Alice Berthoumieux
À l’heure où les atrocités perpétrées par l’armée israélienne sur les populations palestiniennes ne peuvent plus être ignorées, le continent africain s’illustre par sa prise de position, sa cohésion et son humanité. Retentissants et permettant de mettre fin à de nombreux discours ambivalents occidentaux, les arrêts rendus par la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ) sont sans appel. Le 20 mai, le procureur de la CPI, Karim Khan, a présenté des requêtes, afin d’obtenir des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans la bande de Gaza. Quatre jours plus tard, la CIJ a ordonné à Israël d’arrêter immédiatement son offensive militaire à Rafah.
Il convient de rappeler que le déclenchement de ces procédures devant les cours internationales est dû à une coalition de pays africains, menée notamment par l’Afrique du Sud. En effet, l’Afrique du Sud a porté plainte contre Israël devant la CIJ, en accusant Israël de violer ses obligations en vertu de la Convention sur le génocide sur les populations palestiniennes de Gaza. Parallèlement à cela, l’Afrique du Sud, les Comores et Djibouti avaient renvoyé la question de la situation palestinienne devant la CPI, sur les accusations d’apartheid, de génocide, de crimes de guerre et de crime contre l’humanité.
Le 20 novembre 2023, l’Afrique du Sud s’était une fois de plus impliquée dans ces procédures, en mettant au défi le procureur de la CPI de délivrer un mandat d’arrêt contre Netanyahu avant mi-décembre 2023, en précisant qu’un refus de la Cour représenterait un échec total de la gouvernance mondiale. Donnant l’exemple en matière de soucis du respect des droits de l’Homme et de la dignité humaine, l’Afrique du Sud avait par la suite exhorté les juges de la CIJ d’ordonner à Israël de suspendre immédiatement ses opérations militaires dans la bande de Gaza. L’Espagne a, à ce sujet, très récemment annoncé son envie de se joindre à cette procédure.
L’implication des États africains dans le déclenchement des procédures internationales contre l’État israélien témoigne de l’affirmation du rôle actif de ces États, comme moteur d’exemplarité au sein du Sud global mais aussi face au silence assourdissant de la plupart des pays occidentaux, dans une quête de justice au nom de l’humanité.
Des positions symboliques européennes et africaines discordantes
Alors qu’il était question d’une véritable « cacophonie européenne », tant dans ses institutions qu’au sein des gouvernements nationaux, l’Union africaine a, elle, su tenir une position ferme et surtout globalement constante et cohérente dans son regard et son analyse du conflit israélo-palestinien.
La guerre du Soukkot, déclenché le 7 octobre 2023, polarise pourtant les visions politiques et diplomatiques du monde entier, avec des discours de plus en plus tranchés, en faveur de l’une ou l’autre des parties au conflit. L’Union européenne a d’abord fait le choix de condamner fermement les attaques perpétrées par la Hamas. À l’inverse, dans un communiqué datant du 7 octobre 2023, l’Union africaine a imputé la responsabilité du conflit à Israël en insistant sur le fait que « le déni des droits fondamentaux du peuple palestinien, en particulier le-droit à un État indépendant et souverain, est la cause première des tensions continues entre Israël et la Palestine ».
Le fait que l’UE n’ait pas pris ses responsabilités, et appelé clairement à une désescalade de la violence ou sanctionné Israël, a fait l’objet de nombreuses critiques populaires, médiatiques mais aussi de la part d’autres gouvernements. À titre d’exemple, un communiqué de la présidence namibienne émis le 13 janvier 2024, condamnait fermement la « décision choquante » de l’Allemagne de soutenir Israël malgré son accusation de génocide devant la CIJ. Les considérations politiques européennes vis-à-vis du conflit israélo-palestinien et d’Israël particulièrement ont également été qualifiée de « positions à géométrie variable » au regard des sanctions dont la Russie a fait l’objet après le déclenchement de sa campagne de guerre contre l’Ukraine.
Vis-à-vis du dossier israélo-palestinien, les positions symboliques de la communauté internationale et de ses organisations régionales ont souvent été ambivalentes. Au niveau de l’UE, l’ambivalence principale ressort du statut privilégié vis-à-vis de l’organisation dont bénéficie Israël, quand bien même la Cour Européenne des droits de l’Homme condamne la colonisation israélienne en Cisjordanie et prône le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Du côté de l’Union Africaine, une certaine dichotomie vis-à-vis du traitement de l’État israélien se fait également ressentir.
Certains pays membres semblent enclin à apporter un soutien à Israël, comme le Kenya ou la Zambie, tandis que d’autres comme l’Algérie, l’Afrique du Sud ou la Tunisie sont considérés comme pro-Palestine. À titre d’exemple, lorsqu’en 2021, Moussa Faki Mahamat, Président de la commission de l’UA, avait accordé de manière unilatérale le statut d’observateur à Israël, l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Namibie, le Bostwana et la Tunisie s’y étaient farouchement opposés. Un des arguments évoqués était la violation flagrante des valeurs consacrées dans l’acte constitutif de l’Union Africaine, qui s’oppose à l’apartheid et au colonialisme. Le 19 février 2024, le représentant d’Israël a finalement été exclu de l’organisation. Il semble donc que l’Union Africaine porte une attention particulière au respect des droits humains et du droit international.
Une quête de justice et d’humanité empreinte d’une histoire douloureuse
« Le continent africain, que ce soit au travers de l’Union Africaine ou des initiatives nationales de ses États membres, s’illustre par ses prises de position en faveur du respect des droits de l’Homme et des conventions internationales, défendus pourtant par l’ensemble de la communauté internationale ».
Alors que de nombreux pays africains sont souvent pointés du doigt par l’Occident comme ne garantissant pas les Droits de l’Homme et leur application, ce sont ces mêmes pays qui se sont publiquement indignés des barbaries perpétrées par Tsahal dans la bande de Gaza et les ont condamnés. Ce n’est pas la première fois que des États africains saisissent les juridictions internationales pour faire valoir la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
En 2018, le ministre gambien de la Justice, déposa une plainte contre le Myanmar, actuelle Birmanie, devant la Cour internationale de justice, dans le but de mettre fin aux actes génocidaires et de nettoyages ethniques perpétrés par l’armée birmane sur les Rohyingyas. Les membres de l’Union Africaine apparaissent donc comme des gardes fous face aux manquements aux conventions internationales.
La raison de cette sensibilité africaine aux questions d’apartheid, de colonialisme et de génocide peut facilement trouver racine dans l’histoire du continent. Les États africains partagent un héritage lourd et violent lié au colonialisme occidental. En effet, les ambitions impérialistes des pays européens ont conduit à la colonisation de nombreux territoires sur le continent africain, ainsi qu’aux pillages des ressources, l’esclavage des populations et à l’instauration de régimes racistes et oppressifs, exacerbant la violence entre communautés.
Outre le fait que la fin de l’apartheid sud-africain soit un fait récent, que le génocide rwandais le soit davantage, le colonialisme de manière générale est un phénomène contemporain et ses conséquences se font toujours ressentir. L’implication des pays africains dans la lutte et la prévention des génocides découle sans doute de ce passé douloureux et des leçons apprises en matière de lutte pour la protection des droits humains les plus essentiels.
Finalement, le continent africain, que ce soit au travers de l’Union africaine ou des initiatives nationales de ses États membres, s’illustre par ses prises de position en faveur du respect des droits de l’Homme et des conventions internationales, défendus pourtant par l’ensemble de la communauté internationale. L’Union européenne et des États comme la France brandissent pourtant fièrement les conventions européennes ou la Déclaration des droits de l’Homme aux yeux du monde, se plaçant comme « protecteur des valeurs démocratiques et humaines ».
L’escalade de la violence entre Israël et Hamas et le manque d’action des pays occidentaux témoignent de l’humanisme de façade de l’UE et a permis de mettre en lumière un bloc africain résolument soudé autours de ses valeurs. L’Afrique du Sud, l’Algérie, les Comores et d’autres ont su porter leurs voix et valeurs devant les puissances diplomatiques traditionnelles et faire du continent africain un acteur diplomatique de premier plan, crédible et juste.
Crédit photo: BBC Afrique
Alice Berthoumieux est étudiante en fin de Master à l’université Paris-Saclay. Elle est intéressée par les thématiques des conflits armés et des mouvements de population, dans les régions du Moyen-Orient et de l’Afrique de l’Ouest. Alice effectue un stage à WATHI.
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