Ada Hauteville
En 2018, l’Arabie Saoudite et Djibouti signent un accord pour la création d’une future base militaire sur le sol djiboutien. Cette base militaire étrangère sera loin d’y être la première sur le territoire. En effet, ce « petit » pays de seulement 1 million d’habitants accueille de nombreuses bases militaires étrangères.
Cet État de la Corne de l’Afrique qui partage ses frontières avec l’Éthiopie, l’Érythrée et la Somalie a pris son indépendance vis-à-vis de la France en 1977, plus tardivement que la majorité des colonies françaises en Afrique, qui ont gagné leur indépendance dans les années 1960. Djibouti a longtemps compté sur une relation quasi exclusive avec la France pour assurer sa protection.
Depuis le début des années 2000, de nombreuses puissances militaires étrangères s’y sont implantées en raison de la position géographique stratégique du pays. Ces bases militaires assurent des recettes importantes au pays, dans la mesure où elles sont soumises à des « loyers ». En 2017, ces « loyers » ont rapporté 128 millions d’euros au pays, soit 3 % du produit intérieur brut (PIB).
Un carrefour stratégique pour les grandes puissances étrangères
La position géographique stratégique de Djibouti présente divers intérêts pour les forces étrangères implantées sur place. Elle leur permet de maintenir leur influence dans la région et de s’assurer une liberté de circulation sur l’une des voies de communication maritimes les plus importantes du monde. En effet, le détroit de Bab-El-Mandeb, reliant le Golfe d’Aden au sud avec la mer Rouge au nord voit passer près de cinq millions de barils de pétrole par jour soit 40 % du pétrole mondial.
15 % des marchandises échangées dans le monde par voie maritime passent par ce détroit. De plus, Djibouti est attrayant pour les forces étrangères car il est le seul pays de cette zone qui connaît une réelle stabilité politique. En effet, ses voisins, la République Centrafricaine, la Somalie, l’Érythrée, l’Éthiopie et le Yémen, connaissent tous une situation d’insécurité.
Outre de nombreuses ambassades, Djibouti accueille depuis son indépendance la plus grande base militaire française dans le monde. En 2019, la France est le seul État militairement implanté à Djibouti à avoir scellé un accord de collaboration en matière de défense avec le pays.
Depuis le début des années 2000, de nombreuses puissances militaires étrangères s’y sont implantées en raison de la position géographique stratégique du pays
Depuis les années 2010, la présence militaire française sur place a diminué, passant de 2 162 militaires en 2011 à 1 450 personnes en 2016. « Le pouvoir djiboutien et son président Ismaïl Omar Guelleh ont cherché ces dernières années à sortir d’une forme de dépendance vis-à-vis de la France. Et dans ce sens, on peut dire que le président djiboutien a réussi », explique Sonia Le Gouriellec, chercheuse, spécialiste de Djibouti et professeure associée à Sciences Po Paris.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis annoncent en 2002 l’installation de 900 soldats des forces spéciales à Djibouti. Les attaques contre les ambassades étasuniennes au Kenya et en Tanzanie en 1998 et contre le destroyer USS Cole dans le port d’Aden en 2000, ainsi que les attentats du 11 septembre 2001 à New York conduisent les États-Unis à prendre cette décision afin de pouvoir surveiller de près le détroit de Bab-el-Mandeb.
Cette base militaire étasunienne est la seule en Afrique continentale. En 2002 également, l’Allemagne signe un accord avec Djibouti afin d’entretenir une petite installation militaire. En 2011, le Japon ouvre sa première base militaire à l’étranger depuis la Seconde guerre mondiale à Djibouti, comptant 600 membres. En 2012, l’Italie s’implante à son tour sur le plan militaire.
Plus récemment, en 2017, la Chine y installe sa première base militaire à l’étranger. Djibouti représente pour la Chine une porte d’entrée sur l’Océan indien et sur l’Afrique de l’Est. La base compte actuellement 400 militaires mais selon plusieurs sources, ce sont près de 10 000 hommes qui pourraient s’y installer d’ici à 2026, date à laquelle les militaires chinois auront transformé cette enclave en avant-poste militaire de la Chine en Afrique. Selon Sonia Le Gouriellec, la présence militaire de la Chine n’est pas uniquement motivée par des préoccupations sécuritaires.
Cette position géographique permet d’assurer le contrôle du détroit Bab-el-Mandeb par lequel 40 % du pétrole mondial est acheminé
Entre 2012 et 2018, le pays a investi un peu plus de 14 milliards de dollars à Djibouti. La contrepartie a été l’endettement : « Aujourd’hui, les Djiboutiens ont du mal à rembourser les prêts consentis par la Chine, qui tient l’essentiel de leur dette », commente la chercheuse. En effet, Pékin détient 70 % de la dette djiboutienne qui s’élève à 1,2 milliard de dollars. Pour Sonia Le Gouriellec, Djibouti est passé d’une dépendance française à une dépendance chinoise.
Le « commerce » lucratif des bases militaires
L’installation d’une base militaire étrangère à Djibouti implique le paiement d’un « loyer ». Au-delà de cette rente, les forces étrangères présentes peuvent également s’engager à des garanties militaires, des aides financières, ou encore des constructions d’infrastructures. Cette transaction commerciale repose sur des instruments diplomatiques tels que des traités ou accords sous forme simplifiée.
Ces bases militaires étrangères représentent une source de revenu indispensable à l’économie djiboutienne. À titre d’exemple, la rente annuelle de la base du Japon est de 3 millions d’euros, celle de la Chine de 17 millions d’euros, et celle de la France de 30 millions d’euros. Le loyer de la base américaine est de près du double : 56 millions d’euros. La rente qui provient des bases militaires équivaut à 3 % du PIB. Elle est supérieure au revenu des exportations du pays.
Dans la région de la Corne de l’Afrique, ce commerce de bases militaires est en pleine expansion à tel point que la région est en train de se « sur-militariser ». Certes, cet arrangement permet de soutenir en partie l’économie djiboutienne mais le commerce des bases militaires n’altère-t-il pas la nature absolue de la souveraineté territoriale de Djibouti ?
Photo: letemps.ch
Ada Hauteville est étudiante en Master de Science politique parcours Politique comparée Afrique et Moyen-Orient à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est particulièrement intéressée par la géopolitique ouest-africaine, notamment par les enjeux liés au genre, à l’éducation et à la culture. Elle effectue un stage au sein de WATHI.
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Un article captivant et très intéressant qui a réussi à me capturer dès les premières lignes ! Bravo !