« La situation des femmes est très précaire. Ceux qui en ont le pouvoir devraient accompagner les femmes de façon plus importante… »
Extraits de l’entretien
La situation des femmes au Sénégal
« Dans cette société, quand tu es une femme, tu es en situation minoritaire… »
« Quand tu te lèves à cinq heures du matin, tu ne vois que des femmes. Ce sont elles qui se réveillent tôt le matin pour se battre chaque jour. Dans cette société, quand tu es une femme, tu es en situation de minorité car ces histoires de parité n’existent pas réellement.
Il faut dire les choses comme elles sont et reconnaitre que les femmes sont des guerrières
Lorsque tu es une femme, on pense que tu n’es pas dotée d’une grande intelligence alors qu’en réalité nous sommes les plus braves. Peu importe que les conditions soient dures ou heureuses, nous sommes responsables du bien-être des foyers, nous sommes responsables de tout, nous sommes véritablement les plus braves de la société. Je le dis haut et fort. Les autorités doivent penser à inclure les femmes dans tous les projets mis sur pied dans le pays.
Tout le monde sait ce qui se passe au Sénégal. Il faut dire les choses comme elles sont et reconnaitre que les femmes sont des guerrières. En tant que jeune fille, dès que tu rentres chez toi, il y a plusieurs tâches ménagères qui t’attendent. Ta mère va t’assigner plusieurs travaux à faire. Si nous les femmes arrêtions d’accomplir ces tâches, cela bloquerait tout le monde. Mais nous faisons ce travail et en plus de cela, nous arrivons à trouver un emploi pour contribuer dans les finances de nos familles.
Même si la politique proposée par la femme est de qualité, même si elle présente de bons projets, on a tendance à favoriser l’homme
Même dans les bureaux la parité n’est pas respectée. On recrute plus d’hommes que de femmes. La parité n’existe pas. C’est un concept qui reste très théorique. Par exemple, quand une femme et un homme présentent leurs candidatures pour être président de la République, l’homme est beaucoup plus considéré. On l’a vu en 2012 avec la candidature de la styliste Diouma Dieng Diakhaté. Même si la politique proposée par la femme est de qualité, même si elle présente de bons projets, on a tendance à favoriser l’homme. Les hommes exercent une trop grande domination sur les femmes. Même en politique, on a plus confiance en eux. »
Obstacles à l’autonomisation de la femme
« Les obstacles à l’autonomisation de la femme sont le manque de financement et le manque de soutien »
« De mon côté, depuis que je suis dans le métier de la coiffure, personne ne s’est approché de moi pour m’aider. Aucune organisation n’est venue me dire « Awa, nous voulons travailler avec toi pour aider les jeunes filles et les sensibiliser sur l’importance de l’entreprenariat. » Je suppose que beaucoup de ces organisations connaissent ma situation et savent que j’ai commencé au bas de l’échelle pour arriver au niveau où je suis.
La parité n’existe pas. C’est un concept qui reste très théorique
Selon moi, la situation des femmes est très précaire. Ceux qui en ont le pouvoir devraient accompagner les femmes de façon plus importante. Quand je dis accompagner les femmes, j’entends discuter avec elles, leur montrer comment élaborer des projets de travail, comment faire évoluer leurs entreprises et connaître le succès. Il y a plusieurs personnes comme moi qui sont légitimes pour parler de ces choses aux jeunes filles et nous aurions pu être sollicitées dans ce sens.
Grâce à notre expérience, nous sommes des porteuses de voix. Nous sommes également des mères et en tant que telles nous aurions pu profiter d’une plateforme pour discuter avec les jeunes générations, leur raconter nos trajectoires, nos échecs et leur donner des conseils. »
Les obstacles à l’autonomisation de la femme sont donc le manque de financement et le manque de soutien. Il est très difficile d’être responsable de la formation de jeunes filles parce que, moi personnellement, je les forme sur le plan professionnel et je les éduque sur le plan social. Je dois gérer tout cela. C’est difficile et pourtant, je fais avec. »
La culture du travail
« Il faut toujours se battre en gardant l’espoir qu’un jour on va y arriver… »
« Personnellement, je vais toujours travailler que je reçoive un soutien financier ou non. Avant tout, je crois au pouvoir de mes deux mains. Si j’ai percé c’est parce que j’ai su travailler avec ces deux mains. Si j’ai pu m’imposer et établir un réseau professionnel c’est parce que je fais du bon travail et les gens me connaissent grâce à la qualité de mes créations. Il ne faut pas baisser les bras. Il faut toujours se battre en gardant l’espoir qu’un jour on va y arriver.
Quand je dis accompagner les femmes, j’entends discuter avec elles, leur montrer comment élaborer des projets de travail, comment faire évoluer leurs entreprises et connaître le succès
Puis les choses sont en train de bouger. Je vois qu’on commence petit à petit à soutenir l’entreprenariat des jeunes filles. Je vois que la situation s’améliore progressivement pour elles. Mais, il faut qu’elles fassent des efforts. Il ne faut pas badiner avec l’aide qu’on reçoit. Il faut qu’elles se battent et qu’elles fassent preuve d’ambition. L’essentiel c’est d’avoir foi en soi, savoir comment fructifier ce qu’on reçoit, être capable de transformer 5 francs en 10.000 francs voire 100.000 francs, mais ne pas gaspiller l’argent ou le perdre.
Celles qui veulent exceller dans le domaine de la coiffure, doivent y croire et se dire qu’elles peuvent devenir des as. En ayant cette mentalité et en fournissant des efforts, elles peuvent y arriver. C’est ce qu’il faut faire, pas autre chose. Cela nécessite d’être ponctuelle au travail le matin comme le soir.
Les obstacles à l’autonomisation de la femme sont donc le manque de financement et le manque de soutien
Les gens qui travaillent réussissent, il n’y a pas de secret. Mais beaucoup de Sénégalaises préfèrent ne rien faire, passent leurs journées à paresser ou attendent de trouver un bon mari. Je ne suis pas d’accord avec cela. Il faut croire en soi-même d’abord et travailler pour soi. Tout ce qui viendra s’ajouter sera un plus. »
Solidarité entre femmes
« Les femmes doivent aider les jeunes filles, partager avec elles leurs connaissances, les encadrer et les former… »
« J’ai arrêté l’école en 1988, j’étais en classe de 4ème. Après cela j’ai assuré mon éducation toute seule. Je parle bien français alors que je n’ai pas reçu tous les cours nécessaires. En m’écoutant parler les gens pensent que mon niveau intellectuel correspond à un Bac+.
Si c’est possible c’est parce que je n’ai pas arrêté de me cultiver même après avoir quitté l’école. Je me documente beaucoup, je suis l’actualité et je sais ce qui se passe dans le monde. Le niveau intellectuel d’une personne ne dépend pas forcément de son niveau d’études. Il est possible de développer son niveau intellectuel de différentes manières.
Beaucoup de Sénégalaises préfèrent ne rien faire, passent leurs journées à paresser ou attendent de trouver un bon mari. Je ne suis pas d’accord avec cela
Pour ma génération, nous avons sans doute raté le coche. Nous avons su nous débrouiller sans l’aide de quiconque. Mais il y a des générations qui arrivent et celles-là doivent savoir que les femmes peuvent arriver à quelque chose dans l’avenir. Il faut leur faire suivre des formations.
Par ailleurs, il faut penser à éduquer la population, éduquer la jeunesse. Quand je parle d’éducation, la femme doit être la priorité car c’est elle, à son tour, qui éduque les membres de la famille. A cet effet, il faut promouvoir davantage l’éducation. Une personne bien formée est mieux outillée pour réussir ses projets. Les conséquences d’une éducation de qualité se manifestent à plusieurs niveaux.
Quand je parle d’éducation, la femme doit être la priorité car c’est elle, à son tour, qui éduque les membres de la famille
Le message que je lance aux femmes c’est d’aider les plus jeunes, de partager avec elles nos connaissances, les encadrer, les former. L’entreprenariat n’est pas facile. C’est pour cela qu’elles ont besoin des conseils de leurs aînées. Nous devons les guider et leur donner la chance de réussir comme nous l’avons fait.
Les femmes doivent davantage avoir confiance en elles. Bien vrai que nous avons déjà confiance en nous-même, mais il faut redoubler d’efforts. Nous devons faire valoir notre statut de femme. La femme a un statut important que nous devons respecter. Nous devons être plus solidaires entre femmes, réunir nos forces et rester unies. »
Photo : WATHI
Awa Ndao est coiffeuse et entrepreuneure. Elle est à la tête des salons Latifah