« N’attendez pas qu’on vous donne la place, prenez votre place… »
Extraits de l’entretien
La place des femmes dans la société
«Les places que les femmes occupent sont des places qu’elles doivent décider d’occuper… »
« La société vous assigne des rôles, elle vous assigne une place. Pour passer d’une place à une autre, il faut vraiment agir sinon on passe d’une place que je trouve figée par les normes et les valeurs culturelles à une place tout aussi figée par les normes et les valeurs culturelles. Très souvent, j’ai tendance à dire aux jeunes filles : « n’attendez pas qu’on vous donne la place, prenez votre place ! ». La société ne donne rien à personne.
Les hommes pensent souvent que si l’on donne du pouvoir aux femmes, elles vont devenir autoritaires
Les femmes à un certain âge sont supposées être mères de familles, s’occuper de la maison. Quand vous faites tout cela, vous pouvez avoir une place tout à fait subalterne. Parce que vous gérez la situation domestique ou bien, le faire avec plus de force et vous imposer en étant quelqu’un qui prend aussi des décisions dans ce contexte.
Donc, les places que les femmes occupent doivent être des places qu’elles doivent décider d’occuper. Sinon la société et le système inégalitaire dans lequel nous sommes leur assignent une fonction qui n’est pas forcément celle qui leur convient ou bien dont elles ne tirent pas tous les avantages en gardant une bonne partie des inconvénients.
Nous avons aussi un certain nombre de progrès en termes sanitaires, de contrôle de la sexualité, d’accès à la contraception et des services autour du corps des femmes. Mais ces progrès sont mitigés. Ils sont contrecarrés par l’opinion populaire en général et celle des hommes en particulier. Les hommes pensent souvent que si l’on donne du pouvoir aux femmes, elles vont devenir autoritaires.
Les places que les femmes occupent doivent être des places qu’elles doivent décider d’occuper
C’est comme un piège pour les femmes ; changez mais ne changez pas trop parce que si vous changez trop, vous allez prendre une autonomie. L’autonomie totale des femmes est vraiment, je pense, insupportable pour beaucoup trop de gens dans ce pays. »
Les débats sur les mariages d’enfants et les grossesses précoces
« Le débat sur les mariages et grossesses précoces est un débat qui doit être porté par les femmes… »
« Le débat sur les mariages et les grossesses précoces est un débat ancien, mais c’est d’abord un débat des femmes. Ce sont les femmes qui en ont discuté les premières. Parce que ce sont elles qui sont l’objet de ces mariages. Aucun homme n’est marié à 12 ans.
C’est un débat discuté dans les associations féminines et quelques cercles sociaux mais pas au niveau national. On n’en a pas fait un problème national. Même si le taux diminue cela continue d’exister. Or, s’il y avait un débat pour que les gens en prennent conscience, on pourrait les éliminer.
Il faut également faire prendre conscience aux garçons leur responsabilité
L’âge du mariage pour les filles est 16 ans. Pourquoi lorsqu’une fille de 13 ou 14 ans est mariée, il n’y a pas une institution qui met le mari en prison ? C’est pareil pour les grossesses précoces, il faudrait faire l’éducation sexuelle des enfants même si c’est difficile. Si les parents ont du mal à le faire, l’école devrait pouvoir le faire. Il faut également faire prendre conscience aux garçons de leur responsabilité.
Quand une fille tombe enceinte ou qu’elle avorte, il y a un homme qui est impliqué. Cet homme est impliqué mais ne s’implique pas. Il ne sent pas qu’il est responsable. Je dis que toutes les fois qu’une femme avorte, il y a un homme qui a avorté. Si cet homme avait pris ses responsabilités peut être qu’il n’y aurait pas cet enfant ; parce qu’il aurait pris ses précautions et aurait demandé à la fille de prendre ses précautions. Il y a tout un scandale, c’est la fille qui est toujours blâmée alors que pour l’homme au fond, on vante sa virilité. C’est comme un titre de gloire pour l’homme et pour la fille c’est une honte. »
Recommandations aux politiques
« En tant que femme, je dirais à un homme politique de faire comme si moi aussi je faisais partie de la société… »
« Face aux autorités politiques, l’une des plus grandes difficultés c’est qu’ils ont peu de programme et même, quand ils en ont un, ils l’appliquent peu ou mal. Il faut leur dire que leurs programmes doivent être des programmes pas seulement en direction des femmes, des jeunes ou des pauvres mais des populations pour satisfaire leurs besoins.
L’âge du mariage pour les filles est 16 ans. Pourquoi lorsqu’une fille de 13 ou 14 ans est mariée, il n’y a pas une institution qui met le mari en prison ?
On se rend compte avec le temps que les politiques en direction des femmes sont des politiques de marginalisation. Ce qu’il faut, c’est faire des programmes à l’échelle globale de la société, en se demandant ce qu’ils apportent aux hommes, aux femmes et aux jeunes. Quand on fait une politique, il faut savoir son impact sur la population qui est composée de jeunes, d’hommes et de femmes.
Par exemple, quand on a commencé à mettre des femmes dans des carrières, on l’a fait sans se rendre compte de l’impact ; sans aménager la manière de faire ou d’arriver à la carrière en tenant compte des empêchements que les femmes pouvaient avoir. Je dirais à un homme politique : « fais comme si moi aussi je faisais partie de la société ». Je lui demanderais de ne plus avoir cette vision patriarcale de la société, de déconstruire ces paramètres. »
Photo : WATHI
Fatou Sow est une sociologue sénégalaise féministe et chercheuse sur les questions de genre notamment en Afrique. Fatou Sow a été enseignante à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. À la fin des années 1980, elle crée le programme d’enseignement du genre au Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique. En 1999, elle organise le deuxième Congrès international des recherches féministes dans la francophonie.En 1993, elle devient chargée de recherches au CNRS, à l’université Paris-Diderot, au sein du laboratoire « Société en développement dans l’espace et dans le temps ». Elle contribue à ancrer les questions de genre dans les institutions de recherche et dans les universités africaines, et à faire connaître les associations des femmes africaines et leurs attentes. Elle développe également des partenariats avec des universités américaines.