Extraits de l’entretien
La situation des femmes au Sénégal
« Nous avons l’impression d’être oubliées… »
« Je m’approvisionne en légumes au marché de Thiaroye, puis je les vends devant chez moi. Tout le monde sait que la situation des femmes est très difficile. On se lève très tôt pour aller au marché, nous n’avons pas assez de fonds, la marchandise coûte cher. J’emprunte souvent de l’argent pour pouvoir renforcer mon étable. Ce n’est pas facile de s’en sortir ainsi. Nous avons l’impression d’être oubliées.
Dans mon quartier Ainoumane (un quartier dans la banlieue de Dakar) en tout cas, les femmes ne reçoivent aucun soutien du gouvernement. Les difficultés se manifestent à tous les niveaux. C’est dure de tenir un foyer, la vie est très chère ; le kilogramme de riz est à 500 francs CFA, l’huile je n’en parle même pas. Pour une femme qui doit nourrir sa famille ce n’est pas évident. Je suis veuve, mon mari est décédé. Je me débrouille pour faire vivre mes enfants, la pension que je perçois est insuffisante.
Nous ne nous laisserons pas utiliser puis oublier
Nous avions une tontine avec les voisines, mais je n‘ai pas pu continuer car c’était impossible parfois d’assurer mes cotisations. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous les femmes d’Ainoumane ne sommes au courant de rien. Aucune autorité politique ne vient ici.
Nous les femmes du quartier devons être plus solidaires entre nous comme nous l’avons toujours fait. L’union fait la force. Si une autorité politique souhaitait venir vers nous ce serait sur des bases claires. Nous ne nous laisserons pas utiliser puis oublier. Cela ne sert à rien de recevoir une somme de 1000 francs CFA ou 2000 francs CFA aujourd’hui et rien sur le long terme. Nous sommes conscientes que ce n’est pas si simple mais avec de la volonté on arriverait à quelque chose. »
L’importance des études pour les jeunes filles
« Si j’avais fait des études peut-être que je ne serais pas si fatiguée à essayer de trouver de quoi vivre convenablement… »
« Seule une de mes filles étudie parce que je n’ai pas de quoi assurer la scolarité des autres. Il y a la plus grande aussi qui se forme en couture. Je souhaite que ma fille qui a la chance de poursuivre ses études puisse réussir et avoir un bon poste. Qu’elle occupe de grands postes de responsabilités.
Certes c’est Dieu qui décide de la destinée des uns et des autres, on peut voir des personnes qui n’ont pas fait de grandes études et pourtant réussir dans la vie, mais j’espère vraiment pour elle qu’elle aura de grandes opportunités. Ainsi elle pourra apporter sa contribution aux charges de la maison.
Seule une de mes filles étudie parce que je n’ai pas de quoi assurer la scolarité des autres
Elle n’a pas encore en tête le mariage car elle souhaite d’abord réussir dans sa vie professionnelle pour pouvoir me soutenir, même si elle se mariait je ne la laisserais pas interrompre ses études. Elle est consciente de ma situation et des difficultés que nous avons donc pour l’instant le mariage ne l’intéresse pas.
Moi qui suis sa mère je regrette de n’avoir pas eu la chance d’étudier. Les études sont d’une grande importance. Si j’avais fait des études peut-être que je n’éprouverais pas autant de difficultés à vivre convenablement. Donc, je ferai le nécessaire pour que ma fille puisse terminer ses études. Elle pourra être indépendante même si elle se marie un jour. Le mariage ne devrait pas constituer un frein pour l’ascension professionnelle des femmes. C’est toujours bien d’avoir des revenus et de ne pas être dépendante de son mari. Si ton mari accomplit ses devoirs c’est bien, s’il ne les accomplit pas, tu pourras te prendre en charge et prendre en charge tes enfants. Tu seras respectée par ton mari. »
Les attentes des femmes par rapport aux décideurs politiques
« Si nous n’avions qu’une seule personne venue pour nous aider, nous serions capables de nous organiser…»
« Mon mari faisait partie des policiers radiés par l’administration. l’Etat leur doit toujours des indemnités. Si nous pouvions percevoir cet argent vraiment cela nous soulagerait. Je lance un appel au président de la République sur ce dossier. Même si ce n’était pas sous son magistère, il peut faire de telle sorte que nous recevions notre argent.
Nous avons des enfants qui sont encore jeunes et sous notre responsabilité. La pension ne suffit vraiment pas. Je lui demanderais de nous aider aussi, de construire des infrastructures, de mettre en place un système d’éclairage du quartier. Pendant l’hivernage, nous avons du mal à circuler normalement à cause des inondations.
Si nous n’avions qu’une seule personne venue pour nous aider, nous serions capables de nous organiser avec toutes les femmes du quartier pour lui soumettre nos besoins en fonction des aspirations de chacune. Nous avons un projet pour les femmes du quartier, nous disposons d’un grand espace dans notre quartier. Nous voulons juste un aménagement pour y mener différentes activités allant de la teinture à la vente de produits détergents. Je relance un appel aux femmes sur l’importance de toujours rester solidaires entre nous et de continuer à travailler ».
Photo : WATHI
Aminata Ndiaye habite à Ainoumane, un quartier entre Pikine et Guédiawaye dans la banlieue dakaroise. Elle vend des légumes devant son domicile.