Sarah Chaumeil
La République Démocratique du Congo est en proie à une violence endémique depuis 30 ans. Le pays est enlisé dans un conflit avec une intensité variable depuis 1994. Le génocide entre Hutus et Tutsis au Rwanda peut être considéré comme un des éléments déclencheurs de la guerre qui suivra, parfois surnommée la première guerre mondiale africaine. Ce génocide a été à l’origine d’un afflux de réfugiés vers le Congo oriental, parmi lesquels se trouvaient certains des génocidaires.
Le Rwanda, allié à l’Ouganda décide en 1996 de supprimer ces génocidaires, considérés comme une menace. Mais les Rwandais changent d’objectif et désignent Laurent-Désiré Kabila comme président à la tête de la RDC en 1997. Une lutte pour le pouvoir s’engage quand Laurent Désiré Kabila tente de s’émanciper du Rwanda et par un jeu d’alliances, une guerre de cinq ans entre différents pays africains se déclenche. Elle est particulièrement cruelle envers les populations civiles car les armées engagées sont composées de miliciens peu disciplinés se livrant à des exactions et pillages. Même après la fin de la guerre officielle, en 2003, le processus de reconstruction de la paix est complexe.
L’enfant né du viol est souvent rejeté et c’est toute une communauté qui s’effondre, les liens sociaux et culturels se détruisant par la même occasion
L’Est congolais, en particulier la région du Nord-Kivu, est toujours en proie à des confrontations entre groupes armés. Les populations civiles sont les principales victimes, accusées par tous les groupes armés d’être complices de la milice ennemie. De plus, les ressources naturelles alimentent les tensions entre les différents groupes qui tentent de se les accaparer. Or, bois, minerais et ivoire sont pillés par des groupes armés qui utilisent l’argent tiré de l’exploitation de ces ressources pour financer leurs actions. Depuis 2004, d’après l’Organisation internationale des migrants, 7 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays à cause du conflit.
Les femmes, principales victimes de la guerre
Le conflit en RDC se caractérise par les conflits d’intérêt qui s’y jouent mais aussi par l’utilisation du viol comme arme de guerre. Ainsi, les violences sévissant dans la région touchent majoritairement les femmes, qui sont prises pour cibles et deviennent les premières victimes de ce conflit. L’appellation « viol comme arme de guerre » correspond à des viols qui ne relèvent pas seulement d’un acte de pulsion sexuelle mais bien d’un outil de destruction des femmes et par ricochets, des communautés.
Les femmes sont capturées et violées de manière répétitive, collective et massive dans un climat de violence et de cruauté extrême. Les violences sexuelles sont souvent publiques, devant le village et les membres de la famille. Le but est également d’engendrer des grossesses afin que l’enfant à naître devienne un trouble pour la famille et la détruise de l’intérieur. c Ce phénomène se généralise aussi à l’ensemble de la population car des Congolais civils sont à leur tour devenus des violeurs, cette agression sexuelle ayant été banalisée et normalisée.
L’Est congolais, en particulier la région du Nord-Kivu, est toujours en proie à des confrontations entre groupes armés. Les populations civiles sont les principales victimes, accusées par tous les groupes armés d’être complices de la milice ennemie
Si cette utilisation militaire du viol comme moyen de détruire les populations de l’intérieur a été rendue publique et a été médiatisée à travers la RDC comme exemple, en revanche, c’est loin d’être la première fois qu’elle est mise en œuvre dans l’Histoire. En effet, les premiers faits reconnus de ces viols de masse remontent à l’Antiquité, avec le siège de Troie. De nombreuses armées ont également utilisé ce même mode opératoire, comme l’armée japonaise lors de l’invasion de la Mandchourie ou l’armée française lors des guerres de conquête de Napoléon. Cela relevait donc de la domination des pays envahisseurs sur ceux envahis, qui s’octroyaient le droit de piller les territoires, les femmes, au même titre que les biens étant vus comme une partie du butin.
Le Rapport Mapping, mission d’enquête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a mis en évidence les violations les plus graves des droits humains et du droit international en RDC, dont les viols entre 1993 et juin 2003. Ainsi, 617 cas de violations graves des droits humains sont répertoriés, pouvant mener à un statut de crimes contre l’humanité voire de génocide.
La tentative de réponse du docteur Denis Mukwege face au viol comme arme de guerre
Né en 1955, à Bukavu dans la capitale du Sud-Kivu en RDC, Denis Mukwege se spécialise en gynécologie obstétricienne après ses études de médecine. Il s’oriente vers ce domaine car la RDC était, et est toujours l’un des pays où le taux de mortalité est le plus élevé durant l’accouchement. Il décide d’y exercer malgré l’insécurité qui y règne depuis le déclenchement de la guerre en 1994 et lance la construction de son hôpital à Panzi, une banlieue pauvre de Bukavu.
Ce lieu a pour objectif d’accueillir les femmes enceintes pour leur offrir les meilleures conditions possibles pour un accouchement. Mais la première patiente reçue est une femme présentant de graves blessures aux organes génitaux à la suite d’un viol. Pendant les trois mois qui ont suivi, Denis Mukwege et son équipe ont traité 45 femmes ayant subi ces violences sexuelles.
Le flux des arrivées de femmes et filles victimes de viols et de violences sexuelles ne tarit pas, et devant l’ampleur du phénomène, Denis Mukwege se spécialise dans le traitement de ces blessures gynécologiques. L’ampleur du phénomène démontre que le viol en zone de guerre est un fait systémique, ce qui le pousse à s’occuper davantage des victimes de viol en interpellant la communauté internationale.
Il devient le porte-parole de ces femmes en alertant sur la situation dans laquelle est enlisé son pays. Ses nombreux discours devant les organisations internationales témoignent de sa volonté qu’une réponse multilatérale à ce fait systémique du viol en zone de guerre soit apportée. Ainsi, en 2018, il obtient le Prix Nobel de la Paix et lance l’année suivante un projet de fonds international pour les survivantes de violences sexuelles approuvé en avril 2019.
La « prise en charge holistique » : la méthode de la Fondation Panzi pour aider de manière complète les femmes
Dans le but d’aider au mieux ses femmes, la Fondation Panzi a instauré une approche de réparation et d’accompagnement originale : la prise en charge holistique. Cette méthode repose sur le postulat que les femmes et les filles victimes, face aux horreurs qu’elles ont vécues, ne peuvent se rétablir complètement à travers une approche uniquement médicale. Si leurs corps ont souffert, leur esprit et leurs relations sociales sont tout aussi endommagés. L’approche holistique est donc récemment apparue afin de lier tous les pans de la réparation dont une victime a besoin, qu’ils soient médicaux, psychologiques, juridiques et socio-économiques.
Cette idée de multisectorialité se matérialisant sous le modèle du “One stop center”, s’est ainsi répandue en RDC et ailleurs avec les SART aux États-Unis et les SARC en Angleterre, des équipes de réponses aux agressions sexuelles mêlant corps médical et judiciaire. Il est donc question ici de soigner les femmes autrement, en prenant en compte leurs droits, valeurs, souhaits, capacités et vécu.
Le flux des arrivées de femmes et filles victimes de viols et de violences sexuelles ne tarit pas, et devant l’ampleur du phénomène, Denis Mukwege se spécialise dans le traitement de ces blessures gynécologiques
À travers l’approche holistique, ce ne sont pas seulement les femmes de manière individuelle qui sont aidées et soutenues dans leur globalité mais également la société dans son ensemble. L’objectif est de changer de perspective quant aux agressions que les femmes subissent, à l’acte même d’agresser et au soutien que les communautés peuvent leur apporter au lieu de les rejeter.
Le viol, et plus globalement les violences envers les femmes sont une problématique présente dans tous les pays du monde, à toutes les strates de la société. En RDC, tout comme dans d’autres zones de conflits dans le monde, il est devenu une arme de guerre, pour fragiliser et détruire des communautés entières.
Longtemps invisibilisées, ces violences basées sur le genre prennent peu à peu place dans des discussions sur la scène internationale. L’action de certaines femmes et hommes comme Denis Mukwege ont permis de donner de la visibilité à ces problématiques. Mais la mise en place d’un hôpital dans une région dévastée par les conflits ne peut résoudre de manière structurelle ces violences.
De plus fortes initiatives à une échelle internationale, mais également locales sont nécessaires. Il faut briser les cycles de violences et mettre fin à l’impunité des auteurs de crimes. Cela passe par des sanctions et condamnations systématiques à travers des instances judiciaires fiables et au service des populations. Une prise de conscience globale est nécessaire et des initiatives internationales doivent en découler.
Photo: panzifoundation.org
Sarah Chaumeil est étudiante à Sciences Po Lille en Master de Paix, action humanitaire et développement. Elle est particulièrement intéressée par les thématiques liées à la migration, aux droits humains, et aux violences basées sur le genre.