Aboubakar Alfa Bah
Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, le Brésil connaît sa transition démocratique avec une libéralisation progressive de l’espace public brésilien. Après plus de 20 ans de dictature militaire, le pays parvient à se défaire de ce régime répressif après des manifestations violentes et des contestations répétitives. La lutte pour la démocratisation a été menée sur tous les fronts, et ceci par les mouvements sociaux et les membres de la société civile. Ces derniers avaient intensifié les protestations, ce qui avait conduit à des affrontements violents entre la police et les populations.
En 1974, avec l’arrivée au pouvoir du général Ernesto Geisel et sous une pression populaire grandissante, le nouveau gouvernement décide de s’ouvrir à travers des politiques de détente graduelle, vers la démocratie. Il conduit des mesures de libéralisation et lève partiellement les censures. Dans la foulée, les élections ont été organisées à partir des années 1982, pour les gouverneurs des États et les législatures régionales. En 1989, le pays connaît sa toute première élection présidentielle démocratique depuis le début de la dictature militaire.
Dans ce contexte de renouveau démocratique, un homme émerge sur la scène politique du pays. Il répond au nom de Luiz Inacio Lula Da Silva. Il fut l’une des victimes du régime répressif brésilien. Celui qui se fait communément appelé « Lula », partage une histoire particulière avec l’ouverture politique du pays. Il fut enfermé à plusieurs reprises pour ses multiples revendications. Lula est issu d’une famille modeste et plus particulièrement, d’une famille exilée à Sao Paulo. Dès son adolescence, il est ouvrier métallurgiste. Lula devient syndicaliste, et en 1980, il fonde l’un des partis les plus populaires du Brésil, le Parti des travailleurs et trois années plus tard, il fonde sa branche syndicale, la Centrale unique des travailleurs.
De grandes réussites comme président de la République
Né en 1945, Lula est un homme persévérant dont les ambitions vont se montrer inébranlables. L’ancien cireur de chaussures devient président de la République de la plus grande puissance latino-américaine en 2002, date de son investiture. Il est élu au second tour avec 61,27% des voix.
Après trois tentatives manquées, Lula finit par accéder à la présidence du Brésil. Sa première défaite contre Fernando Collor en 1989 et ses deux autres échecs successifs en 1994 et 1998 face à Fernando Henrique Cardoso illustrent la ténacité et la capacité d’adaptation dont fait preuve Lula. Il a fait l’objet de nombreuses critiques, car il était accusé par l’élite économique et financière brésilienne d’être un dangereux gauchiste.
Devenu Président du Brésil, Luiz Inacio Lula Da Silva va très rapidement gagner encore plus en popularité. Il se veut être le champion du changement social et travaille à positionner le Brésil comme acteur incontournable sur la scène internationale. Des grandes réformes inspirantes, notamment au niveau national, ne vont pas tarder à arriver. Dans le but de lutter contre les inégalités en termes de pauvreté, d’analphabétisme et de logement, le gouvernement de Lula met en place des programmes sociaux spécifiques de l’État-providence.
Un des programmes les plus célèbres reste La bolsa familia. Ce programme a permis à des millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté. La « Bolsa Familia » consiste en deux allocations : celle de base allouée aux familles vivant dans l’extrême pauvreté (avec un revenu par tête inférieur ou égal à 85 réais, soit 23,8 euros par mois) et celle, variable, allouée aux familles pauvres dont le revenu par tête varie entre 85,01 et 170 réais (entre 23,8 et 45,4 euros) par mois, à condition qu’elles aient jusqu’à 5 enfants âgés de moins de 17 ans. Selon un rapport de World without poverty, le programme de la Bolsa Familia est responsable de 16 % à 21 % de la réduction totale des inégalités depuis 2001.
Dans la démarche qui est la sienne, Lula réussit un coup de maître avec ce programme social. Cependant, il fait l’objet de nombreuses critiques, car selon ses détracteurs, même si ces programmes ont des effets positifs, Lula ne s’attaque pas réellement aux déterminants de la pauvreté. En réalité, ce sont des critiques fondées. A travers ces programmes, Lula vise certes un changement social mais sans pour autant se confronter aux causes fondamentales de la pauvreté. L’universitaire français Frédéric Louault dans son article, « Le retour au pouvoir de Lula, vingt ans après sa première présidence (2003-2023). Une redéfinition du Lullisme comme projet politique ? » parle d’un « équilibrisme politique permettant de lutter contre la pauvreté, sans pour autant remettre en cause les privilèges des élites traditionnelles ou s’attaquer aux structures inégalitaires du Brésil ».
Conjointement au succès de ces programmes sociaux, l’ancien syndicaliste fait du Brésil un pays incontournable sur la scène internationale. Le Brésil de Lula se sépare progressivement des États-Unis pour prendre ses propres marques et s’imposer comme un acteur solide sur la scène régionale sud-américaine. Le pays opte pour une diplomatie plus active avec les pays du Sud.
En ce sens, Lula milite pour une forte intégration de l’organisation sous-régionale du MERCOSUR, qui constitue un espace de libre circulation des biens et des services en Amérique latine. Grâce à la réussite de ses programmes sociaux, le Brésil s’offre une place de choix à l’international, avec la promotion d’un agenda social à l’ONU (Organisation des Nations-Unies) et sa participation à la création d’institutions multilatérales. On peut citer entre autres : le groupe IBAS (Inde-Brésil-Afrique du sud), le G20 de l’OMC, UNASUL (Union des nations sud-américaines). Le Brésil est également membre des BRICS, un des plus grands pôles de puissances mondiales.
Puisque la Constitution brésilienne interdit à Lula de briguer un troisième mandat consécutif, il quitte le pouvoir après huit années à la tête de la première puissance d’Amérique latine. A la fin de son second mandat, il affiche son soutien à la candidature de Dilma Rousseff, qui sera élue Présidente du Brésil par la suite.
De la chute du tandem Lula-Dilma au retour victorieux de Lula
Le 1er janvier 2011, Dilma Rousseff devient la première femme présidente du Brésil. Elle est élue au second tour face à José Serra avec 56.0 % des voix. Moins populaire que Lula, Dilma Rousseff réussit tout de même à remporter l’ élection et continue dans la même trajectoire que son prédécesseur. En 2014, Dilma Rousseff parvient de justesse à se faire élire pour un second mandat. Deux ans plus tard, un scandale éclate, mêlant corruption et pédalage budgétaire, ce qui entraîne sa destitution en 2016.
Conjointement au succès de ces programmes sociaux, l’ancien syndicaliste fait du Brésil un pays incontournable sur la scène internationale. Le Brésil de Lula se sépare progressivement des États-Unis pour prendre ses propres marques et s’imposer comme un acteur solide sur la scène régionale sud-américaine. Le pays opte pour une diplomatie plus active avec les pays du Sud
Après la coupe du monde de football de 2014, le Brésil plonge dans une récession économique, avec une baisse de la croissance et une hausse du chômage. Cette situation alarmante entraîne un mécontentement populaire. Dans la même période, une enquête est ouverte accusant une société d’État brésilienne de verser des commissions à des hommes politiques. Il s’agit de l’affaire de corruption Petrobras, qui secoue le pays et la scène politique brésilienne. Les noms de plusieurs hommes politiques sont cités notamment ceux de Lula et de la présidente en fonction : Dilma Rousseff.
Ce scandale alimente les tensions politiques conduisant à de nombreuses manifestations dans le pays. En décembre 2015, des poursuites judiciaires sont engagées contre la présidente Dilma Rousseff. Elle est accusée par l’opposition d’avoir maquillé les comptes publics pour cacher les déficits de l’économie brésilienne. L’année d’après, le 4 mars 2016, l’ex Président de la République Luiz Inacio Lula est, quant à lui, accusé de corruption et d’avoir reçu des pots de vin. Ce dernier échappe temporairement à la justice, car il sera nommé dans le gouvernement de sa dauphine Rousseff.
Une écoute téléphonique publiée par le juge Moro, alors chargé de l’affaire de corruption Petrobras, va alimenter les soupçons de “magouilles politiques” entre la Présidente Dilma Rousseff et Lula. Dans cet audio, il apparaît clairement que Dilma Rousseff a envoyé à Lula “son décret de nomination … pour lui éviter la prison”. Cette nomination de l’ancien Président est perçue comme une tentative frauduleuse pour permettre à Lula d’échapper aux poursuites judiciaires.
Les conséquences de cet acte ne se font pas attendre. Les partis de la coalition gouvernementale retirent leur soutien à la Chef d’État. Dans la foulée, plus de la moitié des députés vont pencher en faveur d’un impeachment de Dilma Rousseff. Le 31 août 2016, elle est finalement destituée de ses fonctions de présidente.
La destitution de la présidente bouleverse le destin de Lula. Considéré jusqu’à présent comme le plus grand chef d’État de l’histoire du pays, Lula fait de nouveau face à la justice. Il est reconnu coupable de blanchiment d’argent et de corruption. En juillet 2017, à un an des futures élections présidentielles, l’ancien syndicaliste est condamné à 9 ans et 6 mois de prison. Les avocats de Lula voient derrière cette condamnation, une complot visant à écarter l’ex-Président des élections du 7 octobre 2018. À ce propos, un de ses avocats déclarait “ils veulent tenir Lula à l’écart de la course à la présidence, alors qu’il est en tête dans les sondages”.
Étant considéré comme le favori à l’élection présidentielle d’octobre 2018, Lula voit sa candidature invalidée en raison de sa condamnation. L’innocence de Lula ne cesse d’être clamée, avec la promesse de ses avocats de se rendre à toutes les cours impartiales et même à l’Organisation des nations unies pour prouver l’innocence du leader du Parti travailleurs. C’est finalement la Cour suprême qui, après enquête, conclut que les poursuites engagées contre Lula avaient violé son droit d’être jugé par une cour impartiale. Ainsi, l’ex chef d’État voit l’annulation de certaines de ses condamnations par la Cour suprême brésilienne. Ses droits politiques étant restaurés, Lula est candidat à l’élection Présidentielle d’octobre 2022.
Les conséquences de cet acte ne se font pas attendre. Les partis de la coalition gouvernementale retirent leur soutien à la Chef d’État. Dans la foulée, plus de la moitié des députés vont pencher en faveur d’un impeachment de Dilma Rousseff. Le 31 août 2016, elle est finalement destituée de ses fonctions de présidente
Après des années difficiles à faire face à la justice et à la prison, le chef de fil du PT , Luiz Inacio Lula se présente une nouvelle fois à l’ élection présidentielle du Brésil. Comme un phénix, Lula remporte le scrutin avec 50,9 % des votes contre 49,1 % pour Bolsonaro au second tour.
Ce dernier finit par reconnaître sa défaite. Le 1er janvier 2023, Luiz Inacio Lula est investi président pour un troisième mandat présidentiel. Des grands chantiers attendent le nouveau dirigeant. Conscient que sa victoire contre Bolsonaro s’est jouée de peu, il annonce son envie réelle de gouverner «l’ensemble des Brésiliens et appelle ainsi à l’unité ». Même si 12 années se sont écoulées depuis son dernier passage au pouvoir, l’ancien syndicaliste entend se positionner sur les questions prioritaires, et s’engage de nouveau à soutenir des personnes dans le besoin. Lula rouvre les sentiers qu’il avait laissés, annonçant ainsi le retour d’un Brésil tourné vers le social et l’international, et d’une politique de cordialité.
Crédit photo: agenzianova.com
Aboubakar Alfa Bah est assistant de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions liées aux inégalités sociales, à la politique et à la sécurité en Afrique de l’ouest et dans les pays du sud. Alfa est étudiant en Master de Science politique et relations internationales.