L’importance de l’Afrique dans l’histoire du monde est méconnue. A titre d’exemple, avant l’exportation des ressources minières d’Amérique latine à partir du XVe siècle, l’essentiel de l’or provenait d’Afrique subsaharienne. En sus de son usage artistique (dont témoignent certains objets), il débute une longue carrière d’unité de valeur économique.
L’exposition «L’Afrique des routes» illustre l’ancienneté et la richesse des liens de notre continent/région avec ses semblables. WATHI vous fait parvenir quelques cartes postales résultant d’une visite du musée du quai Branly, de la lecture du catalogue de l’exposition et d’un entretien avec sa co-commissaire, Catherine Coquery-Vidrovitch – historienne spécialiste de l’Afrique et professeure émérite de l’université Paris Diderot.
Animaux, biens de luxe, papier, « instantanés » d’une rencontre … cinq objets issus d’Afrique du Nord, d’Europe, du Moyen-Orient ou produits en Afrique pour l’Europe attestent des routes qui traversèrent notre continent, y parvinrent ou en partirent.
« Coup de cœur » d’un reporter subjectif ignorant (à dessein) certaines heures sombres d’une histoire commune, ces « cartes postales » sont un « retour d’exposition » – à la façon d’un blog. En tentant de décrire les objets et de contextualiser leur production, on évoque (rapidement) leur usage ainsi que leur signification.
Où qu’elles se trouvent (pour combien de temps encore ?), les artefacts de notre région gagnent à être identifiés, connus et mis en valeur. Pour nous, comme pour les autres, avec et/ou sans eux, selon le gré des circonstances, mais avec l’opiniâtre volonté d’enrichir notre connaissance de l’histoire de notre région et de sa place dans le monde. Ambition parfois pertinente dans nos sociétés mondialisées où la mobilité s’accélère sans cesse … ?
- Cheval – du Maghreb
Issus des chevaux barbes vendus par les berbères islamisés, les montures des cavaliers du Sahel étaient un élément de prestige. D’un coût élevé, elles étaient acquises par de riches cavaliers qui s’en servaient à des fins militaires. Diverses races apparurent à travers le Sahel, où elles jouèrent un rôle considérable dans la mise en place des élites politiques – notamment à partir de l’empire du Ghana. Contemporaine de l’empire du Songhay (XVIe siècle), cette magnifique sculpture dogon a été trouvée à l’est du Mali.
© Michel Gurfinkel. Collection Laurent Dodier
- Perles – du Moyen-Orient
En Afrique, parce qu’elles servaient de monnaie, de bijoux et de parures, les perles étaient associées à la richesse. Les plus anciennes furent importées d’Égypte, de l’Inde, et du Moyen Orient dès avant notre ère. Au XVIe siècle, les Européens importent des modèles qu’ils reproduisent en masse dans les verreries de Venise – d’où leur nom de « perles de Venise ». Certains se fraieront un chemin en Afrique de l’Ouest – où elles subsistent. Trouvées au Mali, les perles en pâte de verre fabriqués en Egypte et au Moyen-Orient entre les VIII et Xe siècle ont été assemblées en trois colliers.
© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain. Collection A. et G. Panini, Como
- Ivoire – d’Afrique (pour l’Europe)
Depuis l’antiquité, l’ivoire des éléphants africain est exporté de par le monde. Ainsi l’Inde (où les défenses des éléphants sont plus petites) s’approvisionne en Afrique de l’est. A partir du XVe siècle, les Portugais fournissent aux artistes du Bénin (Nigeria actuel) des modèles qu’ils leur demandent de reproduire. Réalisée au XVIe siècle dans un atelier de Benin City, la partie basse de la salière compte deux morceaux d’ivoire. Une grande finesse d’exécution permet de reconnaître armes, chapeau à plume, croix (pendentif) et motifs des vêtements de quatre soldats portugais barbus. Son couvercle est une caravelle dont un homme escalade les cordages alors qu’une vigie apparaît au sommet d’un mât. Tour de force et qualité esthétique de ce chef d’œuvre (du style Edo d’Owo) attestent du savoir-faire du producteur comme du goût du consommateur. Ce bien de luxe de la Renaissance illustre un volet méconnu des relations culturelles (et économiques) entre Europe et Afrique de l’Ouest.
© musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photographe : Thierry Ollivier, Michel Urtado
- Papier – d’Europe
Né dans le Hedjaz (Arabie) au VIIe siècle, l’islam gagne très vite l’Afrique du Nord. Sa diffusion dans le « pays des noirs » (blad as-Sudan) d’Afrique subsaharienne doit beaucoup au dromadaire, introduit par les Romains au premier siècle de notre ère. Les routes transsahariennes étaient des routes de commerce et de culture. Dès le XIe siècle, les souverains du Ghana et du Mali recrutent des érudits arab(ophon)es pour administrer leurs empires. En outre, à partir du XIe siècle et surtout au XVe siècle, Tombouctou devient un centre de savoir islamique de renommée internationale. Sur un feuillet de papier filigrané (importé d’Afrique du Nord ou d’Europe), un scribe à la graphie « soudani » (propre à l’Afrique occidentale subsaharienne) a recopié un traité de droit (fiqh) du savant Ahmed Baba (1556-1616). Rédigée au nord comme au sud du Sahara, sa volumineuse œuvre couvre diverses disciplines – dont le droit. Outil de régulation religieuse, sociale, économique et politique, il joue un rôle fondamental dans la production intellectuelle de communautés éparpillées entre la Mauritanie et le Soudan (actuel).
© Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Manuscrit arabe
- Hamac – pour explorateur
Vers le milieu du XIXe siècle, la découverte de la quinine (en Amérique latine) permet aux Européens d’entamer la colonisation stricto sensu de l’Afrique de l’Ouest à partir des années 1870. En effet, en décimant les modestes contingents d’émigrés, le paludisme empêchait de « pénétrer » dans le continent. L’absence de routes carrossables exclue le recours aux véhicules à roue jusqu’au début du XXe siècle. Auparavant, et jusqu’à la seconde guerre mondiale au moins, les administrateurs coloniaux ne circulent pas à pied (comme les Africains porteurs des charges sur leur tête) mais en hamac ou en chaise à porteur. Non sans humour, les artistes Africains saisissent « sur le vif » le caractère insolite de ce mode de transport. Comme sur le papier ou la toile, l’artiste recourt au bois pour saisir un « instantané ». Alors qu’il illustre une société en mutation, il transforme l’insolite en « tableau » et convertit le « blanc » en figure (très relativement) familière.
© Musée Africain, Lyon. Photographe : Jean-Julien Ney
Source photo : © Michel Gurfinkel. Collection Laurent Dodier
Mamadou Diallo est diplômé de Sciences Po Paris, chercheur indépendant et vice-président de WATHI. Il a étudié l’histoire du Fouta Djalon auprès de détenteurs de savoir issus des familles de traditionnistes, de dirigeants et d’intellectuels. Il concentre ses investigations sur l’histoire de l’islam et des sciences politiques dans la Sénégambie et le Sahel. Impliqué dans la promotion du patrimoine, il a également publié divers articles scientifiques et de vulgarisation.