

Mia Guessab
Le système de santé cubain est reconnu et salué à l’internationale pour son efficacité et son accessibilité. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Cuba « a l’un des systèmes les plus efficaces et les plus singuliers au monde », un des seuls étroitement liés à la recherche et au développement. La santé, tout comme l’éducation, est la base du système social cubain, universel et gratuit. Le droit à la santé est d’ailleurs inscrit comme un droit humain inaliénable à l’article 50 de la constitution et son accessibilité est garantie par l’État.
Cette priorisation permet au pays d’avoir des indices de santé impressionnants, proches de ceux des pays développés, malgré un contexte économique sensible marqué par un embargo américain de plus de 60 ans. Il permet aussi à l’île de rayonner internationalement en envoyant ses médecins, nombreux et habitués aux situations de crise, aux quatre coins du monde. La place importante qu’occupe la santé dans la politique intérieure et extérieure de Cuba remonte à l’époque de la révolution cubaine. Ernesto “Le Che” Guevara et Fidel Castro ont fait de la santé et de la question sociale de manière générale, un des piliers fondamentaux de cette révolution et du régime qui s’en est suivi.
Le premier, médecin avant d’être un des pères de la révolution cubaine, expose lors de son discours devant le ministère de la santé public en 1960 les principes de la médecine révolutionnaire. Selon lui, un médecin révolutionnaire doit être avant tout un médecin social, au service du peuple, vivant au sein de la communauté, et c’est cette vision de la médecine qui est toujours appliquée aujourd’hui sur l’île.
Le système de santé cubain repose sur plusieurs piliers. Premièrement, Cuba est le pays qui investit le plus dans la santé. En effet, l’île a alloué en 2018 27,5% de son budget national au secteur de la santé, ce qui équivaut à un peu plus de 6% de son PIB. Il s’agit du premier budget de la nation. Cet investissement permet deux avantages majeurs.
Le premier avantage, c’est le développement d’une industrie de recherche poussée sur laquelle repose la souveraineté sanitaire du pays. En effet, Cuba a mis en place une politique de “front biologique” qui repose sur une industrie pharmaceutique publique et souveraine et encourage l’innovation scientifique. Cette stratégie permet à l’île d’acquérir une certaine souveraineté sanitaire, puisqu’elle produit elle-même 65% des médicaments dont sa population a besoin, mais aussi de gagner une place sur la scène internationale.
A ce jour, Cuba a élaboré treize vaccins à l’efficacité reconnue par l’OMS. Cette industrie participe donc à son rayonnement international et contribue à son économie, par l’exportation de vaccins notamment. Elle permet aussi à Cuba de réaliser des prouesses médicales en devenant, en 2015 le premier pays au monde à avoir éliminé la transmission du VIH et de la syphilis de la mère à l’enfant.
Cet investissement permet aussi d’acquérir des ressources importantes en termes d’infrastructures mais surtout de main d’œuvre, ce dont la plupart des autres pays manquent cruellement. En effet, Cuba forme plus de 10 000 médecins par an, pour une population d’environ 11 millions d’habitants, ce qui revient donc à 9 médecins et 9 infirmières pour 1 000 habitants. A titre de comparaison, pour 1 000 habitants, le nombre de médecins passe à 3,4 pour la France et 0,1 pour le Sénégal. Pour ce qui est des infrastructures, Cuba compte également 284 hôpitaux avec une moyenne de 5,2 lits hospitaliers pour 1 000 habitants. En France, la moyenne est de 3,8 lits dans des établissements publics et de 0,7 lits pour le Sénégal.
Les piliers du système de santé cubain : la doctrine préventive et la médecine sociale
La doctrine médicale de la nation insulaire repose également sur la prévention, pierre angulaire de la médecine cubaine, ainsi que sur les principes de médecine sociale et de proximité. De fait, la médecine préventive est beaucoup moins coûteuse que la médecine curative et permet d’éviter les maladies ou de les traiter assez tôt pour éviter des charges médicales que l’île ne pourrait pas assumer. Selon le chercheur John Kirk, “le système de santé cubain est conçu pour éviter 90 % des problèmes de santé” et les dépenses que ces problèmes impliquent, contrairement à la plupart des systèmes de santé au monde, qui se concentrent sur la guérison.
A ce jour, Cuba a élaboré treize vaccins à l’efficacité reconnue par l’OMS. Cette industrie participe donc à son rayonnement international et contribue à son économie, par l’exportation de vaccins notamment
Par exemple, pour éviter la transmission de maladies par les moustiques, un des animaux les plus mortels de la région, Cuba utilise des méthodes préventives comme des campagnes de sensibilisation, des distributions de bandages anti-moustiques ou la coupe régulière des herbes en zone humide. Ces techniques ont permis au pays d’éradiquer la Malaria, qui fait pourtant des ravages dans le reste de la région.
La doctrine préventive s’appuie également sur l’éducation à la santé, qui fait partie du cursus obligatoire dès l’école élémentaire, et qui continue d’être abordée tout au long de la scolarité des Cubains. Grâce à cela, l’ensemble de la population cubaine est formé aux premiers soins, aux techniques de survies et aux catastrophes naturelles. La santé ne repose donc pas uniquement sur les médecins mais sur l’ensemble de la population, qui est à même de gérer certaines situations sanitaires et d’adopter des comportements favorables à leur santé.
Cette médecine préventive est aussi rendue possible par des visites régulières du personnel médical, dans le cadre de la politique de médecine sociale et de proximité. La médecine de proximité s’illustre par un maillage complet du territoire, qui accueille 436 polycliniques communautaires et 15 000 centres de consultations. Cette couverture complète du territoire cubain permet aux institutions de santé comme aux médecins de prendre en compte les spécificités de la zone et d’ouvrir des services adaptés aux besoins réels de la population.
Cela favorise l’émergence des médecins de famille, qui vivent au sein des communautés et sont au fait des problèmes qui touchent les habitants. Cela leur permet de mieux diagnostiquer et prévenir des maladies, en prenant en compte les spécificités des familles qu’ils soignent sur plusieurs générations comme les conditions socio-environnementales des patients. Contrairement aux médecins occidentaux, leurs homologues cubains n’isolent pas les patients de leur environnement pour les soigner.
Pour ce qui est des infrastructures, Cuba compte également 284 hôpitaux avec une moyenne de 5,2 lits hospitaliers pour 1 000 habitants. En France, la moyenne est de 3,8 lits dans des établissements publics et de 0,7 lits pour le Sénégal
Ils reconnaissent que les maladies peuvent avoir des causes structurelles – comme l’humidité d’une maison qui causerait des troubles respiratoires – et les prennent en compte. Cette médecine de proximité favorise aussi la confiance de la population envers le personnel médical, essentielle à l’adoption des pratiques conseillées.
L’internationalisme médicale et les “armées de la paix”
La médecine cubaine compte aussi une dimension internationale très importante, héritée de la révolution de 1959 et qui participe de son succès. Comme le dit Janice Argaillot, docteur en études latino-américaine, “l’internationalisme médical est dans l’ADN de la révolution cubaine” dont Fidel Castro avait fait de la “diplomatie en blouse blanche” un des piliers d’exportation. Le déploiement reconnu des médecins cubains, surnommés « armées de la paix », à l’internationale a une forte composante idéologique, dès lors qu’elle participe du « soft power » cubain et permet au pays d’appliquer sa vision de la médecine gratuite et universelle à l’échelle mondiale.
Sa première occurrence remonte à mai 1962, lorsque Cuba a envoyé 111 médecins en Algérie pour aider le pays, qui se reconstruisait après sa libération du joug colonial français. Dans la continuité de sa politique étrangère révolutionnaire et résolument anti-impérialiste, Cuba apporta aussi un soutien tant militaire que médical à l’Angola et à la Guinée-Bissau, alors en lutte pour leur indépendance. C’est à travers ces premières missions dans des pays africains partageant les idéaux de la révolution que Cuba met en place son internationalisme médical, qui deviendra ensuite un pilier de sa politique étrangère comme de son économie.
Entre 1960 et 2000, Cuba a envoyé 67 000 professionnels de santé dans le cadre de programmes de coopération et ce dans 94 pays différents. Parmi ses déploiements les plus importants, on compte celui de l’été 2014, au cours duquel Cuba a envoyé 461 médecins en Afrique de l’Ouest pour lutter contre l’épidémie d’Ébola, mais aussi ceux effectués pendant la Covid-19.
En effet, la Covid-19 marque le premier déploiement des forces médicales cubaines dans des pays européens, en Italie comme dans les outre-mer français. Ces interventions, souvent rapides et efficaces, sont permises par la formation d’excellence des médecins cubains, qui insistent sur la médecine épidémiologique et les soins lors de catastrophes naturelles.
En plus d’être un outil important du soft power cubain, ces « armées de la paix » sont un pilier de l’économie cubaine. En effet, ces interventions rapportent à l’île 6 à 9 milliards d’US dollars par an, contre 3 milliards pour le secteur du tourisme. L’exportation de médicaments et de vaccins cubains sont aussi une source de revenus importante, BioCubaFarma étant l’un des plus gros exportateurs de l’île. Cette diplomatie en blouse blanche permet donc à Cuba de faire tourner son économie et de continuer à investir dans le domaine de la santé, renforçant ainsi un cercle vertueux.
De fait, la médecine préventive est beaucoup moins coûteuse que la médecine curative et permet d’éviter les maladies ou de les traiter assez tôt pour éviter des charges médicales que l’île ne pourrait pas assumer. Selon le chercheur John Kirk, “le système de santé cubain est conçu pour éviter 90 % des problèmes de santé” et les dépenses que ces problèmes impliquent, contrairement à la plupart des systèmes de santé au monde, qui se concentrent sur la guérison
Cependant, les excellents résultats de la médecine cubaine et son succès international tendent à s’affaiblir depuis quelques années. En effet, de nombreux témoignages circulent, dénonçant les conditions de travail pénibles des médecins, payés maigrement, ainsi que la pénurie de médicaments. Ce recul sanitaire peut être expliqué par l’impact de la Covid-19 sur l’île, dont le tourisme était une source de revenus importante, ainsi que l’embargo américain de plus de 60 ans, rendant difficile l’achat de médicaments ou de matières premières nécessaires à leur production.
En outre, la libéralisation du système cubain orchestré par Raoul Castro, ancien chef d’État de l’île, a mis à mal un système dont la survie dépendait d’une gouvernance socialiste. En effet, les nombreuses mesures d’austérité dans le domaine de la santé ont conduit à une réduction drastique du personnel médical, pierre angulaire de la médecine préventive cubaine.
Cuba nous offre donc un exemple impressionnant de système de santé efficace, basé sur l’universalité et la gratuité dans un contexte économique pourtant défavorable. Il est important d’apprendre de ses succès comme de ses récents reculs afin de construire des alternatives de santé citoyennes en dehors des systèmes médicaux occidentaux, peu adaptés au contexte économique et social des pays d’Afrique de l’Ouest.
Crédit photo: Solidaire.org
Mia Guessab est étudiante à Sciences Po Paris en Politique et gouvernement. Elle s’intéresse aux problématiques sociales et à la démocratie .