

Margaux Deleu
Le Botswana est souvent cité comme modèle de stabilité politique et de bonne gouvernance en Afrique. Ce pays d’Afrique Australe, recouvert à plus de trois quart par le désert du Kalahari, se situe entre la Zambie, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud et la Namibie. Surnommé le « miracle africain », le pays se distingue par sa stabilité politique, sa bonne gouvernance, et sa gestion efficace des ressources minières, qui ont permis une forte croissance économique.
Le souci de la bonne gouvernance est historique au Botswana, comme le montre le proverbe “Kgosi ke kgosi ka batho” (le roi est le roi par le peuple). En effet, avant la période coloniale, l’esprit démocratique incarné par ce proverbe a influencé les structures gouvernementales tribales africaines, qui reposaient sur des principes démocratiques fondamentaux. Puis, dès l’indépendance du Royaume-Uni, en 1966, l’héritier du trône des tswana, Sereste Khama, renonça à son titre de roi, et devient le premier président élu de la République du Botswana.
La constitution garantit un régime parlementaire démocratique et assure la stabilité du pays : depuis 1966, le pays n’a connu ni guerre civile ni crise politique majeure, et des élections multipartites sont organisées de manière régulière, sans faire l’objet de fraude. Cette stabilité politique se couple d’une bonne gouvernance. En 2023, La Mo Ibrahim Foundation classe le pays 5e sur 54 pays en Afrique en gouvernance globale. Une gouvernance originale, puisqu’au Botswana, le pouvoir législatif est partagé entre l’Assemblée nationale et la Chambre des Chefs.
Celle-ci se compose de huit Chefs traditionnels (héréditaires) des principales tribus du Botswana, qui sont membres de droit, ainsi que sept membres élus. Le rôle de cette Chambre consultative est de participer aux processus de révisions constitutionnelles et à tout changement pour les textes relatifs au droit coutumier, au droit familial ou personnel, au régime de propriété des sols et à certains aspects du droit civil.
Dans les faits, la Chambre possède une influence importante, les députés étant les “sujets” des chefs traditionnels. De plus, la Chambre a une forte légitimité puisque chaque Chef consulte régulièrement sa tribu lors d’assemblées traditionnelles (Kgotla). Ainsi, la Chambre des Chefs permet au Botswana de préserver les solidarités et les appartenances traditionnelles, tout en évitant une fragmentation tribale du pays. Elle assure l’expression des Chefs dont elle canalise l’autorité traditionnelle, dans le cadre d’une démocratie parlementaire. De cette manière, les pasteurs et agriculteurs ne sont pas lésés au profit des classes urbaines, contrairement à de nombreux pays en Afrique. Dans l’article « An African Success Story : Botswana », les chercheurs soulèvent l’importance du mode de gouvernance hybride, caractérisé par la conciliation entre traditions et modernité comme un des éléments majeurs ayant permis le parcours singulier du pays.
Une démocratie en marche : développement économique et réformes constitutionnelles
Cet équilibre entre modernité et tradition se retrouve dans le domaine économique, constitué de deux principaux secteurs : le secteur traditionnel d’élevage et le secteur minier moderne. Au Botswana les diamants représentent 80 % des exportations et 25 % du PIB. Ainsi, la bonne gestion de cette ressource a été cruciale dans le développement du pays. La découverte des mines de diamants en 1967, a permis au pays de connaître un développement économique construit autour d’une rente du diamant, qui n’a pas été « monopolisé » par les élites et a pu profiter à la population : on parle d’une « croissance inclusive ».
Ceci est dû au partenariat économique stable entre le gouvernement botswanais et la société De Beers qui se partagent la gestion des mines à part égale. Cela a favorisé une gouvernance efficace et transparente dans le domaine. Plus largement, le Botswana est classé comme le deuxième pays africain le moins corrompu (43ème/180 pays) après les Seychelles en 2024 selon l’Indice de Corruption de Transparency International.
Ainsi, la Chambre des Chefs permet au Botswana de préserver les solidarités et les appartenances traditionnelles, tout en évitant une fragmentation tribale du pays. Elle assure l’expression des Chefs dont elle canalise l’autorité traditionnelle, dans le cadre d’une démocratie parlementaire
Selon Thierry Vircoulon, coordinateur de l’observatoire l’Afrique australe et centrale à l’Institut Français des Relations Internationales, cela a permis à ce que les revenus du secteur minier soient utilisés rationnellement, pour financer les administrations et les services publics (des routes pour désenclaver le pays, des hôpitaux pour faire face à l’épidémie de Sida, et des écoles). Par ailleurs, si le Botswana a pu compter jusqu’à présent sur ses ressources en diamant, celles-ci ne sont pas éternelles. C’est pourquoi le pays tend à diversifier ses investissements miniers, dans l’or, le charbon et le nickel notamment, mais aussi à se spécialiser dans d’autres secteurs, tels que le tourisme de haute gamme.
Au Botswana, la démocratie est dynamique grâce à l’implication de la société civile. Plusieurs moments forts dans la vie politique récente du Botswana ont montré cela. D’une part, la modification de la constitution en 1997 après un mouvement de contestation populaire. Portée par la jeunesse, la société civile a revendiqué la création d’une Commission électorale indépendante, l’extension du droit de vote aux citoyens Tswana vivant à l’étranger et l’abaissement de l’âge de voter à 18 ans. De plus, à partir de ce moment-là, le mandat de cinq ans du président élu n’est plus renouvelable qu’une fois et, en cas de vacance de poste pour cause de décès ou de démission, celui-ci sera remplacé par son vice-président.
D’autre part, le rejet du projet de réforme constitutionnelle de 2024 témoigne du rôle crucial de la société civile. En effet, le 4 septembre 2024, le parlement a officiellement rejeté l’amendement constitutionnel proposé par l’ancien président Mokgweetsi Eric Keabetswe Masisi. L’objectif présenté était de moderniser le cadre constitutionnel du pays, mais il était critiqué pour ne pas prendre en compte l’avis de la population.
Ainsi, en septembre 2024, après un travail de sensibilisation conséquent, les organisations civiles produisent un rapport dénonçant cette réforme et réaffirmant un certain nombre de droits tels que le droit à des services de santé abordables y compris les soins de santé sexuelle et reproductive et mentale, le droit à une éducation de qualité, le droit à l’accès à la terre, la protection contre la discrimination et demandant les réformes du système électoral, du pouvoir judiciaire et du système judiciaire (y compris la création d’une Cour constitutionnelle spécialisée). Ainsi, en raison du travail de la société civile, l’amendement de l’exécutif a été rejeté par l’Assemblée, montrant la primauté de la volonté du peuple.
Une démocratie solide, mais pas acquise
En 2024, le Botswana a connu sa première alternance après le règne du Botswana Democratic Party (BDP) pendant près de 60 ans. Cette stabilité politique résultait de plusieurs facteurs : un mode de scrutin (uninominal à un tour) qui désavantage une opposition divisée, une différence de moyens, un accès inégal aux moyens de communication, mais aussi une tradition légitimiste. En 2024, le contexte, marqué par le chômage (34% chez les jeunes) et une croissance au plus faible, favorise le parti Umbrella for Democratic Change (UDC).
Au Botswana les diamants représentent 80 % des exportations et 25 % du PIB. Ainsi, la bonne gestion de cette ressource a été cruciale dans le développement du pays
Ainsi, le pays réussit un transfert pacifique de pouvoir entre l’ancien président Mokgweetsi Masisi et Duma Boko. Malgré tout, la bonne gouvernance reste un enjeu majeur pour le Botswana. Tout d’abord, l’UDC a en partie été élue sur fond d’accusations de corruption de l’ancien gouvernement, engendrant une méfiance de la part de la population. Par ailleurs, il s’agit d’une première expérience du pouvoir pour l’UDC, suscitant des doutes sur sa capacité à gouverner. Si l’alternance est à célébrer, l’UDC doit encore se montrer capable de réformes solides, d’assurer la stabilité, et de répondre aux attentes populaires. De plus, malgré la victoire écrasante de l’UDC, le BDP reste un acteur majeur dans la vie politique : si le BDP n’a obtenu que quatre sièges au Parlement, il a pourtant comptabilisé 30,49% des suffrages contre 37 % pour l’UDC. Le parti ne dispose donc pas d’une confiance massive de la population.
Enfin, l’élection de l’UDC reflète une perte d’influence des partis historiques de libération en Afrique australe, ce qui inquiète les partis au pouvoir. Ces derniers perçoivent l’UDC et d’autres partis d’opposition comme une menace. Par exemple, lors de la présidentielle de 2024, le BDP a reçu le soutien de l’Union nationale africaine du Zimbabwe, montrant la solidarité entre anciens mouvements de libération. L’Afrique du Sud a qualifié le nouveau président botswanais de « capital monopoliste blanc » pour le discréditer. Ce type de tensions existe déjà, notamment avec le Zimbabwe tentant d’isoler la Zambie pour les mêmes raisons. La Communauté de développement d’Afrique Australe (SADEC) pourrait donc se diviser entre anciens partis de libération et nouveaux leaders.
Par ailleurs, si le Botswana a pu compter jusqu’à présent sur ses ressources en diamant, celles-ci ne sont pas éternelles. C’est pourquoi le pays tend à diversifier ses investissements miniers, dans l’or, le charbon et le nickel notamment, mais aussi à se spécialiser dans d’autres secteurs, tels que le tourisme de haute gamme
Finalement, le souci de la bonne gouvernance ne s’étend pas toujours à tous au secteur minier. La suppression des Bochimans San de leur terre natale par le gouvernement, pour l’exploration de mines de diamants a mené à « l’affaire CKGR », le litige le plus long et coûteux de l’histoire du pays, entre le gouvernement et les San en 2006. A l’issu du procès, les juges ont décrété que le refus consécutif du gouvernement d’autoriser les Bushmen à regagner leurs terres ancestrales était illégal et anticonstitutionnel. Cela s’inscrit dans une tendance globale du gouvernement à restreindre l’autonomie des collectivités locales dans le domaine foncier et minier, illustrant les limites de la démocratie botswanaise, ce qui vaut au Botswana le titre de “démocratie élitiste”.
Ainsi, la gouvernance au Botswana se caractérise par la recherche d’un compromis entre les traditions du gouvernement tribal historique et la démocratie occidentale. Cette gouvernance hybride a favorisé un développement économique inclusif, encourageant un cercle vertueux. Aujourd’hui, la société civile joue un rôle central comme moteur d’une démocratie qui s’adapte à son temps.
Crédit photo: Viralmag.fr
Margaux Deleu est étudiante à Sciences Po Paris en Politique et Gouvernance. Elle s’intéresse particulièrement aux enjeux de sécurité internationale et de gouvernance démocratique.