« Sans le savoir, on prive une jeune femme de ses droits les plus élémentaires pensant faire son bien… »
Extraits de l’entretien
« La position de la femme est fragile dans notre société.. »
« La femme est vraiment la base de la société ; la vie passe par nous, c’est nous qui orientons les hommes et les femmes. Un enfant est d’abord guidé par une femme, qu’elle soit sa mère, sa sœur ou sa tante… C’est une position assez fragile parfois car tout simplement, il nous arrive de déprécier la valeur de la femme, de déprécier le fait qu’une femme soit juste « femme au foyer ». Mais, je dis souvent que si toutes les femmes au foyer croisaient les bras juste deux jours ou ne serait-ce qu’une journée, que personne ne fasse le ménage, que personne ne fasse la cuisine, que personne ne prenne soin des enfants, on verrait tout de suite ce qu’est réellement la femme.
C’est une position assez fragile parfois car tout simplement, il nous arrive de déprécier la valeur de la femme
Si les filles sont protégées, si les femmes bénéficient de leurs droits, c’est une partie de la société qui est en sécurité. L’autre partie, que l’on considère comme celle qui commet des violences ou des exactions, doit prendre conscience que ce qu’elle fait est peut-être discutable parce qu’on peut très bien priver quelqu’un de ses droits sans le savoir.
Je pense que dans la majorité des cas, on prive une jeune fille, une jeune femme de ses droits les plus élémentaires pensant faire son bien. Si l’autre partie ne prend pas conscience qu’elle a en face une personne avec d’autres ambitions que ce qu’elle veut pour elle, même si c’est pour son bien… il y aura toujours des problèmes. »
« Dans le cinéma, je déplore l’image de la femme… »
« Je déplore l’image qu’on véhicule sur les femmes. Je trouve qu’il nous manque encore des modèles de femme forte. Pas forcément une femme qui écrase les hommes mais une femme qui en tant que citoyenne est porteuse de changement positif. Si je devais apporter un changement, ce serait dans le rôle qu’on veut donner aux femmes au cinéma. On constate souvent, que quel que soit le parcours d’une femme, sa carrière, la vie qu’elle mène, l’objectif final est de rentrer dans les grâces d’un homme. Parfois on se fait une concurrence dure et sévère entre femmes pour rentrer dans les grâces d’un homme. C’est fort comme message pour une jeune fille qui regarde cela.
On constate souvent, que quel que soit le parcours d’une femme, sa carrière, la vie qu’elle mène l’objectif final est de rentrer dans les grâces d’un homme
Je rêve de voir une génération de petites filles se lever et prendre à bras-le-corps les études scientifiques, et se dire “c’est à nous de faire cesser qu’on pile encore du mil ou que les femmes aillent chercher de l’eau”. On peut devenir des ingénieures, créer des machines qui vont simplifier la vie des femmes et je pense que le cinéma peut permettre d’y arriver. Derrière chaque histoire, derrière chaque personnage que j’interprète, j’essaye tant que possible d’apporter quelque chose de positif qui ne sera pas dans le dénigrement de la femme. »
« Il faut que les jeunes femmes soient pleinement conscientes du rôle qu’elles doivent jouer en tant que citoyennes »
« Nous sommes porteuses de changement positif dans cette vie de façon naturelle. Donc il faut que les jeunes filles et les femmes aient conscience de cette force qu’elles ont, il faut qu’elles soient pleinement conscientes du rôle qu’elles doivent jouer en tant que citoyennes. Il faut que les femmes se constituent en un mouvement assez solide pour prendre conscience de qui elles sont.
Ce que nous voulons voir être défendu soit on se constitue de façon positive pour le défendre, soit on va à la conquête des instances de décision pour créer un changement
J’ai réalisé un film sur les femmes au pouvoir. Je ne m’attendais pas à voir réellement que ce sont les femmes qui font les partis politiques. Ce sont elles qui sont dans l’organisation avec cette générosité qui est toute féminine. Elles mettent tout en œuvre et elles n’ont pas conscience que derrière ce processus, il y a des choses qu’elles peuvent revendiquer. Si on était plus organisé et mieux organisé, on aurait plus et mieux dans le temps. Personne ne réalise les rêves de personne. Nous avons des rêves et nous mettons d’autres personnes à la place pour les réaliser. Même si ces personnes sont animées par les meilleures intentions du monde, elles ont leurs propres rêves. Le rêve, on est seul à l’avoir fait, donc il faut prendre pleinement part à la réalisation de ce rêve ou essayer de le réaliser soi-même.
Les décideurs sont des hommes préoccupés par leurs propres questions. Ce que nous voulons voir être défendu soit on se constitue de façon positive pour le défendre, soit on va à la conquête des instances de décision pour créer un changement. »
« La question qui me préoccupe le plus c’est celle de l’éducation des filles, je souhaite qu’elles puissent aller et rester longtemps à l’école »
« Je suggère de faire une discrimination positive, avec des bourses ou des facilités pour permettre aux filles de poursuivre leurs études. Souvent, nous constatons que les filles sont très bonnes élèves, qu’elles se battent beaucoup plus que les garçons pour y arriver. Ce n’est pas facile lorsqu’on est une fille. En dehors de l’école elles doivent s’occuper de taches ménagères qu’elles ne partagent pas forcément avec leurs frères, et quand le choix se présente de devoir envoyer le frère ou la sœur poursuivre ses études, on préfère envoyer le frère.
J’ai vu des cas où c’était des sommes dérisoires qui empêchaient une jeune fille de poursuivre ses études
J’ai vu des cas où c’étaient des sommes dérisoires qui empêchaient une jeune fille de poursuivre ses études. Ce sont des situations tragiques où des filles qui pourraient aller loin, apporter quelque chose à leurs familles, apporter quelque chose de positif à la société sont obligées de s’arrêter. Je pense que c’est dommage quand on laisse une partie de la société en rade. »
Photo : WATHI
Fatou Jupiter Touré a étudié à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar à la faculté des lettres au département d’anglais. Elle a suivi une formation en cinéma et réalisation au Forut média centre de Dakar. Elle est passionnée de cinéma et de développement social. Réalisatrice, actrice, scénariste et productrice de cinéma, Fatou Jupiter se définit comme une militante des droits humains. Là où elle sent qu’il y a une injustice ou une inégalité à combattre, elle est engagée.