Au terme de l’Initiative de WATHI intitulée « Les difficultés économiques des femmes au Mali et au Sénégal : accès à l’emploi, à la terre et au crédit », le constat est celui de la similitude des difficultés auxquelles se heurtent les femmes dans ces deux pays voisins. Le principal obstacle est le poids des traditions qui relèguent la femme au second plan et ne lui accordent que peu de droits et de privilèges par rapport aux hommes.
Accès à l’emploi
Observations
En matière d’accès à l’emploi, la situation des femmes maliennes et sénégalaises ne diffère quasiment pas. Au Mali, le poids de la tradition freine l’émancipation féminine : le Mali est une société à caractère patriarcal, où peu de femmes ont accès aux postes à responsabilités (ministres, ambassadeurs, directrices nationales, etc.) et d’une manière générale sont souvent écartées des lieux de prise de décision. Les femmes sont surreprésentées dans le secteur tertiaire, en particulier dans les activités de commerce, de restauration et des services aux personnes privées (ménage). Elles sont par contre fortement sous-représentées dans les activités de pêche, d’extraction, de transport ainsi que dans l’immobilier et l’administration publique.
Les femmes sont de moins en moins nombreuses au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie des catégories socioprofessionnelles. Alors que les femmes représentent 68 % des emplois d’aide familiale et 50 % des travailleurs à leur compte, elles ne sont plus que 23 % des cadres moyens et agents de maîtrise et seulement 18 % des cadres supérieurs, ingénieurs et assimilés. Plus de neuf femmes sur dix (93 %) travaillent comme aide familiale ou sont à leur compte (le plus souvent dans le secteur informel), ce qui souligne bien le faible niveau de qualification des emplois occupés par la majorité des Maliennes.
Certaines jeunes femmes de Bamako et celles qui sont les plus touchées par la pauvreté dans d’autres régions n’ont d’ailleurs quasiment aucune chance d’obtenir un emploi satisfaisant : elles occuperont la majorité de leur vie des emplois précaires, insuffisamment payés et qui nécessiteront de longues heures de travail. On observe d’ailleurs que la majorité des jeunes femmes urbaines tirent leur revenu d’activités relevant du secteur non structuré (commerce de petit détail des denrées alimentaires), très peu protégé. Les emplois salariés, à responsabilité, ou d’une manière générale de bonne qualité, sont bien souvent occupés par les hommes.
Le premier obstacle à leur difficulté d’accès à un emploi provient du faible niveau de scolarisation et du fort taux d’analphabétisme. Les résistances à la scolarisation des jeunes filles sont encore vivaces et expliquent la faiblesse des ressources allouées à l’éducation des filles et des femmes.
Poursuivre des études reste une activité peu répandue chez les jeunes filles : seules 19 % d’entre elles étaient scolarisées en 2013, contre 32 % des garçons. La relative sous-scolarisation des jeunes femmes reflète le poids de la tradition au Mali qui reste un obstacle à leur fréquentation scolaire. A contrario, les jeunes les plus aisés qui peuvent se permettre de se passer du revenu d’un emploi et qui ont la possibilité de voir les frais directs et indirects pour leur éducation couverts sont plus susceptibles d’être scolarisés que ceux appartenant au quintile des ménages les moins riches.
Au Sénégal, le chômage est de 23,1% chez les femmes contre 11,9% chez les hommes. Les femmes sont plus présentes que les hommes dans les industries alimentaires, l’hôtellerie et la restauration et, dans une moindre mesure, le commerce. Du fait des rôles sociaux qui leur sont assignés, ainsi que des discriminations et des injustices qu’elles subissent à tous les niveaux, les jeunes femmes et jeunes filles rencontrent en général plus de contraintes liées à l’insertion sur le marché de l’emploi et doivent faire face à un plafond de verre (le fait que, dans une structure hiérarchique, les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes) lorsqu’elles y accèdent.
Le taux d’emploi des jeunes femmes reste inférieur à celui des jeunes hommes, quelle que soit la tranche d’âge, et la différence est nette : 54% contre 33 % soit un écart de 21 points. Ce faible taux de participation des femmes s’explique en partie par le poids des facteurs socioculturels qui relèguent les femmes à des activités domestiques, surtout en milieu rural. Sur quatre jeunes inactifs, trois sont des femmes.
La situation de la femme sénégalaise s’explique par trois raisons : le poids des pratiques socioculturelles qui confinent le plus souvent les femmes à des travaux domestiques non rémunérés, la pratique d’une certaine discrimination dans les recrutements défavorables aux jeunes filles et une inactivité choisie plus grande chez les femmes que chez les hommes.
- Sensibiliser aussi bien dans les zones urbaines que rurales sur la problématique hommes-femmes, la promotion de l’emploi productif, des revenus et du travail décent. Particulièrement en milieu rural, le principe d’égalité entre hommes et femmes est perçu comme étant en contradiction avec les valeurs familiales traditionnelles, et les valeurs et croyances religieuses et spirituelles.
- Ouvrir le champ des opportunités aux filles comme aux garçons suppose de ne pas renforcer la ségrégation par sexe des filières de formation professionnelle. Les filles comme les garçons doivent pouvoir accéder aux mêmes formations.
- Modifier l’image de la femme véhiculée dans les manuels scolaires : véritable vecteur de sexisme, les manuels scolaires diffusent des stéréotypes de genre. Ils ne reflètent pas la diversité des rôles des hommes et des femmes et présentent des situations inégalitaires existantes sans les critiquer ou présenter des alternatives.
- Permettre aux femmes d’être plus présentes dans les instances dirigeantes des entreprises pour l’atténuation de la discrimination lors du processus d’embauche.
- Réguler autant que possible le secteur informel, celui au sein duquel les femmes sont plus actives au Sénégal et au Mali, en mettant l’accent sur des dispositifs simples et réalistes de protection sociale minimale sur la base d’un dialogue avec les acteurs du secteur informel.
Accès à la terre
Observations
Dans le droit coutumier malien, les femmes sont exclues de l’accès à la propriété foncière, alors qu’elles participent largement à l’exploitation des terres. Dans les conflits fonciers de plus en plus répandus, elles sont les principales lésées, avec des conséquences sur la sécurité alimentaire des familles. La Loi d’orientation agricole d’août 2006 a bien organisé leur protection, suite à d’importantes concertations auxquelles elles ont participé.
Parmi les acteurs du monde rural, les femmes jouent un rôle central au Mali et sont les premières affectées par l’insécurité foncière. Elles représentent 51,6 % de la population dans les campagnes, constituent 60 % de la main-d’œuvre agricole et apportent environ 80 % de la production alimentaire. Mais elles font face à un statut précaire au regard du droit coutumier, qui ne leur reconnaît pas le droit d’être propriétaires des terres qu’elles cultivent. Alors que ces dernières années, la spéculation foncière s’est accélérée dans le pays, elles sont les premières victimes de la concurrence. Dépourvues de titres de propriété et souvent sans revenus pour accéder à des parcelles dont le prix est devenu trop élevé, elles ont un faible accès au crédit.
La femme n’est en général pas propriétaire des terres. On lui prête toujours un bout de terrain à cultiver, mais il appartient à sa famille ou à celle de son mari. Pour que les femmes puissent devenir propriétaires comme les hommes, le droit coutumier représente un frein.
Le 16 août 2006, une Loi d’orientation agricole (LOA) a été adoptée par l’Assemblée nationale du Mali, suite à de larges concertations menées auprès des paysans et des paysannes pendant plusieurs mois, aux niveaux local, régional et national. La LOA a pour objet de définir les grandes orientations d’une politique de développement agricole au Mali, à savoir la promotion d’une agriculture « durable, moderne et compétitive reposant prioritairement sur les exploitations familiales ». Elle vise « à garantir la souveraineté alimentaire et à devenir le moteur de l’économie nationale en vue d’assurer le bien-être des populations » (article 1er). Sa mise en œuvre n’est pas aisée dans un contexte où dans les mentalités, le pouvoir reste largement dévolu aux hommes.
Les femmes rurales au Sénégal sont victimes d’une grande vulnérabilité foncière à cause de deux facteurs principaux : la prééminence de fait des régimes fonciers coutumiers sur le droit moderne (ce qui tend à limiter la portée de la consécration du principe juridique de l’égalité des sexes) ; et les pesanteurs socioculturelles. La quasi-totalité des femmes n’a pas accès aux droits fonciers formels. Et cette exclusion fragilise la capacité des femmes à investir dans l’exploitation de leurs terres.
Les femmes rurales accèdent à la terre de façon indirecte. Cet accès résulte d’une autorisation temporaire de cultiver des parcelles. Généralement, une femme qui se marie et rejoint le domicile conjugal reçoit une parcelle. Lorsque la famille du mari ne dispose pas de suffisamment de terre, elle entreprend des démarches pour bénéficier d’un prêt de terre qu’elle alloue par la suite à la nouvelle mariée.
Les femmes sont victimes des dispositions coutumières en général et des règles successorales en particulier. Deux tiers des hommes disent avoir hérité de leurs parents les terres qu’ils possèdent. En ce qui concerne les femmes, cette proportion est de moins d’un cinquième. Les pratiques foncières actuelles sont héritées de la tradition. Une femme ne peut pas hériter des terres laissées par ses parents. Ces terres reviennent à ses frères.
Le poids de la pression sociale et des idéologies véhiculées à travers le système éducatif amène les femmes à déclarer que l’iniquité en matière foncière et la vulnérabilité qui les frappent sont en soi quelque chose de normal. En revanche, certaines femmes aisées parviennent à accéder à la terre par la location ou l’achat de parcelles. Ces femmes font partie d’une catégorie assez nantie ou bénéficient d’une considération identique à celle des hommes (femmes issues de familles maraboutiques, femmes de notables, etc.).
A la faiblesse du statut de la femme s’ajoute, comme le montrent des études, la méconnaissance par la grande majorité d’entre elles des lois qui pourraient leur permettre de faire valoir leurs droits. Même lorsqu’elles connaissent la législation, elles n’osent pas remettre en cause les règles sociales, en particulier les rapports entre hommes et femmes.
Dans la quasi-totalité des zones agro-écologiques du Sénégal, les femmes n’accèdent à la terre ni par héritage, ni par les voies modernes issues de la Loi sur le Domaine National. Puisque l’accès des femmes à la terre au Sénégal est controversé, des stratégies alternatives sont développées par ces dernières, le plus souvent avec l’appui des projets et programmes de développement ou de la société civile : accès par le biais des groupements de femmes, des transactions foncières locales et des aménagements publics.
C’est par le biais des groupements féminins et plus récemment des groupements d’intérêt économiques (GIE), que les femmes obtiennent des droits formels sur la terre.
- Sensibiliser dans les zones rurales et urbaines sur la question de la nécessité de la possession de la terre par les femmes malgré les prescriptions ou interprétations des traditions. En milieu rural surtout, le principe d’égalité entre hommes et femmes se trouve en contradiction avec les valeurs familiales traditionnelles, et les valeurs religieuses, animistes et islamiques.
- Procéder à des réformes qui facilitent l’accès à la terre pour la femme (location et achat) sans l’aval ou l’intervention d’un membre de sa famille de sexe masculin
- Reconnaître effectivement les droits fonciers aux femmes n’est possible que dans le cadre d’une réforme globale de la législation foncière. Le Mali en a appliqué une avec la Loi d’orientation agricole (LOA), mais sa mise en œuvre reste problématique.
- Rendre plus facile l’accès des femmes rurales à la justice afin qu’elles puissent revendiquer le respect de leurs droits dans le domaine foncier. Au Niger par exemple, les femmes obtiennent de plus en plus l’accès à la propriété foncière à travers des jugements qui leur reconnaissent leur droit à l’héritage.
- Faciliter l’accès au crédit, car même si des lignes de crédit sont mises en place par de plus en plus d’institutions de microfinance et par les projets de développement, leur capacité à couvrir les besoins globaux des femmes reste limitée.
Accès à l’emploi
Observations
Au Sénégal et au Mali, les microcrédits et les Systèmes de financement décentralisés (SFD) sont des méthodes très prisées par les femmes pour le financement de leurs initiatives. Les microcrédits sont une grande avancée dans la situation économique des femmes car avant les années 1980, la grande majorité des femmes était exclue du marché financier. Elles n’avaient aucune chance d’accéder à un quelconque financement de leurs activités en dehors des liens personnels (emprunts individuels) qui n’existent pas pour tout le monde et dont le volume de crédit et le fonctionnement ne sont pas de nature à développer une activité économique.
Les femmes ont une implication active dans la définition du mode d’accès au microcrédit. En tant que bénéficiaires directes ou étant responsables d’instances de prises de décisions, elles participent à la définition des montants, à la qualification des bénéficiaires et assurent le recouvrement.
Les systèmes de microcrédit privilégient les secteurs d’activité des femmes dans le financement et permettent de véhiculer des messages pour le développement de leurs affaires et l’amélioration de leurs conditions de vie. Il est permis d’espérer avec le renforcement des capacités que les femmes soient à même de gérer des volumes de financement plus importants et de faire évoluer les entreprises individuelles.
De l’avis des femmes maliennes, les crédits sont élevés et contraignants. Les frais afférents aux crédits sont nombreux et ne se justifient pas toujours. L’assurance et le fonds de suivi ou de formation restent compliqués pour des femmes dont la compréhension va difficilement au-delà de la nécessité de payer un intérêt. Ces frais financiers cumulés diminuent la marge de rentabilité des activités qui ne le sont pas suffisamment au débat du projet.
Les modalités de remboursement des crédits ne sont pas adaptées aux besoins financiers des femmes. On constate de façon générale que les mensualités de remboursement ne sont pas compatibles avec le type d’activités. Cela découle du fait que les dossiers de crédit ne sont pas suffisamment étudiés pour déterminer avec précision le besoin financier des bénéficiaires.
Le faible niveau du volume de crédit que perçoivent les femmes, à cause de la nature et de la taille de leurs activités, ne leur permet pas de générer des bénéfices suffisants permettant de franchir durablement le seuil de la pauvreté. Même lorsque leurs revenus augmentent très nettement au cours de leur première année d’activité, ils plafonnent ensuite très vite, voire s’essoufflent.
Le niveau d’accès des femmes aux services des SFD au Sénégal s’est sensiblement amélioré durant l’année 2011. Malgré une stagnation de la proportion du sociétariat féminin entre 2010 et 2011, on note une nette progression de la part des dépôts mobilisés par les femmes et surtout de l’encours des crédits détenus par celles‐ci (ayant pratiquement triplé en 3 ans).
Néanmoins, le taux de pénétration global du microcrédit des femmes au Sénégal se situe à 11% contre 15% pour les hommes. Ce qui veut dire que sur dix femmes, une seule a ouvert un compte auprès des SFD pour obtenir du crédit ou déposer son épargne.
- Création de solutions par les structures de microfinance de solutions pour que le poids de l’agrandissement du réseau ne pèse pas sur les femmes qui en bénéficient. Le grand échec de la microfinance réside dans le coût élevé des taux d’intérêt appliqués. Ce taux croît au fur et à mesure que le réseau s’agrandit, car les dépenses de fonctionnement sont de plus en plus importantes.
- Revoir à la hausse les montants des crédits accordés pour lutter efficacement contre la pauvreté des femmes. Les caractéristiques du microcrédit ne répondent plus à l’idée de départ, celle de lutter contre la pauvreté des femmes : le montant des crédits est généralement peu significatif et ne permet pas de réaliser des bénéfices suffisants.
- Revoir les modalités de remboursement des crédits revues afin qu’elles correspondent aux réalités des activités économiques des femmes à qui les crédits sont accordés. Les modalités de remboursement des crédits sont très contraignantes et ne sont pas adaptées aux besoins financiers des femmes. On constate de façon générale que les mensualités de remboursement ne sont pas compatibles avec le type d’activités que mènent les femmes.
- Accompagner les femmes d’une manière qui leur permettrait aux de mieux planifier leurs dépenses d’investissement post-financement en libérant par exemple les versements par tranches.
- Créer une institution au niveau national qui se matérialiserait sous la forme d’une plateforme de concertation et d’échanges en vue de créer le maximum de synergie d’actions pour l’accès des femmes rurales au financement adéquat.
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