.
… renforcée par une économie très dynamique
Le Rwanda a toutefois réussi à se reconstruire et fait figure de modèle économique, avec une croissance moyenne de 7,9% par an entre 2000 et 2015. L’Organisation des Nations Unies a déclaré Kigali comme « la ville la plus propre d’Afrique » en 2016 et comme la « meilleure capitale africaine » en 2017 : le confort de vie y est très élevé, se rapprochant de celui des grandes villes internationales telles que New York (source).
En sortant de l’aéroport de Kigali, on est effectivement frappé par la propreté et la modernité des infrastructures. En effet, rien n’est laissé au hasard : les routes sont neuves, les espaces verts soignés, l’éclairage public fonctionne correctement et le trafic est réglementé. Certes, il existe encore quelques petites routes de terre, mais elles sont de plus en plus rares et les travaux se poursuivent en permanence. De nombreux efforts ont également été faits pour réduire la très grande pauvreté et permettre à tout le monde d’avoir accès aux soins de santé : près de 90% de la population bénéficie d’une couverture médicale et plus de 97% des enfants sont vaccinés contre les maladies telles que les hépatites ou la poliomyélite (source).
L’Organisation des Nations Unies a déclaré Kigali comme « la ville la plus propre d’Afrique » en 2016 et comme la « meilleure capitale africaine » en 2017 : le confort de vie y est très élevé, se rapprochant de celui des grandes villes internationales telles que New York
Les efforts ne se limitent pas seulement à la capitale, même si c’est à Kigali qu’ils se remarquent le plus. J’ai eu la chance de pouvoir me rendre à de nombreuses reprises dans la campagne rwandaise et dans d’autres villes comme Ruhengeri, la deuxième ville la plus importante du Rwanda, ou encore à Gisenyi, ville frontalière de la République du Congo. Toutes les villes disposent d’un réseau routier récent et bien entretenu et la propreté y est exemplaire.
Dans chaque rue, des poubelles sont à disposition des riverains et de grands panneaux « Keep Kigali clean » bordent les avenues. Nul ne s’aviserait de jeter un déchet sur la voie ou de dégrader un bien public, car ces délits sont toujours punis par la loi. La police, très respectée par la population, veille à l’ordre public. Une lutte efficace contre la corruption a été menée, rendant impossible toute tentative de négociation avec un agent des forces de l’ordre après une infraction.
Si les villes ont un aspect de plus en plus moderne et voient une classe moyenne émerger petit à petit, il ne faut pas oublier qu’une partie importante de la population reste pauvre. Les emplois non qualifiés apportent de très maigres salaires et beaucoup de jeunes non diplômés doivent vivre avec 100 ou 200 dollars par mois, parfois même moins. La vie à Kigali étant de plus en plus chère, il est difficile de s’installer seul même en ayant un emploi. Les jeunes avec qui j’ai eu l’occasion de discuter m’ont toutefois expliqué qu’un diplôme universitaire ouvre plus facilement la voie à des postes mieux rémunérés. L’investissement gouvernemental dans l’enseignement secondaire et supérieur est l’une des clés qui explique l’émergence de la classe moyenne.
Si les villes ont un aspect de plus en plus moderne et voient une classe moyenne émerger petit à petit, il ne faut pas oublier qu’une partie importante de la population reste pauvre
Dans la campagne, de nombreux progrès sont encore à faire. Tous les villages que j’ai pu visiter ont accès à l’électricité et à l’eau, même si toutes les maisons ne sont pas reliées au réseau électrique. Des postes de santé émergent dans toutes les communes et les cliniques mobiles se développent rapidement. La population reste néanmoins très pauvre et a moins de chance d’envoyer ses enfants à l’université que celle des villes. Les maisons sont souvent construites avec des briques de boue séchée et sont exiguës : composées de deux pièces la plupart du temps, elles obligent les parents et enfants à cohabiter dans des espaces parfois étroits.
Les progrès du Rwanda sont ainsi systématiquement assimilés à Kagame. Lors des élections, je me suis rendue compte à quel point mes amis n’envisageaient pas encore d’avoir un autre président. Les différents candidats ne leur paraissaient pas assez sérieux ou connus pour prendre les rennes du pays. On peut légitimement se poser la question de l’après Kagame : que va-t-il se passer lorsque celui-ci devra quitter le pouvoir ? Pour beaucoup d’interlocuteurs rwandais, il faudrait que Kagame puisse rester au pouvoir au moins une décennie encore pour terminer les grands travaux entamés et consolider la stabilité du pays. Cela laisserait aussi du temps, selon eux, pour construire une réelle opposition ou faire émerger un nouveau candidat pour le FPR. La préservation et l’approfondissement des réalisations incontestables du pays au cours des deux dernières décennies dépendront de la capacité du système politique à produire de nouveaux leaders de qualité.
Photo : jambonews.net
Mathilde Leyendecker est étudiante en master Médiation interculturelle dans les crises et conflits. Elle est titulaire d’une Licence en Sciences sociales et humaines à l’université de Strasbourg. Elle est volontaire à WATHI en parallèle de ses cours à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).
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Magnifique article, bien rédigé… Petite question ? La mention “hutus” ou “Tutsis” sur les cartes nationales d’identités c’était avec l’administration BELGE OU ALLEMANDE (comme écrit dans ton article) important à préciser.. c’est une page de l’histoire du pays.