Lisa Boehm
Le Costa Rica, petit pays d’Amérique latine de seulement 51 100 km2, est connu pour être un pays où il fait particulièrement bon vivre. En effet, le pays jouit d’une stabilité économique, politique et sociale qui relève quasiment de l’exception dans la région d’Amérique centrale, lui valant le surnom de « Suisse de l’Amérique centrale ». Classé à plusieurs reprises en tête des « pays les plus heureux du monde » selon l’étude du Happy Planet Index, notamment en 2012 et 2016, le pays s’illustre sur différents plans dont le bien-être de la population, l’espérance de vie, la distribution des richesses et l’empreinte écologique du pays.
Le pays ne disposait cependant pas de qualités et ressources prometteuses pour en faire un pays stable et développé économiquement et humainement. Il ne regorge pas de ressources minières et sa position géographique ne favorise pas une agriculture extensive. Sa richesse résidait principalement en sa faune et sa flore extraordinaire et très variée. Pays resté méconnu durant des siècles, malgré la colonisation de la région d’Amérique centrale à partir du XVe, il n’a pas ni su ni pu se développer économiquement et s’intégrer au sein d’une économie mondiale.
En 1821, le pays obtient son indépendance et peut enfin se constituer en un État indépendant et souverain, se saisir de ses particularités et développer son économie autour de ces ressources environnementales particulières. Le pays se développe autour de mesures qui l’inscrivent dans une trajectoire démocratique, et gagne des acquis sociaux dès 1869, avec l’établissement de l’école obligatoire et gratuite, et l’abolition de la peine de mort quelques années plus tard. En 1889, le pays connaît ses premières élections libres et s’inscrit dans une culture démocratique.
La stabilité du Costa Rica ou une anomalie régionale
En 1948, le Costa Rica connaît un bouleversement majeur à la suite d’une guerre civile meurtrière. Ce conflit conduit au pouvoir d’une junte militaire libérale. Étonnement, celle-ci prend la décision de supprimer son armée inscrivant ainsi le Costa Rica sur la liste des rares pays n’ayant pas de forces armées à proprement parler. Cette réforme du système étatique permet d’investir plus largement dans des politiques sociales, apportant sur le long terme un nouveau souffle à un pays fortement frappé par le chômage et la pauvreté.
Si l’on compare le Costa Rica à ses voisins, on peut le qualifier de véritable « havre de paix », n’ayant connu ni guerre civile, ni véritable menace extérieure depuis le milieu du XXe siècle. Quand tous ses voisins voient leur taux d’émigration exploser, le Costa Rica bénéficie d’une forte attractivité notamment pour de nombreux citoyens nord-américains qui choisissent d’en faire leur lieu de résidence, par exemple après leur retraite. Cette posture de neutralité vis-à-vis de tout conflit ou lutte armée permet finalement d’instaurer un climat pacifique, ruisselant sur la qualité de vie de la population. En effet, la posture du Costa Rica lui permet de capter largement les investissements étrangers et de profiter d’une situation économique favorable.
Ainsi, dans un monde où la course à la puissance militaire constitue une préoccupation majeure pour la plupart des États, l’abolition de l’armée au profit d’une posture de neutralité politique dans tous types de conflit confère une position particulière au Costa Rica. C’est notamment ce que défendait l’ancien président Oscar Arias Sanchez : «Certains pensent que nous sommes vulnérables parce que nous n’avons pas d’armée. C’est exactement le contraire. C’est parce que nous n’avons pas d’armée que nous sommes forts».
Les économies faites sur les dépenses de l’armée ont permis de rediriger les richesses dans des politiques sociales importantes et d’avoir un système public fonctionnel et relativement équitable. L’État providence au Costa Rica joue un rôle crucial dans le bien-être de ses citoyens, contribuant ainsi à sa réputation de pays parmi les plus heureux du monde. Ce modèle repose sur des politiques sociales robustes qui visent à assurer une qualité de vie élevée pour les habitants. Le système de sécurité sociale est considéré comme l’un des plus avancés d’Amérique latine, offrant une couverture universelle en matière de santé et de retraite.
En matière de santé, le pays dispose d’un système de santé public (la Caja Costarricense de Seguro Social) qui garantit l’accès à des soins médicaux de qualité pour tous les résidents. Ce système est financé par une combinaison de contributions des employeurs, des travailleurs et de l’État, assurant ainsi une large couverture et des services médicaux accessibles à toute la population. Cet engagement fort dans un système de santé fonctionnel et égalitaire a permis d’élever considérablement l’espérance de vie, la portant à environ 80 ans, ce qui classe le pays devant les États-Unis.
Par ailleurs, le Costa Rica accorde une importance significative à l’éducation et à la formation tout au long de la vie, facilitant ainsi l’égalité des chances et l’ascension sociale. L’investissement dans l’éducation contribue à doter les citoyens des compétences nécessaires pour s’épanouir dans une économie moderne et concurrentielle. Aujourd’hui, le taux d’alphabétisation du Costa Rica s’élève à près de 98% et le pays dispose d’universités publiques reconnues et attractives à l’international.
Le joyau vert de l’Amérique latine
L’une des particularités du Costa Rica réside dans sa faune et sa flore exceptionnelle, puisque le pays compte près de 6% de la biodiversité mondiale, pour un territoire qui n’équivaut qu’à 0,03% de la surface immergée. Le pays s’illustre aujourd’hui par son engagement envers la préservation de l’environnement, reconnu comme pionnier dans le domaine. Le pays a notamment été érigé comme modèle pour l’exploitation intelligente de ses ressources naturelles lors de la COP21.
Le Costa Rica a largement investi dans des politiques écologiques ambitieuses, aussi bien en termes de protection de l’environnement, de reforestation ou encore d’énergies renouvelables. Aujourd’hui, 98% de l’électricité consommée provient de sources renouvelables, notamment l’hydroélectricité, l’éolien ou encore la géothermie. Le pays a également inversé la balance de la déforestation, devenant le premier pays d’Amérique latine à avoir réussi à planter plus d’arbres qu’il n’en a détruit par le passé.
Particulièrement touché par la déforestation dans les années soixante-dix, le pays compte aujourd’hui deux fois plus de forêts qu’il y a 30 ans. Cette initiative a pu voir le jour grâce à l’engagement conjoint des pouvoirs publics et de la population. En effet, depuis 1996, les agriculteurs et propriétaires fonciers sont rémunérés par l’État pour participer au programme de reforestation, puisque ce programme implique de réduire leurs terres cultivables.
Cet intérêt particulier porté à l’environnement a également permis de développer un tourisme tourné autour d’initiatives écologiques, l’écotourisme, respectueux des cultures locales et inscrit dans une logique de préservation de l’environnement. Ce tourisme basé sur les qualités environnementales du pays a permis d’en faire la première destination touristique d’Amérique centrale.
Cette stratégie allie ainsi préservation de l’environnement et stimulation économique puisque le secteur du tourisme emploie un pan important de la population et constitue une part conséquente du PIB costaricain. Il permet d’intégrer pleinement la population qui peut toucher directement les fruits du tourisme, par le biais de concepts comme les écolodges gérés par des locaux. Ce joyau vert extrêmement bien protégé et entretenu participe à la fierté nationale et au bonheur de ses habitants, qui bénéficient et profitent d’un environnement luxuriant et sain.
Certes, le Costa Rica dispose d’un cadre de vie enviable, notamment en termes environnemental et social. Il ne faut cependant pas évincer les problématiques qui entachent quelque peu l’image du pays. En effet, nombreux décrient l’utilisation abondante de pesticides, notamment dans les plantations d’ananas, culture qui constitue une part importante des exportations du pays. Le Costa Rica se place aujourd’hui au sommet de la liste des pays utilisant le plus de pesticides par hectare au monde.
Bien que le Costa Rica soit considéré comme un champion en matière d’acquis sociaux dans la région, le pays fait face à de réelles inégalités dues à son système économique libéral, ce qui ternit son image. En effet, 20% de la population la plus pauvre connaît un taux de chômage avoisinant les 25%. Même le pays supposément le plus heureux du monde connaît des limites.
Crédit photo: Tourlane
Lisa Boehm est étudiante en Master de Diplomatie et négociations stratégiques à l’Université Paris-Saclay. Elle s’intéresse particulièrement aux questions de sécurité et droits humains en Afrique de l’Ouest et au Proche et Moyen Orient, et réalise actuellement un stage au sein de WATHI.