Le 15 Juin 2017, la présidente du Liberia, Mme Ellen Johnson Sirleaf, a affirmé que “Les élections d’octobre 2017 seront déterminantes pour le Liberia“. Sans aucun doute, et pour plusieurs raisons, ces élections constitueront une étape importante dans l’histoire politique du Liberia. En effet, pour la première fois depuis 1944, le Liberia connaitra un transfert pacifique du pouvoir d’un président élu à un autre président élu. Ces élections sont également importantes parce qu’elles sont les troisièmes organisées au Liberia depuis la signature de l’Accord de paix en 2005, et les premières élections depuis la réduction significative de l’effectif des forces de maintien de la paix des Nations Unis (UNMIL) sur le territoire libérien en 2016.
En effet, pour la première fois depuis 1944, le Liberia connaitra un transfert pacifique du pouvoir d’un président élu à un autre président élu
Un autre aspect important de ces élections réside dans l’absence – du moins techniquement – d’un président sortant, étant donné que Mme Sirleaf, conformément à la Constitution, en est à son second et dernier mandat présidentiel. En dépit de l’annonce de la candidature du vice-président Boakai, les élections présidentielles de 2017 devraient être ouvertes et compétitives. Par conséquent, elles seront – à plusieurs égards – similaires aux élections de 2005 et de 2011. Par exemple, le nombre de candidats à la présidentielle (pour le ticket de président et de vice –président) qui était de 22 en 2005 et de 16 en 2011 est de 20 candidats pour la présidentielle d’octobre 2017. Il est également possible que le taux de participation, qui n’a fait que baisser depuis 2005, demeure également un défi pour les élections d’octobre 2017 (surtout pendant le second tour s’il y en un). Le taux de participation donné par la Commission électorale nationale (NEC) était de 74.9% au premier tour et de 61.0% au second tour en 2005. Par contre, en 2011, il était estimé à 71.6% au premier tour et de 38.6% au second tour en 2011.
Les parties prenantes face aux multiples défis pour garantir des élections apaisées
Il y a seulement quelques mois, voire quelques semaines, les observateurs avaient plusieurs raisons de s’inquiéter par rapport aux élections du 10 octobre 2017 au Liberia. En effet, parmi les difficultés à surmonter pour que les élections soient paisibles, libres et équitables, plusieurs étaient relativement aisées à anticiper, les unes aussi politiquement sensibles et complexes que les autres. Pour l’essentiel, ces difficultés étaient liées à l’application du Code de conduite (Coc) dans le processus de validation des candidatures, d’une part, et au défi de financement auquel la Commission électorale nationale faisait face par rapport à l’exécution dans les délais de ses tâches, d’autre part.
En outre, l’on s’attendait à ce que la Commission électorale fasse face à plusieurs défis d’ordre logistique compte tenu du fait que les élections se tiendront pendant la saison des pluies, ce qui rend quasiment inaccessible des régions entières du pays. Même si la Police nationale du Liberia (LNP) a bénéficié de l’appui de la communauté internationale durant la période post-conflit, il n’en demeure pas moins qu’elle fait toujours face à des problèmes de capacités et aura besoin d’appui pour pouvoir assurer la sécurité tout au long du processus électoral. En substance, même si la Mission des Nations Unies au Liberia (UNMIL) a prorogé son mandat jusqu’en mars 2018, son effectif sur le terrain a été largement réduit. Ainsi, la Mission n’a plus mandat d’assurer la sécurité du territoire national qui est maintenant sous la responsabilité du gouvernement libérien.
une collaboration très étroite entre la Commission électorale nationale, l’appareil judiciaire et le Médiateur a permis de publier la liste des candidats aux élections présidentielles
En dépit de tous ces obstacles, les parties prenantes au processus électoral du Liberia ont su conjuguer leurs efforts et prendre certaines mesures allant dans le sens d’une bonne préparation des élections. Par exemple, une collaboration très étroite entre la Commission électorale nationale, l’appareil judiciaire et le Médiateur a permis de publier la liste des candidats aux élections présidentielles. De même, la liste des électeurs qui fait état de 2,183,683 inscrits a été publiée par la Commission électorale Nationale. La campagne électorale, officiellement lancée le 8 aout, prendra fin le 8 octobre 2017. De plus, les 17 août et 25 Septembre 2017 se sont tenus pour la première fois au Liberia, les premiers débats entre des candidats à la présidentielle. Ces débats ont enregistré la participation d’au moins 4 des 6 candidats favoris.
Les élections et l’avenir de la démocratie au Liberia
Outre les mesures sus-mentionnées prises pour garantir la tenue d’élections paisibles, libres et équitables en Octobre 2017, il convient d’attirer l’attention sur le fait que certains facteurs risquent d’affecter l’avenir de la démocratie au Liberia. Parmi ces facteurs qui constituent de sérieuses menaces à la consolidation de la démocratie libérienne, nous insisterons sur seulement deux dans le cadre de ce papier.
Le premier facteur est relatif à la corruption. Mieux que quiconque, la présidente Mme Johnson Sirleaf a su articuler les difficultés auxquelles le Liberia est confronté dans la lutte contre la corruption. En effet, lors de son dernier discours adressé au Parlement libérien, la présidente a bel et bien reconnu le fait ‘’de n’avoir pas pu complètement honorer sa promesse d’éradiquer la corruption’’ (http://bit.ly/2z0ztJB ). Une promesse faite lors de son investiture en 2006. Ce constat d’échec de la part de la présidente est corroboré par l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de Transparency International où le classement du Liberia en termes de corruption est globalement demeuré le même ces dernières années. Par exemple, entre 2010 et 2016, de la 87eme position (sur 178), le pays est passé à la 90eme position (sur 176), puis à la 94eme position (sur 175) en 2014.
lors de son dernier discours adressé au Parlement libérien, la présidente a bel et bien reconnu le fait ‘’de n’avoir pas pu complètement honorer sa promesse d’éradiquer la corruption
Le second facteur, qui est très lié au premier, est au cœur de la démocratie. Il s’agit de l’Etat de droit, plus spécifiquement de l’égalité de tous devant la loi. En 2012 déjà, selon le Round 5 des enquêtes d’Afro baromètre, 53% des Libériens pensaient que les crimes commis par des officiels demeuraient souvent ou toujours impunis tandis que seulement 19% des Libériens pensaient que les crimes commis par des citoyens ordinaires restaient impunis. Cette perception semble s’être aggravée au fil du temps. En effet, d’après le Round 6 des enquêtes d’Afro Baromètre menées en 2015, 73% des libériens cette fois-ci pensent que les crimes commis par les officiels sont impunis alors que 24% pensent que les crimes commis par les citoyens ordinaires demeurent impunis.
Pour mieux relever ces défis, notamment en ce qui concerne la gestion du processus électoral, le gouvernement, la Commission électorale Nationale, l’appareil judiciaire et, dans une certaine mesure, les bailleurs de fonds doivent continuer à fournir les efforts nécessaires pour améliorer les conditions de travail (en termes de capacités et de ressources) des principales parties prenantes telles que la Commission électorale Nationale, la Police nationale du Liberia, les organisations de la société civile, l’appareil judiciaire, le Médiateur afin qu’ils puissent être à même d’accomplir convenablement leurs missions respectives. Quant aux candidats, ils ont l’obligation de réfléchir et de partager avec les électeurs (et, plus largement, plus largement avec les citoyens libériens) les propositions de politiques pertinentes susceptibles d’aider à s’attaquer de façon crédible aux obstacles à la consolidation de la démocratie au Liberia dont certains ont été précédemment évoqués.
En définitive, le succès de ces élections, le maintien de la paix et la consolidation de la démocratie au Liberia exigent l’engagement de tous.
Cet article a été publié initialement sur le site d’OSIWA sur ce lien : http://bit.ly/2kxW5hk
Source photo : csmonitor.com
Politologue béninois, Mathias Hounkpe est actuellement l’administrateur du programme de Gouvernance politique à OSIWA (Open Society Initiative for West Africa). Massa Crayton est chargée du bureau Liberia d’OSIWA à Monrovia.